La grossophobie en milieu scolaire

Grossophobie en milieu scolaire

Pistes de réflexions et d'actions possibles pour mieux accueillir les élèves gros·ses

Nous avons été convié·e·s, par le syndicat Sud Education, à proposer un temps de formation sur la grossophobie en milieu scolaire à de nombreux·ses professionnel·le·s de l’éducation. Ce temps a été enregistré, voilà un récap de nos pistes de réflexions.

N’hésitez pas à nous faire part de vos retours d’expérience ! 

Introduction

La grossophobie en milieu scolaire est un élément important dans nos luttes contre les discriminations grossophobes. En effet, selon l’OMS, 63% des enfants gros·ses risquent d’être victimes de harcèlement et 75% des enfants de moins de 10 ans associent le fait d’être gros·se à quelque chose de négatif. Les personnes grosses représentent environ 15,3% de la population adulte française et 4% des enfants âgé·e·s de 6 à 17 ans. Il est donc essentiel de donner un sentiment d’inclusion et de respect de leur personne à ces enfants concerné·e·s par les oppressions grossophobes. 

Comptez-vos élèves, si vous avez, plus ou moins, 4 élèves pour 100 qui sont gros·ses, le compte est bon. Ce chiffre peut varier selon la zone où vous enseignez. Il y a un lien entre précarité et grosseur ce qui peut faire diminuer ou augmenter ce chiffre selon l’établissement, mais aussi selon la zone géographique. Souvent, les régions où le taux de chômage est le plus élevé sont aussi les régions où l’on retrouve le plus de personnes grosses.

La grossophobie est aussi une discrimination genrée, ce sont les femmes et les jeunes filles qui en pâtissent le plus. Par exemple, chez les filles, l’âge moyen du premier régime est de 8 ans. Mais il existe aussi d’autres impacts, par exemple, notamment au niveau de l’accès à l’embauche. En effet, selon Jean-François Amadieu : “à compétences égales, pour un poste dans l’accueil, une candidate en surpoids a six fois moins de chance [d’être embauchée]. Les principales victimes de ces discriminations sont les femmes”. Ces différences genrées se reflètent également dans les chiffres liés aux chirurgies bariatriques : 80% des personnes opérées sont des femmes, contre 20% qui sont des hommes. Les femmes ont également recours à ces chirurgies à un poids moindre que celui des hommes. La pression sur les corps des femmes est donc plus importante.

Il est donc essentiel d’agir pour diminuer au maximum les violences grossophobes que les personnes grosses peuvent subir, et cela passe également par la prévention, la sensibilisation et l’action en milieu scolaire.

Penser à l’inclusion des élèves gros·ses

Le harcèlement scolaire étant très présent chez les personnes grosses, le taux de tentatives de suicide peut être augmenté. Dans certains témoignages de harcèlement, il s’avère que l’équipe pédagogique a participé, consciemment ou non, à ce harcèlement. Il faut donc être attentif·ve à ce qui se joue dans la cour de l’établissement scolaire, mais aussi à ce qui se joue dans la salle des profs, dans les couloirs, et à l’extérieur de l’établissement. Il est essentiel de ne pas faire de remarques aux élèves, mais aussi aux collègues, sur leur poids.

Il est aussi important de préciser que ce n’est pas le rôle de l’enseignant·e d’alerter sur l’état de santé d’un·e élève. D’autant plus qu’une prise ou une perte de poids n’est pas le problème en soit, mais est souvent le symptôme de quelque chose de plus profond : un souci à la maison, à l’école, etc. Le plus important est donc d’entamer une conversation avec l’élève en question, si vous avez une relation de confiance, afin de lui permettre de poser des mots sur ses maux, s’iel le souhaite. Il est également possible de faire appel à l’équipe pluridisciplinaire, peut-être que certain·e·s de vos collègues (assistant·e·s d’éducation, infirmièr·e, assistant·e social·e, etc.) ont des ressources bienveillantes qui peuvent être pertinentes pour la situation.

L’inclusion des enfants gros·ses à la vie de l’école est un enjeu important. Cette inclusion passe par une vigilance importante dans les cours d’EPS, notamment, qui sont un terreau fertile à la grossophobie. C’est un constat qu’on a pu dresser grâce aux nombreux témoignages que nous avons reçus, mais également au travers des échanges qui ont pu avoir lieu lors de certains de nos groupes de parole. C’est un cours qui a pu laisser des marques importantes sur les personnes grosses.

Des pistes de solutions pour améliorer l’intégration des élèves gros·ses dans le cadre scolaire

    • Penser à l’agencement de vos classes. Vous devez pouvoir offrir la possibilité de se mouvoir facilement dans celles-ci. L’espace est parfois si restreint entre les tables, les chaises, etc. qu’il devient difficile pour un·e élève gros·se de se mouvoir correctement dans la classe. Ce qui lea mettra en difficulté lors de l’entrée, ou la sortie de la classe, mais aussi lorsque l’élève devra passer au tableau. L’espace est souvent restreint, on ne peut pas pousser les murs, mais il est toujours possible de faire preuve d’ingéniosité.
    • Penser aux équipements : il faut éviter à tout prix les sièges à accoudoir, les strapontins, ou encore les tablettes directement incluses à la chaise. Ces équipements peuvent empêcher les élèves gros·ses d’être installé·e·s confortablement, mais peuvent aussi parfois les blesser.
    • Présenter / étudier des figures, des personnes grosses positives dans les différentes matières. L’idéal est d’éviter au maximum les caricatures (par exemple les caricatures du capitalisme en homme gros, ou Obélix qui est un personnage qui ne pense qu’à manger et qui n’est pas très intelligent). Si vous parlez de ce genre de représentations, il est essentiel d’apporter un regard très critique. La représentation dans les médias et dans les matières étudiées est importante pour la construction de soi. Une mauvaise représentation peut détruire la confiance en soi ou donner une faible estime de soi.
    • Faire attention aux uniformes scolaires : les blouses ou les tenues de travail en établissement professionnel, par exemple, sont à penser correctement. Elles ne sont souvent pas inclusives. Souvent, quand l’établissement les fournit, celui-ci ne prévoir pas une solution ou une alternative en grande taille, ce qui peut mettre des élèves, et leurs familles, en grande difficulté, soit du point de vue économique (puisque nous avons vu qu’il y avait un rapport entre précarité et grosseur) ou au niveau de la sécurité ou du confort. Penser à une alternative prenant en compte toutes les tailles, et à un coût raisonnable peut s’avérer essentiel.
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         En EPS

      • Si la possibilité existe, proposer un espace pour que les élèves puissent se changer loin du regard des autres élèves
      • Ne pas laisser passer les remarques, les moqueries liées à l’apparence physique mais aussi aux capacités sportives
      • Mettre les élèves gros·ses en chef d’équipe pour leur éviter la violence d’être choisi·e·s en dernier (et donc de creuser le fossé entre elleux et les autres élèves)
      • Prendre en compte les capacités physiques et sportives de chacun·e parce que tout le monde a des capacités différentes
      • Avoir des chasubles / dossards inclusifs. Ils sont souvent trop étroits pour les élèves gros·ses, et peuvent donc les mettre dans une situation d’embarras assez conséquente. Il est possible de réfléchir à un autre mode de différenciation des équipes : bandanas colorés, bracelets de sport colorés, etc.
      • Si vous êtes témoin des remarques de la part des autres élèves, n’hésitez pas à mettre en place des moments de médiation, de sensibilisation qui peuvent avoir lieu, par exemple, pendant une heure de vie de classe. Il est tout à fait possible de s’appuyer sur de nombreuses ressources, mais aussi sur des militant·e·s, des associations, des collectifs. 

Questions · Réponses 

 

Comment offrir une représentation positive des personnes grosses aux élèves ? Comment peut-on faire prendre conscience qu'il peut exister une certaine forme de fierté des personnes grosses et sortir du modèle victimisant ?

  • Il est possible de sortir de la victimisation par la représentation de modèles positifs. De plus en plus de célébrités sont grosses, ce qui permet d’avoir des exemples concrets qui peuvent parler aux plus jeunes. Par exemple : Lizzo, chanteuse états-unienne et Yseult, chanteuse française. En littérature, on peut également profiter du travail d’Alexandre Dumas, qui était gros. Pour les plus jeunes élèves, il est possible de s’appuyer sur la figure de Steven Universe, un héros de dessin animé, qui est gros.

    Il faut sortir de la représentation très misérabiliste souvent représentée dans les médias. Les journaux utilisent souvent des illustrations de personnes grosses en train de manger, ou de personnes grosses sans visage. Si vous étudiez ce genre d’articles en cours, il est essentiel d’apporter un regard critique. Le mieux étant d’étudier des articles qui présentent les personnes grosses correctement, sans déshumanisation.

Comment faire face à la pression grossophobe ?

En tant qu’allié-e, il est important d’agir et de faire face à ces pressions. Dire aux personnes qui tiennent des propos, ou qui ont des actions grossophobes qu’il est nécessaire de s’occuper de ce qui les regarde. Ce n’est pas évident de devoir réagir à chaque propos, à chaque action grossophobe lorsqu’on est concerné·e, ou que l’on est lea gros·se de service. Donc il est important de pouvoir s’appuyer sur d’autres personnes. Il est toujours possible, aussi, de faire un travail pédagogique auprès de ces personnes discriminantes afin de faire évoluer les mentalités. Pour savoir comment être un·e bon·ne allié·e contre la grossophobie, nous vous renvoyons vers l’article Être un(e) allié(e) non-gros(se) écrit par Edith Bernier.

Comment faire pour sensibiliser à la question de la grossophobie, sans que les élèves gros·ses ne se sentent pointé·e·s du doigt ?

Si l’atelier est amené de manière positive, il n’y aura pas de dégâts sur les élèves concerné·e·s. De plus en plus de ressources sont disponibles pour mener à bien ce genre de moments. Les personnalités grosses étant de plus en plus nombreuses, il est possible de s’appuyer dessus pour ouvrir la discussion et sortir de l’aspect négatif de la grosseur que tout le monde véhicule. Il est aussi important de signifier qu’il y a des recours contre la grossophobie et les discriminations de manière générale. La loi est du côté des personnes discriminées. Vous avez la possibilité de faire un sondage de type : “combien de personnes se sentent grosses?”, afin de mesurer la proportion de personnes qui se sentent ainsi par rapport à la proportion de personnes qui le sont réellement, ou qui sont perçues comme telles. Vous pouvez également vous tourner vers du contenu créé par les militant·e·s, les associations et les collectifs. Par exemple, le compte Instagram @labandedesgros permet de montrer les passages grossophobes dans les films.

A quel moment peut-on se considérer gros·se ? Est-ce au travers du regard des autres ?

  • Il y a déjà une différence notable à faire entre body-shaming et grossophobie. Le body-shaming c’est une pression sur les corps pour correspondre à une norme donnée. A cause du body-shaming, beaucoup de personnes se sentent grosses. Mais être gros·se ce n’est pas uniquement un ressenti. Tu peux être gros·se dans le regard des autres, sans l’être réellement.

    Ensuite, la médecine définit les personnes grosses par rapport à leur IMC, mais l’IMC est un outil pathologisant qui est dépassé et ce pour de nombreuses raisons. Il n’est pas un outil qui nous semble pertinent pour savoir qui est gros·se, ou qui ne l’est pas. 

    A Gras Politique, nous aimons bien donner l’exemple du maillot de bain, pour savoir si vous êtes gros·se : Si le 15 août, en vacances dans une sous-préfecture, tu perds ta valise. Arrives-tu à pouvoir t’acheter un maillot de bain dans lequel tu rentres ? Si oui, tu n’es pas gros·se. Être gros·se, c’est vivre des discriminations au quotidien, c’est un système d’oppressions. Aubrey Gordon (Your Fat Friend) dans Who’s fat enough to be fat ? dit que “les personnes grosses seraient l’ensemble des personnes qui sont unies par des expériences courantes et inévitables d’exclusion. Pas seulement celles qu’on a traitées de « grosse » ou « gros », car nous l’avons presque toutes et tous été au moins une fois dans notre vie, mais celles pour qui la satisfaction des besoins de base est limitée, restreinte de façon importante. Il ne s’agit pas seulement des gens qui ont de la difficulté à trouver des vêtements qui leur plaisent, mais de celles et ceux qui ont de la difficulté à trouver des vêtements tout court. Et, plus encore que les gens qui se sentent mal à l’aise dans les bus ou les avions, certains sont publiquement ridiculisés pour avoir osé utiliser le transport collectif.” (traduction par Edith Bernier, dans Grosse, et puis ?).

Pourquoi on ne voit que très peu de professeur·e·s gros·ses ?

  • Comme nous le disions précédemment, il y a un lien entre personnes grosses et personnes précaires. Et, de nombreuses études ont montré que les personnes précaires s’arrêtent souvent assez tôt dans les études. Ce qui peut expliquer une partie du manque de représentation des personnes grosses dans le professorat. Pour aller plus loin, vous pouvez vous tourner vers la théorie de la reproduction sociale développée par Pierre Bourdieu. 

    Il y aussi probablement une part de prophétie auto-réalisatrice. Il existe un cliché comme quoi les personnes gros·ses seraient bêtes, et qui est lié au fait que la grosseur serait une maladie de la volonté. A force de devoir faire face à ce cliché, peut-être que certaines personnes l’ont intériorisé et s’auto-sabotent, ce qui pourrait peut-être expliquer qu’il y ait moins de personnes grosses dans les études supérieures, parce qu’une partie s’arrêterait plus tôt. 

    Le harcèlement grossophobe que peuvent vivre les personnes grosses peut aussi jouer dans ce phénomène. Le harcèlement peut entraîner une phobie scolaire, des anxiétés sociales, un manque de confiance en soi, qui peuvent venir impacter la réalisation des études supérieures. L’école est un endroit qui peut être très compliqué pour les personnes grosses.

Comment utiliser le mot “gros·se” en milieu scolaire, alors qu’il s’agit, pour l’instant, d’une utilisation très politique ?

l vaut mieux vaut bannir l’utilisation des mots “rond”, “voluptueux”, etc. Ce sont des termes qui ont tendance à vouloir arrondir les angles, et sont souvent assez agaçants à entendre.

Les termes médicalisants sont aussi à éviter, dans la mesure du possible (surpoids, obésité, etc.). D’autant plus que l’expression “sur-poids” sous-entendrait qu’il y aurait un poids, un sous-poids et un sur-poids.

Il n’y a pas vraiment de réponse idéale, le débat existe même au sein des milieux militants. Il est également toujours compliqué de s’entendre dire que l’on est gros·se lorsqu’on n’est pas sensibilisé·e à l’utilisation de ce vocabulaire. Et sur des populations jeunes, le mot “gros·se” peut faire des dégâts puisqu’il a encore une connotation négative

Si l’occasion d’en discuter avec les élèves se présente, il peut être judicieux d’ouvrir la discussion avec une question du type “comment préférez-vous qu’on qualifie les personnes grosses ?”. Peut-être qu’un débat très intéressant sur le vocabulaire s’ouvrira. Lors de cette discussion vous pouvez tout à fait préciser qu’il y a des personnes qui ne voient aucun souci à l’utilisation de l’adjectif “gros·se” pour se désigner, comme on pourrait utiliser “brun·e”, ou “grand·e”. Ce temps de discussion peut aussi permettre de sensibiliser les élèves à la question de la grossophobie.

Comment réagir face à l’infirmièr·e scolaire qui conseille un rééquilibrage alimentaire à des élèves ?

Déjà, il est possible de commencer par lui rappeler que l’expression “rééquilibrage alimentaire” n’est que la nouvelle expression pour parler de régimes, et que 95% des régimes sont des échecs

Il est dangereux de mettre un·e enfant / adolescent·e au régime, puisqu’iel n’a pas fini sa croissance, et que ces restrictions alimentaires peuvent amener des carences, mais peuvent aussi être la porte ouverte aux troubles du comportement alimentaire (TCA). Selon le Ministère des Solidarités et de la Santé, les TCA concernent environ 600 000 adolescent·e·s et jeunes adultes entre 12 et 35 ans dont 90% de jeunes filles ou de femmes. Il y a également une prévalence des tentatives de suicide chez les personnes qui développent ce genre de troubles.

Le régime, ou rééquilibrage alimentaire, n’est pas la solution. La prise, ou la perte de poids n’est souvent que le symptôme de quelque chose d’autre et n’est pas révélateur de l’état de santé. Le rôle de l’infirmière scolaire, dans ce cas là, aurait été, si iel avait été formé à la question de la grossophobie, d’aller chercher plus loin que seulement le changement de poids.

Il est également possible renvoyer lea professionnel·le de la santé en milieu scolaire vers les ressources que nous avons produites, et notamment :

  • Quels conseils donneriez-vous à des jeunes filles pour ne pas subir le body-shaming, toutes les remarques liées à leurs corps ou la pression de la norme ?

C’est un travail de longue haleine, on ne se réveille pas un matin en ayant plus rien à faire de ce genre de remarques. L’expérience et l’âge te permettent de t’endurcir. 

Mais il est important de ne pas laisser passer ce genre de remarques, et de ne pas banaliser ce genre de discours

Si la personne concernée n’a pas l’énergie, il faudrait qu’elle puisse s’appuyer sur une personne soutien, sur un·e allié·e. Si on n’est pas concerné·e il est important de prendre la liberté d’agir dans ces cas-là protéger, sensibiliser, rassurerFaire communauté et solidarité est important, et permet de faire face plus facilement à la grossophobie et au body-shaming. 

Déconstruire sa grossophobie intériorisée peut aussi être une étape importante, puisque celle-ci peut nous rendre plus vulnérable face à ces attaques. Être bienveillant·e avec soi-même est la clé. Dans tous les cas, il ne faut surtout pas laisser passer les propos et les actes grossophobes, et stigmatisants.

Queer avec un Gros Q, en quoi la grosseur est un enjeu queer et féministe

Queer avec un Gros Q, en quoi la grosseur est un enjeu queer et féministe ?

Traduction d'un article de Anna Mollow

Peu après la prise de fonctions de Barack Obama en 2009, la première dame Michelle Obama a lancé une campagne nationale d’amincissement intitulée « Let’s Move! » (« Bougeons ! ») et, par là même, une nouvelle escalade de la « guerre contre l’obésité » déjà profondément enracinée aux États-Unis, semblant surfer sur les thèmes de campagne de son mari, l’espoir et le changement, tout en favorisant nettement le secteur de la perte de poids qui représente 60 milliards de dollars par an dans le pays. 

Tout comme lors des guerres métaphoriques précédentes (contre les drogues et le terrorisme), dans ce combat contre la grosseur, il est difficile de distinguer les héros des ennemis ou, selon les termes rendus célèbres par l’émission de télé-réalité The Biggest Loser, aussi brutale que populaire, de distinguer les grands gagnants des « grands perdants ». Celles et ceux qui poursuivent le combat dans la guerre contre « l’obésité » font parfois preuve d’ambiguïté quant à ce qui (les kilos ?) ou qui (les personnes grosses vues à la télé en train de manger des frites ?) en constituent les cibles. « Détester le péché mais aimer le pécheur » pourrait être le cri de ralliement du combat de l’Amérique contre le vice présumé qu’est la grosseur. Cibles constantes de moqueries, emblèmes pratiques de la « mauvaise santé » et du manque de contrôle, épouvantails d’un avenir dont il faut préserver nos enfants : les personnes grosses sont-elles ce que les personnes queers étaient pour la génération précédente ?

Depuis la création de The Fat Underground en 1973 par les féministes radicales Judy Freespirit et Aldebaran, les militant·es gros·ses s’efforcent de mettre en lumière la nature inséparable de l’homophobie et de la grossophobie. De nos jours, une communauté grosse et queer dynamique met au premier plan cette même intersection. Mais les communautés queers dans leur ensemble n’ont pas encore épousé la cause de la libération des personnes grosses. « Je n’ai pas l’impression qu’en général, l’attitude des gays et lesbiennes quant à la corpulence permet aux personnes grosses de se sentir acceptées, » note la militante grosse et queer Julia McCrossin.

Elle donne en exemple les programmes de perte de poids promus par le Mautner Project (l’organisation nationale lesbienne pour la santé), qui reposent sur la croyance qu’il est mauvais pour la santé d’être gros·se. Il s’agit du premier parallèle entre l’oppression des personnes grosses et l’homophobie : la présomption largement partagée qu’il est question d’une affection dangereuse.

En 1966, le magazine Time décrivait l’homosexualité comme une « maladie pernicieuse ». Aujourd’hui, « une épidémie mortelle » est le cliché le plus courant pour parler d’« obésité ». Les termes « obèse » et « en surpoids », privilégiés par un corps médical qui reçoit de généreuses dotations de la part du secteur pharmaceutique (qui fabrique des médicaments visant la perte de poids) et du secteur des régimes (qui finance la majeure partie des grandes études sur l’« obésité »), et qui a lui-même tout intérêt à pathologiser la grosseur (la chirurgie bariatrique est une affaire de gros sous), donnent l’impression qu’un poids supérieur à la moyenne constitue une maladie. Mais la corrélation entre corpulence et santé est en fait minime. Les risques liés à l’« obésité morbide » ne sont pas plus élevés que ceux liés au fait d’être de sexe masculin, et les personnes « en surpoids » vivent plus longtemps que les personnes de poids « normal ». De plus, l’idée que la grosseur représente un risque pour la santé passe outre un principe élémentaire de l’analyse statistique : corrélation n’est pas causalité. Les petites différences d’espérance de vie entre les personnes de corpulence moyenne et les personnes très grosses ne sont probablement pas dues au poids lui-même, mais plutôt à des facteurs liés à la grosseur : stigmatisation sociale, discrimination économique, ainsi que les effets néfastes des régimes restrictifs et des médicaments visant la perte de poids.

Les conservateurs mettent l’« épidémie d’obésité » dont parlent tant les médias sur le compte d’un manque de volonté individuel, tandis que les libéraux accusent les fast-foods, les repas scolaires riches en calories et les emplois sédentaires. Mais il est peu probable que l’un ou l’autre de ces facteurs soit responsable de notre grosseur. Après tout, les personnes minces regardent la télévision et mangent à McDo elles aussi, et il n’a jamais été prouvé que les personnes grosses consomment plus de calories, ou plus de « junk food », que les autres. Et comme de nombreux livres de qualité l’ont démontré (voir The Diet Myth de Paul Campos et Rethinking Thin de Gina Kolata pour des explications détaillées sur quelques-unes des informations scientifiques présentées dans cet article), nous ne sommes pas au beau milieu d’une « épidémie » de grosseur. Depuis 1990, les Américain·es ont pris, en moyenne, environ 7 kg. Il n’y a guère de quoi s’alarmer, d’autant plus que cette augmentation modeste de notre corpulence collective peut être une bonne chose : une diminution du tabagisme pourrait être l’une de ses causes (arrêter de fumer donne généralement lieu à une prise de poids), tout comme la popularité grandissante de la musculation sous diverses formes (les statistiques sur l’« obésité » sont basées sur l’IMC, qui classe Matt Damon parmi les personnes « en surpoids » et Tom Cruise dans les « obèses »).

La grosseur n’est pas non plus un « style de vie », un qualificatif que les conservateurs emploient souvent à propos de l’homosexualité. La corpulence est avant tout déterminée par la génétique, et si les régimes et programmes d’exercice physique peuvent donner lieu à une perte de poids à court terme, ils ont un taux d’échec de 95 % à long terme. Pourtant, comme les personnes queers vivant avec le VIH ou le SIDA, les personnes grosses sont stigmatisées pour un état de santé dont elles sont tenues pour responsables. Elles font l’objet d’intimidations de la part de conservateurs comme Mike Huckabee, de moqueries de la part de libéraux comme Jon Stewart (à qui il ne viendrait évidemment pas à l’idée de plaisanter sur le dos des lesbiennes ou des gays), de sermons sur leur poids de la part des professionnels de santé, et subissent en plus un déluge de publicités promettant de « soigner » leur prétendu problème.

Ça vous rappelle quelque chose ? Les tentatives menées par la psychiatrie pour soigner l’homosexualité, peut-être ? Les inquiétudes de notre culture quant à l’« épidémie d’obésité », sa promotion d’un régime révolutionnaire ou produit miracle après l’autre, et son intimidation moraliste de celleux qu’elle estime « trop gros·ses » sont aussi propices à la haine de soi que le sont les « thérapies de conversion » visant les personnes queers. Mais alors que les dangereuses thérapies de conversion que les fondamentalistes religieux pratiquent sur les personnes LGBTQ sont à juste titre la cible de contestations politiques et d’interventions de la justice, l’utilisation de thérapies de conversion pondérales approuvées par le corps médical (autrement dit, les régimes) provoque bien moins de remous à gauche. « Let’s Move! », fait remarquer McCrossin, est en fin de compte « une thérapie de conversion, dans une version visant les personnes grosses, sponsorisée par le gouvernement et ciblant les enfants ». Si nous interdisons l’utilisation des thérapies de conversion sur les enfants (une pratique désormais condamnée par l’Association américaine de psychiatrie), pourquoi imposons-nous donc des programmes semblables aux enfants gros, exposant des adolescents, comme on l’a vu récemment, à l’humiliation et aux risques pour la santé qu’implique la compétition pour le titre du « plus grand perdant » ?

Notre psyché collective aurait-elle besoin d’un bouc émissaire ? Les personnes LGBTQ commencent à obtenir une certaine légitimité, alors peut-être faut-il leur trouver des remplaçants, et les personnes grosses (ainsi que d’autres personnes « marginales », comme les musulman·es, les immigrant·es, les sans-abri et les fol·les) font parfaitement l’affaire. S’il existe en nous toustes un besoin psychique profondément ancré qui nous pousse à faire d’un « autre » marginalisé l’objet de notre colère et de nos insatisfactions, alors comment pouvons-nous résister à l’envie d’obéir à cette pulsion ? Ce sont des questions que nous devrions nous poser ; mais au lieu de cela, il semblerait que nous préférions nous lancer dans des discours psychologisants quant à l’incapacité supposée des personnes grosses à résister à leurs envies. Nous parlons avec assurance des causes de la suralimentation (qui concerne forcément les personnes grosses, supposons-nous) : « manger ses émotions », l’« addiction à la nourriture », la grosseur comme « bouclier » face à une sexualité « normale », la nourriture en guise de « substitut à l’amour ».

Ces explications dignes de psychologues de comptoir sont aussi spécieuses que les théories que l’on entendait autrefois sur les « mères dominatrices » et les « pères absents » comme causes de l’homosexualité masculine, ou les « mauvaises expériences avec les hommes » comme prérequis au lesbianisme. Et pourtant, elles font figure de vérités généralement acceptées, même parmi les militant·es féministes et queers. Le poids, on le sait depuis longtemps, est un enjeu féministe ; mais le best-seller éponyme de Susie Orbach (1978, traduit en français en 2017) offre une thèse franchement grossophobe, incitant ses lecteur·ices à réussir une « perte de poids permanente » en apprenant à « régler [leur] compulsion alimentaire ». Læ théoricien·ne queer Lauren Berlant contribue également à la dévalorisation de la grosseur (et peut-être, par mégarde, aux préjugés racistes et classistes) en s’inquiétant des « sous-prolétaires américain·es » et personnes racisé·es qui succombent à une « mort lente » due à l’obésité.

La mort, lente ou rapide, est ce qui nous fait vraiment peur lorsque nous faisons une fixation sur l’« épidémie d’obésité ». Comme l’a écrit Leonard Pitts, chroniqueur progressiste soutenant la cause homo : « nous sommes une nation de gros lards qui se dandinent vers leur perte ». C’est non seulement cruel, mais factuellement inexact : les Américains n’ont jamais vécu aussi longtemps. Cependant, la remarque de Pitts est intéressante car elle clarifie la fonction que le concept d’obésité occupe dans notre culture actuelle. L’obésité et l’homosexualité se ressemblent et se recoupent, les deux termes permettant aux Américain·es de parler par procuration de leurs angoisses à propos de la mort, du handicap et de la maladie. Dès qu’il est question du SIDA, les commentateurs conservateurs dénoncent la « maladie » de l’homosexualité et qualifient l’homosexualité masculine de « culture de la mort ». Si l’on en croit la droite, les sexualités queers représentent une menace pour nos enfants, un risque pour la sécurité nationale et un fléau pour notre avenir. On retrouve le même genre de discours lorsque l’on parle d’« obésité », à gauche comme à droite : les personnes grosses sont accusées de « mourir de trop manger », d’affaiblir notre armée, de surcharger notre système de santé et de favoriser la maladie chez les enfants.

De toute évidence, les revendications homophobes sont indissociables de la peur et de la haine envers les personnes grosses dans notre culture. L’injure « grosse gouine », qui sert à maintenir sous contrôle des femmes de toutes corpulences et orientations sexuelles, est un parfait exemple des intersections profondément enracinées entre grossophobie et homophobie. Le fait est qu’une nouvelle étude, financée au niveau fédéral, cherche à déterminer pourquoi les femmes et jeunes filles lesbiennes et bisexuelles font partie des populations « les plus durement touchées » par l’« épidémie d’obésité ».

Les femmes queers ne sont pas le premier groupe à faire l’objet de ce genre d’attention : les niveaux disproportionnés d’« obésité » parmi les populations latinx et afrodescendantes sont aussi ciblés par différentes interventions de santé publique depuis des décennies. Dans le chapitre qu’elle a rédigé dans The Fat Studies Reader (2009), Bianca D. M. Wilson décrit ce qu’elle ressent en entendant des déclarations sur le thème « c’est mal d’être gros » appliqués aux communautés auxquelles elle appartient : « Cela me rappelle que j’appartiens aux “populations cibles”, les personnes noires et grosses ou lesbiennes… Leur discours sur ma mort prématurée et imminente en raison de ma corpulence se juxtapose à mes expériences et mon travail au sein des communautés noires homosexuelles, ce qui démontre qu’il existe des ennemis bien plus dangereux pour la santé et le bien-être des femmes noires lesbiennes et bisexuelles que la graisse de notre corps, comme la violence, la pauvreté et l’oppression psychologique. » 

Les programmes anti-obésité à destination des personnes racisées et des femmes queers ne peuvent qu’exacerber les problèmes évoqués par Wilson : en renforçant les préjugés grossophobes, ils exposent ces groupes à davantage de violence, de discrimination économique et d’hostilité de la part de la culture dominante. Comme le fait remarquer Margarita Rossi, une militante grosse, queer et latina, dans une interview avec Julia Horel de Shameless Magazine : « la grossophobie sert souvent de prétexte au racisme, et inversement ».

En tant que militant·es antiracistes, féministes et queers, nous devons faire de la libération des personnes grosses un aspect central de notre travail ; nous devons rejeter de façon explicite et sans équivoque l’idée que la corpulence est un « choix de vie » qui peut ou devrait être changé. Et ne nous y trompons pas : il est dans l’intérêt de toustes, quelle que soit notre corpulence, de devenir les allié·es des personnes grosses. Je suis une femme mince, et pourtant, ma vie me donne bien des raisons de combattre l’oppression des personnes grosses. Comme la plupart des femmes, j’ai passé des années terrorisée à l’idée d’être ou de devenir « trop grosse » (ce n’est pas une coïncidence si pendant ces mêmes années, j’avais aussi très peur d’être ou de devenir lesbienne). Ma compagne (et future épouse) est une femme grosse. La vie avec une maladie chronique souvent considérée comme « psychosomatique » m’a appris ce que c’est que de se voir reprocher une condition physique sur laquelle je n’ai absolument pas prise. Un jour, je serai peut-être grosse, moi aussi. Et j’en ai assez des oppressions de toutes sortes : je refuse de participer à la maltraitance d’un groupe entier de personnes sous le simple prétexte que leur apparence ne correspond pas aux idéaux hégémoniques de la « normalité ».

La guerre contre la grosseur, tout comme les tentatives visant à « guérir », « convertir » ou « réparer » les sexualités queers, va échouer. Tout comme (et nous devons nous en assurer) la guerre contre les personnes grosses. Si vous voulez dire que vous étiez du bon côté de ce combat quand la libération des personnes grosses deviendra mainstream (ce qui arrivera tôt ou tard), les possibilités ne manquent pas. Pour commencer, arrêtez les régimes. (Et si vous dites que vous n’êtes pas au régime mais que vous adoptez simplement une « façon de manger plus saine », demandez-vous si vous continueriez à respecter ces restrictions alimentaires si vous saviez qu’elles allaient vous permettre d’être en meilleure santé, mais avec 20 kg de plus.) Évitez tout discours ayant trait aux régimes : prenez conscience que des remarques comme « il faudra que j’en fasse plus à la salle demain pour évacuer ces calories » ou « est-ce que j’ai l’air grosse avec ce pantalon ? » sont aussi problématiques que les craintes que certains vêtements ou accessoires risquent de vous donner l’air queer. Au lieu de complimenter les gens avec des adjectifs comme « menu·e », « mince » ou « svelte », trouvez d’autres aspects qui méritent vos éloges. Faites disparaître les mots « obèse » et « en surpoids » de votre vocabulaire, et remplacez-les par « gros·se », tout simplement.

Commencez à regarder les personnes grosses d’un œil nouveau ; vous remarquerez qu’elles sont aussi belles et sexy que n’importe qui d’autre. Si jusqu’ici, vous aviez exclu les personnes grosses de vos partenaires sexuel·les potentiel·les, incluez-les et excluez plutôt les grossophobes. Partez à la découverte de la blogosphère grosse (ou la « Fat-O-Sphere », comme l’appellent Kate Harding et la contributrice au magazine Bitch Marianne Kirby dans leur fabuleux guide anti-régimes). Profitez des réflexions de Tasha Fierce sur la race, le sexe et la mode grande taille sur son blog, et renseignez-vous sur les avantages immérités de la minceur sur This Is Thin Privilege. Rejoignez un groupe qui lutte à la fois contre le racisme, la grossophobie et les LGBTQphobies (comme NOLOSE ou It Gets Fatter). Soutenez la campagne « I stand against weight bullying » qui conteste le harcèlement des enfants gros validé par le gouvernement. Mangez un cookie. Ou de la tarte. Oubliez la « culpabilité ». Et faites passer le mot : beaucoup de gens n’ont jamais entendu parler de la grossophobie ou de la libération des personnes grosses, mais une fois qu’iels seront au courant, iels sauront, comme vous, ce qu’il faut faire pour arranger les choses. 

Article, publié le 10 mai 2013, disponible en version originale : cliquez ici.

Photo featuring plus-size model by Michael Poley of Poley Creative for AllGo, publisher of free stock photos featuring plus-size people.

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Transcription du podcast “C’est compliqué – Corps gros, séduction et sexualité” publié sur Slate Audio

Photo par @teresasuarezphoto lors de l’enregistrement du podcast.

Lors du Très Gros Festival, qui a eu lieu le 28 août au Wonderland à Paris, nous avons eu l’occasion d’enregistrer deux podcasts « C’est compliqué » animés par Lucile Bellan et publiés sur Slate Audio. Pour le deuxième podcast, “Corps gros, séduction et sexualité” nous avions invité·e·s autour de la table Kiyémis, autrice, poétesse et afro-féministe, Marie de Brauer, journaliste et autrice du documentaire “La Grosse vie de Marie” et Nicolas Maalouly, président de l’association les Ours de Paris, association d’hommes gays et gros, et de leurs amis.

Vous pouvez écouter le podcast sur le site de Slate Audio : cliquez ici.

Dans un soucis d’accessibilité, nous avons fait appel à quelqu’un pour transcrire ces podcasts à l’écrit. Merci à Ploutre, @ploutre_ sur Twitter, de nous avoir transcrit ces podcasts. N’hésitez pas à faire appel à elle pour des missions de transcription.


Gras Politique

Slate Podcasts

C’est compliqué

Corps gros, séduction et sexualité

http://www.slate.fr/audio/cest-complique/très-gros-festival-corps-gros-seduction-sexualite-81

55’42

Transcription par @ploutre_


[Générique Slate Podcasts]

Lucile : Et bien bonsoir ou bonjour selon le moment où vous écoutez ce podcast, nous c’est le soir. Bonsoir à toutes et à tous, merci d’être là pour l’enregistrement de cet épisode hors-série du podcast C’est Compliqué. Nous sommes au Wonderland pour le Très Gros Festival organisé par Gras Politique [applaudissements et wouhous]. Je suis Lucile Bellan et j’ai avec moi autour de la table Kiyémis, autrice, militante afroféministe et poétesse.

Kiyémis : Bonsoir !

Lucile : Nicolas…

Nicolas : C’est moi !

Lucile : Président des Ours de Paris. [applaudissements]

Nicolas : Mon public. [rires]

Lucile : Et Marie de Brauer, créatrice de contenus sur internet et autrice du documentaire La Grosse vie de Marie.

Marie : Bonsoir ! [applaudissements]

Lucile : Alors là dans cet épisode on va parler de sexualité.

Marie : Brrrah ! [rires] Non je plaisante.

Lucile : On va parler de dating et de sexualité en particulier. On va commencer par le dating parce que c’est plus logique dans ce sens là, quand même.

Marie : Ah bon ?

Kiyémis : Quoique, oui j’allais dire… [rires]

Lucile : D’abord on rencontre les gens [rires]. Est-ce que ça existe des endroits de dating safe pour les personnes grosses ?

Nicolas : En tout cas, nous pour les ours on en a trouvé. Je pense que c’est important de draguer, sur des applis safes qui sont faites pour les ours par les ours et pour les gens qui aiment les ours. Nous il y a quelques années, on avait Bear W, aujourd’hui il y a encore plus d’applications comme GROWLr ou Scruff, qui sont des applications qui sont effectivement safe, où quand on y va on ne va pas nous dire « non, je ne cherche pas de gros » – on va en tout cas moins lire « pas de gros » ou des choses comme ça. C’est important de draguer sur les applis, de trouver ces applis là où on se sent un peu en sécurité parce que ça va donner un peu plus de sécurité et de confiance en soi. Ce qui est quelque chose qui manque beaucoup parce qu’on nous a dit pendant des années « non, tu es moche, tu ne plairas jamais, tu ne trouveras personne »… On a toujours imaginé ça, donc il y a un moment il faut chercher cela et le trouver. Et avoir confiance en soi aussi pour recevoir cette…

Lucile : Mais donc c’est pas des espaces mainstream ? On est sur des espaces spécialisés ?

Nicolas : C’est effectivement des espaces spécialisés, oui.

Lucile : Parce qu’il existe des espaces spécialisés pour les femmes grosses en particulier, mais c’est plus pour les mettre en relation avec des mecs qui les fétichisent.

Marie : C’est ça. Moi je suis une meuf hétéro – Marie de Brauer, bonjour [rires] – et j’ai donc pas mal pratiqué les applications de rencontre. « Existe-t-il un espace safe ? », j’ai envie de vous dire “Non”. C’est mon expérience personnelle.

Lucile : Mais du coup comment tu fais ?

Marie : Eh bien j’ai une vie amoureuse et sexuelle pas ouf [rires] si vous voulez tout savoir. Donc s’il y a des hommes sympas…

Kiyémis : Helloo… ! [rires]

Marie : … qui veulent slider dans mes DM ! [rires et applaudissements] Bon ça va, ça va mettre mal à l’aise tout le monde. Ce qu’il s’est passé, c’est que pendant longtemps j’ai quand même essayé : comme c’est des applications hyper mainstream, il y a tout le monde. S’il y a moi dessus c’est qu’il y a d’autres gens sympas c’est sûr – je me considère comme quelqu’un de sympa – j’ai des potes qui sont sympas et qui sont dessus, j’ai fait des chouettes rencontres quand même. Quand on est une femme sur ces applis il y a une vague de gens, il y a vraiment énormément de likes. Peu importe à quoi on ressemble, il y a des gens qui likent… et bien il faut faire le tri. Donc sur 10 mecs qui m’ont liké, il va y avoir 5 « salut, ça va ? » et peut-être un « eh la grosse là elle doit bien sucer vu qu’elle est grosse » – et t’es là… « bonjouuur, bonjour bonjour, enchantée ».

Lucile : Kiyémis, ton expérience ?

Kiyémis : Mon expérience est un peu similaire, pour ceux qui ne me connaissent pas je cumule le fait d’être grosse et le fait d’être noire.

Nicolas : Bonsoir !

Kiyémis : Bonsoir ! [rires] Et d’être femme évidemment. Donc non, il n’y a pas du tout d’appli, en tout cas moi je n’en connais pas. Celles et ceux qui en connaissent qu’ils le disent s’il vous plaît ! J’étais sur les applis classiques style « Adopte un mec », « OK Cupid » – et j’ai pas fait Tinder je crois. Non il y a pas d’appli safe. Ce que je faisais, ce qui est je pense quelque chose à double tranchant, c’est que je disais – ça se voit que je suis grosse – mais je précisais quand même « si t’as peur des grosses, ce n’est pas ici, voici la sortie ». Je le précisais dans mon profil parce que je pense que je considérais que c’était une forme de protection que je proposais, parce que je n’étais pas prête à gérer un potentiel rejet ou une potentielle remarque. C’est à double tranchant parce que t’as sûrement pas de mec qui sont dans le délire « pas de grosse », par contre il y a des mecs qui vont te dire soit « j’ai jamais fait une femme noire » – bon OK, qu’est ce que je suis censée faire, là, je suis pas une pizza – ou soit cette hyper-fétichisation : « t’es une femme grosse, donc tu dois bien sucer », et surtout limite « tu dois me sucer en secret ». Je pense qu’on va peut-être aborder ça à un autre moment mais voilà, pas d’appli safe non.

Lucile : Comment on se protège de cette fétichisation-là ? Il n’y a aucun moyen ? Est-ce qu’on peut en profiter aussi ?

Marie : Est-ce qu’on peut en profiter, je ne suis pas certaine parce que c’est pas ouf pour l’estime de soi. C’est vrai que cette fétichisation – c’est peut-être un peu précis tout de suite – je l’ai mal vécue parce que je me suis mise dans la position : « ah du coup c’est des gens qui veulent bien de moi, donc c’est déjà ça ».

Kiyémis : Mh mh [d’approbation].

Marie : C’est horrible de construire sa sexualité à 17 piges basé sur ça, et ça a été un long taf de déconstruction pour arrêter de penser que « c’est quand même déjà pas mal, il bande, putain c’est fou quoi, woouh » [rires de Kiyémis] Non. Du coup, est-ce que j’en ai profité parce que je consommais une sexualité en mode « OK, je me prouve que je peux désirer » – enfin que « je peux être désirée » ? Je pense que pour moi ça a été plus l’inverse : ça a été plus négatif qu’autre chose.

Nicolas : Je pense qu’il y a un moment où on passe du « gros qui ne plaît pas, qui n’a pas de succès » sur des applis comme ça, à quelqu’un qui va avoir beaucoup de succès, donc ça peut être grisant. Mais il y a un moment, il faut aussi savoir si on est aimé pour soi, pour son gras, pour sa personnalité… et il faut pouvoir sélectionner. Nous en tant que personnes LGBT, on a longtemps cherché les espaces safes, et c’est pour ça qu’on se retrouve entre nous dans ce qu’on appelle le communautarisme, parce que ce sont des endroits où on est à l’aise. Du coup, entre personnes PD grosses qui sommes déjà en marge – une marge dans la marge – on s’est retrouvés entre nous, on a créé des lieux pour ça, et on a cherché. On s’est toujours dit « il faut qu’on soit aimé malgré le fait qu’on soit gros », et on le dit toujours. Je pense qu’il y a un moment dans la vie où il faut se dire « je peux aussi être aimé pour ça et c’est pas grave », ça peut faire avancer les choses. Arrêter de se dire qu’il faut être aimé malgré le fait qu’on soit gros, donc être le rigolo, être le ci, le ça : on n’est pas toujours considéré comme sexy ou sexuel. D’un coup, retrouver une image sexuelle de soi peut faire du bien. On peut y trouver quelque chose pendant un moment, mais il faut aussi passer au-delà de ça : passer à la réalité, à de vraies rencontres. Il n’y a pas que internet et la drague qui est consumée comme ça, et forcément cela facilite des rejets rapides, des phrases chocs : c’est facile d’écrire “grosse” ou “gros”.

Lucile : Vous parliez tout à l’heure du côté caché, est-ce vraiment une composante – pour les personnes qui fétichisent les personnes grosses, en particulier via les applis – de dire « tu es ma personne grosse mais cachée » ? Mon plan cul gros ?

Kiyémis : Moi ça ne m’est pas arrivé qu’on le formule comme ça. Je pense qu’il y a plusieurs choses. Pendant très longtemps, j’étais dans un groupe d’ami·e·s ou j’étais la meuf grosse. J’étais une des meufs noires – on était pas beaucoup – et en plus j’étais la meuf grosse. Déjà, il y a une différence entre les expériences des meufs qui sont minces, qui étaient blanches en plus, un peu plus dans la norme ; et ta propre expérience de meuf grosse. Parfois, ça commence par « il n’y a rien », comme tu disais tout à l’heure.

Ensuite, j’ai vécu la même chose : tu rentres dans un monde tu te dis « ah mais en fait je suis bonasse moi aussi ! » – en clair « j’ai envie de baiser » – donc tu te modèles pour recevoir une validation. En tout cas c’est ce que j’ai fait. Ensuite au bout d’un moment, j’ai constaté que des femmes qui étaient plus dans la norme – minces, blanches, les cheveux très longs, etc. – avaient des aventures qui étaient quand même très particulières. Souvent elles avaient des mecs, les mecs sortaient avec, elles allaient à l’extérieur, etc. Les expériences que j’ai eu, peut-être du fait que c’était beaucoup de dating au début, étaient un peu différentes. J’ai eu aussi des mecs mais c’était moins systématique, donc je me disais « ah mais attends c’est marrant ». C’est aussi le moment où j’ai commencé à être avec des amies femmes grosses non-blanches et blanches qui disaient aussi « ah c’est marrant il a une meuf », « c’est marrant on sort pas trop », « je vois pas ses potes ». Il m’est arrivé plus souvent qu’on me propose des situations où ce n’était pas « on va dans un bar ». Je dis pas que les femmes minces ne vivent pas aussi ces situations – il y a des mecs qui te disent « on va direct chez moi » – mais j’ai eu cette impression, aussi en discutant avec d’autres meufs grosses qui ont eu la même expérience, de rencontres qui devaient être cachées.

Marie : Le fameux lundi soir entre 19h et 23h, quand il pleut quoi.

Kiyémis : C’est bizarre parce que, bon chacun a sa libido, mais c’est un vrai problème quand tu es dans une situation où tu n’as pas envie de te faire fétichiser et on te dit « ah t’es noire » – parce qu’il y a beaucoup de fantasmes liés aux femmes noires qui ont des formes. On ne sexualise pas le ventre : il y a des formes qui sont sexualisées spécifiquement, d’ailleurs c’est à la base de la grossophobie. Mais c’est pas le même respect ! J’ai envie de nuancer parce que je sais que le patriarcat touche aussi les femmes minces, mais je pense qu’il y a vraiment une expérience spécifique d’être dans un monde qu’ils considèrent à l’opposé du canon de beauté : tu n’es pas mince, pas blanche, pas toute petite, pas toute frêle – bon je suis un peu grande gueule aussi donc ça aide pas. Les réactions des mecs étaient… certains qui étaient vraiment dans la norme, pour le coup, ne m’ont jamais proposé de voir leurs potes par exemple. Pourquoi ?

Nicolas : Effectivement, j’ai eu un amant régulier, au départ on ne se pose pas trop de questions mais à un moment il me l’a formulé clairement : « je ne veux pas être vu avec une personne grosse, je ne veux pas être vu dans la rue avec toi ». Pourtant il était souvent chez moi, on baisait beaucoup et je lui plaisais manifestement. Mais on ne sortait jamais, et à partir du moment où il l’a formulé, pour moi c’était un élément de non-retour. Quand il m’a dit « non je ne veux pas être vu avec une personne grosse » j’ai trouvé ça vraiment… à partir du moment où on s’aime, c’est une situation qui ne peut pas être… c’est étonnant à entendre. Pour quelqu’un que tu vois plusieurs fois, assez souvent…

Lucile : Étonnant et douloureux.

Marie : Et c’est violent quoi !

Nicolas : Et c’est quelqu’un qui m’a dragué, pas l’inverse. Du coup c’est très étonnant à entendre – il y a des gens qui disent ça comme si c’était pas grave de le dire. Ils ne se rendent pas compte de la grossophobie qu’il peut y avoir là-dedans, de dire « non je ne veux pas être vu avec toi dans la rue » et pourtant…

Lucile : « J’assumerai pas d’être avec toi », en fait.

Marie : C’est hyper violent de le verbaliser. Ce n’est pas forcément verbalisé, moi j’ai plus d’expériences de constat. Je constate que la rue : non, l’intérieur : oui. Mais il y a quand même une expression ignoble qui dit « une femme grosse on est bien dedans, mais on sort pas avec, c’est comme les pantoufles », machin…

Lucile : C’est horrible !

Marie : Je l’ai mal dit je la refait ! S’il vous plaît, je la refait, ne riez pas : « une femme grosse c’est comme les pantoufles, on est bien dedans mais on sort pas avec ». C’est pas horrible ? Si, dites oui ! [rires]

Kiyémis : La violence. C’est totalement horrible [rires].

Lucile : C’est atroce mais comme beaucoup de blagues atroces, parfois un peu dans la réalité. La question des sites de dating safe, on va y revenir, mais tu disais que pour les bear il y avait des choses spécifiques intra-communautaires qui étaient faites. Je pose la question, c’est juste entre personnes grosses ? On est pas obligé d’être forcément attiré par des personnes qui ont exactement le même physique que soi… enfin j’imagine.

Nicolas : Oui, enfin – ça va te donner un indice sur mon âge – moi j’ai commencé à draguer sur le minitel et forcément je débarquais chez les gens [rires] et oui, et oui… Je débarquais chez les gens (on ne s’échangeait pas de photos, on ne voyait pas les gens) et il y a eu des cas où on ouvrait la porte et la personne te regardait et disait « non ça va pas le faire ». Aujourd’hui, sur une appli, on va pouvoir se montrer, on va voir qui on est – c’est vrai que souvent les ours aiment bien les ours et être avec des ours – ça créé un endroit où on va pouvoir enlever son t-shirt ou sa chemise dans une soirée sans que ce soit un problème. On ne va pas se poser des questions pendant des heures en se disant « putain j’ai un bourrelet, j’ai un gros bide, etc. ».

Il y a des gens qui aiment les ours, il y a des ours qui aiment les ours, dans tous les cas c’est un endroit où l’on essaye d’être bienveillant. On va être moins confrontés à de la violence, comme quand tu vas faire exprès de sortir dans un endroit où tu es sûre qu’on ne va pas t’embêter parce que tu es une femme, ou que tu es noire ou lesbienne. C’est des techniques de survie de trouver le juste moyen entre plaire, la réalité et les envies de sexualité. Les gros sont souvent sortis de la sexualité. Enfin, c’est les deux extrêmes : soit ils sont pas du tout sexualisés, par exemple j’ai mis beaucoup de temps pour avoir ma première relation sexuelle parce que comme j’étais gros, je n’étais pas du tout sexualisé. Je sortais dans le milieu PD et on me disait « pardon, ici c’est une soirée PD » parce que comme j’étais gros, je n’étais pas supposé être PD. J’étais obligé de dire « mais si pardon je suis quand même PD hein », ça m’est arrivé à l’entrée du Queen. Du coup c’est d’une extrême à l’autre : on est sexualisé ou on est pas sexualisés.

Il y a les applis et il y a aussi les endroits où on peut sortir. Les refus dans la vraie vie il y en a aussi, c’est moins violent. On peut rencontrer des gens sur des applis, quand on les rencontre dans les bars on reconnaît les gens, on a vu leur photo, il y a moyen de se dire juste “salut” et dédramatiser le truc de l’appli.

Lucile : Marie ?

Marie : Pour répondre à « on peut être une personne grosse qui n’est pas forcément attirée par des personnes grosses », je pense que de base, qu’on soit mince ou pas, qu’on soit gros ou pas, partir du postulat « les personnes grosses ne m’attirent pas » c’est problématique de ouf [applaudissements] parce que le désir ça se déconstruit. Par exemple (je vais prendre mon cas personnel), je sais que quand j’étais jeune, je n’étais pas attirée – c’est ce que je disais hein – par des mecs gros. Je ne m’étais jamais posé la question, juste « c’est comme ça ». Et en fait, après avoir travaillé là-dessus et avoir déconstruit des trucs, c’est parce que je voyais mon propre corps comme indésirable. Donc je n’allais pas trouver un corps similaire désirable puisque le mien ne me plaisait pas. Ensuite il y avait ce truc de représentation sociale : on allait pas être les deux gros qui se baladent main dans la main. Le désir ça se déconstruit. Alors, je veux bien, c’est le truc le plus intime qui est au fond de nous donc je ne crie pas sur tous mes potes qui ne datent que des personnes minces et blanches en leur disant « Vous êtes des cons ! » [rires] mais je le pense un peu.

Nicolas : T’as raison.

Marie : En vrai changer son regard c’est vraiment possible. Datez des gens gros, les gars, pas de galère hein !

Lucile : [rires] C’est un bon conseil. Kiyémis ? Tu as quelque chose à ajouter là-dessus ?

Kiyémis : Je suis tout à fait d’accord, il y a beaucoup de choses intéressantes à dire sur « le désir, ça se déconstruit ». Première chose c’est que moi, au contraire, j’étais attirée par les mecs gros. Mais c’est un truc de patriarcat : moi j’étais grosse donc un mec gros je me disait « il va pas se casser » ce qui est un peu… particulier parce qu’en fait aucun mec ne s’est cassé, que je sache. Mais il y avait un truc ou j’étais un peu rassurée de me dire « oh il a du bidou, c’est bon, je vais pouvoir faire des choses », je ne vais pas avoir peur. C’est particulier de se dire qu’avec son corps « tu peux casser quelqu’un », mais bon c’est un autre débat. Je pense que c’est un truc du patriarcat de me dire que j’étais attirée par les mecs gros – enfin, plus épais on va dire : épais en masse musculaire ou épais en grosseur – parce que je me disais « ah c’est bon je peux me mettre sur lui » en gros… je ne vous fait pas un dessin.

Ensuite sur la question du désir qui se déconstruit, c’est marrant parce que quand j’avais 16-17 ans (ce qui rétrospectivement est quand même jeune pour se le dire), je me disais « c’est mort j’attire personne dans mon bled paumé du 77, c’est mort pour moi ». Quand même à 17 ans se dire « c’est mort pour moi » c’est violent. J’allais à l’époque sur des sites, je ne sais pas si beaucoup de femmes grosses connaissent ce site « vive les rondes » [rires] – l’époque vive les rondes ! J’étais sur ce forum vive les rondes et je me souviens que j’essayais de poster mon message pour dire « oh là là, j’attire personne ». Donc je voulais un peu d’aide des femmes grosse de plus de 25 ans (maintenant c’est moi), qu’elles me disent « non mais t’inquiète ça va aller, tu vas attirer un mec un jour ». C’était intéressant parce que je voyais beaucoup de messages qui disaient « moi les mecs que j’attire c’est que des mecs arabes ou noirs ».

C’est marrant parce que c’était des autres meufs grosses qui disaient « en fait il y a un regard qu’on aime pas ». Il y a le regard masculin, le male gaze, mais il y avait aussi un coté « ouais mais c’est un certain type de regard qu’on veut aimer ». Ça m’a fait pensé à ce que tu dis, je pense que c’est important d’en parler : en tout cas moi dans les espaces de meufs grosses, j’ai beaucoup entendu des meufs – souvent des meufs blanches – qui disaient « moi j’attire que des mecs arabes et noirs » et moi j’étais là « mais hello ils sont où ? » [rires] moi je les vois pas trop sur moi en fait.

Je trouvais que c’était intéressant de déconstruire cette idée de la désirabilité, ce que c’est, genre tu es désirée par qui ? Quel désir est acceptable ? Comme tu le disais tout à l’heure, je ne dis pas que tout le monde doit sortir avec des mecs noirs ou arabes ou des meufs grosses. Maintenant c’est bon je pense que j’ai dépassé cette idée de « allez sortez avec moi !”, je sais que je suis canon donc il y en a qui vont sortir, il y en a qui vont… [wouhous et applaudissements] Mais vous l’êtes toutes et tous, ça va arriver ! Moi à 17 ans on m’a jamais dit un truc pareil mais c’est un autre débat. Mais je pense que c’est intéressant de se poser cette question de qui est-ce qu’on va attirer aussi ?

Lucile : Oui parce qu’il y a une question de l’ego là-dessus, à la fois de ce qu’on nous renvoie, de ce qu’on est prêts à entendre, prêt à accepter là-dessus ?

Kiyémis : Et qui valide ? Souvent, celui qui valide c’est un mec blanc, mince, hétéro et riche.

Lucile : Ils valident beaucoup de choses ces gens-là, on les entend beaucoup. [rires]

Kiyémis : Malheureusement.

Marie : C’est ça, avec le recul on se dit « Je me suis satisfait de si peu ?! » [rires]

Lucile : Globalement quand on couche avec des hommes ça arrive souvent. [rires]

Marie : Exactement !

Kiyémis : Ça balance ce soir !

Marie : Mais slidez dans mes DM quand même ! [rires]

Nicolas : Vous n’avez qu’à changer, arrêter de coucher avec des hommes.

Lucile : Ah mais moi je ne suis pas concernée [rires]. On va revenir sur cette histoire de casser des hommes en deux. Je pense que c’est le moment de rentrer dans le vif du sujet, dans la sexualité pure. J’ai une question un peu con, mais je pense qu’il y a plein de gens qui se la pose : est-ce qu’on pratique le sexe de la même manière quand on est gros ?

Kiyémis : Est-ce qu’on pose la question à des gens minces ? [applaudissements]

Lucile : On les voit baiser tout le temps en fait.

Kiyémis : Non mais il y a une partie de moi qui a envie d’y répondre, parce qu’il y a un truc pédagogique, et il y a une autre partie de moi qui me dit « est-ce qu’on baise de la même manière si on est noir ? » Enfin je sais pas, il y a un truc bizarre [rires] mais bon.

Lucile : Quand j’ai écrit cette question, je me suis dit « je vais pas demander ça… » et puis je me suis dit « en même temps la seule éducation sexuelle qu’on a – le culturel sexuel – n’est qu’avec des gens minces, où la femme est légèrement plus petite »…

Nicolas : Personne ne baise de la même manière, même nous avec chaque personne avec qui on couche : on n’est pas la même personne à chaque fois qu’on couche, et on couche différemment. La seule chose, quand on est gros, c’est se déshabiller en fait… se déshabiller est un problème. Quand on est gros, la première fois qu’on se déshabille devant quelqu’un, qu’il soit gros, mince, grand, petit – qui qu’il soit – c’est la première fois qu’on va se mettre à nu qui est compliquée. Parce que pendant longtemps on a entendu « tu as un joli visage, mais ton corps… », « tu as des jolis cheveux », « tu as un joli regard »… On ne nous dit que ça, on ne nous a jamais dit qu’on était beau. Du coup on a forcément un rapport compliqué avec notre corps, on se déshabille difficilement parce qu’on nous a toujours dit « c’est moche ». Pourquoi on nous a dit ça ? Donc forcément, quand on va baiser si on est pas à l’aise, on baise différemment. Sinon à chaque fois qu’on baise, on baise différemment et on n’est jamais en relation sexuelle pareil. [rires]

Lucile : Marie ?

Marie : Moi je ne parlerai pas de sexe… non c’est pas vrai. [rires] Je suis d’accord, c’est très interne : les questionnements vont se faire tous seuls et le lâcher prise peut être plus compliqué. On va peut-être se refuser à faire certaines pratiques qui pourraient nous plaire en soi, en se disant « non c’est pas possible je vais le casser », « non il va pas avoir accès » ou alors « c’est la honte » et ça créé des blocages. Il y a ça, et il y a aussi ce truc de « je n’ai de la valeur que dans la sexualité donc il faut que je sois meilleure qu’une personne mince ».

Kiyémis : « Que je performe », oui.

Marie : « Il faut que je sois le meilleur coup de sa vie parce que, déjà, il est sympa d’être là. » Il y a un double truc trop bizarre : je ne suis pas à l’aise parce que toute la société m’a dit que j’étais cheum, mais je vais quand même faire semblant d’être à l’aise et d’être « Wouhou c’est la vie ». À aucun moment je ne me suis demandée si moi je kiffais mon moment… C’est vraiment arrivé bien plus tard dans la vie, et c’est absurde. La question est technique, si les auditeurs et auditrices se posent la question « est-ce qu’on baise pareil ? » ben est-ce que vous, vous baisez pareil avec vos potes ? [rires] En soi, tout est faisable, on a les mêmes zones érogènes que tout le monde, enfin voila, chacun son petit schmilblick. Mais après oui, il y a des trucs qui sont très psy.

Lucile : On parlait de la fellation tout à l’heure, il y a vraiment un truc de se dire, à la limite « je ne vais pas le sucer » parce qu’il va forcément penser qu’elle le fait bien ou qu’elle en a envie ?

Kiyémis : J’espère que ma mère ne va jamais écouter ce podcast. [rires]

Marie : Moi j’espère que maman t’écoute [rire diabolique] « Maman, j’ai eu des rapports sexuels ! » [rires]

Nicolas : « Bravo ma fille » elle va te dire.

Marie : Et oui, elle sera fière de moi. [rires]

Kiyémis : Un truc que je voulais dire, je ne me suis pas braquée mais ça m’a vraiment posé question cette question. Je pense que parfois on se fait une idée de ce à quoi doit ressembler une relation entre guillemets “sexuelle”, là je vais parler avec un homme : le mec il doit te porter, il doit te plaquer contre le mur… Il y a des gens qui aiment bien, mais on a des idées très clichées sur à quoi cela doit ressembler. Et en tant que femme grosse, tous mes mecs n’étaient pas Teddy Riner…

Marie : Essaye de me porter, on va voir !

Kiyémis : Voila ! Parfois je pense qu’on peut aussi se dire « oh non mais il peut pas faire ça ». Ou par exemple quand c’est un mec qui n’est pas sorti qu’avec des meufs grosses « ah non mais peut-être… ». Parfois on est vraiment dans notre tête alors que franchement le sexe ça devrait tellement être un lieu de joie et d’exploration ! Mais tu es dans ta tête et tu te compares à ce que tu as vu comme image, alors que si un mec ne te porte pas, c’est pas grave ! C’est pas parce qu’il ne te porte pas que tu ne vas pas avoir des orgasmes et que lui non plus. Ou du plaisir, pas forcément l’orgasme d’ailleurs. On a des idées de « à quoi doit ressembler le sexe pour être une bonne relation » et ça vient souvent de Chine, de Hollywood où – soyons réalistes – ça ne doit pas être agréable pour les acteurs qui jouent ces scènes, en tout cas pour beaucoup je pense. Je pense que c’est surtout ça. Il y a aussi un truc, comme tu disais, sur la performance, franchement je me vois…

Marie : On te voit tous. [rires]

Kiyémis : Ha !

Marie : Je déconne, je déconne !

Kiyémis : Moi je suis un peu égocentrique mais c’est un autre débat. Je pense qu’il y a aussi un truc de se dire « allez on donne tout », que beaucoup de personnes ont, mais ça joue quand t’es une meuf grosse et que tu te valides… Comme tu dis : « ce qu’il me reste c’est le cul donc il faut y aller à fond ». Je pense que c’est surtout ça, c’est les images de ce à quoi ressemble le sexe, et souvent bah… oui parfois mon ventre est entre nous deux, et alors ? Non mais il faut dédramatiser le truc ! Oui parfois je suis pas méga souple, je suis pas championne de gymnastique, genre Simone Biles. OK, et alors ? Ce que j’ai envie de dire aux gens plus jeunes qui nous écoutent : ça n’a jamais rien empêché, donc tranquille ! [applaudissements]

Nicolas : C’est aussi parce qu’il n’y a pas de représentation. Ce qu’on voit c’est le porno, et ce n’est pas du tout la réalité de la sexualité, du coup c’est compliqué : on n’a jamais vu des gros dans des films. Voilà, on ne les voit pas ! Ils n’ont pas de sexualité normalement les gros, et c’est toujours étonnant, quand…

Marie : Nous trois, on est là pour vous prouver le contraire !

Nicolas : Chut, mon mec est dans la salle. [rires]

Marie : Et moi c’est faux, ça fait très longtemps. [rires]

Lucile : On parlait de représentation culturelle mainstream, de Hollywood, mais parlons de porno : des livres, des magazines, de tout ce qu’on veut – le cul qu’on montre dans les trucs de cul. C’est extrêmement compliqué de trouver des personnes grosses. La question c’est pourquoi, puisqu’a priori il y aurait des gens pour les consommer – a minima des personnes grosses ou les fétichistes puisqu’ils semblent très actifs.

Marie : C’est ça, dans le porno c’est classifié : les personnes grosses sont dans un tag, un truc précis, et en plus la représentation est clichée. Les femmes grosses sont forcément dominantes, etc., il y a tout un tas de pratiques et d’images qui sont implantées. Je n’ai pas de vrai chiffre sur le pourcentage que ça représente, je n’ai pas fait d’étude sur le porno, mais oui il y a des gens qui les consomment, et plus dans le fétiche.

Lucile : Mais moins pour éduquer, et même juste mainstreamiser le truc, montrer juste des gens gros qui baisent.

Kiyémis : Je pense que le porno, de toute façon, comme tu le dis Marie, c’est très… il faut déjà renforcer des cases. Pour une femme noire, le porno c’est « ebony », « un certain type »… On va dire que le porno n’est pas l’endroit où tu vas faire la révolution culturelle.

Nicolas : C’est global, les gens gros n’existent pas dans la société. Pas que dans la sexualité, ils n’existent pas dans la pub non plus, que ce soit pour acheter des voitures ou pour autre chose : les personnes grosses n’existent pas. Aujourd’hui on commence à peine à les voir dans quelques pubs pour des vêtements, parce que c’est justement pour en vendre et pour raconter que « si si, en fait on fait du double XL ». Sinon la personne grosse on ne la voit pas, on doit la cacher, et nous on doit se cacher. La seule chose d’éducation à faire c’est la visibilité, d’être là, d’être présent avec notre corps. Effectivement on va entendre des gens qui disent « tu prends de la place » et c’est ça qui les choque ! Si on est PD et qu’on prends de la place, c’est deux raisons pour que les gens disent « argh… tu prends trop de place ». C’est un problème de visibilité globale du corps gros, que ce soit dans le porno, ou dans la vie de tous les jours. Ce n’est pas pour rien qu’on se retrouve aujourd’hui à faire un événement qui s’appelle le Gros Festival : pour qu’on se dise « oui on peut venir et on va être à l’aise » ! On est obligés. Il y a des gens qui vont regarder et qui vont se dire « c’est quoi cette réunion de gros, qu’est ce qu’ils font ? »

Lucile : Qui parlent de sexe en plus !

Marie : J’en profite pour faire une mini pub pour moi-même [rires] c’est horrible…

Lucile : Vas-y, vas-y, c’est ton moment.

Marie : Justement, la visibilité c’est important. Moi je ne suis pas militante au sens premier, je ne suis pas la première ligne du militantisme mais sur Twitch et Youtube, je fais beaucoup de contenu qui parle de séduction, qui parle de Tinder, etc. Parfois évidemment je parle du fait que je sois une femme grosse, mais globalement ce n’est pas le sujet principal. C’est pas « une meuf grosse qui date et qui galère » c’est juste « une meuf qui galère et qui a envie de faire des blagues là-dessus ». Pour moi c’est faire une toute petite étape de visibilité, parce qu’il y a des gens qui viennent téma ça. Je ne parle pas de grossophobie particulièrement mais juste… la visibilité c’est hyper important.

Lucile : Mais ça aurait changé quelque chose pour le toi de 16 ans ?

Marie : De ouf, clairement, oui oui. Oh c’est beau, on va chialer. La petite Marie de 16 ans qu’est-ce qu’elle se serait dit ?

Kiyémis : J’ai des mouchoirs ! [rires]

Lucile : C’est pour ça que je parlais de porno, parce qu’il commence à y avoir des productions indépendantes, des choses engagées, en l’occurrence des pornos féministes.

Kiyémis : Mais il y a des meufs grosses ?

Lucile : Justement c’est la question que je pose, pourquoi il n’y a pas plus de femmes grosses et pourquoi il n’y a pas plus de femmes noires grosses ?

Kiyémis : Il y a des meufs grosses noires ?

Lucile : Il y en a probablement mais de façon extrêmement minoritaire. Chez les queers, dit-on au fond.

Kiyémis : Ah, chez les queers, OK.

Lucile : Du coup ça manque du côté des hétéros a priori. C’est encore le patriarcat.

Kiyémis : J’allais dire comme d’hab. [rires]

Nicolas : Toujours à la traîne.

Lucile : C’est cette représentation là qui manque au final. Je vais faire ma promo aussi : j’ai écrit un kamasutra que j’ai voulu un peu inclusif, et pour l’écrire j’ai bouffé tous les kamasutra de la planète. C’était ridicule, déjà parce qu’il y avait plein de positions que personne ne pouvait faire en réalité, et aussi parce que pour rendre certaines positions faisables en terme de dessin, il fallait normer les corps de manière ouf ! C’est à dire que fatalement l’homme faisait 20 centimètres de plus que la femme, et ils étaient lui très musclé, et elle très mince. Donc personne ne peut utiliser ce livre, ça n’a aucun intérêt sexuel.

Marie : Tu n’arrives pas à mettre tes pieds derrière la tête ? Je ne comprends pas. [rires]

Lucile : Ah mais il y avait des trucs, je te jure…

Kiyémis : Les Jeux Olympiques ?

Marie : Tokyo 2021, le cirque Pinder ! [rires]

Lucile : Écoute il y a Paris 2024 qui arrive…

Kiyémis : Je vous laisse ça, hein.

Lucile : Sur certains sites de rencontre on voit certaines femmes grosses mettre dans leur bio qu’elles ne veulent pas être la première personne grosse d’un nouveau ou d’une nouvelle partenaire.

Kiyémis : J’ai envie de dire plusieurs choses parce que je suis sur plein de plans. En même temps j’ai envie de dire « je comprends » parce que c’est très chiant d’être l’expérience de quelqu’un : la première personne grosse, la première personne noire, oh my god. J’imagine que c’est un moyen de protection. Parfois tu n’as pas envie d’expliquer des trucs, d’expliquer…

Lucile : Qu’est-ce qu’il y aurait à expliquer du coup ?

Kiyémis : Vas-y, Marie.

Marie : Grossophobie, racisme… Quelqu’un qui ne s’est pas du tout posé de questions sur la grossophobie et le fait d’être une personne grosse dans ce monde, forcément, il faut tout expliquer. Tu n’es pas à l’abris d’un « mais pourquoi tu ne fais pas un petit régime et un peu de sport ? ça me parait évident » et t’es là « oh la la, il faut prendre dès le début, c’est horrible ». Donc la flemme d’expliquer ça, et je suppose que pour le racisme c’est pareil – le racisme ordinaire, etc. – tu peux être confronté à des trucs pas ouf.

Nicolas : Oui, on est pas toujours prêts à expliquer, raconter plein de choses aux gens.

Lucile : Être disponible en fait.

Nicolas : On s’est éduqué tout seul, on a appris des choses, des fois on veut les partager mais avec nos amis, avec des gens proches, c’est des expériences personnelles qu’on va raconter. J’ai appris tout seul, tu apprends tout seul, et puis tu viens vers moi quand tu auras compris que tu vas pas fétichiser le fait que je sois libanais ou des choses comme ça.

Lucile : Mais vous accueillez des nouveaux chez les ours quand même ?

Nicolas : Oui oui on accueille les nouveaux ! Mais là on parle sur les applis ! L’associatif et les ours de Paris – un ours c’est un gros, un PD, un gros PD – c’est autre chose. Ce mouvement est apparu dans les communautés gays dans les années 70 : comme il y avait beaucoup de personnes épilées, musclées, on s’attendait toujours à ça pour les homos, d’être dans cette image-là. Donc s’est créé ce mouvement et ces personnes qui n’avaient pas d’endroit à eux ont trouvé l’occasion de faire des voyages avec des ours, rencontrer d’autres ours, aller dans d’autres pays, avoir des expériences.

Il y a des convergences d’ours dans des villes à des dates précises, où effectivement c’est très sexualisé : on y va, on rencontre des gens, on est libre, on baise, et on est à l’aise parce qu’il y a des choses qui sont déjà réglées ! On ne va pas expliquer des choses à tout le monde, et là les choses sont réglées et claires. On a déconstruit, on a appris, on est à l’aise avec notre corps et on va être à la plage avec d’autres gens qui sont gros : ce n’est pas pour rien qu’à Sitges il y a 2000 ours sur la plage début septembre. On y va parce qu’il n’y a pas plein de choses à expliquer – pourquoi t’es gros, pourquoi t’es comme ci, etc. On y est, on est gros, on passe à la suite et on vit notre vie.

Lucile : En fait on en revient encore au même : le problème c’est l’hétérosexualité. [rires]

Marie : On pourrait faire un podcast de huit ans sur le sujet. Je comprends le truc de ne pas vouloir, enfin… moi je sais qu’un mec qui va me dire « ah c’est la première fois » je vais trouver ça chelou qu’il me le précise, déjà, parce que pour moi ce n’est pas un sujet. T’as envie de coucher avec moi parce que je suis marrante – à la limite si t’as envie de faire un petit commentaire sur mes nibards, je ne t’en voudrais pas. Mais je trouverai ça trop bizarre qu’il me dise « oh putain c’est marrant t’es grosse, c’est la première fois que ça m’arrive ». Mais j’ai pas non plus envie d’être la cinquième meuf grosse avec qui il a une histoire, parce que je me dirais « oula, bizarre – je suis face à un fétichiste ». Du coup qu’est-ce qu’on fait ? bah… le célibat. [rires] Et l’abstinence.

Nicolas : Nooon…

Marie : Je rigole, je rigole ! Je fais beaucoup de blagues, c’est du second degré.

Kiyémis : Je pense que, déjà quand tu es sur une appli, c’est horrible – enfin je ne sais pas si c’est horrible mais c’est à se questionner – je pense que tu es beaucoup dans un truc de « tant qu’à faire, je vais faire ma liste de courses ». Ce qui est compréhensible en tant que meuf grosse et noire : j’ai plus tendance à dire « bon écoute, tu ne me vois pas mais sache que je suis noire, je suis grosse ». Noir c’est pas juste une couleur de peau, c’est des expériences. J’ai pas envie d’être prof dans mon pieu non-stop, en plus je ne suis pas payée. Et puis parfois j’ai juste envie de penser que tu as envie de moi.

Je pense qu’il y a aussi un phénomène quand tu es une meuf grosse ou un mec gros, et noir, en tout cas minorisé et victime de discrimination, c’est que tu dois te poser des questions non-stop. C’est ce que tu disais : « oh la la il est jamais sorti avec de meuf grosse, en fait il est sorti avec trop de meufs grosses, il me fétichise, il ne peut pas me désirer moi parce qu’il me fétichise »… Je pense, peut-être que je parle de moi – j’espère que ça n’arrive pas à beaucoup de monde mais je ne pense pas – qu’on est tout le temps en train de questionner le désir de l’autre. Et je pense qu’il y a aussi un truc de « mais c’est parce qu’au final c’est pas légitime ».

Maintenant je me dis – pas forcément dans des relations amoureuses parce que je pense que la fétichisation c’est déshumanisant (tu vas avoir des commentaires de merde, etc.) – que j’ai juste envie d’être un peu aimée ou désirée. Et j’ai pas envie de me poser de questions. Franchement si je suis obligée de faire une thèse et lire trois bouquins de Bell Hooks avant de sortir dans un date, on est pas sorti… Je pense que parfois il y a encore ce truc là. Tu vas dans un date, tu as déjà les statistiques de la discrimination à l’embauche des gros et des personnes noires. Enfin, c’est pas du tout qu’il faut ignorer la grossophobie, le racisme, ou tout ce qui est LGBT-phobie, mais parfois je pense qu’on a aussi trop ça en tête. C’est la société qui nous fait avoir trop ça en tête, mais c’est dangereux et violent envers nous-même. Parce qu’à chaque fois, on va se poser la question « mais en fait pourquoi il m’aime, ou pourquoi il me désire ? Pourquoi elle, elle me désire ? est-ce qu’il y a un problème ? En fait il y a peut être un problème ». Je pense que ça a des effets sur nous.

Nicolas : Parce que quand on est gros, c’est très difficile d’entendre « tu es beau ». Un des commentaires que je laisse le plus souvent sur Facebook, c’est « tu es beau ». C’est très difficile à entendre et à accepter, il faut le dire aux gens quand on trouve que quelqu’un est beau. Et pour les personnes grosses on nous a tellement dit « tu es moche », on nous l’a tellement fait comprendre que c’est difficile. Donc à chaque fois on va questionner, on va se dire « mais pourquoi ? pourquoi je lui plaît ? pourquoi c’est comme ça ? » Et le but, je pense, c’est de pouvoir l’accepter et de le croire.

Marie : Et pour une petite note positive, on parle beaucoup – enfin j’ai beaucoup parlé – d’histoires compliquées, de trucs chiants, de la grossophobie. Mais sur 10 ans de relations hétérosexuelles avec des mecs, il y en a eu plein ou ça s’est passé sans que ce soit un problème, sans qu’il y ai de grossophobie frontale ou sans que le mec se pose une question à zéro seconde. Juste on était là au même endroit, on avait envie l’un de l’autre et hop ! Basta. Je nuance.

Kiyémis : Je pense que c’est juste important de le dire : je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais il y a beaucoup d’émissions bidons : « Il aime les grosses, quel est son problème ?”. C’est vrai, c’est dans notre imaginaire de se dire ça. « Oh il est fat-admirer – ou fat-fetichiseur – on va mettre une caméra devant lui parce qu’il a forcément un problème ». C’est dans notre imaginaire et c’est pas juste dans notre tête : c’est proposé par la société. Est-ce que vous voyez beaucoup d’émissions sur une meuf qui aime les grands par exemple ? C’est un truc du patriarcat, une meuf qui aime les grands. Vous avez vu des « Tellement vrai » sur « oh la meuf elle sort qu’avec des mecs grands », non !

Marie : Ou la meuf sort qu’avec des petits. Non mais vu que tout le monde sort avec des gens minces, quand quelqu’un sort avec quelqu’un de gros c’est « wow, on va le filmer », il y a quelque chose. Comme toutes les meufs sortent avec des mecs grands, si elle sort qu’avec des petits : han il y a forcément un truc, on filme. Allez, caméra au poing, j’y vais.

Kiyémis : Bernard de la Villardière qui arrive ! [rires]

Marie : Émilie a 22 ans… [rires]

Lucile : Je suis d’accord qu’effectivement il ne faut pas tout de suite mettre le terme fétichiste et fétichisation sur quelqu’un qui pourrait avoir envie, ou qui ne verrait pas forcément ça, qui s’en foutrait. Comme on le disait, qui voudrait juste connaître une personnalité, et…

Marie : Comme plein de gens qui s’en foutent aussi.

Lucile : J’espère qu’il y en a. Enfin, j’espère qu’il y en a beaucoup.

Kiyémis : Je pense que le problème avec la fétichisation c’est la déshumanisation, pas le désir des corps gros. Le désir des corps gros, je suis désolée, ce n’est pas problématique. Un mec ou une meuf qui aime les corps gros, tant mieux, ce n’est pas problématique en soi. Ce qui est problématique c’est le fait de voir juste mon ventre ou juste mes seins. [applaudissements] Tu ne vois pas ma tête. Les corps gros déshumanisés, c’est ça qui est problématique, ce n’est pas le désir des corps gros. J’ai envie de le dire. Les mecs ou les meufs qui trouvent mon corps désirables, t’as bien raison. [rires] Non mais tu vois.

Lucile : Je suis d’accord, c’est pathologiser encore le corps gros en fait.

Kiyémis : Ben ouais ! Tout simplement.

Lucile : J’avais une blague tout à l’heure, mais je l’ai pas faite…

Marie : Vas-y, tu veux te lancer ou t’as peur ?

Lucile : C’était après la super diatribe de Kiyémis, j’étais en train de me dire « ouais c’est vrai cette histoire, c’est pas léger »… Après je me suis dit « non je vais pas la faire ».

Marie : Waah ! [rires]

Lucile : J’ai eu honte, mais je la fais quand même. [rires] Du coup la question, c’est quand même difficile, comment on peut aujourd’hui quand on est ado… Admettons, imaginons : cet ado gros ou grosse, comment elle passe au travers de cette tartine de merde que vous vous êtes tapée toutes les deux, que tu t’es tapée aussi ? Comment on arrive à ça ? Parce que là a priori il y a un schéma, il y a un truc.

Nicolas : Tu peux pas. [rires] Non, mais il y a le physique de la personne, il y a la personnalité aussi.

Lucile : Oui, mais on est pas encore déconstruits là-dessus quoi.

Nicolas : Je pense que c’est surtout d’avoir en face de toi des personnes référentes qui ont une sexualité, qui ont un petit ami, qui ont un mari, qui changent de mari. Moi j’ai eu ça dans ma vie, j’ai rencontré quelqu’un qui était gros et qui avait un mari. J’étais « oh il a un mari, oh il a changé de mari, oh il a des amis » et c’est juste complètement dingue. Du coup tu te dis « moi aussi ça va m’arriver en fait ». Parce que c’est vrai qu’à 16-17 ans je me disait : « c’est la fin du monde, je suis PD, je suis gros, je suis même pas français, en plus je suis passif » [rires] « je ne vais jamais plaire » [applaudissements] Avoir en face de soi des gens qui ont des expériences positives de vie. C’est pour ça qu’aujourd’hui, nous devons être ça aussi – enfin c’est ce qu’on essaye d’être, c’est ce que Gras Politique essaye aussi d’être et de faire, comme les ours de Paris. C’est de donner et de montrer ça. C’est la vie, quoi. [applaudissements]

Lucile : On a un besoin de représentation.

Nicolas : Voilà : c’est pas très grave, on a tous une sexualité et ça va venir.

Lucile : Il faut qu’on aille raconter ça aux ados.

Nicolas : On va attendre qu’ils soient adultes, et après on leur racontera des histoires de dilatation anale et tout ça. [rires] J’avais promis de la placer, pardon ! [rires]

Marie : Le changement global a besoin que ce soit tout un mouvement général. Après, si il y a des ados de 16-17-18 ans qui vont écouter ce podcast, c’est qu’ils ont déjà plus que les générations d’avant. Individuellement à part se protéger, essayer de filtrer soi-même est difficile à faire : les algorithmes sur internet ne sont pas fait pour ne pas voir les corps minces. On peut aussi choisir d’aller chercher des représentations différentes, si c’est un truc qui nous fait souffrir, on a une petite marge individuelle. Mais oui, c’est un mouvement global qui fera vraiment changer les choses.

Lucile : Apprendre aussi qu’on essaye de ne pas baiser si on n’en a pas envie ou juste pour faire plaisir.

Marie : C’est pour tout le monde, qu’on soit mince ou gros.

Kiyémis : Pareil que Marie, je pense que la responsabilité n’est pas sur les jeunes. Nous on peut leur proposer des choses mais – je suis désolée, pourtant je suis très optimiste comme personne – ils vont se prendre la merde dans la gueule. C’est à nous de changer la société pour qu’ils en prennent le moins possible mais malheureusement je pense que là tout de suite, c’est compliqué. Franchement j’ai quelques solutions : abolir « Comme j’aime », abolir « Weight Watchers », abolir les gaines. [applaudissements] Fermer ces entreprises. Je vais essayer d’être réformiste : mettre un grand bandeau qui dise « publicité mensongère ». C’est pas de votre faute – enfin bien sûr je sais que ce n’est pas du tout ce que tu dis – si vous vous sentez mal, je comprends, c’est normal. C’est normal, c’est la société qui fait ça. Après, je suis tellement d’accord avec toi : il faut des personnes référentes. Mais c’est normal aussi, c’est la société qui est merdique. Donc commençons déjà par fermer Comme j’aime. En plus c’est de l’arnaque. Mais bon c’est un autre débat. [rires]

Lucile : Si tu veux on peut s’y attaquer aussi, hein, mais…

Kiyémis : Allez ! [rires] Arrêtez de prendre l’argent des gens ! [rires]

Lucile : J’avoue que je suis d’accord avec ce truc de personne référente, ça sauve la vie. Mais ça fait un peu souffrir quand on se rend compte qu’on a passé des années entières sans avoir ces références là. Je ne sais plus son nom, je suis désolée, une féministe sur Twitter disait qu’elle n’avait jamais été une lesbienne ado. Parce que dans le monde et la société dans laquelle elle vivait, elle avait été obligée de vivre dans un monde hétéro comme une fausse hétéro, et ça ce sont des moments de vie qu’on ne rattrapera jamais. Donc les espèces de tartines de merde qu’on se prends… elles nous construisent, mais on ne se les rattrape pas non plus.

Kiyémis : Mais il y a de la joie.

Lucile : Bien sûr, on parle de sexualité, c’est un truc positif ! Enfin je veux dire, j’ai l’air méga plombée. [rires]

Kiyémis : Non mais c’est vrai, t’as raison.

Lucile : Marie disait tout à l’heure qu’il y a quand même des supers moments, merci, est-ce que tu peux me le confirmer ?

Marie : Il y a des supers moments. [silence] Voila. Je suis contrainte. [rires]

Nicolas : Attends tu as pris des notes ou pas ? Des noms, des numéros de téléphone, maintenant c’est now quoi. Tu nous le donnes, partage !

Lucile : Donne-nous une stat’ ! Non parce qu’on a dit que le corps gros c’est un corps tout court, il kiffe aussi, il prend du plaisir, il prends des orgasmes… Heureusement !

Kiyémis : Oui. [silence] [rires]

Nicolas : Bon on casse deux trois lits mais bon.

Marie : On est pas à une latte près, ça va !

Nicolas : Non ? On a tous cassé au moins un lit ?

Kiyémis : Carrément.

Marie : Alors, ça ne m’est pas arrivé. [rires]

Kiyémis et Nicolas : Ah ouais ?

Marie : Je suis déçue… Qui veux casser un lit avec moi ? [rires]

Nicolas : What ? [rires]

Marie : Ah je suis si lourde. [rires]

Kiyémis : Meilleure annonce quoi !

Marie : Je vais mettre ça en bio Tinder.

Nicolas : Ouais ! [applaudissements et rires]

Marie : Attendez je le fais maintenant ! [rires] Parlez, parlez.

Lucile : Alors du coup pendant que Marie fait sa bio Tinder – elle nous montrera la confirmation qu’elle l’a vraiment fait après – on va faire le tour de table de la fin, on va revenir sur du positif. J’aimerai qu’on partage nos suggestions individuelles, globales, politiques ou militantes, c’est vous qui choisissez, pour une meilleure inclusion des personnes grosses sur le marché de la drague et du sexe. Ou même globalement si vous avez un conseil sexo, un truc fun, allez-y au passage.

Kiyémis : Tu ne vas pas le casser. À la personne qui va m’écouter : tu ne le casseras pas, ne t’inquiète pas, il ou elle supportera, tu ne les casseras pas, t’inquiète. Il ou elle risque de kiffer, même. C’est mon conseil personnel sexo.

Lucile : L’expérience de Kiyémis. Et toi ?

Nicolas : Moi je pense juste à dire : oui c’est des bourrelets, oui ça bouge, oui ça sue – et c’est pas grave. Oui ça bouge. « Giggly » [rires]

Lucile : Marie, tu as fini ?

Marie : J’avais réfléchi à un truc mais c’est beaucoup moins marrant… [rires] alors que je fais des blagues quand même. Moi j’allais parler de mon milieu professionnel parce qu’on parlait de représentation. Je travaille dans l’audiovisuel, les médias, la création de contenus sur internet mais aussi la fiction. À tous ces gens-là, les scénaristes, les producteurs : mettez à l’image des personnes grosses, quand vous écrivez un scénario avec deux personnes qui ont une vie amoureuse, pourquoi le perso est mince ? [applaudissements] Il pourrait être gros et il n’y aurait pas une ligne qui changerait. Ça commence tout doucement à changer mais ça pourrait changer vraiment plus vite. En vrai de vrai, posez-vous juste la question « pourquoi mon perso n’est-il pas gros ? Oh, il pourrait être gros ! ». Paf, hop là, ça fait une représentation de plus et nous on est content·e·s.

Kiyémis : Et engagez des scénaristes gros aussi, tant qu’à faire. Et des acteurs et actrices gros.

Marie : Au passage, genre moi.

Kiyémis : Voila ! [rires]

Lucile : Je trouve que c’est des belles conclusions. Moi j’ai rien à ajouter à ça globalement… et baisez aussi, au passage. Des gens gros avec des gens pas gros mais si vous en avez envie, évidemment, avec des gens qui en ont envie aussi.

Marie : Et protégez-vous, blablabla.

Nicolas : Et qui ont envie de vous !

Lucile : Oui évidemment. Et de vous dans sa globalité. Merci. Merci Kiyémis. [applaudissements]

Kiyémis : Merci à toi.

Lucile : Merci Nicolas, merci Marie.

Marie : Merci.

Nicolas : Je voudrais préciser que les Ours de Paris ont organisé une exposition qui s’appelle « Gros est beau », qui va commencer le 23 septembre, avec 27 artistes de tous genres et de tous horizons qui ont dessiné ou photographié des personnes grosses. Cette exposition aura lieu au Bears’den à partir du 23 septembre. Passez la voir !

Lucile : Marie tu as un message à faire passer ? À part Tinder.

Marie : C’est bon j’ai changé ma bio Tinder.

Kiyémis : Allez !

Nicolas : Swipe left !

Marie : Kiyémis ?

Kiyémis : Non, je voulais juste dire que c’est tellement un plaisir d’être avec tellement de gens gros. Vous êtes tellement beaux. Préparez aussi vos suggestions de lieux d’habillement parce qu’il y en a qui sont très stylés dans la salle.

Marie : Ouais !

Lucile : Et en plus moi je vais ajouter, en référence à Nicolas, vous êtes tous belles et beaux, tout le monde est beau ce soir. [applaudissements] Merci Marie, merci Kiyémis, merci Nicolas. Merci évidemment Gras Politique d’avoir organisé cet événement. [applaudissements, wouhous et bravos]

Nicolas : Daria présidente ! Daria, Daria, Daria, Daria !

Lucile : Merci au Très Gros Festival de nous avoir accueillis au Wonderland. À très vite pour de nouveaux épisodes évidemment. Merci Ève et Marine du collectif Mains Paillettes qui ont fait la LSF avec nous. Merci à l’équipe de Slate Podcasts et à Victor Benhamou pour la réalisation live, là-bas dans la guérite. Merci à toutes et à tous, passez une bonne soirée !

Kiyémis : Bonne soirée ! [applaudissements]

[Brochure] Petit Précis de Grossophobie

Gras Politique est fièr-e de mettre à disposition une brochure sur la grossophobie, que tu peux laisser traîner au boulot, chez les médecin, dans les transports, dans ta famille, en soirée, et partout où tu penses que c’est nécessaire !

Il suffit de la télécharger et de l’imprimer pour participer à l’effort contre la discrimination grossophobe !

Elle a été illustrée par Olivier du blog Petit Ours Blond et mise à jour en 2021 (eh oui, depuis la grossophobie est entrée dans le dictionnaire !)

Télécharge la ICI

 

 

Intermarché met le Père Noël au régime

Ah la magie des fêtes dans les hypermarchés ! Les promotions sur le foie malade d’oie ou de canard, les chocolats à la liqueur qu’on achète quand même, la purée de marrons qui colle au fond du plat et la bûche à la graisse hydrogénée à seulement 9 euros 99 centimes ! De belles opportunités capitalistes pour les vendeurs de bouffe, qui ne se privent pas de réaliser de jolis bénéfices avec des produits pas toujours très “healthy”, mais synonymes de repas familiaux, de congès et de retrouvailles heureuses.

L’alimentation pendant les fêtes est un sujet bien plus compliqué que celui des apports énergétiques. Dans les familles aux moyens financiers réduits, avoir une table de fête remplie de choses bonnes, riches et rares est un véritable sacrifice, qu’elles font avec plaisir par tradition et par volonté de gâter leurs proches. La notion de plaisir, de partage, et de plats familiaux transmis par les générations, est au centre de la table de fête. Nombreux sont les foyers qui s’endettent au moment de Noël afin de pouvoir assurer des plaisirs simples à leurs familles, cadeaux et mets.

D’autre part, l’équilibre alimentaire ne se fait pas sur une période de 10 jours. C’est un long exercice de chaque jour, qui se fait en fonction des moyens des individus (un kilo de lasagnes industriels est un repas moins cher qu’un kilo de poivrons pour une famille), des habitudes alimentaires, des éventuels troubles du comportement alimentaire, et des régimes diététiques particuliers aux personnes. Vous ne risquez pas l’obésité monstrueuse parce que vous prenez deux fois de la dinde le 25 décembre. Stigmatiser un gros lors de cette période est tout à fait contre-productif. Nous ne devenons pas gros à cause des fêtes.

C’est Intermarché qui gagne la palme de la plus grande hypocrisie alimentaire de décembre avec sa nouvelle publicité dont voilà le pitch ; pour sauver Noël, et recevoir leurs cadeaux, les enfants doivent faire maigrir le Père Noël qui ne passe pas dans la cheminée. Ils apportent donc du chou et de la salade Intermarché à ce bon gros, qui pourra maigrir et réussir à rentrer son cul dans la cheminée le jour J. Merveilleux exemple de grossophobie dissimulée derrière des décors de neige artificielle et des faux arômes orange-canelle : c’est encore la faute du gros ! Le gros va faire rater Noël ! Dégraissons l’ancêtre !

Il est sans doute plus facile à Intermarché de faire de la communication facile et mièvre sur fond de chant de Noël que de s’engager pour l’éducation alimentaire de ses clients : affichage des calories, choix des filières d’approvisionnement, huile de palme, additifs alimentaires dans les plats préparés, option végétariennes ou vegans, baisse des prix significatives sur les aliments sains de première nécessité … Voilà autant de batailles concrètes que le géant de la distribution pourrait mener, bien plus efficaces que la mise au régime d’un personnage de fiction.

Rassurez vous, malgré cette campagne toute jolie et toute saine, Intermarché vous propose des promotions et des réductions sur des produits qui le sont beaucoup moins lors de cette période. Il vous suffit de consulter le prospectus alimentaire dédié à la fin d’année pour vous rendre compte que le seul fruit ou légume proposé moins cher est la clémentine. Ca va faire chiche.

Le rôle des enfants dans cette publicité agace particulièrement. Une étude récente prouve que dès 5 ans, les enfants ont déja enregistré les préjugés et clichés sur les personnes grosses. Très petits, ils-elles sont bombardés d’images négatives sur les corps différents, et d’injonctions perturbantes au bien manger et à la consommation. Les petites filles sont particulièrement sensibles à ce climat anxyogène et peuvent déclarer très tôt des phobies alimentaires ou des troubles graves. Renforcer ces préjugés et ces messages négatifs en abîmant le dernier personnage positif gros semble dangereux. Même le Pêre Noël doit avoir des abdos ?

Faut il vous rappeller que malgrè son obésité morbide, ce bon Papa Noël a toujours réussi à distribuer les cadeaux de tous les enfants du monde, et cela en moins de 24h ? UPS et Usain Bolt peuvent se rhabiller …

 

Quand grossophobie et transphobie se rencontrent

[Cet article est une traduction d’un article en anglais que nous vous invitons à consulter si vous voulez être plus proches de la signification originale. Sachez que notre équipe de traduction a fait de son mieux pour rester proche des idées du texte original. Bonne lecture !]

The Intersection of Fatmisia and Transmisia” – Quand grossophobie et transphobie se rencontrent

TW: Cet article parle de grossophobie, de transphobie, de suicide, de violence envers les personnes trans et contient des interviews de personnes trans assez tristes et dures qui peuvent vous faire sentir vraiment très mal, prenez bien cela en compte si vous continuez la lecture.

Le body positivisme fait-il assez de place aux personnes grosses et transgenres ? Certain-es pourraient dire que non, tout comme les obstacles spécifiques de la transition dont les personnes grosses et trans sont victimes sont rarement évoqués dans les espaces safes de body positivisme.

Quels sont ces obstacles, comment avons-nous échoué à y répondre et comment le faire dans le futur ?

Johnny nous raconte son expérience avec un chirurgien plastique de Denver au Colorado qui l’a laissé “humilié”. Le traumatisme de s’être vu refuser son opération du buste l’a laissé dissocié et quasiment sans emploi.

Quelques semaines plus tard, un autre médecin donne à Johnny le feu-vert pour la chirurgie. Du coup, quelle était la raison du premier chirurgien d’avoir refusé quelque chose d’aussi vital ?

J’étais en surpoids et j’aurais eu l’air bizarre après l’opération si mon estomac avait été plus gros que ma poitrine”, m’a dit le médecin. Johnny, un homme trans réfléchi qui a la gentillesse de répondre à mes questions continues: “c’était à peine voilé et ça semblait vouloir dire“ vous ne serez pas assez attirant pour que l’on soit fier de vous appeler notre patient”

Les personnes grosses et transgenres font face à des obstacles considérables lorsqu’elles cherchent des transitions médicales, incluant les prises d’hormones et les opérations de réassignation, que ce soit par l’attitude des chirurgiens qui refusent de travailler avec elleux ou par celle des médecins qui ont l’impression qu’ils ne feront pas des hommes et des femmes “acceptables”. Pour ces raisons, les personnes transgenres présentent des troubles alimentaires très élevés, plus encore que chez les femmes-cis-hétéro. Un danger de plus menaçant la vie de ces personnes.

Dans leur essai No Apology: Shared Struggles in Fat and Transgender Law Dylan Vade et Sondra Solovay expliquent comment les personnes grosses et transgenres sont contraint-es par le système légal à assimiler des standards cis-normatifs : “Quand on essaie de passer outre ces barrières en utilisant le système légal, non seulement on attend  des personnes grosses et transgenres qu’iel partagent le but de l’intégration, mais ielles sont également contraint-e-s de renforcer les normes de la grossophobie et transphobie pour sécuriser une base de droit légal dans laquelle se complaisent  leurs paires, les personnes non grosses et non transgenres.

C’est un cercle vicieux : l’oppression nécessite une intervention légale et pourtant la personne doit participer à cette oppression jusqu’à ce qu’elle reçoive une protection légale.” Iels l’expliquent : les affaires gagnantes adoptent généralement une posture légale qui renforce les préjugés sociétaux. Les affaires qui défient les préjugés sociétaux perdent généralement.” Iels illustrent cela avec deux affaires de discrimination grossophobe en Californie, John R. de Berkeley et Toni C. de Santa Cruz.

Tout-e-s les deux réclament une indemnisation pour la discrimination subie par rapport à leur poids sur leur lieu de travail. John R. qui a parlé de son surpoids comme de quelque chose de problématique et qu’il ne peut soigner, a gagné cette affaire. Toni C. qui n’était en rien désolée pour son poids a perdu son affaire.

Toni C. a rejeté le point de vue médical de son surpoids et ces arguments étaient sans complexes aucuns. En refusant de situer le problème sur son propre corps, mais plutôt sur le “fat-hating” de la société, Toni perd son affaire.

Cependant, Solovay et Vade débattent du système légal et non médical, après avoir interviewé plusieurs personnes trans qui ont eu leur opération ou prise d’hormones refusée à cause de leur poids, des similarités surprenantes apparaissent.

Beaucoup voient les personnes trans de tous genres comme des défis au genre binaire. Quand iels sont sans complexes à propos de leur genre et de leur corps, iels sont vu-es comme une menace. Quand iels sont gros-ses, beaucoup de médecins et chirurgiens interprètent leurs genres comme déviant et même iconoclaste, et iels peuvent (et font) demander une perte de poids avant de prescrire des hormones ou d’accorder la chirurgie. Mais avec 90-95% de taux d’échec des régimes et un taux de 40% de tentatives de suicide chez les adultes trans, est-ce que ces attentes de perte de poids ne font pas plus de mal que de bien ?

Beaucoup aimeraient supposer que si les médecins refusent aux personnes trans les opérations et les prises d’hormones à cause de leur poids c’est qu’il doit y avoir une solide raison médicale, mais les interviews que j’ai menées semblent indiquer le contraire. Un-e des répondant-e racontait que son médecin disait de la chanteuse Adèle, qu’elle était trop grosse pour être une “vraie femme”, seulement, si elle s’habillait de manière androgyne, les gens pourraient “penser qu’elle était là pour réparer les routes”. D’autres parlent de tests en clinique pour certifier si leur genre est “vrai” ou non, incluant des questions condescendantes comme l’intérêt des hommes trans pour les magazines de mécanique.

L’hétéronormativité était également abordée via les personnes trans et bisexuelles qui signalent que leurs médecins tentaient d’influencer leur orientation sexuelle contre elles pour les convaincre de ne pas transitionner.

Beaucoup ont entendu un chirurgien leur dire qu’iels auraient besoin de perdre du poids, simplement pour qu’un autre leur dise qu’iels ne devraient pas, renforçant ainsi le mensonge des médecins ne pouvant opérer les personnes grosses.

La plupart signalent peu ou pas du tout de support émotionnel de la part de leur médecin après qu’un obstacle basé sur le poids soit placé devant elleux, beaucoup disant qu’à la place on leur prescrivait des pilules régimes.

Tou-te-s parlent de périodes de grandes détresses, pour la plupart avec des idées suicidaires ou tentatives de suicide à la suite de leur refus.

Erin, de Melbourne en Australie, produit un aperçu d’à quel point la grossophobie peut blesser à vie. Erin, un brillant homme trans dans la trentaine, a commencé à chercher une transition médicale à l’âge 19 ans. Il décrit une clinique dont il craint toujours les représailles et ne peut en révéler le nom. On a questionné son genre à la fois dans son rapport à sa bisexualité et à son handicap. On lui a dit qu’il devrait attendre d’avoir “choisi” sa sexualité pour transitionner ou d’attendre “d’aller mieux” sachant que sa maladie est incurable. On a également dit à Erin qu’il ne pourrait pas continuer le programme et se faire opérer sans avoir perdu du poids.

Lorsque j’ai demandé comment j’étais censé perdre du poids étant donné mon impossibilité de faire de l’exercice dû à mon handicap, on m’a répondu “qu’il y avait des pilules à prendre pour ça” et on m’a envoyé voir un médecin”. Erin a été mis sous phentermin, une amphétamine prescrite pour la perte de poids mais également connue pour sa dangerosité.

Ça m’a causé de la tachycardie, il m’était impossible de dormir, ça m’a rendu nerveux et ça m’a fait me sentir vraiment mal.” Alors il a voulu arrêter de prendre cette drogue, mais on lui a rappelé qu’à moins de perdre du poids il ne pourrait pas continuer le programme. Mais il n’y avait pas d’autre programme existant près de chez lui : “J’avais l’impression de n’avoir aucune autres options, du coup j’ai continué à en prendre pendant quelques mois encore. Je suis tombé plus malade encore. Les battements de mon cœur continuaient d’augmenter, je ne pouvais toujours pas dormir et je commençais à ressentir une terrible anxiété. Et je n’ai d’ailleurs perdu aucun kilos durant cette période.”

Erin raconte les longues périodes durant lesquelles il a fortement pensé au suicide, pendant le programme mais également après l’avoir quitté. Même si depuis il a eu son opération et un médecin trans-friendly grâce à un médecin différent dans une autre ville, Erin dit : “Je me sens comme s’il y avait deux versions de moi. Il y a celle où je suis qui je suis actuellement, et il y a une réalité alternative où on m’a donné accès au traitement approprié lorsque j’en avais besoin et lorsque je le souhaitais. Et j’imagine que cette version de moi est plus heureuse, en meilleure santé et qu’elle est une personne mieux adaptée que je ne le suis.”

Juanita, une femme trans, écrit magnifiquement et de manière poignante son expérience à l’Hôpital Académique Steve Biko avec le jury médical quand est venue la décision de lui donner ou non des hormones:

Le Dr Martin l’a informé que le seul problème était ma pression sanguine, mais j’étais en bonne santé et il a recommandé que je commence le traitement immédiatement. J’étais tellement heureuse d’entendre ces mots, mais le prof Lindique brisa mon excitation. “Je ne suis pas d’accord”. C’était silencieux jusqu’à ce que le prof focalise soudainement sur moi. “Combien pesez-vous ?” Inconfortable je répond. “Vous devez perdre au moins 25 kilos avant que l’on puisse vous opérer.” J’étais assise et déconcertée pendant que j’écoutais le prof Lindique et les médecins du département d’endocrinologie argumenter. “C’est ma décision définitive. Dr Khosa, êtes-vous à l’aise à l’idée d’opérer une patiente obèse.” Le Dr Khosa confirma que j’avais besoin de perdre du poids. Le prof Lindique repris: “Je pense inutile de mettre la patiente sous hormones pour le moment. Pourquoi avons-nous besoin de la mettre sous inhibiteurs quand retirer les testicules serait plus bénéfique et plus économique. Nous pourrons, espérons-le, faire la chirurgie dans 6 mois.” Le Dr Martin a essayé une dernière fois de convaincre le prof Lindique avant que mon destin ne soit scellé. J’ai quitté la pièce, les larmes aux yeux. Au moment où j’ai vu JL, je me suis jetée dans ses bras et j’ai pleuré sans retenue.”

Juanita raconte que ces ami-es cisgenres ne pouvaient pas comprendre la sévérité de la décision, alors que ses ami-es trans comprenaient que cela pouvait vouloir dire vivre de manière dysphorique pendant des années encore sans traitement solide et efficace. Ici on peut voir comment un médecin grossophobe suffit à renverser la transition de Juanita et à la mettre dans un état émotionnel dangereusement fragile. Etant donné la menace à laquelle font face les personnes trans qui ne font pas de “passing”, pas seulement de la part des inconnus violents mais aussi de la part des propriétaires refusant de leur louer, des employeurs refusant de les embaucher, des juges ordonnant contre elleux et de la cruelle et banale violence du mégenrage, le traumatisme de se voir refuser des hormones est évidemment au-delà de la démoralisation, c’est dangereux. Etant donné ces médecins qui la plupart du temps s’appuient largement sur de la science décriée, comme la masse d’indice corporelle, et apportent rarement un soutien pour passer outre ces obstacles, les personnes trans doivent souvent se débrouiller seul-e avec un pronostic injuste. Amy Tysoe raconte que ses médecins lui ont dit que son opération serait suspendue jusqu’à ce que son IMC soit en-dessous de 35, chirurgie en-dessous de 30, et son médecin ne pouvait ou ne voulait même pas faire le calcul inverse pour lui donner un poids cible.

Compte-tenu de ces informations, pourquoi le body-positivisme (Avec mon plus grand respect pour Shay Neary, l’incroyable modèle transgenre plus-size) est-il si massivement cisgenré ?

Dans ses écrits à propos de la biographie d’Oscar Zeta Acosta, Marcia Chamberlain fournit quelques aperçus de comment le mouvement fat positif a déçu les personnes racisées. “Le mouvement, dont il est clair qu’il n’était concerné que par un seul soucis durant les années 1970, demandait implicitement que soit laissé à la porte sa couleur de peau.” Elle continue en ajoutant “Mais le classement des oppressions a créé des situations difficiles pour les personnes comme Acosta dont les stigmates ne pouvaient pas être nettement délimités et jugés sur une échelle de 1 à10. Il est intéressant de noter que si les personnes grosses étaient absentes des positions de leader au sein du mouvement de Chicago, l’opposé était également vrai, la plupart des porte-paroles pour le fat power des années 70 étaient blancs.”

J’aimerai avancer que pendant que les problèmes de race prévalent encore dans la communauté fat positive, nous devons également composer avec des problèmes de genre et de représentations. Comment traitons-nous les personnes trans et grosses parmi nous ? Quand nous parlons de fat-body-positivisme est-ce que nous incluons les besoins des hommes gros et trans, des personnes non binaires et grosses et des femmes trans et grosses ? Est-ce qu’on se concentre sur leurs besoins spécifiques ou est-ce qu’on se concentre sur les besoins qui nous affectent “tou-te-s”.

Shay Neary souligne, concernant un autre point de désaccord pour les femmes grosses et trans, que : “aussi, pourquoi est-ce les femmes trans ont des rdv pour des shooting mais qu’on les met en costumes ? [l’industrie] veut toujours que les femmes trans ait un peu l’air masculines parce que c’est en quelque sorte plus fashion, si tu n’es pas androgyne, si tu es trop féminine ou masculine, ils ne veulent pas te donner de rdv, ils veulent que les gens sachent que tu es trans, comme ça ils peuvent l’inclure dans les sorties de presse etc etc. Ça finit en l’exploitation de mon identité pour que le designer soit bien vu”

Avec cela en tête, comment pouvons-nous appréhender les enjeux de la transidentité de la même manière que le militantisme cis-fat, sans pour autant les exploiter ?

Je crois que le meilleur moyen d’y parvenir est d’élever leurs voix, mais aussi de focaliser, comme les militant-es le font, sur les problèmes qui affectent spécifiquement les personnes grosses trans et seules, comme le refus d’opération dû au poids. Lorsque l’on débat de comment le gros est féminisant sur les hommes, nous devons prendre en compte de comment cela blesse spécifiquement les hommes trans. Quand on débat de comment le gros non-genre les femmes nous devons saisir avec quel réel et sérieux danger cela place les femmes trans face à la violence cis-genre.

Nous devons également comprendre les réalités du gros pour le corps trans en écoutant les personnes trans et grosses.

S. Bear Bergam écrit dans Part-Time Fatso “Ironiquement, c’est mon poids pour lequel je suis parfois le plus reconnaissant, quand je veux que le monde me voit tel un homme. Ma large carrure et la relative facilité avec laquelle je la meut dans ce monde sont transgressives et inhabituelles pour une femme élevée dans cette culture. J’ai une grande foulée, je garde la tête haute. Et ces seuls facteurs suffisent parfois à placer dans la catégorie masculine  l’échelle de perception. Ma circonférence et ma largeur permettent à ma petite poitrine d’être perçue comme des “seins d’homme”, et mon visage de grande envergure Ashkénaze d’avoir l’air autoritaire et masculin plutôt que d’un balabusta avec un rhume de cerveau. [Expression Yiddish signifiant « personne au foyer »] Ma grosse incapacité enfantine à m’asseoir les jambes croisées sur les genoux, et tous les problèmes que ça a causé pendant les années durant lesquelles j’étais encore engoncée dans les robes et des jupes, ont créé – à travers le miracle de la rébellion adolescente – une habitude de m’asseoir avec les jambes croisées, chevilles sur les genoux dans un style traditionnellement masculin, de porteur de pantalon”

Cependant, là où Bergam trouve que son surpoids accentue son genre, beaucoup d’autres, y compris Katelyn Burns, ne le trouve pas. Dans sa magnifique pièce, Burns raconte comment la grossophobie l’a découragée à transitionner. “Les mots de Forest correspondaient à mon dialogue intérieur : Tu es trop grosse, tu es trop grande, tu es trop chauve pour être une femme”. Etant donné la façon dont les personnes trans sont très souvent refusées à l’accès médical transitoire, aucun-e ne peut être surpris-e par la peur de Burn. Quand votre véritable vie dépend de l’approbation des autres vous n’êtes pas laissé-e avec un “choix” mais plutôt devant un insurmontable mur que vous devez escalader ou mourir. Pour beaucoup le mur est simplement trop grand.

En effet, beaucoup de personnes trans expriment un découragement considérable en discutant de leur poids et de la transition médicale. En conséquence, Erica n’a pas cherché à faire son opération parce qu’elle savait qu’on lui demanderait de perdre  90 livres pour ça. Un obstacle qu’elle trouvait ingérable avec sa dépression. “Ce n’est pas vraiment un choix que je peux faire. Sauter un simple repas fait de moi un morceau inutile simplement gisant dans son lit.” Ses sentiments font écho à ceux d’Erin, dont le handicap l’a laissé sans choix, confronté à la phentermine et à une vie de maladie aux effets secondaires et au suicidaire risque de dysphorie.

Peut-on encore appeler cela un choix ?

C’est un sujet qu’en tant que militante cis-grosse j’ai combattu par le passé. Nous devons reconnaître la terrible pression que subissent les personnes trans pour perdre du poids et nous devons soulager cette pression.

Les statistiques montrent que les régimes ne fonctionnent tout simplement pas, et que cette diète décourage les personnes faisant un régime,  les rendant plus susceptibles de reprendre du poids. Il n’y a rien de mal à être gros-se mais il y a définitivement quelque chose de terrifiant à être dysphorique et sous-traité-e à cause de son corps.

Les personnes grosses et trans peuvent chercher un recours légal, malheureusement difficile à trouver, à travers l’American Disabilties Act.

Dans le sixième circuit [une des 13 cours d’appel des USA] il a été décidé que les personnes grosses ne pouvaient être qualifiées comme handicapées sans avoir pu prouver qu’un handicap sous-jacent était la cause de ce surpoids.

En d’autres termes, qu’importe à quel point vous êtes gros-se, ou si ce surpoids impacte votre mobilité, dans le sixième circuit, si vous ne pouvez pas prouver d’où vient votre surpoids, vous n’êtes pas handicapé-e. Sous cet angle, en mettant de côté la maltraitance des personnes grosses et handicapées, cela ferme l’un des rares chemins possibles au recours légal.

Le fat-positivisme et le body-positivisme sont à un croisement où ils feraient bien de décider s’ils continuent d’être cis blanc et validistes, ou s’ils embrassent la libération pour tous. Qui allons-nous entendre dans ces cercles de fat-positivisme ? Quelles voix vont s’élever ? Et pourquoi ?

C’est pourquoi nous devons continuer à rendre nos espaces plus inclusifs, nous devons nous rappeler les raisons pour lesquelles nous faisons cela. Pas pour avoir des cookies. Pas pour être félicité-es pour daigner inclure des personnes grosses et trans, des personnes handicapées et des personnes de couleur. Plutôt parce que nous sommes tous et toutes prisonniers/ères d’une machine précaire qui vole nos valeurs d’origine et nous segmente en hiérarchies des corps, et jusqu’à ce qu chacun-e soit libre, jusqu’à ce que la/le plus marginale d’entre nous soit libre, aucun-e de nous ne sera libre.

Normalement je mets ici mon pot à pourboires mais si cet article vous a plu, je vous suggère de donner à l’une de ces personnes sur twitter #TransCrowdFund ou de faire un don à The Trans Lifeline.

Merci à Val’ pour cette traduction

Crédit Illustration Tumblr Lethevivus

 

Cher-es ami·e·s non gros·ses, lisez donc ça

Alors voilà, y’a plein de choses merdiques que tu fais qui m’ennuient :

  • Tu postes des photos des repas bien riches que tu manges et tu les commentes avec des phrases comme « voilà pourquoi je suis groooooosse », “j’ai mangé comme une grosse” ou #groscul. Les gros-ses ne mangent pas de cette manière tout le temps, si nous le faisions, nous ne pourrions pas rester à un poids stable, nous n’arrêterions pas de grossir, comme Violet dans Willy Wonka tu vois ? Et s’il te plait, arrête de reporter ta culpabilité étrange d’avoir bouffé sur nous, les gros-ses, qui subissons déjà assez d’emmerdes parce que nous osons exister. Pourquoi est ce que tu n’utilises pas des hashtags comme #avidité #grosrepasdecapitaliste ou #repasdeprivilégiéoccidetal #6porcssontmortspourcerepas  
  • Quand tu me dis que tu te sens gros-se au lieu de dire que tu te sens peu attirant-e, que t’as trop mangé ou que tu te sens ballonné-e. Être gros, c’est un état, ce n’est pas une sensation. En fait, si tu te sens gros-se alors que tu ne l’es pas, cela s’appelle de dysmophorphobie, et tu devrais consulter. Quand tu me regardes, moi la grosse femme, et que tu me dis « Beurk, je me sens grosse », moi ce que j’entends c’est « Olala c’est ca être gros-se, tu dois te sentir mal tout le temps, va perdre du poids ou tues toi en essayant ».

  • Tu me demandes à moi « Est ce que ce j’ai l’air gros-se là dedans ? » Devine quoi, tout ce que je porte me donne l’air gros-se. Alors c’est non seulement manquer complètement d’égard pour moi de le demander, mais c’est surtout une grosse baffe dans la gueule de me le demander à moi, une personne vraiment grosse. Si toi et tes autres potes minces qui manquent de confiance en eux-elles veulent faire un groupe de parole sur vos poignées d’amour, faites le donc, mais cessez de nous imposer vos états d’âmes.
  • Poster des statuts à propos de tes résolutions pour ta santé et ta nutrition d’une manière fat shamante, par exemple « je me sens trop bien maintenant que je ne suis plus grosse » « en 2018 je me promets d’éradiquer mon gros cul ». Si tu veux t’occuper de ta santé et surveiller ce que tu manges, très bien, je suis contente pour toi, mais c’est vraiment pas la peine de me culpabiliser en passant. Je ne t’ai jamais demandé-e d’être tenu-e responsable de ta prise ou de ta perte de poids. Et quand tu reprendras du poids après ton 16ème régime de l’année, sois sur-e de ma totale compassion teintée d’ironie.

  • Tu utilises des photos ou des dessins de personnes gros-ses pour faire des blagues, des memes. Tu tags des gens sur ces photos. Arrête immédiatement. T’es con-ne Sérieusement. Arrête. Tu fais de la merde.

  • Tu me parles du temps où tu étais gros-se comme si ca te donnait un genre de crédibilité à mes yeux. J’en ai rien à foutre.  Et le fait que tu aies été gros-se ne t’autorise en rien à faire des jugements à l’emporte pièce sur les personnes grosses. « Moi quand j’étais gros-se je mangeais Mc Do tout le temps » cool pour toi. Mais rappelle toi  que nous sommes tousTes des personnes différentes et que ta seule expérience ne parle pas de la mienne. Et que même si je fais le chois de manger chez Mc Do tout le temps, ce qui n’est pas mon cas mais on ne sait jamais, ca n’a rien à voir avec toi et tes jugements de merde. La nourriture et la moralité sont deux choses différentes. Ne les confonds pas dans ta quête de surpasser ton ancien toi gros-se. T’es encore cette même personne, t’as juste moins de gras.
  • En parlant de gras, ne me raconte pas comment tu as perdu du poids si je ne te demande rien. Ne me fais pas la longue liste de toutes les restrictions que tu as enduré, de l’exercice que tu as fait, de ton déficit calorique, de ta poudre de protéine et de tes sandwichs à la laitue. Je ne t’ai rien demandé. Je m’en tape. Je me fous que les gens veuillent prendre ou perdre du poids. Ce n’est pas parce que tu vois un gros dans la rue qu’il demande des conseils. Il est juste dans la rue. Et laisse moi te le redire, j’en ai rien à foutre de ton régime.
  • Tu me dis des trucs sur ce que tu ressentais quand tu étais gros-se : incapable, moche, misérable, mais maintenant, tu te sens au top. Oui, je suis sure que tu as ressenti tout cela quand tu étais gros-se parce que nous vivons toi et moi dans une société qui déteste les personnes grosses et qui fait tout pour que nous nous sentions mal. Mais tu penses vraiment que c’est cool de mettre tous tes problèmes sur le compte de ton poids ? Parce que nous, qui sommes encore gros-ses, on a vraiment pas besoin de ta haine de toi. Et on a pas forcément envie d’en entendre encore une fois qu’on s’est tapé-e toute la haine des gros-ses dans les films, à la télé, sur Internet. Les gens gros ont le droit d’être admirés, aimés, aidés comme toutes les autres personnes.
  • Tu commentes le physique des gens, et plus particulièrement celui des femmes avec des phrases comme « olala elle est tellement grosse » ou « oulala t’as vu comment elle a pris du cul » ou « elle devrait vraiment pas s’habiller comme ca avec son poids ». Wow. Tu n’as même pas conscience du nombre de fois où j’ai envie de te coller une baffe quand tu sors ce genre de choses. Je dois à chaque fois faire la gymnastique mentale nécessaire à me rappeler que tu es une personne qui manque de confiance en elle, et pas seulement un-e con-ne. Imagine une seconde que les gens partout commentent sur quelque chose de ton physique, comme la couleur de tes yeux. Que partout où tu ailles, les gens s’exclament « olalalaaa les yeux noisettes c’est vraiment de la merde, c’est honteux ».

  • Si tu me vois manger de la salade, des légumes, des fruits, des céréales complètes, ou boire de l’eau, ne me félicite pas. C’est débile de bétise. Ferme là. Ne dis rien sur ce que les personnes gros-ses mangent ou pas d’ailleurs, ca sera plus simple. Particulièrement si ce sont des inconnu-es. Ca-ne-te-concerne-pas. C’est clair ?
  • Ne me glisse pas dans l’oreille de manière chelou que les personnes gros-ses t’excitent. Ne me raconte pas les fantasmes dans lesquels tu baises mes bourrelets. Ne me dis pas que tu couches avec des gros-ses parce que c’est plus facile. T’es ignoble.

 

Cet article est une traduction, l’original est ici.

Pourquoi le féminisme doit s’emparer de la grossophobie

Aller chez le médecin m’a toujours plongé dans l’anxiété. Depuis que je suis un-e enfant, les médecins ont fait des remarques ignobles sur mon poids devant moi. Quand j’avais 8 ans, un médecin a dit à ma mère que mes allergies alimentaires devaient « marcher à l’envers » puisque j’étais « si grosse ». Et il a ri.

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