Voici un texte que j’avais écrit il y a quelques temps et que j’ai souhaité ressortir de mes tiroirs.
Il ne changera pas le monde, il paraîtra dérisoire à une majorité de gens qui ne sont pas concernés, et carrément scandaleux à d’autres, mais je pense qu’il pourra faire du bien à certain-e-s, alors je ne vais pas me priver de le faire.
Si à l’époque je m’étais lancée dans l’écriture de cet article, c’était grâce à une copine qui un soir avait osé jeter publiquement le pavé dans la mare : fuck les régimes « I am what I am! »
Voici donc ma petite contribution au débat.
Dans notre société le corps gros n’est pas considéré comme un corps en tant que tel, pas comme un corps « fini », « abouti », il est nécessairement regardé comme un corps en mutation. La société divise les gros en deux catégories : ceux qui sont dans une évolution négative et ceux qui sont dans une évolution positive.
L’évolution jugée négative est celle du gros « en déchéance ». C’est cette image caricaturale omniprésente du gros qui passe toutes ses journées à bouffer, ne fait rien d’autre de sa vie, et va forcément continuer à « se laisser aller » (et ça dans une société du contrôle perpétuel de l’image, c’est bien entendu inacceptable !) et devenir de plus en plus gros jusqu’à être jugé monstrueux par les détenteurs de la vérité sur la beauté canonique actuelle. Ce gros-là sera bien entendu ostracisé, moqué, victime de toutes les discriminations et les railleries possibles et sera mis dans la case des gens « responsables de leur malheur ». Car bien entendu, la maigreur extrême peut engendrer de la compassion (« le pauvre, il est malade, il doit souffrir d’anorexie ») alors que la grosseur extrême n’engendre que dégoût et répugnance.
L’évolution jugée positive est celle du gros qui « se prend en main ». Alors là messieurs dames, on l’aime ce gros-là ! Celui qui est au régime, qui sue sang et eau (mais qui sue vraiment beaucoup hein, car en plus il se torture quotidiennement en faisant des quantités astronomique de sport !) Ce gros-là est dans la privation perpétuelle car il veut se conformer au modèle imposé, et la société l’encourage, lui fait des compliments… mais peut-on véritablement considérer qu’il s’agit de compliments ? Nier le droit à conserver son corps en l’état en insinuant que oui, vraiment, ce corps est inadmissible tel qu’il est, et qu’il faut absolument le modifier pour qu’il puisse être regardable, acceptable, est-ce vraiment encourager quelqu’un à se sentir bien dans sa peau ?
Dans les deux cas, il s’agit de nier au corps gros le droit d’être un corps fini, abouti, qui ne souhaite pas évoluer car il est satisfaisant tel qu’il est.
Je crois qu’elle est là, la vraie question. Car une fois que sont évacuées toutes les questions de santé (qu’il ne faut pas nier : lorsque l’on a une pathologie aggravée par le poids, il est logique d’essayer d’en perdre, et lorsque l’on se rend malade à cause de la privation de nourriture, il est logique aussi de recommencer à manger, CQFD) que reste-t-il ?
Eh bien il reste la société, les diktats de la mode, des médias, des connards, des bien-pensants, de la société de consommation, du capitalisme en général… Mais en dehors de ça, je vous le demande : il est où, le problème ?
Les gros et les grosses ont-ils plus de problèmes à rencontrer quelqu’un ? Sont-ils plus souvent célibataires ? Ont-ils un niveau d’études moins important ? Sont-ils plus souvent malades ? Regardez donc les études (sociologiques, médicales, etc.) La réponse est non. Pourquoi dans ce cas considérer que le corps gros n’est pas un corps comme un autre ?!
Peut-être tout simplement parce que la personne grosse a tellement bien assimilé le discours sociétal qu’elle se définit elle-même uniquement par rapport à ce facteur de poids, et que son identité même se construit autour de son poids.
Je suis bien placée pour vous le dire, car c’est exactement ce que je fais. Mais la différence, c’est qu’aujourd’hui je ne veux plus le faire avec un regard négatif, ni même positif d’ailleurs, sur la question. Je suis une grosse dame. Voilà. Mais que cela dit-il de moi ?
Déjà, ouvrons un dictionnaire : nulle part il n’est écrit que « Gros = Moche » Je suis loin d’être la plus jolie de ma bande de copines, mais je ne suis pas nécessairement la plus moche non plus. Je suis juste la plus grosse. La réalité du quotidien est-elle différente parce que je suis grosse ? Non. Non car vu mon grand âge (j’ai 36 piges) j’ai cessé de me sentir blessée par les regards des cons. J’arrive même à en plaisanter et à foutre les gens mal à l’aise sur la question. « Attention, grosse dame à poil en perspective » me suis-je mise à hurler dans mon jardin quand deux emmerdeurs zonaient devant mon portail tandis que je me baladais peinarde en maillot de bain avec mon fils dans mon jardin. Et, je l’avoue, j’étais même assez contente de moi ce jour-là !
Le poids n’est en rien un facteur social aggravant. J’en suis la preuve vivante.
Quand j’étais mince (sans déconner hein, avant d’entrer diiiiifficilement dans un 50, mon cul s’est autrefois faufilé allègrement dans un 34/36 !) je n’étais pas plus heureuse. Je n’avais pas un compagnon plus gentil ou plus amoureux (bon en l’occurrence ça compte même pas vu que je me trimballais un suuuuuper connard, sociopathe et violent), je ne réussissais pas mieux dans la vie, je n’avais pas et je n’étais pas quelque chose de « mieux ».
Je n’ai pas commencé à faire des régimes parce que j’étais devenue grosse. Je suis devenue grosse car j’ai commencé à faire des régimes. Sans en avoir besoin, pour de mauvaises raisons, car j’étais mal entourée, que j’étais mal dans ma peau, que j’avais des choses à me prouver et que je voulais prouver des choses à quelqu’un qui ne le méritait pas.
Le résultat, 14 ans plus tard, est que je suis une dame qui a un poids à 3 chiffres. Ce n’est pas quelque chose de bien, ce n’est pas quelque chose de mal. C’est « quelque chose », c’est tout.
Et c’est ce « quelque chose » d’anodin, d’accessoire, que je revendique aujourd’hui.
Lorsqu’on est mince, personne ne se dit que l’on va forcément « dégénérer » et grossir. Personne ne se dit non plus qu’on va « progresser » et maigrir. On a juste un corps, qui passe inaperçu la plupart du temps (sauf pour les connards hein, mais ça c’est un autre sujet !) et qui ne nous définit pas comme quelque chose de spécifique, comme une caste à part à l’intérieur de la société.
Le jour où les corps gros seront considérés de la même manière, comme étant « juste » des corps, qui ne vont/doivent pas nécessairement s’améliorer ou dégénérer, là oui, nous aurons fait un grand pas dans l’éradication de la discrimination anti-gros. Et je tiens à ce mot « gros ». Je ne suis pas « ronde », je ne suis pas « obèse », je n’aime ni les pléonasmes ni les termes scientifiques, j’aime les vrais mots, ceux qui traduisent une réalité et qu’il faut se réapproprier car il n’y a aucune raison qu’ils soient un insulte. « Gros », ce n’est pas une injure, c’est une constatation, et ce n’est pas grave.
Alors oui, aujourd’hui je le revendique : mon corps est terminé. Il est tel qu’il est, et il va le rester.
J’ai perdu quelques kilos il y a quelques années car, médicalement, cela se justifiait (et ça j’insiste, la question médicale, je ne la nie pas, et c’est important, mais cela reste des cas particuliers, la personne grosse n’est pas une personne malade !) Aujourd’hui, je suis toujours considérée comme lourdement obèse par le milieu médical MAIS je n’ai pas de diabète, pas de cholestérol, mon cœur va bien et mes os ont un problème héréditaires qui, les toubibs me l’ont avoué, aurait été le même si j’avais pesé 50 kg de moins… alors quoi ?
Je mène la vie que je souhaitais mener, j’ai le plus merveilleux des petits garçons et je commence à peine (mieux vaut tard que jamais) à me sentir bien dans mes baskets. Je fais des repas équilibrés, mange laaaaaargement plus de 5 fruits et légumes par jour (et en plus ils viennent directement du jardin !), mais je me tape aussi d’énormes glaces quand je vais à la plage et des mojitos/cacahuètes en soirée ! Et vous savez quoi ? Je le vis bien !
Il y a deux ans à peine, pour la 1ère fois depuis plus de 11 ans, je me suis mise en maillot de bain à la plage, j’ai porté des robes à bretelles et j’ai redécouvert un truc de ouf’ : le bronzage, ça me va vraiment bien ! A force de me planquer sous d’énormes (et immondes !) bouts de tissu, je m’étais privée toute seule de plein de choses simples et agréables comme le simple fait de glander en petite tenue au soleil. Pourquoi ? Pour ne pas rentrer dans l’une de ces horribles cases et faire en sorte de ne pas être remarquée/jugée/évaluée et… pesée ! (Oui, ceci était un jeu de mots de mauvaise qualité…)
Ma vie est chouette, ma sexualité est chouette (oui parce que ça aussi tiens, vu les préjugés, on pourrait faire tout un article dessus si on voulait, mais bon… j’en ai déjà écrit des tartines-là !), ma vie de mère est chouette, ma vie de femme est chouette et je trouve qu’en gros (tiens, encore un mauvais jeu de mots !) c’est déjà pas mal !
Aujourd’hui je suis grosse. Demain je le serai aussi. Je ne le serai pas plus, car je ne m’empiffre pas et je mange comme tout le monde ; mais je ne le serai pas moins, car je ne me priverai plus, ne rentrerai plus dans des phases de frustration qui déclencheraient inévitablement de nouvelles phases d’excès.
Mon corps va vieillir, il va changer. Comme le vôtre, comme celui de tout le monde. Ni plus ni moins. C’est inexorable. Mais non, il n’est pas un corps en perpétuelle évolution qui se doit d’être modifié.
Mon corps est abouti. Voilà, c’est dit.