Transcription du podcast “C’est compliqué – Corps gros, séduction et sexualité” publié sur Slate Audio

Photo par @teresasuarezphoto lors de l’enregistrement du podcast.

Lors du Très Gros Festival, qui a eu lieu le 28 août au Wonderland à Paris, nous avons eu l’occasion d’enregistrer deux podcasts « C’est compliqué » animés par Lucile Bellan et publiés sur Slate Audio. Pour le deuxième podcast, “Corps gros, séduction et sexualité” nous avions invité·e·s autour de la table Kiyémis, autrice, poétesse et afro-féministe, Marie de Brauer, journaliste et autrice du documentaire “La Grosse vie de Marie” et Nicolas Maalouly, président de l’association les Ours de Paris, association d’hommes gays et gros, et de leurs amis.

Vous pouvez écouter le podcast sur le site de Slate Audio : cliquez ici.

Dans un soucis d’accessibilité, nous avons fait appel à quelqu’un pour transcrire ces podcasts à l’écrit. Merci à Ploutre, @ploutre_ sur Twitter, de nous avoir transcrit ces podcasts. N’hésitez pas à faire appel à elle pour des missions de transcription.


Gras Politique

Slate Podcasts

C’est compliqué

Corps gros, séduction et sexualité

http://www.slate.fr/audio/cest-complique/très-gros-festival-corps-gros-seduction-sexualite-81

55’42

Transcription par @ploutre_


[Générique Slate Podcasts]

Lucile : Et bien bonsoir ou bonjour selon le moment où vous écoutez ce podcast, nous c’est le soir. Bonsoir à toutes et à tous, merci d’être là pour l’enregistrement de cet épisode hors-série du podcast C’est Compliqué. Nous sommes au Wonderland pour le Très Gros Festival organisé par Gras Politique [applaudissements et wouhous]. Je suis Lucile Bellan et j’ai avec moi autour de la table Kiyémis, autrice, militante afroféministe et poétesse.

Kiyémis : Bonsoir !

Lucile : Nicolas…

Nicolas : C’est moi !

Lucile : Président des Ours de Paris. [applaudissements]

Nicolas : Mon public. [rires]

Lucile : Et Marie de Brauer, créatrice de contenus sur internet et autrice du documentaire La Grosse vie de Marie.

Marie : Bonsoir ! [applaudissements]

Lucile : Alors là dans cet épisode on va parler de sexualité.

Marie : Brrrah ! [rires] Non je plaisante.

Lucile : On va parler de dating et de sexualité en particulier. On va commencer par le dating parce que c’est plus logique dans ce sens là, quand même.

Marie : Ah bon ?

Kiyémis : Quoique, oui j’allais dire… [rires]

Lucile : D’abord on rencontre les gens [rires]. Est-ce que ça existe des endroits de dating safe pour les personnes grosses ?

Nicolas : En tout cas, nous pour les ours on en a trouvé. Je pense que c’est important de draguer, sur des applis safes qui sont faites pour les ours par les ours et pour les gens qui aiment les ours. Nous il y a quelques années, on avait Bear W, aujourd’hui il y a encore plus d’applications comme GROWLr ou Scruff, qui sont des applications qui sont effectivement safe, où quand on y va on ne va pas nous dire « non, je ne cherche pas de gros » – on va en tout cas moins lire « pas de gros » ou des choses comme ça. C’est important de draguer sur les applis, de trouver ces applis là où on se sent un peu en sécurité parce que ça va donner un peu plus de sécurité et de confiance en soi. Ce qui est quelque chose qui manque beaucoup parce qu’on nous a dit pendant des années « non, tu es moche, tu ne plairas jamais, tu ne trouveras personne »… On a toujours imaginé ça, donc il y a un moment il faut chercher cela et le trouver. Et avoir confiance en soi aussi pour recevoir cette…

Lucile : Mais donc c’est pas des espaces mainstream ? On est sur des espaces spécialisés ?

Nicolas : C’est effectivement des espaces spécialisés, oui.

Lucile : Parce qu’il existe des espaces spécialisés pour les femmes grosses en particulier, mais c’est plus pour les mettre en relation avec des mecs qui les fétichisent.

Marie : C’est ça. Moi je suis une meuf hétéro – Marie de Brauer, bonjour [rires] – et j’ai donc pas mal pratiqué les applications de rencontre. « Existe-t-il un espace safe ? », j’ai envie de vous dire “Non”. C’est mon expérience personnelle.

Lucile : Mais du coup comment tu fais ?

Marie : Eh bien j’ai une vie amoureuse et sexuelle pas ouf [rires] si vous voulez tout savoir. Donc s’il y a des hommes sympas…

Kiyémis : Helloo… ! [rires]

Marie : … qui veulent slider dans mes DM ! [rires et applaudissements] Bon ça va, ça va mettre mal à l’aise tout le monde. Ce qu’il s’est passé, c’est que pendant longtemps j’ai quand même essayé : comme c’est des applications hyper mainstream, il y a tout le monde. S’il y a moi dessus c’est qu’il y a d’autres gens sympas c’est sûr – je me considère comme quelqu’un de sympa – j’ai des potes qui sont sympas et qui sont dessus, j’ai fait des chouettes rencontres quand même. Quand on est une femme sur ces applis il y a une vague de gens, il y a vraiment énormément de likes. Peu importe à quoi on ressemble, il y a des gens qui likent… et bien il faut faire le tri. Donc sur 10 mecs qui m’ont liké, il va y avoir 5 « salut, ça va ? » et peut-être un « eh la grosse là elle doit bien sucer vu qu’elle est grosse » – et t’es là… « bonjouuur, bonjour bonjour, enchantée ».

Lucile : Kiyémis, ton expérience ?

Kiyémis : Mon expérience est un peu similaire, pour ceux qui ne me connaissent pas je cumule le fait d’être grosse et le fait d’être noire.

Nicolas : Bonsoir !

Kiyémis : Bonsoir ! [rires] Et d’être femme évidemment. Donc non, il n’y a pas du tout d’appli, en tout cas moi je n’en connais pas. Celles et ceux qui en connaissent qu’ils le disent s’il vous plaît ! J’étais sur les applis classiques style « Adopte un mec », « OK Cupid » – et j’ai pas fait Tinder je crois. Non il y a pas d’appli safe. Ce que je faisais, ce qui est je pense quelque chose à double tranchant, c’est que je disais – ça se voit que je suis grosse – mais je précisais quand même « si t’as peur des grosses, ce n’est pas ici, voici la sortie ». Je le précisais dans mon profil parce que je pense que je considérais que c’était une forme de protection que je proposais, parce que je n’étais pas prête à gérer un potentiel rejet ou une potentielle remarque. C’est à double tranchant parce que t’as sûrement pas de mec qui sont dans le délire « pas de grosse », par contre il y a des mecs qui vont te dire soit « j’ai jamais fait une femme noire » – bon OK, qu’est ce que je suis censée faire, là, je suis pas une pizza – ou soit cette hyper-fétichisation : « t’es une femme grosse, donc tu dois bien sucer », et surtout limite « tu dois me sucer en secret ». Je pense qu’on va peut-être aborder ça à un autre moment mais voilà, pas d’appli safe non.

Lucile : Comment on se protège de cette fétichisation-là ? Il n’y a aucun moyen ? Est-ce qu’on peut en profiter aussi ?

Marie : Est-ce qu’on peut en profiter, je ne suis pas certaine parce que c’est pas ouf pour l’estime de soi. C’est vrai que cette fétichisation – c’est peut-être un peu précis tout de suite – je l’ai mal vécue parce que je me suis mise dans la position : « ah du coup c’est des gens qui veulent bien de moi, donc c’est déjà ça ».

Kiyémis : Mh mh [d’approbation].

Marie : C’est horrible de construire sa sexualité à 17 piges basé sur ça, et ça a été un long taf de déconstruction pour arrêter de penser que « c’est quand même déjà pas mal, il bande, putain c’est fou quoi, woouh » [rires de Kiyémis] Non. Du coup, est-ce que j’en ai profité parce que je consommais une sexualité en mode « OK, je me prouve que je peux désirer » – enfin que « je peux être désirée » ? Je pense que pour moi ça a été plus l’inverse : ça a été plus négatif qu’autre chose.

Nicolas : Je pense qu’il y a un moment où on passe du « gros qui ne plaît pas, qui n’a pas de succès » sur des applis comme ça, à quelqu’un qui va avoir beaucoup de succès, donc ça peut être grisant. Mais il y a un moment, il faut aussi savoir si on est aimé pour soi, pour son gras, pour sa personnalité… et il faut pouvoir sélectionner. Nous en tant que personnes LGBT, on a longtemps cherché les espaces safes, et c’est pour ça qu’on se retrouve entre nous dans ce qu’on appelle le communautarisme, parce que ce sont des endroits où on est à l’aise. Du coup, entre personnes PD grosses qui sommes déjà en marge – une marge dans la marge – on s’est retrouvés entre nous, on a créé des lieux pour ça, et on a cherché. On s’est toujours dit « il faut qu’on soit aimé malgré le fait qu’on soit gros », et on le dit toujours. Je pense qu’il y a un moment dans la vie où il faut se dire « je peux aussi être aimé pour ça et c’est pas grave », ça peut faire avancer les choses. Arrêter de se dire qu’il faut être aimé malgré le fait qu’on soit gros, donc être le rigolo, être le ci, le ça : on n’est pas toujours considéré comme sexy ou sexuel. D’un coup, retrouver une image sexuelle de soi peut faire du bien. On peut y trouver quelque chose pendant un moment, mais il faut aussi passer au-delà de ça : passer à la réalité, à de vraies rencontres. Il n’y a pas que internet et la drague qui est consumée comme ça, et forcément cela facilite des rejets rapides, des phrases chocs : c’est facile d’écrire “grosse” ou “gros”.

Lucile : Vous parliez tout à l’heure du côté caché, est-ce vraiment une composante – pour les personnes qui fétichisent les personnes grosses, en particulier via les applis – de dire « tu es ma personne grosse mais cachée » ? Mon plan cul gros ?

Kiyémis : Moi ça ne m’est pas arrivé qu’on le formule comme ça. Je pense qu’il y a plusieurs choses. Pendant très longtemps, j’étais dans un groupe d’ami·e·s ou j’étais la meuf grosse. J’étais une des meufs noires – on était pas beaucoup – et en plus j’étais la meuf grosse. Déjà, il y a une différence entre les expériences des meufs qui sont minces, qui étaient blanches en plus, un peu plus dans la norme ; et ta propre expérience de meuf grosse. Parfois, ça commence par « il n’y a rien », comme tu disais tout à l’heure.

Ensuite, j’ai vécu la même chose : tu rentres dans un monde tu te dis « ah mais en fait je suis bonasse moi aussi ! » – en clair « j’ai envie de baiser » – donc tu te modèles pour recevoir une validation. En tout cas c’est ce que j’ai fait. Ensuite au bout d’un moment, j’ai constaté que des femmes qui étaient plus dans la norme – minces, blanches, les cheveux très longs, etc. – avaient des aventures qui étaient quand même très particulières. Souvent elles avaient des mecs, les mecs sortaient avec, elles allaient à l’extérieur, etc. Les expériences que j’ai eu, peut-être du fait que c’était beaucoup de dating au début, étaient un peu différentes. J’ai eu aussi des mecs mais c’était moins systématique, donc je me disais « ah mais attends c’est marrant ». C’est aussi le moment où j’ai commencé à être avec des amies femmes grosses non-blanches et blanches qui disaient aussi « ah c’est marrant il a une meuf », « c’est marrant on sort pas trop », « je vois pas ses potes ». Il m’est arrivé plus souvent qu’on me propose des situations où ce n’était pas « on va dans un bar ». Je dis pas que les femmes minces ne vivent pas aussi ces situations – il y a des mecs qui te disent « on va direct chez moi » – mais j’ai eu cette impression, aussi en discutant avec d’autres meufs grosses qui ont eu la même expérience, de rencontres qui devaient être cachées.

Marie : Le fameux lundi soir entre 19h et 23h, quand il pleut quoi.

Kiyémis : C’est bizarre parce que, bon chacun a sa libido, mais c’est un vrai problème quand tu es dans une situation où tu n’as pas envie de te faire fétichiser et on te dit « ah t’es noire » – parce qu’il y a beaucoup de fantasmes liés aux femmes noires qui ont des formes. On ne sexualise pas le ventre : il y a des formes qui sont sexualisées spécifiquement, d’ailleurs c’est à la base de la grossophobie. Mais c’est pas le même respect ! J’ai envie de nuancer parce que je sais que le patriarcat touche aussi les femmes minces, mais je pense qu’il y a vraiment une expérience spécifique d’être dans un monde qu’ils considèrent à l’opposé du canon de beauté : tu n’es pas mince, pas blanche, pas toute petite, pas toute frêle – bon je suis un peu grande gueule aussi donc ça aide pas. Les réactions des mecs étaient… certains qui étaient vraiment dans la norme, pour le coup, ne m’ont jamais proposé de voir leurs potes par exemple. Pourquoi ?

Nicolas : Effectivement, j’ai eu un amant régulier, au départ on ne se pose pas trop de questions mais à un moment il me l’a formulé clairement : « je ne veux pas être vu avec une personne grosse, je ne veux pas être vu dans la rue avec toi ». Pourtant il était souvent chez moi, on baisait beaucoup et je lui plaisais manifestement. Mais on ne sortait jamais, et à partir du moment où il l’a formulé, pour moi c’était un élément de non-retour. Quand il m’a dit « non je ne veux pas être vu avec une personne grosse » j’ai trouvé ça vraiment… à partir du moment où on s’aime, c’est une situation qui ne peut pas être… c’est étonnant à entendre. Pour quelqu’un que tu vois plusieurs fois, assez souvent…

Lucile : Étonnant et douloureux.

Marie : Et c’est violent quoi !

Nicolas : Et c’est quelqu’un qui m’a dragué, pas l’inverse. Du coup c’est très étonnant à entendre – il y a des gens qui disent ça comme si c’était pas grave de le dire. Ils ne se rendent pas compte de la grossophobie qu’il peut y avoir là-dedans, de dire « non je ne veux pas être vu avec toi dans la rue » et pourtant…

Lucile : « J’assumerai pas d’être avec toi », en fait.

Marie : C’est hyper violent de le verbaliser. Ce n’est pas forcément verbalisé, moi j’ai plus d’expériences de constat. Je constate que la rue : non, l’intérieur : oui. Mais il y a quand même une expression ignoble qui dit « une femme grosse on est bien dedans, mais on sort pas avec, c’est comme les pantoufles », machin…

Lucile : C’est horrible !

Marie : Je l’ai mal dit je la refait ! S’il vous plaît, je la refait, ne riez pas : « une femme grosse c’est comme les pantoufles, on est bien dedans mais on sort pas avec ». C’est pas horrible ? Si, dites oui ! [rires]

Kiyémis : La violence. C’est totalement horrible [rires].

Lucile : C’est atroce mais comme beaucoup de blagues atroces, parfois un peu dans la réalité. La question des sites de dating safe, on va y revenir, mais tu disais que pour les bear il y avait des choses spécifiques intra-communautaires qui étaient faites. Je pose la question, c’est juste entre personnes grosses ? On est pas obligé d’être forcément attiré par des personnes qui ont exactement le même physique que soi… enfin j’imagine.

Nicolas : Oui, enfin – ça va te donner un indice sur mon âge – moi j’ai commencé à draguer sur le minitel et forcément je débarquais chez les gens [rires] et oui, et oui… Je débarquais chez les gens (on ne s’échangeait pas de photos, on ne voyait pas les gens) et il y a eu des cas où on ouvrait la porte et la personne te regardait et disait « non ça va pas le faire ». Aujourd’hui, sur une appli, on va pouvoir se montrer, on va voir qui on est – c’est vrai que souvent les ours aiment bien les ours et être avec des ours – ça créé un endroit où on va pouvoir enlever son t-shirt ou sa chemise dans une soirée sans que ce soit un problème. On ne va pas se poser des questions pendant des heures en se disant « putain j’ai un bourrelet, j’ai un gros bide, etc. ».

Il y a des gens qui aiment les ours, il y a des ours qui aiment les ours, dans tous les cas c’est un endroit où l’on essaye d’être bienveillant. On va être moins confrontés à de la violence, comme quand tu vas faire exprès de sortir dans un endroit où tu es sûre qu’on ne va pas t’embêter parce que tu es une femme, ou que tu es noire ou lesbienne. C’est des techniques de survie de trouver le juste moyen entre plaire, la réalité et les envies de sexualité. Les gros sont souvent sortis de la sexualité. Enfin, c’est les deux extrêmes : soit ils sont pas du tout sexualisés, par exemple j’ai mis beaucoup de temps pour avoir ma première relation sexuelle parce que comme j’étais gros, je n’étais pas du tout sexualisé. Je sortais dans le milieu PD et on me disait « pardon, ici c’est une soirée PD » parce que comme j’étais gros, je n’étais pas supposé être PD. J’étais obligé de dire « mais si pardon je suis quand même PD hein », ça m’est arrivé à l’entrée du Queen. Du coup c’est d’une extrême à l’autre : on est sexualisé ou on est pas sexualisés.

Il y a les applis et il y a aussi les endroits où on peut sortir. Les refus dans la vraie vie il y en a aussi, c’est moins violent. On peut rencontrer des gens sur des applis, quand on les rencontre dans les bars on reconnaît les gens, on a vu leur photo, il y a moyen de se dire juste “salut” et dédramatiser le truc de l’appli.

Lucile : Marie ?

Marie : Pour répondre à « on peut être une personne grosse qui n’est pas forcément attirée par des personnes grosses », je pense que de base, qu’on soit mince ou pas, qu’on soit gros ou pas, partir du postulat « les personnes grosses ne m’attirent pas » c’est problématique de ouf [applaudissements] parce que le désir ça se déconstruit. Par exemple (je vais prendre mon cas personnel), je sais que quand j’étais jeune, je n’étais pas attirée – c’est ce que je disais hein – par des mecs gros. Je ne m’étais jamais posé la question, juste « c’est comme ça ». Et en fait, après avoir travaillé là-dessus et avoir déconstruit des trucs, c’est parce que je voyais mon propre corps comme indésirable. Donc je n’allais pas trouver un corps similaire désirable puisque le mien ne me plaisait pas. Ensuite il y avait ce truc de représentation sociale : on allait pas être les deux gros qui se baladent main dans la main. Le désir ça se déconstruit. Alors, je veux bien, c’est le truc le plus intime qui est au fond de nous donc je ne crie pas sur tous mes potes qui ne datent que des personnes minces et blanches en leur disant « Vous êtes des cons ! » [rires] mais je le pense un peu.

Nicolas : T’as raison.

Marie : En vrai changer son regard c’est vraiment possible. Datez des gens gros, les gars, pas de galère hein !

Lucile : [rires] C’est un bon conseil. Kiyémis ? Tu as quelque chose à ajouter là-dessus ?

Kiyémis : Je suis tout à fait d’accord, il y a beaucoup de choses intéressantes à dire sur « le désir, ça se déconstruit ». Première chose c’est que moi, au contraire, j’étais attirée par les mecs gros. Mais c’est un truc de patriarcat : moi j’étais grosse donc un mec gros je me disait « il va pas se casser » ce qui est un peu… particulier parce qu’en fait aucun mec ne s’est cassé, que je sache. Mais il y avait un truc ou j’étais un peu rassurée de me dire « oh il a du bidou, c’est bon, je vais pouvoir faire des choses », je ne vais pas avoir peur. C’est particulier de se dire qu’avec son corps « tu peux casser quelqu’un », mais bon c’est un autre débat. Je pense que c’est un truc du patriarcat de me dire que j’étais attirée par les mecs gros – enfin, plus épais on va dire : épais en masse musculaire ou épais en grosseur – parce que je me disais « ah c’est bon je peux me mettre sur lui » en gros… je ne vous fait pas un dessin.

Ensuite sur la question du désir qui se déconstruit, c’est marrant parce que quand j’avais 16-17 ans (ce qui rétrospectivement est quand même jeune pour se le dire), je me disais « c’est mort j’attire personne dans mon bled paumé du 77, c’est mort pour moi ». Quand même à 17 ans se dire « c’est mort pour moi » c’est violent. J’allais à l’époque sur des sites, je ne sais pas si beaucoup de femmes grosses connaissent ce site « vive les rondes » [rires] – l’époque vive les rondes ! J’étais sur ce forum vive les rondes et je me souviens que j’essayais de poster mon message pour dire « oh là là, j’attire personne ». Donc je voulais un peu d’aide des femmes grosse de plus de 25 ans (maintenant c’est moi), qu’elles me disent « non mais t’inquiète ça va aller, tu vas attirer un mec un jour ». C’était intéressant parce que je voyais beaucoup de messages qui disaient « moi les mecs que j’attire c’est que des mecs arabes ou noirs ».

C’est marrant parce que c’était des autres meufs grosses qui disaient « en fait il y a un regard qu’on aime pas ». Il y a le regard masculin, le male gaze, mais il y avait aussi un coté « ouais mais c’est un certain type de regard qu’on veut aimer ». Ça m’a fait pensé à ce que tu dis, je pense que c’est important d’en parler : en tout cas moi dans les espaces de meufs grosses, j’ai beaucoup entendu des meufs – souvent des meufs blanches – qui disaient « moi j’attire que des mecs arabes et noirs » et moi j’étais là « mais hello ils sont où ? » [rires] moi je les vois pas trop sur moi en fait.

Je trouvais que c’était intéressant de déconstruire cette idée de la désirabilité, ce que c’est, genre tu es désirée par qui ? Quel désir est acceptable ? Comme tu le disais tout à l’heure, je ne dis pas que tout le monde doit sortir avec des mecs noirs ou arabes ou des meufs grosses. Maintenant c’est bon je pense que j’ai dépassé cette idée de « allez sortez avec moi !”, je sais que je suis canon donc il y en a qui vont sortir, il y en a qui vont… [wouhous et applaudissements] Mais vous l’êtes toutes et tous, ça va arriver ! Moi à 17 ans on m’a jamais dit un truc pareil mais c’est un autre débat. Mais je pense que c’est intéressant de se poser cette question de qui est-ce qu’on va attirer aussi ?

Lucile : Oui parce qu’il y a une question de l’ego là-dessus, à la fois de ce qu’on nous renvoie, de ce qu’on est prêts à entendre, prêt à accepter là-dessus ?

Kiyémis : Et qui valide ? Souvent, celui qui valide c’est un mec blanc, mince, hétéro et riche.

Lucile : Ils valident beaucoup de choses ces gens-là, on les entend beaucoup. [rires]

Kiyémis : Malheureusement.

Marie : C’est ça, avec le recul on se dit « Je me suis satisfait de si peu ?! » [rires]

Lucile : Globalement quand on couche avec des hommes ça arrive souvent. [rires]

Marie : Exactement !

Kiyémis : Ça balance ce soir !

Marie : Mais slidez dans mes DM quand même ! [rires]

Nicolas : Vous n’avez qu’à changer, arrêter de coucher avec des hommes.

Lucile : Ah mais moi je ne suis pas concernée [rires]. On va revenir sur cette histoire de casser des hommes en deux. Je pense que c’est le moment de rentrer dans le vif du sujet, dans la sexualité pure. J’ai une question un peu con, mais je pense qu’il y a plein de gens qui se la pose : est-ce qu’on pratique le sexe de la même manière quand on est gros ?

Kiyémis : Est-ce qu’on pose la question à des gens minces ? [applaudissements]

Lucile : On les voit baiser tout le temps en fait.

Kiyémis : Non mais il y a une partie de moi qui a envie d’y répondre, parce qu’il y a un truc pédagogique, et il y a une autre partie de moi qui me dit « est-ce qu’on baise de la même manière si on est noir ? » Enfin je sais pas, il y a un truc bizarre [rires] mais bon.

Lucile : Quand j’ai écrit cette question, je me suis dit « je vais pas demander ça… » et puis je me suis dit « en même temps la seule éducation sexuelle qu’on a – le culturel sexuel – n’est qu’avec des gens minces, où la femme est légèrement plus petite »…

Nicolas : Personne ne baise de la même manière, même nous avec chaque personne avec qui on couche : on n’est pas la même personne à chaque fois qu’on couche, et on couche différemment. La seule chose, quand on est gros, c’est se déshabiller en fait… se déshabiller est un problème. Quand on est gros, la première fois qu’on se déshabille devant quelqu’un, qu’il soit gros, mince, grand, petit – qui qu’il soit – c’est la première fois qu’on va se mettre à nu qui est compliquée. Parce que pendant longtemps on a entendu « tu as un joli visage, mais ton corps… », « tu as des jolis cheveux », « tu as un joli regard »… On ne nous dit que ça, on ne nous a jamais dit qu’on était beau. Du coup on a forcément un rapport compliqué avec notre corps, on se déshabille difficilement parce qu’on nous a toujours dit « c’est moche ». Pourquoi on nous a dit ça ? Donc forcément, quand on va baiser si on est pas à l’aise, on baise différemment. Sinon à chaque fois qu’on baise, on baise différemment et on n’est jamais en relation sexuelle pareil. [rires]

Lucile : Marie ?

Marie : Moi je ne parlerai pas de sexe… non c’est pas vrai. [rires] Je suis d’accord, c’est très interne : les questionnements vont se faire tous seuls et le lâcher prise peut être plus compliqué. On va peut-être se refuser à faire certaines pratiques qui pourraient nous plaire en soi, en se disant « non c’est pas possible je vais le casser », « non il va pas avoir accès » ou alors « c’est la honte » et ça créé des blocages. Il y a ça, et il y a aussi ce truc de « je n’ai de la valeur que dans la sexualité donc il faut que je sois meilleure qu’une personne mince ».

Kiyémis : « Que je performe », oui.

Marie : « Il faut que je sois le meilleur coup de sa vie parce que, déjà, il est sympa d’être là. » Il y a un double truc trop bizarre : je ne suis pas à l’aise parce que toute la société m’a dit que j’étais cheum, mais je vais quand même faire semblant d’être à l’aise et d’être « Wouhou c’est la vie ». À aucun moment je ne me suis demandée si moi je kiffais mon moment… C’est vraiment arrivé bien plus tard dans la vie, et c’est absurde. La question est technique, si les auditeurs et auditrices se posent la question « est-ce qu’on baise pareil ? » ben est-ce que vous, vous baisez pareil avec vos potes ? [rires] En soi, tout est faisable, on a les mêmes zones érogènes que tout le monde, enfin voila, chacun son petit schmilblick. Mais après oui, il y a des trucs qui sont très psy.

Lucile : On parlait de la fellation tout à l’heure, il y a vraiment un truc de se dire, à la limite « je ne vais pas le sucer » parce qu’il va forcément penser qu’elle le fait bien ou qu’elle en a envie ?

Kiyémis : J’espère que ma mère ne va jamais écouter ce podcast. [rires]

Marie : Moi j’espère que maman t’écoute [rire diabolique] « Maman, j’ai eu des rapports sexuels ! » [rires]

Nicolas : « Bravo ma fille » elle va te dire.

Marie : Et oui, elle sera fière de moi. [rires]

Kiyémis : Un truc que je voulais dire, je ne me suis pas braquée mais ça m’a vraiment posé question cette question. Je pense que parfois on se fait une idée de ce à quoi doit ressembler une relation entre guillemets “sexuelle”, là je vais parler avec un homme : le mec il doit te porter, il doit te plaquer contre le mur… Il y a des gens qui aiment bien, mais on a des idées très clichées sur à quoi cela doit ressembler. Et en tant que femme grosse, tous mes mecs n’étaient pas Teddy Riner…

Marie : Essaye de me porter, on va voir !

Kiyémis : Voila ! Parfois je pense qu’on peut aussi se dire « oh non mais il peut pas faire ça ». Ou par exemple quand c’est un mec qui n’est pas sorti qu’avec des meufs grosses « ah non mais peut-être… ». Parfois on est vraiment dans notre tête alors que franchement le sexe ça devrait tellement être un lieu de joie et d’exploration ! Mais tu es dans ta tête et tu te compares à ce que tu as vu comme image, alors que si un mec ne te porte pas, c’est pas grave ! C’est pas parce qu’il ne te porte pas que tu ne vas pas avoir des orgasmes et que lui non plus. Ou du plaisir, pas forcément l’orgasme d’ailleurs. On a des idées de « à quoi doit ressembler le sexe pour être une bonne relation » et ça vient souvent de Chine, de Hollywood où – soyons réalistes – ça ne doit pas être agréable pour les acteurs qui jouent ces scènes, en tout cas pour beaucoup je pense. Je pense que c’est surtout ça. Il y a aussi un truc, comme tu disais, sur la performance, franchement je me vois…

Marie : On te voit tous. [rires]

Kiyémis : Ha !

Marie : Je déconne, je déconne !

Kiyémis : Moi je suis un peu égocentrique mais c’est un autre débat. Je pense qu’il y a aussi un truc de se dire « allez on donne tout », que beaucoup de personnes ont, mais ça joue quand t’es une meuf grosse et que tu te valides… Comme tu dis : « ce qu’il me reste c’est le cul donc il faut y aller à fond ». Je pense que c’est surtout ça, c’est les images de ce à quoi ressemble le sexe, et souvent bah… oui parfois mon ventre est entre nous deux, et alors ? Non mais il faut dédramatiser le truc ! Oui parfois je suis pas méga souple, je suis pas championne de gymnastique, genre Simone Biles. OK, et alors ? Ce que j’ai envie de dire aux gens plus jeunes qui nous écoutent : ça n’a jamais rien empêché, donc tranquille ! [applaudissements]

Nicolas : C’est aussi parce qu’il n’y a pas de représentation. Ce qu’on voit c’est le porno, et ce n’est pas du tout la réalité de la sexualité, du coup c’est compliqué : on n’a jamais vu des gros dans des films. Voilà, on ne les voit pas ! Ils n’ont pas de sexualité normalement les gros, et c’est toujours étonnant, quand…

Marie : Nous trois, on est là pour vous prouver le contraire !

Nicolas : Chut, mon mec est dans la salle. [rires]

Marie : Et moi c’est faux, ça fait très longtemps. [rires]

Lucile : On parlait de représentation culturelle mainstream, de Hollywood, mais parlons de porno : des livres, des magazines, de tout ce qu’on veut – le cul qu’on montre dans les trucs de cul. C’est extrêmement compliqué de trouver des personnes grosses. La question c’est pourquoi, puisqu’a priori il y aurait des gens pour les consommer – a minima des personnes grosses ou les fétichistes puisqu’ils semblent très actifs.

Marie : C’est ça, dans le porno c’est classifié : les personnes grosses sont dans un tag, un truc précis, et en plus la représentation est clichée. Les femmes grosses sont forcément dominantes, etc., il y a tout un tas de pratiques et d’images qui sont implantées. Je n’ai pas de vrai chiffre sur le pourcentage que ça représente, je n’ai pas fait d’étude sur le porno, mais oui il y a des gens qui les consomment, et plus dans le fétiche.

Lucile : Mais moins pour éduquer, et même juste mainstreamiser le truc, montrer juste des gens gros qui baisent.

Kiyémis : Je pense que le porno, de toute façon, comme tu le dis Marie, c’est très… il faut déjà renforcer des cases. Pour une femme noire, le porno c’est « ebony », « un certain type »… On va dire que le porno n’est pas l’endroit où tu vas faire la révolution culturelle.

Nicolas : C’est global, les gens gros n’existent pas dans la société. Pas que dans la sexualité, ils n’existent pas dans la pub non plus, que ce soit pour acheter des voitures ou pour autre chose : les personnes grosses n’existent pas. Aujourd’hui on commence à peine à les voir dans quelques pubs pour des vêtements, parce que c’est justement pour en vendre et pour raconter que « si si, en fait on fait du double XL ». Sinon la personne grosse on ne la voit pas, on doit la cacher, et nous on doit se cacher. La seule chose d’éducation à faire c’est la visibilité, d’être là, d’être présent avec notre corps. Effectivement on va entendre des gens qui disent « tu prends de la place » et c’est ça qui les choque ! Si on est PD et qu’on prends de la place, c’est deux raisons pour que les gens disent « argh… tu prends trop de place ». C’est un problème de visibilité globale du corps gros, que ce soit dans le porno, ou dans la vie de tous les jours. Ce n’est pas pour rien qu’on se retrouve aujourd’hui à faire un événement qui s’appelle le Gros Festival : pour qu’on se dise « oui on peut venir et on va être à l’aise » ! On est obligés. Il y a des gens qui vont regarder et qui vont se dire « c’est quoi cette réunion de gros, qu’est ce qu’ils font ? »

Lucile : Qui parlent de sexe en plus !

Marie : J’en profite pour faire une mini pub pour moi-même [rires] c’est horrible…

Lucile : Vas-y, vas-y, c’est ton moment.

Marie : Justement, la visibilité c’est important. Moi je ne suis pas militante au sens premier, je ne suis pas la première ligne du militantisme mais sur Twitch et Youtube, je fais beaucoup de contenu qui parle de séduction, qui parle de Tinder, etc. Parfois évidemment je parle du fait que je sois une femme grosse, mais globalement ce n’est pas le sujet principal. C’est pas « une meuf grosse qui date et qui galère » c’est juste « une meuf qui galère et qui a envie de faire des blagues là-dessus ». Pour moi c’est faire une toute petite étape de visibilité, parce qu’il y a des gens qui viennent téma ça. Je ne parle pas de grossophobie particulièrement mais juste… la visibilité c’est hyper important.

Lucile : Mais ça aurait changé quelque chose pour le toi de 16 ans ?

Marie : De ouf, clairement, oui oui. Oh c’est beau, on va chialer. La petite Marie de 16 ans qu’est-ce qu’elle se serait dit ?

Kiyémis : J’ai des mouchoirs ! [rires]

Lucile : C’est pour ça que je parlais de porno, parce qu’il commence à y avoir des productions indépendantes, des choses engagées, en l’occurrence des pornos féministes.

Kiyémis : Mais il y a des meufs grosses ?

Lucile : Justement c’est la question que je pose, pourquoi il n’y a pas plus de femmes grosses et pourquoi il n’y a pas plus de femmes noires grosses ?

Kiyémis : Il y a des meufs grosses noires ?

Lucile : Il y en a probablement mais de façon extrêmement minoritaire. Chez les queers, dit-on au fond.

Kiyémis : Ah, chez les queers, OK.

Lucile : Du coup ça manque du côté des hétéros a priori. C’est encore le patriarcat.

Kiyémis : J’allais dire comme d’hab. [rires]

Nicolas : Toujours à la traîne.

Lucile : C’est cette représentation là qui manque au final. Je vais faire ma promo aussi : j’ai écrit un kamasutra que j’ai voulu un peu inclusif, et pour l’écrire j’ai bouffé tous les kamasutra de la planète. C’était ridicule, déjà parce qu’il y avait plein de positions que personne ne pouvait faire en réalité, et aussi parce que pour rendre certaines positions faisables en terme de dessin, il fallait normer les corps de manière ouf ! C’est à dire que fatalement l’homme faisait 20 centimètres de plus que la femme, et ils étaient lui très musclé, et elle très mince. Donc personne ne peut utiliser ce livre, ça n’a aucun intérêt sexuel.

Marie : Tu n’arrives pas à mettre tes pieds derrière la tête ? Je ne comprends pas. [rires]

Lucile : Ah mais il y avait des trucs, je te jure…

Kiyémis : Les Jeux Olympiques ?

Marie : Tokyo 2021, le cirque Pinder ! [rires]

Lucile : Écoute il y a Paris 2024 qui arrive…

Kiyémis : Je vous laisse ça, hein.

Lucile : Sur certains sites de rencontre on voit certaines femmes grosses mettre dans leur bio qu’elles ne veulent pas être la première personne grosse d’un nouveau ou d’une nouvelle partenaire.

Kiyémis : J’ai envie de dire plusieurs choses parce que je suis sur plein de plans. En même temps j’ai envie de dire « je comprends » parce que c’est très chiant d’être l’expérience de quelqu’un : la première personne grosse, la première personne noire, oh my god. J’imagine que c’est un moyen de protection. Parfois tu n’as pas envie d’expliquer des trucs, d’expliquer…

Lucile : Qu’est-ce qu’il y aurait à expliquer du coup ?

Kiyémis : Vas-y, Marie.

Marie : Grossophobie, racisme… Quelqu’un qui ne s’est pas du tout posé de questions sur la grossophobie et le fait d’être une personne grosse dans ce monde, forcément, il faut tout expliquer. Tu n’es pas à l’abris d’un « mais pourquoi tu ne fais pas un petit régime et un peu de sport ? ça me parait évident » et t’es là « oh la la, il faut prendre dès le début, c’est horrible ». Donc la flemme d’expliquer ça, et je suppose que pour le racisme c’est pareil – le racisme ordinaire, etc. – tu peux être confronté à des trucs pas ouf.

Nicolas : Oui, on est pas toujours prêts à expliquer, raconter plein de choses aux gens.

Lucile : Être disponible en fait.

Nicolas : On s’est éduqué tout seul, on a appris des choses, des fois on veut les partager mais avec nos amis, avec des gens proches, c’est des expériences personnelles qu’on va raconter. J’ai appris tout seul, tu apprends tout seul, et puis tu viens vers moi quand tu auras compris que tu vas pas fétichiser le fait que je sois libanais ou des choses comme ça.

Lucile : Mais vous accueillez des nouveaux chez les ours quand même ?

Nicolas : Oui oui on accueille les nouveaux ! Mais là on parle sur les applis ! L’associatif et les ours de Paris – un ours c’est un gros, un PD, un gros PD – c’est autre chose. Ce mouvement est apparu dans les communautés gays dans les années 70 : comme il y avait beaucoup de personnes épilées, musclées, on s’attendait toujours à ça pour les homos, d’être dans cette image-là. Donc s’est créé ce mouvement et ces personnes qui n’avaient pas d’endroit à eux ont trouvé l’occasion de faire des voyages avec des ours, rencontrer d’autres ours, aller dans d’autres pays, avoir des expériences.

Il y a des convergences d’ours dans des villes à des dates précises, où effectivement c’est très sexualisé : on y va, on rencontre des gens, on est libre, on baise, et on est à l’aise parce qu’il y a des choses qui sont déjà réglées ! On ne va pas expliquer des choses à tout le monde, et là les choses sont réglées et claires. On a déconstruit, on a appris, on est à l’aise avec notre corps et on va être à la plage avec d’autres gens qui sont gros : ce n’est pas pour rien qu’à Sitges il y a 2000 ours sur la plage début septembre. On y va parce qu’il n’y a pas plein de choses à expliquer – pourquoi t’es gros, pourquoi t’es comme ci, etc. On y est, on est gros, on passe à la suite et on vit notre vie.

Lucile : En fait on en revient encore au même : le problème c’est l’hétérosexualité. [rires]

Marie : On pourrait faire un podcast de huit ans sur le sujet. Je comprends le truc de ne pas vouloir, enfin… moi je sais qu’un mec qui va me dire « ah c’est la première fois » je vais trouver ça chelou qu’il me le précise, déjà, parce que pour moi ce n’est pas un sujet. T’as envie de coucher avec moi parce que je suis marrante – à la limite si t’as envie de faire un petit commentaire sur mes nibards, je ne t’en voudrais pas. Mais je trouverai ça trop bizarre qu’il me dise « oh putain c’est marrant t’es grosse, c’est la première fois que ça m’arrive ». Mais j’ai pas non plus envie d’être la cinquième meuf grosse avec qui il a une histoire, parce que je me dirais « oula, bizarre – je suis face à un fétichiste ». Du coup qu’est-ce qu’on fait ? bah… le célibat. [rires] Et l’abstinence.

Nicolas : Nooon…

Marie : Je rigole, je rigole ! Je fais beaucoup de blagues, c’est du second degré.

Kiyémis : Je pense que, déjà quand tu es sur une appli, c’est horrible – enfin je ne sais pas si c’est horrible mais c’est à se questionner – je pense que tu es beaucoup dans un truc de « tant qu’à faire, je vais faire ma liste de courses ». Ce qui est compréhensible en tant que meuf grosse et noire : j’ai plus tendance à dire « bon écoute, tu ne me vois pas mais sache que je suis noire, je suis grosse ». Noir c’est pas juste une couleur de peau, c’est des expériences. J’ai pas envie d’être prof dans mon pieu non-stop, en plus je ne suis pas payée. Et puis parfois j’ai juste envie de penser que tu as envie de moi.

Je pense qu’il y a aussi un phénomène quand tu es une meuf grosse ou un mec gros, et noir, en tout cas minorisé et victime de discrimination, c’est que tu dois te poser des questions non-stop. C’est ce que tu disais : « oh la la il est jamais sorti avec de meuf grosse, en fait il est sorti avec trop de meufs grosses, il me fétichise, il ne peut pas me désirer moi parce qu’il me fétichise »… Je pense, peut-être que je parle de moi – j’espère que ça n’arrive pas à beaucoup de monde mais je ne pense pas – qu’on est tout le temps en train de questionner le désir de l’autre. Et je pense qu’il y a aussi un truc de « mais c’est parce qu’au final c’est pas légitime ».

Maintenant je me dis – pas forcément dans des relations amoureuses parce que je pense que la fétichisation c’est déshumanisant (tu vas avoir des commentaires de merde, etc.) – que j’ai juste envie d’être un peu aimée ou désirée. Et j’ai pas envie de me poser de questions. Franchement si je suis obligée de faire une thèse et lire trois bouquins de Bell Hooks avant de sortir dans un date, on est pas sorti… Je pense que parfois il y a encore ce truc là. Tu vas dans un date, tu as déjà les statistiques de la discrimination à l’embauche des gros et des personnes noires. Enfin, c’est pas du tout qu’il faut ignorer la grossophobie, le racisme, ou tout ce qui est LGBT-phobie, mais parfois je pense qu’on a aussi trop ça en tête. C’est la société qui nous fait avoir trop ça en tête, mais c’est dangereux et violent envers nous-même. Parce qu’à chaque fois, on va se poser la question « mais en fait pourquoi il m’aime, ou pourquoi il me désire ? Pourquoi elle, elle me désire ? est-ce qu’il y a un problème ? En fait il y a peut être un problème ». Je pense que ça a des effets sur nous.

Nicolas : Parce que quand on est gros, c’est très difficile d’entendre « tu es beau ». Un des commentaires que je laisse le plus souvent sur Facebook, c’est « tu es beau ». C’est très difficile à entendre et à accepter, il faut le dire aux gens quand on trouve que quelqu’un est beau. Et pour les personnes grosses on nous a tellement dit « tu es moche », on nous l’a tellement fait comprendre que c’est difficile. Donc à chaque fois on va questionner, on va se dire « mais pourquoi ? pourquoi je lui plaît ? pourquoi c’est comme ça ? » Et le but, je pense, c’est de pouvoir l’accepter et de le croire.

Marie : Et pour une petite note positive, on parle beaucoup – enfin j’ai beaucoup parlé – d’histoires compliquées, de trucs chiants, de la grossophobie. Mais sur 10 ans de relations hétérosexuelles avec des mecs, il y en a eu plein ou ça s’est passé sans que ce soit un problème, sans qu’il y ai de grossophobie frontale ou sans que le mec se pose une question à zéro seconde. Juste on était là au même endroit, on avait envie l’un de l’autre et hop ! Basta. Je nuance.

Kiyémis : Je pense que c’est juste important de le dire : je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais il y a beaucoup d’émissions bidons : « Il aime les grosses, quel est son problème ?”. C’est vrai, c’est dans notre imaginaire de se dire ça. « Oh il est fat-admirer – ou fat-fetichiseur – on va mettre une caméra devant lui parce qu’il a forcément un problème ». C’est dans notre imaginaire et c’est pas juste dans notre tête : c’est proposé par la société. Est-ce que vous voyez beaucoup d’émissions sur une meuf qui aime les grands par exemple ? C’est un truc du patriarcat, une meuf qui aime les grands. Vous avez vu des « Tellement vrai » sur « oh la meuf elle sort qu’avec des mecs grands », non !

Marie : Ou la meuf sort qu’avec des petits. Non mais vu que tout le monde sort avec des gens minces, quand quelqu’un sort avec quelqu’un de gros c’est « wow, on va le filmer », il y a quelque chose. Comme toutes les meufs sortent avec des mecs grands, si elle sort qu’avec des petits : han il y a forcément un truc, on filme. Allez, caméra au poing, j’y vais.

Kiyémis : Bernard de la Villardière qui arrive ! [rires]

Marie : Émilie a 22 ans… [rires]

Lucile : Je suis d’accord qu’effectivement il ne faut pas tout de suite mettre le terme fétichiste et fétichisation sur quelqu’un qui pourrait avoir envie, ou qui ne verrait pas forcément ça, qui s’en foutrait. Comme on le disait, qui voudrait juste connaître une personnalité, et…

Marie : Comme plein de gens qui s’en foutent aussi.

Lucile : J’espère qu’il y en a. Enfin, j’espère qu’il y en a beaucoup.

Kiyémis : Je pense que le problème avec la fétichisation c’est la déshumanisation, pas le désir des corps gros. Le désir des corps gros, je suis désolée, ce n’est pas problématique. Un mec ou une meuf qui aime les corps gros, tant mieux, ce n’est pas problématique en soi. Ce qui est problématique c’est le fait de voir juste mon ventre ou juste mes seins. [applaudissements] Tu ne vois pas ma tête. Les corps gros déshumanisés, c’est ça qui est problématique, ce n’est pas le désir des corps gros. J’ai envie de le dire. Les mecs ou les meufs qui trouvent mon corps désirables, t’as bien raison. [rires] Non mais tu vois.

Lucile : Je suis d’accord, c’est pathologiser encore le corps gros en fait.

Kiyémis : Ben ouais ! Tout simplement.

Lucile : J’avais une blague tout à l’heure, mais je l’ai pas faite…

Marie : Vas-y, tu veux te lancer ou t’as peur ?

Lucile : C’était après la super diatribe de Kiyémis, j’étais en train de me dire « ouais c’est vrai cette histoire, c’est pas léger »… Après je me suis dit « non je vais pas la faire ».

Marie : Waah ! [rires]

Lucile : J’ai eu honte, mais je la fais quand même. [rires] Du coup la question, c’est quand même difficile, comment on peut aujourd’hui quand on est ado… Admettons, imaginons : cet ado gros ou grosse, comment elle passe au travers de cette tartine de merde que vous vous êtes tapée toutes les deux, que tu t’es tapée aussi ? Comment on arrive à ça ? Parce que là a priori il y a un schéma, il y a un truc.

Nicolas : Tu peux pas. [rires] Non, mais il y a le physique de la personne, il y a la personnalité aussi.

Lucile : Oui, mais on est pas encore déconstruits là-dessus quoi.

Nicolas : Je pense que c’est surtout d’avoir en face de toi des personnes référentes qui ont une sexualité, qui ont un petit ami, qui ont un mari, qui changent de mari. Moi j’ai eu ça dans ma vie, j’ai rencontré quelqu’un qui était gros et qui avait un mari. J’étais « oh il a un mari, oh il a changé de mari, oh il a des amis » et c’est juste complètement dingue. Du coup tu te dis « moi aussi ça va m’arriver en fait ». Parce que c’est vrai qu’à 16-17 ans je me disait : « c’est la fin du monde, je suis PD, je suis gros, je suis même pas français, en plus je suis passif » [rires] « je ne vais jamais plaire » [applaudissements] Avoir en face de soi des gens qui ont des expériences positives de vie. C’est pour ça qu’aujourd’hui, nous devons être ça aussi – enfin c’est ce qu’on essaye d’être, c’est ce que Gras Politique essaye aussi d’être et de faire, comme les ours de Paris. C’est de donner et de montrer ça. C’est la vie, quoi. [applaudissements]

Lucile : On a un besoin de représentation.

Nicolas : Voilà : c’est pas très grave, on a tous une sexualité et ça va venir.

Lucile : Il faut qu’on aille raconter ça aux ados.

Nicolas : On va attendre qu’ils soient adultes, et après on leur racontera des histoires de dilatation anale et tout ça. [rires] J’avais promis de la placer, pardon ! [rires]

Marie : Le changement global a besoin que ce soit tout un mouvement général. Après, si il y a des ados de 16-17-18 ans qui vont écouter ce podcast, c’est qu’ils ont déjà plus que les générations d’avant. Individuellement à part se protéger, essayer de filtrer soi-même est difficile à faire : les algorithmes sur internet ne sont pas fait pour ne pas voir les corps minces. On peut aussi choisir d’aller chercher des représentations différentes, si c’est un truc qui nous fait souffrir, on a une petite marge individuelle. Mais oui, c’est un mouvement global qui fera vraiment changer les choses.

Lucile : Apprendre aussi qu’on essaye de ne pas baiser si on n’en a pas envie ou juste pour faire plaisir.

Marie : C’est pour tout le monde, qu’on soit mince ou gros.

Kiyémis : Pareil que Marie, je pense que la responsabilité n’est pas sur les jeunes. Nous on peut leur proposer des choses mais – je suis désolée, pourtant je suis très optimiste comme personne – ils vont se prendre la merde dans la gueule. C’est à nous de changer la société pour qu’ils en prennent le moins possible mais malheureusement je pense que là tout de suite, c’est compliqué. Franchement j’ai quelques solutions : abolir « Comme j’aime », abolir « Weight Watchers », abolir les gaines. [applaudissements] Fermer ces entreprises. Je vais essayer d’être réformiste : mettre un grand bandeau qui dise « publicité mensongère ». C’est pas de votre faute – enfin bien sûr je sais que ce n’est pas du tout ce que tu dis – si vous vous sentez mal, je comprends, c’est normal. C’est normal, c’est la société qui fait ça. Après, je suis tellement d’accord avec toi : il faut des personnes référentes. Mais c’est normal aussi, c’est la société qui est merdique. Donc commençons déjà par fermer Comme j’aime. En plus c’est de l’arnaque. Mais bon c’est un autre débat. [rires]

Lucile : Si tu veux on peut s’y attaquer aussi, hein, mais…

Kiyémis : Allez ! [rires] Arrêtez de prendre l’argent des gens ! [rires]

Lucile : J’avoue que je suis d’accord avec ce truc de personne référente, ça sauve la vie. Mais ça fait un peu souffrir quand on se rend compte qu’on a passé des années entières sans avoir ces références là. Je ne sais plus son nom, je suis désolée, une féministe sur Twitter disait qu’elle n’avait jamais été une lesbienne ado. Parce que dans le monde et la société dans laquelle elle vivait, elle avait été obligée de vivre dans un monde hétéro comme une fausse hétéro, et ça ce sont des moments de vie qu’on ne rattrapera jamais. Donc les espèces de tartines de merde qu’on se prends… elles nous construisent, mais on ne se les rattrape pas non plus.

Kiyémis : Mais il y a de la joie.

Lucile : Bien sûr, on parle de sexualité, c’est un truc positif ! Enfin je veux dire, j’ai l’air méga plombée. [rires]

Kiyémis : Non mais c’est vrai, t’as raison.

Lucile : Marie disait tout à l’heure qu’il y a quand même des supers moments, merci, est-ce que tu peux me le confirmer ?

Marie : Il y a des supers moments. [silence] Voila. Je suis contrainte. [rires]

Nicolas : Attends tu as pris des notes ou pas ? Des noms, des numéros de téléphone, maintenant c’est now quoi. Tu nous le donnes, partage !

Lucile : Donne-nous une stat’ ! Non parce qu’on a dit que le corps gros c’est un corps tout court, il kiffe aussi, il prend du plaisir, il prends des orgasmes… Heureusement !

Kiyémis : Oui. [silence] [rires]

Nicolas : Bon on casse deux trois lits mais bon.

Marie : On est pas à une latte près, ça va !

Nicolas : Non ? On a tous cassé au moins un lit ?

Kiyémis : Carrément.

Marie : Alors, ça ne m’est pas arrivé. [rires]

Kiyémis et Nicolas : Ah ouais ?

Marie : Je suis déçue… Qui veux casser un lit avec moi ? [rires]

Nicolas : What ? [rires]

Marie : Ah je suis si lourde. [rires]

Kiyémis : Meilleure annonce quoi !

Marie : Je vais mettre ça en bio Tinder.

Nicolas : Ouais ! [applaudissements et rires]

Marie : Attendez je le fais maintenant ! [rires] Parlez, parlez.

Lucile : Alors du coup pendant que Marie fait sa bio Tinder – elle nous montrera la confirmation qu’elle l’a vraiment fait après – on va faire le tour de table de la fin, on va revenir sur du positif. J’aimerai qu’on partage nos suggestions individuelles, globales, politiques ou militantes, c’est vous qui choisissez, pour une meilleure inclusion des personnes grosses sur le marché de la drague et du sexe. Ou même globalement si vous avez un conseil sexo, un truc fun, allez-y au passage.

Kiyémis : Tu ne vas pas le casser. À la personne qui va m’écouter : tu ne le casseras pas, ne t’inquiète pas, il ou elle supportera, tu ne les casseras pas, t’inquiète. Il ou elle risque de kiffer, même. C’est mon conseil personnel sexo.

Lucile : L’expérience de Kiyémis. Et toi ?

Nicolas : Moi je pense juste à dire : oui c’est des bourrelets, oui ça bouge, oui ça sue – et c’est pas grave. Oui ça bouge. « Giggly » [rires]

Lucile : Marie, tu as fini ?

Marie : J’avais réfléchi à un truc mais c’est beaucoup moins marrant… [rires] alors que je fais des blagues quand même. Moi j’allais parler de mon milieu professionnel parce qu’on parlait de représentation. Je travaille dans l’audiovisuel, les médias, la création de contenus sur internet mais aussi la fiction. À tous ces gens-là, les scénaristes, les producteurs : mettez à l’image des personnes grosses, quand vous écrivez un scénario avec deux personnes qui ont une vie amoureuse, pourquoi le perso est mince ? [applaudissements] Il pourrait être gros et il n’y aurait pas une ligne qui changerait. Ça commence tout doucement à changer mais ça pourrait changer vraiment plus vite. En vrai de vrai, posez-vous juste la question « pourquoi mon perso n’est-il pas gros ? Oh, il pourrait être gros ! ». Paf, hop là, ça fait une représentation de plus et nous on est content·e·s.

Kiyémis : Et engagez des scénaristes gros aussi, tant qu’à faire. Et des acteurs et actrices gros.

Marie : Au passage, genre moi.

Kiyémis : Voila ! [rires]

Lucile : Je trouve que c’est des belles conclusions. Moi j’ai rien à ajouter à ça globalement… et baisez aussi, au passage. Des gens gros avec des gens pas gros mais si vous en avez envie, évidemment, avec des gens qui en ont envie aussi.

Marie : Et protégez-vous, blablabla.

Nicolas : Et qui ont envie de vous !

Lucile : Oui évidemment. Et de vous dans sa globalité. Merci. Merci Kiyémis. [applaudissements]

Kiyémis : Merci à toi.

Lucile : Merci Nicolas, merci Marie.

Marie : Merci.

Nicolas : Je voudrais préciser que les Ours de Paris ont organisé une exposition qui s’appelle « Gros est beau », qui va commencer le 23 septembre, avec 27 artistes de tous genres et de tous horizons qui ont dessiné ou photographié des personnes grosses. Cette exposition aura lieu au Bears’den à partir du 23 septembre. Passez la voir !

Lucile : Marie tu as un message à faire passer ? À part Tinder.

Marie : C’est bon j’ai changé ma bio Tinder.

Kiyémis : Allez !

Nicolas : Swipe left !

Marie : Kiyémis ?

Kiyémis : Non, je voulais juste dire que c’est tellement un plaisir d’être avec tellement de gens gros. Vous êtes tellement beaux. Préparez aussi vos suggestions de lieux d’habillement parce qu’il y en a qui sont très stylés dans la salle.

Marie : Ouais !

Lucile : Et en plus moi je vais ajouter, en référence à Nicolas, vous êtes tous belles et beaux, tout le monde est beau ce soir. [applaudissements] Merci Marie, merci Kiyémis, merci Nicolas. Merci évidemment Gras Politique d’avoir organisé cet événement. [applaudissements, wouhous et bravos]

Nicolas : Daria présidente ! Daria, Daria, Daria, Daria !

Lucile : Merci au Très Gros Festival de nous avoir accueillis au Wonderland. À très vite pour de nouveaux épisodes évidemment. Merci Ève et Marine du collectif Mains Paillettes qui ont fait la LSF avec nous. Merci à l’équipe de Slate Podcasts et à Victor Benhamou pour la réalisation live, là-bas dans la guérite. Merci à toutes et à tous, passez une bonne soirée !

Kiyémis : Bonne soirée ! [applaudissements]

Capucine – 24 ans

 

A l’âge de 6 ans, ma mère a commencé une dépression, qui dura 7 ans. Ce fut mon propre commencement ; celui de la boulimie, des kilos en trop, de la grossophobie quotidienne dont j’étais victime. A 12 ans, j’ai passé 6 mois dans un centre nutritionnel où j’y ai perdu 10kg. J’en suis sortie presque mince, fière, à peu près bien dans mon corps. Je suis restée stable jusqu’à mes 16 ans, et puis j’ai recommencé à grossir. Pleurer. Haïr mon corps.

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Grosses gencives

Y a-t-il acte plus anodin que d’aller chez le dentiste se faire soigner une carie ?

Pas quand tu es gros.se. Non. C’est une énième occasion de subir la formidable grossophobie médicale.

Entrer dans le cabinet. Le regard de bas en haut, le haussement de sourcils. Le « attendez, asseyez -vous doucement, je ne suis pas sûr que le fauteuil supporte votre poids ».

Tu t’assois en retenant ton souffle, tes fesses touchent le plastique, tu forces sur tes bras pour que tu puisses déposer ton poids petit à petit et pas d’un coup histoire de ménager un fauteuil et essayer de répartir la masse. Ton ego et ta santé mentale, tout le monde s’en fout.

« Ah une vilaine carie que voilà, il faut absolument arrêter de s’empiffrer de bonbons toute la journée »

Tu as la bouche ouverte, les mains de ce personnage nauséabond en toi, impossible de répondre autre chose qu’un « grmphblphbl » incompréhensible qu’il s’empresse d’ignorer pour rajouter «  ah oui, oui ça se voit que vous aimez manger des bonbons, les bonbons durs de grand-mère que vous croquez apparemment »

Il enlève enfin ses mains, tu voudrais lui répondre que tu n’as pas touché un bonbon depuis des années, mais que l’usure qu’il doit voir sur mes dents est due au bruxisme dont je souffre depuis mon enfance. Mais il t’annonce qu’il va devoir arracher ta dent.

Tu reprends rendez-vous en te disant que la prochaine fois s’il te fait une réflexion tu le reprendras en pleine volée, quitte à le mordre pour pouvoir articuler.

La semaine d’après tu reviens, il te refait la même réflexion sur le fauteuil et ton poids. Tu lui dis que cela n’a jamais posé de problèmes nulle part, et que s’il est si inquiet, il n’a qu’à investir dans un matériel plus adapté et solide.

Ça le met en colère visiblement. Tu t’allonges, tu l’entends préparer ses instruments derrière toi. Il te fait ouvrir la bouche sans sommation, brutalement, t’irrite le coin. Aucune délicatesse quand il passe ses instruments qui te déchirent littéralement l’intérieur de la joue. Puis vient le moment de l’anesthésie. Il pique, en met partout dans la bouche, ça a un goût affreux, amer, et tu as peur d’étouffer. Il te repique une 2nde fois, te dit de te rincer, se met à travailler mais la douleur est telle que tu hurles. L’anesthésie n’a pas pris. Il faudra 8 piqures. Et que tu acceptes de ressentir une pointe de douleur pour qu’on puisse en finir. Tu saignes, tu as mal, la dent a eu du mal à sortir, elle était accrochée à la tubercule qui finalement est venue avec.

La seule chose qu’il te dira c’est « vous allez avoir mal 2/3 jours » Puis en te regardant droit dans les yeux « L’anesthésie a eu du mal à prendre à cause de votre poids ».

Tu sais pourtant que ce n’est pas le cas, il endort une gencive, pas un membre avec du tissu adipeux… quel est le rapport ? Mais tu es dans un état second, tu as très mal, tu retiens tes larmes, tu ne protestes que d’un mou « de toutes façons les dosages ne sont jamais étudiés pour les personnes grosses » qu’il ignore royalement.

Tu es dans la voiture et tu pleures. Tu pleures parce que tu viens de te faire humilier encore une fois. Tu n’es pas arrivée à te défendre. Tu t’es laissé tomber. Et puis malgré les doses énormes d’anesthésiant tu souffres, tu sens le sang couler dans ta bouche.

Alors tu rentres tant bien que mal et tu questionnes ton entourage dans le médical, pour bien te rassurer. Oui ce dentiste est juste un sombre tocard grossophobe au discours dangereux.

Tu le réentends asséner sa fausse vérité bien droit dans ses bottes. « c’est de ta faute ».

Le lendemain tu as mal toujours, la douleur amplifie. Deux jours après il y a clairement un soucis, ta gencive est gonflée et te fait très mal, tu penches pour une infection. Tu mets 3jours à le rappeler parce que malgré la douleur physique, celles morale et psychique te retiennent. Tu es forte, tu peux tout supporter physiquement. Tu endures des souffrances que peu de gens accepteraient de vivre depuis tant d’années. Mais tu es fatiguée mentalement, épuisée même. Tu le rappelles et il estime évidemment que tu as dû mal faire quelque chose ne te trouvant un créneau que pour la semaine d’après. L’idée pas si saugrenue qu’il fait tout pour te punir d’être grosse te traverse l’esprit.

Et tu attends, la douleur à la gencive, le bide retourné, le cerveau en ébullition, plein de ce que tu voudrais lui dire. Chaque jour qui te rapproche du rendez-vous, tu essaies de rassembler le peu de courage qui te reste pour lui renvoyer ses mots dévastateurs dans les dents.

 

Anonyme, 37 ans

J’ai six ans. J’ai toujours été petite et mince, légèrement potelée au niveau des joues. Mais là, je grossis. Le stress, à cause de mon père, dit ma mère, il est fort absent. Ma famille, aussi longtemps que remontent les photos, c’est à dire dans les années 1800, elle est composée de gens “gros”, “obèses”, “en surpoids”, du côté de papa comme du côté de maman. Les minces sont rares. Maman, elle, elle est très ronde. Plus de 110 kilos. Elle en a souffert, on dirait.

J’ai sept ans. J’ai grandi, j’ai grossi. J’ai aussi une maladie qui détruit ma colonne vertébrale mais tout le monde se fiche de mes plaintes. En gym, j’ai du mal. Je ne sais pas monter sur le cheval d’arçon. Je n’ai pas de force dans les bras; Je ne sais pas courir vite. La prof me hait, je le vois sur son visage. Je lui suis antipathique. Je ne sais pas comment exprimer cette haine qu’elle me voue à mes parents mais à force de m’en plaindre, ils vont la voir. Elle leur dit ceci, en parlant de moi : “elle ne sait rien faire”. Ma mère décide de réagir : être désagréable et menaçante avec ladite prof, mais aussi et surtout me mettre au régime.

J’ai huit ans, c’est l’été, ma mère me met au régime “pour impressionner la prof à la rentrée”. On va voir une diététicienne. Elle dit que je ne serai jamais mince, ma mère est énervée alors elle m’emmène dans une clinique spécialisée à la capitale, pour les enfants obèses. On m’y pèse, on me mesure, on m’analyse psychologiquement alors que j’ai rien demandé. On parle de moi comme si j’étais pas dans la pièce. Ma mère prend mal le fait que je veuille rencontrer la psychologue toute seule. Je ne veux pas qu’elle parle à ma place. Elle me le reprochera par la suite. On nous file un programme de régime dissocié, à la mode à l’époque. Tout le monde à la maison s’y met, de la grand-mère de 66 ans qui n’a pas besoin de ça à moi, huit ans, en pleine croissance. A la rentrée, ma mère achète des boîtes oranges d’une célèbre marque de vente pyramidale. On y met des haricots trop vinaigrés, des oeufs durs, du jambon, des légumes verts… Et ça me lasse au bout de quelques jours. Mais j’ai pas le droit, car il faut que je sois mince “pour trouver un mari plus tard”. N’empêche, la prof qui me haïssait est partie. J’ai plus de prof de gym tortionnaire, youpie, mais je suis toujours au régime. J’en bouffe, du fromage blanc, des légumes sans goûts, de la viande bouillie. Ca me dégoûte, rien n’a de goût, tout sent mauvais. Au bout d’un temps, je pète des durites, j’ai des envies de violence. Je n’en peux plus de subir ça. On arrête le régime. J’ai perdu quelques kilos et je les reprends.

Diététicien sur diététicien. A 13 ans, je fais 70 kilos. Un médecin me dit que je dois choisir entre étudier et être mince et belle, car j’étudie trop, selon lui et ne me concentre pas assez sur ma perte de poids. Sois belle et tais-toi. L’infirmière de l’école me demande si je suis complexée car je ne veux pas me peser devant les autres filles. Je ne suis pas complexée, je suis insultée, je suis harcelée. “Bouboule”, “la grosse”, “gros tas”, “tas de graisse”, “grosse merde”, j’en passe et des meilleures. Je ne suis pourtant pas une mauvaise personne, mais je suis une “grosse merde”. Je n’ai pas encore de personnalité propre, maman me bride beaucoup. Je n’ai pas le droit de choisir mes vêtements, elle m’affuble de vêtements qui ne me vont pas. Je suis en jupe avec des collants tout le temps, je me sens mal à l’aise dans des pulls qui grattent. Mon corps me déplaît, il change, j’ai mes règles depuis deux ans, j’ai des seins qui tombent déjà. Je me dégoûte. J’aimerais être belle, je fantasme d’être sexy et attirante mais que suis-je ? On ne me renvoie que ça. Une insulte particulière est lancée, fait le tour du lycée. Jusque mes 18 ans, on m’appellera comme ça. Je n’ai même pas envie de l’écrire car cette chose, ce n’est pas moi. C’est ce qu’on projette sur moi. A la maison, rien ne va. Mon père est alcoolique, violent, dominateur. Je n’ai aucun soutien. On me dit toujours de faire des efforts. Je n’en peux plus et j’étouffe. Je vis un enfer familial et à l’école, je n’ai que quelques amis et encore, le sont-ils réellement ? Ma vie sociale en dehors est nulle car ma mère m’isole.

J’ai 19 ans, je quitte la maison. Je perds du poids, je faisais dans les 90 kgs, je n’en fais plus que 80. Ma mère se lance dans un régime hyperotéiné, elle m’invite à la suivre. Je le fais car j’ai peur, je me dis que je trouverai plus facilement un mec comme ça et que je serai mieux dans mes fringues. Je perds 20 kgs en quinze jours. Je suis blanche comme un linge, je faillis perdre connaissance. J’arrête. Je prends 40 kilos. Je recommence, je reperds, je reprends.
Jusque mes 27 ans, malgré ma vie amoureuse épanouie, je ne fais que perdre, reprendre, perdre, reprendre, régime sur régime jusqu’à en devenir anorexique. Ma grand-mère l’est devenue. A sa mort, elle pesait 34 kilos. Elle vomissait dans son assiette en tentant de se forcer à manger. Désolée du détail, c’est une réalité de l’anorexie chez les personnes âgées.

A 27 ans, je décide d’arrêter les régimes. Je lis du Zermati, je me renseigne sur les autres moyens de me nourrir plus intuitivement. Je bois trop de soda sucré, je commence à avoir un taux de sucre qui grimpe. Par contre, je commence à maigrir. Je reçois toujours des injonctions du corps médical m’invitant à maigrir “pour avoir plus de chances d’enfanter” (je suis hyper fertile et je ne veux pas d’enfant), on panique quand on me voit et m’invite à faire du vélo d’appartement (“si non vos genoux vont payer”). J’ai toujours cette foutue maladie au dos et une maladie chronique invalidante liée aux maltraitances familiales. J’ai mal partout, tout le temps. Mais on me demande de faire du sport à grosse dose, une heure trente de vélo au petit matin alors que j’ai déjà du mal à me lever et à m’habiller. Je fais 105 kilos. Je ne me sens pas mal avec moi-même. Pendant tout un temps, j’avais peur de sortir de chez moi mais j’ai gagné en assurance. Je sors, je me maquille, je m’habille, je suis une femme comme une autre, je gère ma vie sans me préoccuper de mes kilos. Les seuls à me les rappeler sont les médecins de toute manière. Je commence à éviter de me soigner chez des sales cons. Je trouve des médecins compétents.

Depuis dix ans, j’ai perdu du poids de façon régulière d’abord en consommant la nourriture de façon instinctive en fonction de mes goûts. On ne parle pas de gâteaux aux chocolats, de biscuits, de gras. Je parle de manger ce que j’ai envie de manger. On s’imagine toujours que le “gros” ne fait “que manger” et qu’il mange “mal”. En fait, le “gros” est en hyper contrôle de son alimentation, généralement. C’est tout le contraire. Pour être “gros”, il faut de la volonté…
Et pourtant, on m’a toujours dit que je n’en avais pas, ce qui avait un impact énorme sur mon estime de moi. J’en suis maintenant à 105 kilos, je perds des tailles de vêtements tous les ans. Je flotte dans mes jeans et dans mes manteaux. Mon poids est le cadet de mes soucis. Je fais du sport quand je le veux et ce que je veux. Je mange ce qui me plaît tout en faisant attention aux glucides car je sais que ma famille y est sensible et que j’ai de mauvais gènes. J’utilise des recettes qui me permettent de remplacer blé, pâtes, pommes de terre par des choses plus adaptées à mon organisme. Par exemple, la poudre d’amande, la farine de coco, la stevia. Et je me sens bien comme ça.

Je ne me sens pas de donner des leçons aux autres sur comment ils doivent gérer leur poids. Perdre du poids n’est pas facile et le doit-on, d’abord ? Je continue de croire qu’avant, être “gros” n’était pas si “anormal” qu’aujourd’hui et que la perte de poids est un marché. Les médecins ont fait du mal à mon corps. La diététique aussi. Je suis enragée contre ces gens qui font du commerce avec tout cela. J’ai pris des médicaments qui ne m’ont pas fait maigrir, j’ai essayé trente-six régimes qui m’ont fait enfler au détriment de ma santé tout en étant culpabilisée par les médecins.

Alors, sérieusement, les pros du poids qui n’y comprennent rien, je les envoie valser. Soyons responsables de notre santé et choisissons ce qui est bon pour nous sans influence de normatifs qui ne savent que faire la morale aux gens dont ils ne comprennent rien de la réalité.
Si un médecin pouvait lire ceci et en profiter pour y réfléchir, ça me ferait du bien.

Anonyme, 37 ans

J’ai six ans. J’ai toujours été petite et mince, légèrement potelée au niveau des joues. Mais là, je grossis. Le stress, à cause de mon père, dit ma mère, il est fort absent. Ma famille, aussi longtemps que remontent les photos, c’est à dire dans les années 1800, elle est composée de gens “gros”, “obèses”, “en surpoids”, du côté de papa comme du côté de maman. Les minces sont rares. Maman, elle, elle est très ronde. Plus de 110 kilos. Elle en a souffert, on dirait.

J’ai sept ans. J’ai grandi, j’ai grossi. J’ai aussi une maladie qui détruit ma colonne vertébrale mais tout le monde se fiche de mes plaintes. En gym, j’ai du mal. Je ne sais pas monter sur le cheval d’arçon. Je n’ai pas de force dans les bras; Je ne sais pas courir vite. La prof me hait, je le vois sur son visage. Je lui suis antipathique. Je ne sais pas comment exprimer cette haine qu’elle me voue à mes parents mais à force de m’en plaindre, ils vont la voir. Elle leur dit ceci, en parlant de moi : “elle ne sait rien faire”. Ma mère décide de réagir : être désagréable et menaçante avec ladite prof, mais aussi et surtout me mettre au régime.

J’ai huit ans, c’est l’été, ma mère me met au régime “pour impressionner la prof à la rentrée”. On va voir une diététicienne. Elle dit que je ne serai jamais mince, ma mère est énervée alors elle m’emmène dans une clinique spécialisée à la capitale, pour les enfants obèses. On m’y pèse, on me mesure, on m’analyse psychologiquement alors que j’ai rien demandé. On parle de moi comme si j’étais pas dans la pièce. Ma mère prend mal le fait que je veuille rencontrer la psychologue toute seule. Je ne veux pas qu’elle parle à ma place. Elle me le reprochera par la suite. On nous file un programme de régime dissocié, à la mode à l’époque. Tout le monde à la maison s’y met, de la grand-mère de 66 ans qui n’a pas besoin de ça à moi, huit ans, en pleine croissance. A la rentrée, ma mère achète des boîtes oranges d’une célèbre marque de vente pyramidale. On y met des haricots trop vinaigrés, des oeufs durs, du jambon, des légumes verts… Et ça me lasse au bout de quelques jours. Mais j’ai pas le droit, car il faut que je sois mince “pour trouver un mari plus tard”. N’empêche, la prof qui me haïssait est partie. J’ai plus de prof de gym tortionnaire, youpie, mais je suis toujours au régime. J’en bouffe, du fromage blanc, des légumes sans goûts, de la viande bouillie. Ca me dégoûte, rien n’a de goût, tout sent mauvais. Au bout d’un temps, je pète des durites, j’ai des envies de violence. Je n’en peux plus de subir ça. On arrête le régime. J’ai perdu quelques kilos et je les reprends.

Diététicien sur diététicien. A 13 ans, je fais 70 kilos. Un médecin me dit que je dois choisir entre étudier et être mince et belle, car j’étudie trop, selon lui et ne me concentre pas assez sur ma perte de poids. Sois belle et tais-toi. L’infirmière de l’école me demande si je suis complexée car je ne veux pas me peser devant les autres filles. Je ne suis pas complexée, je suis insultée, je suis harcelée. “Bouboule”, “la grosse”, “gros tas”, “tas de graisse”, “grosse merde”, j’en passe et des meilleures. Je ne suis pourtant pas une mauvaise personne, mais je suis une “grosse merde”. Je n’ai pas encore de personnalité propre, maman me bride beaucoup. Je n’ai pas le droit de choisir mes vêtements, elle m’affuble de vêtements qui ne me vont pas. Je suis en jupe avec des collants tout le temps, je me sens mal à l’aise dans des pulls qui grattent. Mon corps me déplaît, il change, j’ai mes règles depuis deux ans, j’ai des seins qui tombent déjà. Je me dégoûte. J’aimerais être belle, je fantasme d’être sexy et attirante mais que suis-je ? On ne me renvoie que ça. Une insulte particulière est lancée, fait le tour du lycée. Jusque mes 18 ans, on m’appellera comme ça. Je n’ai même pas envie de l’écrire car cette chose, ce n’est pas moi. C’est ce qu’on projette sur moi. A la maison, rien ne va. Mon père est alcoolique, violent, dominateur. Je n’ai aucun soutien. On me dit toujours de faire des efforts. Je n’en peux plus et j’étouffe. Je vis un enfer familial et à l’école, je n’ai que quelques amis et encore, le sont-ils réellement ? Ma vie sociale en dehors est nulle car ma mère m’isole.

J’ai 19 ans, je quitte la maison. Je perds du poids, je faisais dans les 90 kgs, je n’en fais plus que 80. Ma mère se lance dans un régime hyperotéiné, elle m’invite à la suivre. Je le fais car j’ai peur, je me dis que je trouverai plus facilement un mec comme ça et que je serai mieux dans mes fringues. Je perds 20 kgs en quinze jours. Je suis blanche comme un linge, je faillis perdre connaissance. J’arrête. Je prends 40 kilos. Je recommence, je reperds, je reprends.
Jusque mes 27 ans, malgré ma vie amoureuse épanouie, je ne fais que perdre, reprendre, perdre, reprendre, régime sur régime jusqu’à en devenir anorexique. Ma grand-mère l’est devenue. A sa mort, elle pesait 34 kilos. Elle vomissait dans son assiette en tentant de se forcer à manger. Désolée du détail, c’est une réalité de l’anorexie chez les personnes âgées.

A 27 ans, je décide d’arrêter les régimes. Je lis du Zermati, je me renseigne sur les autres moyens de me nourrir plus intuitivement. Je bois trop de soda sucré, je commence à avoir un taux de sucre qui grimpe. Par contre, je commence à maigrir. Je reçois toujours des injonctions du corps médical m’invitant à maigrir “pour avoir plus de chances d’enfanter” (je suis hyper fertile et je ne veux pas d’enfant), on panique quand on me voit et m’invite à faire du vélo d’appartement (“si non vos genoux vont payer”). J’ai toujours cette foutue maladie au dos et une maladie chronique invalidante liée aux maltraitances familiales. J’ai mal partout, tout le temps. Mais on me demande de faire du sport à grosse dose, une heure trente de vélo au petit matin alors que j’ai déjà du mal à me lever et à m’habiller. Je fais 105 kilos. Je ne me sens pas mal avec moi-même. Pendant tout un temps, j’avais peur de sortir de chez moi mais j’ai gagné en assurance. Je sors, je me maquille, je m’habille, je suis une femme comme une autre, je gère ma vie sans me préoccuper de mes kilos. Les seuls à me les rappeler sont les médecins de toute manière. Je commence à éviter de me soigner chez des sales cons. Je trouve des médecins compétents.

Depuis dix ans, j’ai perdu du poids de façon régulière d’abord en consommant la nourriture de façon instinctive en fonction de mes goûts. On ne parle pas de gâteaux aux chocolats, de biscuits, de gras. Je parle de manger ce que j’ai envie de manger. On s’imagine toujours que le “gros” ne fait “que manger” et qu’il mange “mal”. En fait, le “gros” est en hyper contrôle de son alimentation, généralement. C’est tout le contraire. Pour être “gros”, il faut de la volonté…
Et pourtant, on m’a toujours dit que je n’en avais pas, ce qui avait un impact énorme sur mon estime de moi. J’en suis maintenant à 105 kilos, je perds des tailles de vêtements tous les ans. Je flotte dans mes jeans et dans mes manteaux. Mon poids est le cadet de mes soucis. Je fais du sport quand je le veux et ce que je veux. Je mange ce qui me plaît tout en faisant attention aux glucides car je sais que ma famille y est sensible et que j’ai de mauvais gènes. J’utilise des recettes qui me permettent de remplacer blé, pâtes, pommes de terre par des choses plus adaptées à mon organisme. Par exemple, la poudre d’amande, la farine de coco, la stevia. Et je me sens bien comme ça.

Je ne me sens pas de donner des leçons aux autres sur comment ils doivent gérer leur poids. Perdre du poids n’est pas facile et le doit-on, d’abord ? Je continue de croire qu’avant, être “gros” n’était pas si “anormal” qu’aujourd’hui et que la perte de poids est un marché. Les médecins ont fait du mal à mon corps. La diététique aussi. Je suis enragée contre ces gens qui font du commerce avec tout cela. J’ai pris des médicaments qui ne m’ont pas fait maigrir, j’ai essayé trente-six régimes qui m’ont fait enfler au détriment de ma santé tout en étant culpabilisée par les médecins.

Alors, sérieusement, les pros du poids qui n’y comprennent rien, je les envoie valser. Soyons responsables de notre santé et choisissons ce qui est bon pour nous sans influence de normatifs qui ne savent que faire la morale aux gens dont ils ne comprennent rien de la réalité.
Si un médecin pouvait lire ceci et en profiter pour y réfléchir, ça me ferait du bien.

Caroline, prématurée

Je suis née prématurée, pour me faire grandir, mes parents ont dû avoir recourt aux hormones de croissances… le gynécologue qui s’occupait de ma mère lui avait précisé que j’avais un risque d’être en surpoids, voire obèse.

À partir de l’âge de quatre ans, je consultais le médecin généraliste de mon village. J’avais quelques kilos en trop et l’enfer a commencé… 


Régime draconien, humiliations, rabaissement, critiques… 


À mon adolescence, suite à de graves problèmes personnels (où ma famille m’a fait culpabiliser), j’ai atteint 125 kilos… mon généraliste faisait la grimace dès qu’il me voyait. Il avait convaincu ma mère que je devais faire des prises de sang toutes les semaines (pour vérifier que je n’avais pas de diabète et de cholestérol) et le supplice de la balance ou j’avais toujours le droit à une remarque parce que je ne perdais pas de poids assez vite. 


Prescription du médicament SUDAFED pour me faire maigrir… 

(Note de Gras Politique : La pseudoéphédrine, tout comme l’éphédrine, a des effets psychotropes similaires aux amphétamines mais ceux-ci sont moins importants à dose égale. La pseudoéphédrine est notamment un précurseur direct de la métamphétamine (aussi appelé “speed” dans le jargon). Cette propriété est d’ailleurs illustrée dans la saison 1 de la série télévisée américaine Breaking Bad : les personnages principaux utilisent alors la pseudoéphédrine pour synthétiser leur méthamphétamine. La pseudoéphédrine provoque, comme les amphétamines, une certaine euphorie, un effet stimulant et un effet coupe-faim. À dose forte, la pseudoéphédrine peut provoquer des hallucinations. L’association de la pseudoéphédrine à du paracétamol (toxique pour le foie à dose suprathérapeutique) ou à de l’ibuprofène (AINS toxique pour l’estomac à dose suprathérapeutique) dans les spécialités (médicaments) qui la contiennent ainsi que les risques cardiovasculaires limitent néanmoins son mésusage. Le SUDAFED était d’abord prescrit pour la congestion nasale, pas du tout pour l’amaigrissement.)


Au collègue ma vie était devenue un enfer… 


Chez ma famille ma vie était devenue un enfer… 


Chez le médecin ma vie était devenue un enfer… 


Je n’étais tranquille nulle part et personne pour m’écouter ou me défendre…


Plus tard, je me suis faite agressée sexuellement, le médecin m’a prescrit des anxiolytiques, avec son regard qui en disait long, je l’ai ressenti comme « ah bah le mec devait être très en manque pour avoir envie de te faire ça »…


Puis un jour, malgré que j’avais réussie à perdre jusqu’à atteindre 97 kilos, et que je sortais d’une énième dépression, il a recommencé à me faire des remarques. J’ai donc décidé de ne plus manger. Je suis devenue anorexique. Avant de partir à la retraite, je suis allé le voir une dernière fois, où j’ai eu la grande surprise de l’entendre me dire : « Tu sais, tu devrais manger ». Je pesais 54 kilos, je n’avais plus de force. Il voulait m’hospitaliser… 


Aujourd’hui, mon poids est de 83 kilos, je ne me sens toujours pas à l’aide avec mon corps et mon moral est miné à jamais. Je suis toujours en dépression dû à mon poids (j’en fais une obsession maladive).
Cet homme a détruit ma vie…

 

Véronique, témoignage médical

Cela faisait plusieurs mois que j’avais mal à l’abdomen, du côté droit, près du foie. Je me suis donc décidée à aller voir un spécialiste.
Celui-ci m’a proposé sans même m’examiner de m’enlever la vésicule billiaire et de continuer par un by-pass … Evidemment je n’étais pas venue pour cela mais pour mettre fin à mes douleurs, je refuse donc et je prends un second avis.
Le second médecin me diagnostique des examens, dont un scanner de l’abdomen. On me dira alors que j’ai le “foie gras” (oui comme les oies), ok, mais le discours du médecin était violent “Olalala madame quel gros foie, vous devez avoir mal dès que vous faites des gros repas !”. Sauf que je ne fais pas de gros repas, je surveille même plutôt ce que je mange, le gras, le sucré … Mais je suis grosse donc j’imagine que c’était compliqué pour lui d’imaginer que je ne me goinfrais pas à tous les repas !
J’ai en fait été la victime d’une erreur de diagnostic, c’est un troisième médecin qui m’a permis d’identifier mon problème.
J’avais mal à l’abdomen donc, mais mon taux de glycémie dépassait également la moyenne, sans pour autant être inquiétant. Mon généraliste et le spécialiste n’ont pas creusé dans ce sens, se contentant de me répondre qu’ils avaient déjà vu “pire”.
C’est un fait le médicament que je prenais pour l’hypertension qui avait abîmé mon foie. Celui ci ne jouait plus son rôle sur le sucre et les graisses, il régulait mal ma glycémie, j’avais donc du mal à maigrir malgré mes efforts alimentaires. C’est aussi pour cette raison que j’avais mal …
J’ai donc gardé ma vésicule, j’ai évité le by-pass, je soigne mon hypertension avec une autre molécule, et je vois un diététicien pour manger des aliments qui ne nuisent pas à mon foie en convalescence.
Mon parcours aurait été beaucoup plus simple si les médecins ne s’étaient pas arrêtés à des pathologies “pour obèses” et s’ils m’avaient soignés comme une personne “normale”.

Amélie : “Je suis une obèse morbide de 25 ans”

Mon gros corps, mon énorme corps il dérange. Je sais pas il provoque des trucs intenses chez les gens qui le scrute.

Dans l’espace public/ avec les inconnus :

Dans l’avion ou dans le train je fais en sorte que mon gros corps il prenne le moins de place. Je me contorsionne , je réserve toujours la place côté couloir pour déporter mon gras. Ma hantise c’est gêner les gens. Mais, malgré ça, malgré ces contorsions diverses et variées, y’a toujours des gros connards pour faire des réflexions. On dirait que la peur de manquer de place fait perdre aux gens toute humanité. Ces réflexions ça va du regard dégoûté, ça passe par la messe basse/la réflexion indirect- “t’as vu le tas là comment elle prend toute la place”- à l’insulte franche et direct “sale grosse/ vache …”

Le plus souvent je fais celle qui entend pas. En fait, je comprendrai jamais la haine des gens, je sais pas mec j’ai pas violé ton chien ! Par exemple qu’est ce qui a poussé ce mec y’a pas longtemps à s’arrêter à côté de moi en voiture pour me dire ” Et la grosse tu veux pas faire du sport ? “. Son amie à côté en train de se marrer. Ok, on a pas tous le même humour, ok  pour lui voir une grosse dans la rue qui marche c’est drôle, mais vraiment, gars qu’est ce qui te fait bander dans le fait de m’humilier ? non vraiment t’aurais pu te marrer bien au chaud dans ta caisse sans me faire chier!

Ne parlons pas du net où c’est un véritable défouloir à merde!

Non, vraiment ce qui m’énerve le plus c’est les : “Non mais, il faut pas se moquer des obèses PARCE QUE certains ont une maladie génétique et pas parce qu’il mange”. Euh comment te dire va te faire enculer moi je suis grosse parce que je mange, j’ai pas de maladie génétique qui me fait gonfler par magie. En fait, connasse on se moque pas des obèses tout court peu importe la raison de leur obésité, comme on se moque pas des noirs, des maigres ou des gens fluos! Je sais pas c’est la base.

Un autre truc qui me met en rogne c’est les “mea culpa” systématique de mes consœurs bouboulesques! Par exemple : une ancienne collègue au repas à chaque fois elle nous disait ” Ah non mais moi avec ça j’en ai pour trois jours” (ouais moi avec ça j’en ai pour 2 secondes). Enfaite, tout le monde s’en fout si son bout de rôti il va lui durer 1 jour ou 3 ans, mais elle se sent obligé d’extrapoler dessus pour bien faire comprendre que si elle est grosse c’est juste parce qu’elle suce des glaçons. Je pense que le gros a tellement peur d’être jugé qu’à chaque fois qu’il ingère quelque chose il se sent obligé de se justifier. Bon  après cette collègue bouboulesque était aussi grossophobe : premier repas dans l’entreprise et madame la conne me sort : ” Non mais tu devrais pas boire ce coca avec ton surpoids”, aller vlan Simone si tu savais pas que t’es grosse et qu’en plus le coca  ça fait grossir nianiania….

Les proches/les connues :

Clairement, un des trucs qui me fait le plus chier c’est quand mes proches me désexualisent complétement . Par exemple, on laisse pas porter des charges aux femmes/filles (parce qu’une fille ça doit chier des pivoines pour eux), mais à moi si  “Aller viens par là Amélie toi t’es forte tu peux porter”, ouai j’ai l’impression d’être un bourrico. Y’a aussi quand mes proches font la bise délicatement aux autres femmes et à moi on hésite pas à me donner une bonne accolade bien franco ! En fait, ma condition d’obèse pour certains fait que je suis pas une femme baisable donc pas une femme du tout, juste un espèce de tas de gras sans sexe.

J’essaie d’être cool, , j’essaie de d’appliquer le fameux aime/assume toi et le monde t’aimera, puisque apparemment tout n’est que confiance en soi selon certains magazines.  Sauf que c’est compliqué d’avoir confiance en toi quand le monde te rappelle sans cesse que t’es qu’une grosse épidémie mondiale et que pendant les camps de concentration y’avait pas d’obèses (bon j’avoue cela est sortie par le vrai et gros connard hors complétion tellement que c’est une grosse déjection humaine).

Non je vous jure moi j’essaye de faire la grosse cool, bien dans ses baskets…. Quand tu pars en voyage avec ta promo de M2 de droit et que t’es la seule grosse à l’horizon (bon faut dire que j’ai pas vu beaucoup de gros pendant mes études) et que des gens plutôt cool font des remarques qui te mettent plus bas que terre : ” Ah non mais sur cette photo j’ai l’air carrément obèse je sais que j’ai un peu de bide mais là on dirait que je suis obèse” ,” On va au resto faire nos gros / Ohlala on a bouffé comme des gros” (Ouai les gars  moi je chie, je pisse je dors je me réveille comme un gros parce que je le suis ).

Soirée où t’es la seule grosse où les gens se foutent ouvertement de ta gueule parce que t’es grosse et qu’ils pensent que tu t’en rends pas compte…. Ou que tu te fais traiter de vulgos parce que v’la toi et ton gros corps vous avez osé danser comme tout le monde sauf que ma chérie avec ton corps tu peux pas te permettre de remuer comme ça… D’ailleurs, c’est un truc que j’ai remarqué ça, les formes un peu trop prononcées sont souvent taxées de vulgaire => exemple d’une femme à la poitrine menu qui peut “se permettre” un large décolleté vs une femme aux gros seins qui MA CHERIE doit se cacher sous peine d’être assimiler à une coureuse de rempart.

Autre réflexion/ réaction (souvent entendu/vu):” Non mais moi je suis constamment victime de harcèlement de rue même quand je suis sapée vite fais”  donc là moi je confirme en disant ouai moi aussi et là la meuf me regarde avec un air ahurie  “ah bon!?”. Alors oui les connasses nous les grosses dégueulasses les grosses pas bonne sommes tout autant victimes de cet harcèlement. Eh oui mes connes on a nous aussi bel et bien un vagin !!!
Non plus sérieusement j’imagine une obèse morbide qui va au comico porter plainte pour un viol “Mais madame c’était peut être votre seule chance de vous faire toucher!” Putain et j’exagère à peine, surtout quand j’entends les blagues de mon entourage à ce propos.

Remise des diplômes en Mars dernier, il n’y avait pas ma taille … super tout le monde nageait dans sa toge et moi j’ai du la garder ouverte… Non non c’est à peine humiliant Jacqueline…

Rien sur la grossophobie médicale parce que tu comprends si j’ai mal au crâne c’est surement parce que j’ai DU GRAS qui y est remonté …

Le boulot :

Quand on te demande si tu comptes faire quelque chose pour ton poids à un entretien d’embauche ! Quand tu mets une photo dans ton cv (sur laquelle on voit bien que t’es une grosse) et que l’on ne t’accorde même pas un entretien, alors que tes petits camarades de promo on le droit, eux,  aux entretiens (certains n’ont même pas valider le Master…).

Bah oui l’esthétique ça compte quand même … Phrase entendue à un entretien … Ouais gars je suis juriste pas la présentatrice météo de canal…

Les fringues :

Je te poses le tableau je fais un 56 autant te dire que c’est la croix et la bannière pour m’habiller…. Que je pleure à chaque fois que je passe devant un magasin du groupe inditex…

Voir les rayons grandes tailles s’amenuir ou être relégués encore plus au fond du magasin….

Mais le pire c’est quand je vois que y’ a un soit disant magasin grande taille qui ouvre à côté de chez toi. Enseigne ” Du 44 au 62″ yeah super. Enfin, bon petit youpi car c’est cher et pas très folichon mais enfin bon. Donc je rentre regarde la première partie de la boutique et la oh surprise rien qui fait plus que du 52 … la vendeuse ” euh pour les 56 c’est derrières” (je te le donne en mille, fringues encore plus moche et cher) … ok donc même dans les magasins grandes tailles y’a des séparations entre la grosse acceptable et les autres….

Un autre truc qui m’a gonflé c’est la nana qui poste un billet pour dire “ouin ouin regardez moi normalement je rentre dans un petit 40 et la j’ai dû prendre un 44 alala ces tailles chinoises”  …  Premièrement, je trouve ça dramatique de définir la beauté de son corps par rapport une taille de confection. Deuxièmement,  pas à un moment de sa longue tirade elle s’est dit que si elle avec son petit cul elle entre dans un 44 et que les tailles des magasins standard généralement vont jusqu’au 46 alors imaginons le nombre de femmes qui sont “exclues” automatiquement de ces boutiques…. Aucune once d’empathie, moi perso je m’en fous de faire un 72 du moment que je trouve ma taille partout.

Mais je pense ce qui m’emmerde le plus ce de ne pas avoir de gros autour de moi, ou en tout cas de gros qui vivent la grossophobie ( oui oui dédi à mes potesses qui me parlent de grossophobie avec leur petit 42 etam). Quand je parle de cette discrimination, mes proches la nie ou pire me sorte “oh mais Amélie si t’es pas contente maigrie”…

C’est ça le plus dur c’est de voir que les discriminations que nous subissons soient reléguées au second plan, parce que pas très grave après tout, ou pire encore qu’elles soient complétement niées.

Bref on va s’arrêter là …. (même si je t’aurais bien causé de l’image du gros dans la pop culture)

La GROSSOPHOBIE existe et je la subis tout les jours !

Anonyme, 34 ans

Je suis une femme de 34 ans .

Je fais 103 kilos (évolutif parce que je suis enceinte de 4 mois) pour 1m57 pour une taille 50 de pantalon ou 48 cela dépend où je vais l’acheter.

“Grosse”, ce mot a pendant des années été dur pour moi , je me sentais qualifiée de “sale”, “dégueulasse” et “feignante” en plus d’être en surpoids, et je n’étais à ma place nulle part. Heureusement ça passe avec le temps, mais ça dépend aussi de qui prononce ce mot. Si c’est une personne non concernée par le sujet, je le prendrais très mal.

J’ai commencé à être en surpoids à l’âge de deux ans, dans ma famille ma mère avait du diabète et a toujours fait des régimes. Son poids faisait le yoyo constamment.

Vers 10 ans elle me faisait manger comme elle et, j’ai souvent eu faim. Dans cette famille, père, mère, frère étaient tous en surpoids, j’étais la seule qui avait toujours des petites parts parce qu’une “fille qui est grosse c’est pas beau”. De même à la cantine de l’école, je n’avais pas la même part que les autres. Du coup, sans arrêt affamée, je chipais de la nourriture la nuit, et donc je ne maigrissais pas.

Vers 14 ans je subissais du harcèlement scolaire et l’on se moquait constamment de mon poids, quand je rentrais à la maison mon père me frappait et avait plus d’estime pour son chien que pour moi.

L’été de mes 15 ans quand j’étais chez ma grand-mère, je me suis mise à faire du sport et à manger peu pour maigrir. Résultat, une perte de 15 kg en deux mois. La seule fois où je rentrais dans la case « normal » dans mon IMC. Quand je suis  rentrée de vacances, j’étais trop maigre cette fois-ci, je ne mangeais pas assez. Ma mère me resservait souvent à manger. Alors j’ai tout repris, avec 10 kilos en plus … Côté études à cette période, je me rappelle qu’on m’embêtait moins mais je restais quand même dans mon coin, j’avais peur de l’ambiance du collège et de chez moi…

J’ai continué mes études dans une école de coiffure, pour le côté artistique c’était génial, et j’avais perdu des kilos sans m’en rendre compte, mais je restais en surpoids. Deux ans plus tard et CAP en poche, je cherchais du travail  et sans grand succès, « une personne en surpoids ne peut travailler dans des métiers d’esthétique », « vous devriez perdre du poids », un non à l’embauche aurait suffit..

Arrive la vingtaine. Pas de travail, toujours en surpoids, crise d’ado tardive… Je sors beaucoup en Rave Party avec des ami(e)s. Pendant un an je prends des drogues pour oublier un peu que j’ai passé des années de merde en tous points. Et je perds une dizaine de kilos. Les années qui ont suivi : yo yo poids, yo yo travail précaire, rencontre d’un mec qui n’était pas le bon, prise de pilule, stress, chômage … Résultat, 30 kilos en plus …

Quelques années après j’ai rencontré le bon mec et le poids n’a pas bougé parce qu’il m’aime pour ce que je suis. Ce fut le début de confiance en moi. Vers la même période je suis devenue végétarienne, ce fut le résultat d’un rejet de violence sous toutes ses formes. J’ai même commencé à ne plus faire de régimes et ne plus me peser, à surfer sur les pages de « l’Imagerie de Nina », « l’Utoptimiste », des groupes anti-grossophobie… Tout ça m’a menée à penser que moi aussi j’ai le droit d’exister et j’en suis contente.
J’ai alors perdu 12 kilos en un an. Je m’en suis rendue compte en allant chez le pneumologue.

Je suis tombée enceinte et j’ai pris 9 kilos, la prise de poids ne m’a pas trop dérangée, c’est plutôt le côté surmédicalisé qui est anxiogène.

MEDICAL

Je suis asthmatique et j’ai des problèmes de thyroïdes.

Dans le cadre de ma grossesse, j’ai vu une interne qui remplaçait mon endocrinologue. Elle n’a pas regardé mon dossier. Elle aurait vu que les prises de sang étaient nickel, que je n’ai pas de diabète ni de cholestérol. En revanche, elle m’a demandé mon poids et jamais je n’ai autant entendu quelqu’un me dire de « faire attention à ce que je mange », « faire un régime ». Quand je lui ai répondue qu’il était hors de question de faire un régime, sa réponse fut :  « mais vous êtes OBESE madame ». Sans m’écouter elle me rappelle aussi de faire mon test de diabète. Le test se fait à 4 mois de grossesse, j’en étais même pas à 2 mois )  et le « n’oubliez pas de le faire à jeun », comme si je passais mon temps à manger enfin j’en suis ressortie en pleurant me sentant comme une merde …

Je redoute beaucoup de soignantEs : Médecin traitant, gynécos, endocrinologues, diététiciennes …

Il y a des comportements récurrents de la part des soignantEs vis à vis de mon poids. Le « vous pesez combien ? » est toujours la première question suivie de « vous faites des activités sportives » avec un regard incrédule quand je réponds positivement .

Je crois qu’il n’y a pas de différence de traitement selon que lea soignantE est jeune/vieilleux, homme, femme … le respect c’est une question d’éducation.

Lors de l’écho, on a eu  des difficultés à voir mon bébé mais l’échographe a été super gentil et m’a juste dit qu’on ne pouvait pas le voir tout en restant neutre, c’est en discutant avec des connaissances que j’ai appris que c’était à cause du poids.

Pour que je qualifie unE soignantE de bienveillantE, il faut qu’iel m’examine comme les autres patientEs et que je n’entende pas une seule fois le sujet du poids à moins que je lui demande.

Je veux que ce soit moi qui lui en parles en premier.

J’ai quitté un cabinet une seule fois, ma remplaçante endocrinologue quand elle m’a parlé de régime, les autres fois j’ai laissé passé parce que trop habituée(lassée) des mêmes phrases

ESPACE PUBLIC

Je me sens bien dans l’espace public depuis que je ne fais plus attention aux remarques dévalorisantes d’inCONnu(e)s.

Je fais comme tout le monde  et je trace ma route

« Hey regarde ! Paul c’est ta fiancée là-bas ! », « t’as de beaux yeux mais c’est tout ce que tu as », « elle est imposante celle-là », « ah la grosse » … Voilà ce que j’entends.

DEMAIN

Je souhaite qu’on soit traité(e)s comme tous le monde et qu’on nous fiche la paix pour ce qui es du poids que ce soit dans le cadre des études scolaires, médecine, travail (qu’on ai un peu plus de chances d’être recruté(e)s).

Pas besoin de nous faire remarquer que l’on es en surpoids vu que l’on es les premiers concerné(e)s et c’est comme tout, la seule personne à s’aider en 1er c’est nous mêmes, les remarques et dénigrement ne font qu’enfoncer, démoraliser et sont contre-productifs pour la suite .

Caroline, 20 ans, Genderfluid

Je m’appelle Caroline, j’ai 20 ans et je suis genderfluid.

J’ai toujours été en surpoids, mais suite à une grossesse, TCA et dépression je suis actuellement à plus de 90kilos pour 1m60. Je fais du 44 en pantalon. Je me situe plutôt au milieu du spectre de la gros.se personne. Je considère une personne comme gros.se lorsqu’elle ne correspond plus aux normes sociales (donc d’un pdv socio plus que médical/santé). Disons quand la personne se situe au dessus du 40 « moyen ».

Souffrant de TCA et étant donnée l’apologie de la maigreur je comprends qu’une personne mince ou ‘socialement convenable/normale’ puisse se sentir « grosse » sans l’être pour autant. Ce qui stigmatise et oppresse d’autant plus les personnes gros.ses. La vision d’elleux-même est biaisée par des normes et idéaux dangereux (et/ou TCA ou autres).

Comme dis plus haut j’ai toujours été en surpoids et gros.se. Les médecins m’ont fait débuter des régimes dès l’enfance. J’ai toujours eu un rapport conflictuel/obsessionnel avec la nourriture et le fait de manger.
J’ai toujours été gourmande, j’aime manger. Et mes TCA (boulimie entre autre) ont accentués mes problèmes de poids.

J’avais perdu tous mes ‘kilos en trop’ avant ma grossesse et ai tout repris après celle-ci, voir même bien plus.

MEDICAL

J’ai des antécédents de dépressions nerveuses et d’addictions qui ne sont pas liées à mon poids. En revanche, je souffre de TCA et de phobie sociale qui elles y sont liées.

J’avais entre 11 et 13, je consultais mon médecin pour un contrôle de routine. Et à cause de mon poids.

Je ne me souviens pas des termes, ni même du nom de ce medecin. Simplement j’ai eu droit à un discours moralisateur sur mon corps, mon poids, et des prospectus sur différents régimes. S’en est suivi des séances chez une nutritionniste où je n’osais même pas répondre honnêtement aux questions de crainte d’être jugée ou punie. (par exemple : « choisir une image correspondant à la quantité que vous prenez lors d’un repas »)

Ce sont les gynécologues que je redoute le plus, bien que tous les intervenants du corps médical m’effraient.
Le fait de lier mon aspect physique, mon poids et ma sexualité (non-normée qui plus est) me paralyse. J’ai peur de consulter pour ces raisons.
Sans compter le fétichisme malsain des personnes gros.ses ou simplement le dégoût lié au corps nu et à la sexualité des gros.ses

Les pesées systématiques, les tiques au moment du résultat, les injonctions à perdre du poids, les conseils à deux ronds, le fait de ne pas pouvoir quitter le cabinet sans pleins de papiers sur les régimes, l’hygiène alimentaire ect.. Ce sont autant de comportements récurrents que j’ai noté chez les soignants.

Je eu le privilège de « rentrer dans moule » des outils médicaux jusqu’à présent. Mais il y aurait matière à approfondir. J’ai eu un rdv anesthésiste pour une péridurale. Le RDV était correct.

Que le medecin propose d’ouvrir la conversation sur mon poids, de manière délicate et non-jugeante pourquoi pas. Par exemple demander simplement si mon poids me convient ou si je souhaite perdre de poids en insistant sur la non-necessité d’en parler ou de mettre en place un protocole spécifique aux gros.ses.

C’est délicat, je n’ai pas envie qu’un medecin me parle de mon poids dans un sens. Si une personne gros.se veut en parler elle viendra de son plein gré et la consultation sera dédiée à la question du poids uniquement. Mais pourquoi pas laisser un ouverture pour les personnes qui n’osent pas en parler. Par exemple j’aurais beaucoup de mal à aborder le sujet de peur d’être jugée quand bien même j’aurais envie de débuter un rééquilibrage alimentaire et/ou suivi TCA contrôlé en vue de perdre du poids. Le fait d’ouvrir le sujet en toute bienveillance et sans jugement peut être une solution. Du moment qu’il n’y a pas d’injonction à suivre un régime/perdre du poids sous quelconque prétexte.

ESPACE PUBLIC

L’espace public, pour moi, c’est tout ce qui n’est pas chez moi ou personne que je sais respectueuse et non-jugeante, de confiance. Si bien que la notion de privé/public dans ce contexte est particulière. Je peux me sentir en public et vulnérable chez une personne privé si je me retrouve exposée au regard des autres.

Je m’y sens mal à l’aise et énorme comme piétinant sur l’espace des autres physiquement. Jugée et moquée.

Avant je prenais les transports en commun par nécessité car pas le permis mais je limitais tellement que je préférais faire des kilomètres à pied sous la pluie plutôt que de prendre les transports en commun. Depuis le permis+véhicule je les fuis encore plus.

Les équipements publics sont prévus et adaptés en fonction des normes sociales, soit pour des personnes non gros.ses et non-handicapé.es. Cabines/ascenseurs/passages/sièges (ciné, lieu public) trop étroits par exemple

Donc je fuis l’espace publique

” Grosse, boudin, moche, thon,  faudrait vraiment être défoncé-mort pour vouloir se la faire ” et autres dans le genre, ce sont autant d’insultes auquelles j’au eu droit dans l’espace public. Beaucoup de regards méprisant et personnes qui parlent de moi entre-elles. On m’a déjà craché de l’eau au visage sans raison et une personne à hurlé d’effroi en se retournant vers moi.
Les humiliations en cours de sport sont un mauvais souvenirs également.

DEMAIN

Pour l’avenir, je souhaite une acceptation à grande échelle et plus, beaucoup plus de visibilité (médias, mode, opportunités, travail ect….). Des équipements adaptés et du choix ! (vêtements entre autre)

Un réel travail d’éducation (grand publique mais également corps médical et sportif).

Et aussi sur tout ce qui concerne la sexualité des personnes gros.ses.