La FBI de l’allié-e : Beach Body Ready de Madmoizelle

On parlera ici uniquement de ce qui concerne le fat shaming ou la grossophobie. Plusieurs autres problématiques d’oppressions sont présentes dans la chanson / clip, mais nous parlons de ce qui  nous concerne, sans éluder le reste.

 

Madmoizelle est un magazine féminin à tendance féministe. On y trouve parfois d’excellents articles, notamment de vulgarisation de notions féministes ou de réactions féministes à l’actualité. Mais on y trouve aussi parfois de vraies fausses bonnes idées, comme la chanson Beach Body Ready :

 

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=LpE8oqFuIpk&w=560&h=315]

 

De quoi est il question ?

Être beach body ready, c’est être prêt-e pour la plage. Cette expression, souvent employée par les magazines féminins pour vendre leurs numéros sur les régimes ou par l’industrie de la minceur pour vendre des diètes, est désormais reprise par bon nombre de militant-es de la body positivity (le fait d’avoir un regard bienveillant et positif sur son corps). De nombreux memes sont sortis à ce sujet comme celui-ci, cherchant à montrer qu’il suffit d’avoir un corps, n’importe quel corps, pour avoir le corps qu’il faut pour aller à la plage. Le message est intéressant et source d’empowerment : n’attendons pas d’avoir un corps parfait selon la norme pour profiter de la plage, et plus largement de la vie.

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Madmoizelle s’empare donc de ce message pour son hit de l’été, une chanson dont on se passera d’étudier les qualités musicales pour se concentrer sur son message, et plus particulièrement sur le clip. C’est plutôt une bonne idée, on peut imaginer que le lectorat principal de Madmoizelle est particulièrement ciblé par les oppressions : sexisme, body shaming, racisme, validisme … Et qu’un message qui fait du bien juste avant l’épreuve du maillot de bain, c’est toujours bon à prendre. Oui mais non.

Si tous les corps sont soumis aux injonctions de la société, jeunes, vieux, minces, gros, poilus ou non, il  ne faut pas oublier qui sont les premier-es à souffrir de ces injonctions, et mesurer l’impact sur les vies des concerné-es. Ainsi, un corps de moins de 25 ans, d’une taille de pantalon classique, souffrira beaucoup moins de l’oppression de la dictature du corps parfait qu’une individu de 35 ans qui chausse du 58. C’est un constat. Cela existe. Cela ne cherche pas à nier les oppressions subies par les corps normé-es : épilation, fermeté, forme de la fesse, forme de la poitrine etc etc. Cela met juste en lumière que les personnes qui s’éloignent de la norme sont proportionnellement oppressées. On aurait donc aimé que Madmoizelle combatte proportionnellement les oppressions là aussi. Mais ce n’est pas le cas.

 

  • Le problème de la chanteuse / du chanteur

Elle-il est très beau. Ils-Elles sont très belles. Ils-Elles ont un corps normé, sont « hype », sont parfaitement normé-es. Et c’est tant mieux. Pour eux. Mais les voir nous déclamer l’évangile de la body positivity, ca chatouille. Je ne doute pas que Madmoizelle posséde un fichier rempli de talents de tous horizons et de toutes tailles. Pourquoi choisir des gens si normé-es pour cette chanson ? Pourquoi ne pas se servir d’une plateforme qui fonctionne pour mettre en lumière le travail de genTes et donc de corps véritablement concerné-es et oppréss-ées ? Je ne remets pas en cause les histoires personnelles de Marion et d’Ivan avec leurs propres corps, ils-elles ont sans doute subi des oppressions, et ont du s’en libérer. Mais en terme de représentation et de message sur un média tel que Madmoizelle, fallait il vraiment encore choisir de faire chanter le gospel de l’oppression par deux personnes aussi classiquement normé-es ?

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  • Le problème même du Beach Body Ready, aka le body shaming et l’invisibilisation des oppressions

Le body shaming (ou la honte du corps) est l’oppression qui concerne tousTes les corps. Elle consiste à impliquer que nos corps ne sont jamais assez parfaits pour être dans la norme. C’est une oppression très violente et culpabilisante, et elle recouvre un territoire très vaste. On peut subir du body shaming pour la forme de son nez, pour la courbe de ses hanches, pour sa maigreur, pour ses cheveux … bref, tout ce qui ne corresponds pas à l’idéal sur papier glacé d’une société hétéropatriarcale.

Si le body shaming est vécu par tousTes, d’autres oppressions spécifiques sont vécues par des corps différents. Le sujet qui nous intéresse chez Gras Politique, c’est la grossophobie. C’est une oppression systémique subie par les personnes gros-ses (et non pas jugé-es gros-ses par Elle ou Marie Claire), qui s’étend dans tous les domaines de la vie : discrimination à l’embauche, discrimination dans le parcours de l’accès aux soins médicaux, violence verbale et micro agressions constantes, difficultés à s’habiller, précarisation etc. La grossophobie tue.

Ainsi si les corps normé-es peuvent s’inquièter d’être beach body ready, les corps qui sont confront-ées à la grossophobie s’inquiètent de trouver un maillot, s’inquiètent d’être rue ready quand il s’agira d’affronter les moqueries, d’être gynecologue ready quand on leur refusera un parcours de procréation médicalement assistée à cause de leur poids. Les corps qui subissent la grossophobie doivent être prêt-es, tout le temps, dans l’espace privé (famille, ami-es) comme dans l’espace public, à se défendre pour avoir le droit d’exister. Mais pour revenir à la plage, c’est un territoire miné pour les individus qui subissent de la grossophobie, nombreux-ses sont celles-ceux qui renoncent complétement à la mer ou à la piscine, car c’est un véritable parcours du combattant.

En ne mettant pas l’accent sur la proportionnalité de l’oppression subie, en ne choisissant pas de faire de différence entre le body shaming et la grossophobie, Madmoizelle contribue à silencier et à invisibiliser les victimes de grossophobie. Mais nous ne pouvons pas honnêtement incriminer Madmoizelle pour cela, tous les mouvements body positive le font. Les photos taguées #bodypositive concernent le plus souvent des corps qui sortent à peine ou pas du tout de la norme, et on érige dans ce mouvement  une nouvelle norme de ce qu’on attend d’un corps : un peu dodu, mais pas gros, bien dessiné, mais pas trop mince, piercé et tatoué si possible … Et les corps victimes de grossophobie se taisent, subissant une nouvelle fois l’oppression dans un mouvement censé les apaiser et leur faire du bien.

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  • Le problème du refrain

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“Les calories sont mes amies donc le fond et la forme je m’en fous”

Le mouvement  Body Positive touche en très grande partie des genTes qui sont confronté-es à des troubles du comportement alimentaire. Il suffit de se balader dix minutes sur Tumblr pour comprendre à quel point la relation avec la nourriture et l’alimentation est problématique pour beaucoup. Anorexie, boulimie, hyperphagie, ces maladies pourrissent le quotidien de milliers de personnes. Et détruisent aussi leur image d’elles-mêmes. Elles sont donc les premières à avoir besoin d’un message positif, loin de leurs pathologies.

En ce qui concerne la grossophobie, elle s’accompagne toujours d’un message culpabilisant pour la personne gros-se et son alimentation. On présume qu’elle mange ‘de la merde”, qu’elle est inactive et qu’elle avale les chips sur son canapé, etc. Les calories ne sont pas nos amies. Elles sont nos ennemies jurées, souvent depuis l’enfance. Nous subissons les remarques de notre entourage sur ce que nous mangeons, les remarques des étrangers sur nos paniers au supermarché. Nous aimerions être dans une relation apaisée avec les calories, mais la société ne nous le permet pas.

Alors répéter “les calories sont mes amies” dans le refrain d’une chanson prétendument body positive ? Comment dire ? C’est à minima contre productif. Et cela peut être source de souffrance pour beaucoup. Et cela conforte la société dans l’idée que l’image du corps a un rapport direct avec la façon de se nourrir, et donc avec le poids.  #FAIL.

Le problème du clip

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Les personnes qui jouent dans le clip ont été trouvées via un appel diffusé par Madmoizelle. Celles-ceux qui apparaissent sont majoritairement blanc-hes et normé-es du point de vue de la taille et de la largeur. On constate l’apparition éclair d’une personne qui sort de la norme pondérale. Mais l’impression qui domine c’est une chouette bande de copains-copines blanc-hes cisgenres et normé-es qui se préparent à aller à la plage. C’est un peu chiche en terme de représentativité pour un message  body positive non ?

Madmoizelle a été interpellé sur son fil Facebook concernant le manque de représentation de personnes racisé-es dans le clip. Nous aurions pu  faire la même chose en parlant de personnes gros-ses, et nous aurions sans doute eu la même réponse.

Voilà la réponse : “Y’a eu un grand appel publié sur le twitter de mad et de Marion, toutes celles et tous ceux qui voulaient venir pouvaient venir ! On n’a refusé ni obligé personne à participer… vous pouviez venir aussi ! \o/”

Cette réponse est problématique :

  • cela sous entend que c’est aux personnes les plus opprimées de se mobiliser pour exister, et non pas aux autres de créer des espaces pour leur permettre d’exister
  • cela sous entend que Madmoizelle n’est pas prêt à décaler ou à revoir un planning de tournage pour s’assurer de la représentativité des corps pour un clip à message inclusif
  • cela remet la responsabilité de la souffrance exprimée sur l’invisibilisation sur la personne qui exprime cette souffrance, non pas sur la-les personne-s qui créent l’invisibilisation.
  • cela défausse complétement Madmoizelle de sa responsabilité

 

Pour conclure, on peut penser que cette chanson-ce clip fera beaucoup de bien aux personnes qui ne s’éloignent pas trop de la norme, qui ne souffrent pas de grossophobie, qui ne souffrent pas de troubles du comportement alimentaire, et qui se reconnaissent dans l’éventail restreint des représentations de corps présenté dans le clip.

On peut douter du bien que cela fera aux personnes qui se sentiront, comme nous, invisibilisé-es et silencié-es par ce clip. Nous irons quand même à la plage, ou à la piscine municipale, rassurez vous.