Pourquoi le féminisme doit s’emparer de la grossophobie

Aller chez le médecin m’a toujours plongé dans l’anxiété. Depuis que je suis un-e enfant, les médecins ont fait des remarques ignobles sur mon poids devant moi. Quand j’avais 8 ans, un médecin a dit à ma mère que mes allergies alimentaires devaient « marcher à l’envers » puisque j’étais « si grosse ». Et il a ri.

Depuis cet incident, j’ai plus ou moins enchaîné les humiliations et les énervements.

N’importe quel-le gros-se vous dira que trouver un médecin qui vous écoute ou qui prend vos soucis au sérieux est une entreprise pourrie. Parce que peu importe vos symptômes, on vous dira de perdre du poids. Vous avez la cheville tordue ? Perdez du poids. Une otite ? Perdez du poids ? La grippe ? Perdez du poids.

Vous ne saviez pas que les personnes minces n’ont jamais d’otites ou de grippes ?

Ce n’est donc pas une surprise si beaucoup de personnes gros-ses évitent au maximum de voir des médecins. Je suis coupable d’attendre que mes symptômes deviennent insupportables ou pire pour prendre rendez-vous.

Mais il n’y a vraiment rien de pire qu’un gyneco qui déteste les personnes grosses.

Mon précédent gyneco m’a donné une leçon humiliante. Il m’a expliqué à quel point il était dégueulasse d’être gros-se au milieu d’un frottis. Alors que j’étais dans une position dans laquelle n’importe qui se sentirait mal ou privée de pouvoir, j’ai été soumise à des commentaires vicieux et méchants à propos de mon poids et de mon ‘addiction à la bouffe’. Elle me posait des questions sur ce que je mange pendant qu’elle me grattait le col de l’utérus, et quand j’ai répondu, elle m’a dit que je mentais.

J’étais en pleurs à la fin de cet examen. Je me suis sentie violentée et humiliée. Et je ne suis pas retournée chez le gyneco pendant 4 ans.

Le manque de respect et la discrimination sont le quotidien des personnes gros-ses. C’est un sujet de discussion banal dans les cercles militants. Mais les maux et la violence causés par la grossophobie sont rarement discutés en dehors des cercles militants gros.

Les gens adorent voir une personne gros-se portant des vêtements à la mode, ou s’assumant, mais ils ne veulent pas vraiment entendre à quel point nos vies sont impactées par la grossophobie.

Il est temps que cela cesse.

Les droits à la procréation sont au cœur du débat féministe, parce que sans la possibilité de contrôler quand, comment, nous avons des enfants, nous ne pourrions pas participer au débat politique, au monde du travail, ou plus largement à la vie publique.

Quand on nous refuse notre droit de choisir, on nous refuse notre humanité primaire. Si nous n’avons pas ces droits, nous n’avons rien.

Oui, les personnes gros-ses sont privées de leurs droits, de manière invisible, sans que cela ne préoccupe personne dans le grand mouvement féministe. Personne ne se préoccupe du fait que les personnes gros-ses sont impacté-es dans leur droits par la grossophobie.

Mais je crois au pouvoir du féminisme, et je crois que nous pouvons nous saisir de ce problème, et commencer à envisager la problématique des droits reproductifs d’une manière plus nuancée et plus intersectionelle.

Les féministes doivent reconnaître la discrimination contre les personnes  gros-ses et considérer que ce problème est majeur. Nos vies sont réelles ; nos vies comptent.

1.       Contraception d’urgence et contraception hormonale

En Novembre 2013, nous avons appris que la contraception d’urgence (pilule du lendemain), perdait de son efficacité après 80 kilos, et ne serait sans doute pas du tout efficace pour les personnes de plus de 85 kilos.

En France, les fabricants de pilules du lendemain (Norlevo) ont ajouté un avertissement sur la notice de ces pilules.

En Juillet 2014, l’agence européenne de médecine a jugé que cet avertissement n’était pas nécessaire, il n’y aurait pas assez de preuves que le poids joue sur l’efficacité de la molécule. Cette agence n’a pas pris en compte les deux études qui ont été menées sur ce problème, et qui ont mené à la mise en place des avertissements par les fabricants.

Les avertissements ont donc disparu des notices, et tout le monde a oublié cette histoire. Les gens continuent à penser qu’on peut prendre la pilule du lendemain efficacement à n’importe quel poids, parce qu’il n’y a pas d’avertissement sur les notices.

C’est un problème énorme, parce la pilule du lendemain est très largement utilisée, et que c’est mettre beaucoup de foi dans quelque chose qui peut fonctionner ou pas.

Cette polémique nous pose une série de questions : pourquoi les premiers tests sur la molécule n’ont-ils pas été réalisé sur une série de personnes de poids différents ? Cela aurait permis de représenter efficacement le très large panel de population qui utilise la pilule du lendemain.

La femme américaine moyenne pèse 75 kilos. Nous avons donc une pilule du lendemain inefficace pour la majorité de la population qui en a besoin.

La pilule du lendemain existe depuis des années, mais c’est seulement en 2014 que nous avons appris qu’elle ne fonctionnait pas pour certain-es. Pourquoi cette annonce n’est-elle pas suivie de tests ? et pourquoi personne ne met la pression à l’industrie pharmaceutique pour que ces tests soient faits ?

Les personnes gros-ses sont en moyenne plus pauvres que les personnes minces, et moins capables d’accéder aux soins. Une solution contraceptive d’urgence qui ne fonctionne pas est une mauvaise blague.

La contraception hormonale classique (pas d’urgence) pose les mêmes problèmes : des études ont montrées que les personnes gros-ses ont deux fois plus de grossesses non désirées sous pilule que les personnes minces. Le stéréotype selon lequel les personnes gros-ses ne sont pas aimées, désirées, ou actives sexuellement contribue à ce que les questions de contraception soient traitées comme peu importantes.

Les personnes gros-ses attendent que leur contraception soit efficace. Si la contraception hormonale classique ne l’est pas, ou pose des problèmes, ils-elles doivent le savoir, et ils-elles doivent pouvoir faire le meilleur choix avec les meilleures informations possibles.

Avoir accès à une contraception qui ne fonctionne pas, ce n’est pas avoir accès à la contraception.

Chaque féministe qui se bat pour l’accès à la contraception devrait se battre pour que la contraception fonctionne pour tout le monde, non ?

 

2 Avortement et poids

Une étude américaine montre que 85% des professionnel-les qui pratiquent des avortements jugent que les personnes gros-ses posent des problèmes. Certain-es ont même commencé à faire payer des « tarif gros » pour leurs patient-es en surpoids.

Les patient-es ont eux indiqué que leur poids était un facteur de délais dans l’accès à l’avortement. Ils-elles racontent avoir eu du mal à trouver un professionnel qui accepte de pratiquer l’avortement sur un corps gros. Plusieurs personnes racontent qu’on a refusé de pratiquer l’avortement à cause de leur poids.

Une autre étude montre qu’il n’y a pas de différence significative de complications post IVG entre les personnes grosses et les personnes minces dans les avortements du second trimestre. Cette autre étude propose les mêmes résultats.

Ces études recommandent clairement de ne pas envoyer les personnes grosses dans des services d’IVG à haut risque, car le transfert de service en service retarde la procédure. Ce délai supplémentaire peut entrainer des complications, l’augmentation du prix de la procédure, et limite parfois le choix des personnes.

Peut être que la raison pour laquelle les médecins pensent que les avortements sont plus compliqués à effectuer sur des personnes grosses est simplement parce qu’ils refusent de mettre leurs compétences au service des personnes grosses ?

Un corps gros est souvent présenté comme un barrage au traitement médical, mais les corps des enfants sont plus petits, ce qui rend leur traitement plus compliqué. On arrive néanmoins à trouver des manières de soigner les enfants, sans leur demander de grandir avant d’être soignés.

La légende qui dit que les personnes grosses sont plus compliqué-es à avorter contribue aux difficultés d’accès aux soins de ces personnes. Cette légende ne se base pas sur une réalité médicale. Elle est le symptôme de la grossophobie banale du milieu médical, et peut avoir des conséquences désastreuses.

Si les féministes sont engagé-es dans le combat pour l’avortement pour toustes, alors elles devraient aussi se battre pour le droit des personnes gros-ses à avorter.

Ce n’est pas plus acceptable de dire à quelqu’un de perdre du poids pour accéder à leur droit fondamental qu’il ne l’est de lui dire d’aller dans un autre pays pour avorter.

 

3         Pour quoi la grossophobie empêche les personnes gros-ses de se soigner

Les personnes grosses vont moins facilement faire réaliser des frottis ou des mammographies, alors qu’elles sont plus concernées par les risques de développer un cancer.

Dans une étude, 17% de médecins ont exprimé être répugné-es par l’idée de devoir réaliser un examen pelvien sur une personne très grosse, et 83% des médecins ont exprimé-e qu’ils le feraient à contre cœur s’ils sentaient de l’inquiétude ou du stress chez la personne grosse à examiner.

Tout le monde peut être stressé ou inquiet ou aller faire un examen pelvien à contre cœur, ce n’est pas la chose la plus sympa du monde. Mais les personnes minces ont accès à cet examen dans de bonnes conditions, qu’elles soient perçues comme stressées ou non.

Les personnes grosses sont confronté-es à des professionnel-les de santé souvent hostile et peu respectueux, ce qui les empêche souvent d’accéder aux soins. 24% des infirmièr-es dans une étude ont bien voulu admettre qu’ils-elles trouvaient les personnes grosses dégoutant-es. Dans une étude sur les préjugés, des professionnel-les de santé ont associé le mot gros avec les mots feignant, stupide et sans valeur.

Même si les médecins et les infirmier-es pensent qu’ils cachent avec grâce leur dégout du corps gros, ils sont tout de mêmes discriminants. Comment peut-on vouloir le meilleur pour quelqu’un-e qu’on considère stupide et sans valeur ?

Quand on rajoute à cela le manque d’équipement médical à toutes les tailles, le manque de blouses à toutes les tailles, la parade incessantes des sermons moralisateurs et humiliants, souvent administrés quand le -la patient-e est nu-e et sans défense, peut-on vraiment s’étonner que les personnes gros-ses n’aillent pas chez le gyneco ?

C’est presque amusant que les personnes grosses soient blâmées pour leur taux de cancer élevé alors qu’ils sont aussi exclus des protocoles de soins qui peuvent détecter le cancer. Sauf que le cancer tue, et que ce n’est pas drôle.

Dans notre culture de haine du gros, tous les problèmes de santé subis par les personnes grosses sont toujours mis en rapport direct avec le poids, mais jamais avec l’échec du système de santé qui qualifie leur existence même comme une épidémie à enrayer.

Les gens adorent sermonner les personnes grosses à propos de leur santé, mais ils ne semblent pas se soucier que les personnes grosses sont privé-es de soins ou d’accès aux soins. C’est comme si ces gens ne s’inquiétaient pas vraiment de notre santé, ils utilisent juste ce levier pour nous punir et nous marginaliser.

Pour que le féminisme soit intersectionel et inclusif des problèmes des personnes grosses, il faut qu’il y ai une réelle prise en compte et des actions mises en place pour aider les gros-ses à se battre contre la discrimination médicale.

La grossophobie médicale cause des dommages physiques et psychologiques et nous tue parfois. Nous nous battons pour nos vies, et nous avons besoin d’aide.

4         Refus des traitements d’aide à la fertilité et adoption

Les droits reproductifs ne sont pas seulement les droits à décider de faire ou de ne pas faire un enfant. Ils s’étendent aussi aux droits égaux pour chacun-e à être aidé dans sa fertilité afin de concevoir.

Malheureusement, ces droits sont aussi souvent refusés aux gros-ses.

Plusieurs pays, comme le Royaume Uni, l’Australie, ont des limites de poids informelles liées à la capacité à adopter à l’intérieur du pays. La Chine et la Corée ont des limites de poids pour les parents adoptifs venant d’autres pays. Trop gros pour adopter.

Pourquoi ne pas laisser les personnes grosses adopter ?

La plupart des raisons données pour refuser l’adoption aux personnes grosses sont fausses, par exemple l’idée que les gros-ses vivent moins longtemps que les minces, ou que le gras est le signe que quelqu’un-e est en mauvais santé. D’autres raisons invoquées sont carrément haineuses et insultantes ; comme par exemple la notion que le corps gros est une indication claire d’un psychisme défaillant ou de maladie mentale, ce qui est à la fois grossophobe et psychophobe.

Il semble que les gens ont peur que des parents gros puissent d’une manière ou d’une autre apprendre à leurs enfants adoptifs à être gros, ce qui n’existe pas.

Des personnes préfèrent voire des enfants dans le système des foyers et familles d’accueil plutôt que de les laisser intégrer le foyer aimant de personnes grosses. Malheureusement, ces personnes sont en charge de décider qui peut adopter ou non.

Dans plusieurs pays, il y a des poids limites pour accéder aux traitements à la fertilité : Royaume Uni, Nouvelle Zélande, Chine, malgré toutes les études qui prouvent qu’il n’y a pas de liens entre le poids et le nombre de naissances par FIV. Il y a un taux plus élevé de complications, c’est vrai, mais sans impact sur le nombre de naissances. En France, la plupart des centres de PMA refusent toutes les personnes qui ont un BMI supérieur à 30.

Dans la plupart des pays qui refusent la FIV aux personnes grosses, il n’y a pas d’âge limite pour ce traitement. Alors que l’âge est un facteur documenté d’échec pour la FIV.

Quand les personnes grosses sont enceintes et accouchent, ils-elles sont souvent traité-es de manière ignoble par les professionnel-les de santé, et on les oblige à faire des césariennes. 32% des accouchements aux USA se font par césarienne, alors que 50% des personnes grosses aux USA subissent une césarienne.

Et ne parlons même pas du désastre des enfants retirés de leurs foyers à cause d’un état grossophobe. Un enfant qui présente un surpoids alerte les services sociaux, qui peuvent dans certains pays, choisir de retirer l’enfant à ses parents, s’ils ont eux-mêmes gros-ses.

Il semble que les gens soient prêts à tout pour être sûr que les gros ne se reproduisent pas, même en séparant des familles et en traumatisant des enfants.

L’adoption et les traitements de la fertilité sont déjà des procédures longues et compliquées, mais les personnes grosses doivent affronter des obstacles encore plus importants que les personnes minces dans ce parcours.

Placer ces obstacles n’est pas fait par hasard : c’est une façon pour la société de punir et d’humilier les parents gros-ses, de les rendre invisibles et de limiter leurs droits, afin de « mettre fin au problème de l’obésité » ou autre rhétorique grossophobe.

Le féminisme a un rôle à jouer : il doit s’assurer que chacun-e peut mettre en œuvre ses droits à porter et à élever des enfants. Quand les droits des personnes grosses sont bafoués, nos droits essentiels le sont aussi.

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Je veux voir le féminisme s’intéresser vraiment aux droits reproductifs des personnes grosses, et prendre en compte les discriminations spécifiques qu’ils-elles subissent, et comprendre comment les besoins des gros-ses ne sont pas pris en compte.

Je veux voir une pression accrue sur l’industrie pharmaceutique afin qu’elle produise des tests et des études sur tous les corps, y compris les corps gros.

Je veux voir une pression accrue sur la problématique de la pilule du lendemain. Les chercheur-ses commencent à étudier comment doser de manière différente les hormones de la pilule, mais on doit s’intéresser de manière urgente à ce problème. La contraception doit fonctionner pour tout le monde, à n’importe quelle taille.

Je veux que le féminisme s’indigne contre les limites de poids liées à l’avortement.

Je veux que les personnes grosses aient accès à l’adoption, à la FIV, et puissent élever leurs enfants dans la paix et la sécurité.

Il devrait y avoir une révolte permanente des féministes contre discriminations subies par les personnes grosses de la part des professionnel-les de santé.

Les féministes minces ne veulent pas qu’on leur retire leur autonomie et leur droit aux choix. Nous non plus. Intéressez-vous à nos droits, et ne nous dites pas que nous devrions maigrir pour que vous commenciez à faire attention à nous.

Les gros-ses ont aussi droit à l’autonomie.

Et bien plus que tout, je veux que les féministes ouvrent les yeux sur les mauvais traitements reçus par les gros-ses. Même si c’est douloureux, parce que vous n’imaginez même pas que cela existe.

Arrêtez de couvrir la voix des personnes grosses. Portez nos voix, mettez en lumière les militant-es gros-ses. Ne pensez pas que vous êtes des expert-es sur les questions grosses si vous n’êtes pas gros-se. Nous sommes les expert-es. Ecoutez nous.

Je veux que le féminisme prenne en compte la grossophobie de manière intersectionelle, et nous rejoigne dans la lutte pour exiger le changement.

Article traduit de Everyday Feminism par Daria Marx

http://everydayfeminism.com/2016/06/fat-people-in-reproductive-justice/

Auteure : Aly Thompson