Transcription du podcast “C’est compliqué – Grosses et gros : face à l’assiette, même combat?” publié sur Slate Audio

Photo par @teresasuarezphoto lors de l’enregistrement du podcast.

Lors du Très Gros Festival, qui a eu lieu le 28 août au Wonderland à Paris, nous avons eu l’occasion d’enregistrer deux podcasts “C’est compliqué” animés par Lucile Bellan et publiés sur Slate Audio. Pour le premier podcast, “Grosses et gros : face à l’assiette, même combat ?”, nous avions invité·e·s autour de la table Ariane Grumbach, diététicienne anti-régime, Solenne Carof, sociologue et autrice de Grossophobie : sociologie d’une discrimination invisible, et Anouch, membre historique de Gras Politique.

Vous pouvez écouter le podcast, sur le site de Slate Audio : cliquez ici.

Dans un soucis d’accessibilité, nous avons fait appel à quelqu’un pour transcrire ces podcasts à l’écrit. Merci à Ploutre, @ploutre_ sur Twitter, de nous avoir transcrit ces podcasts. N’hésitez pas à faire appel à elle pour des missions de transcription.


Gras Politique

Slate Podcasts

C’est compliqué

Grosses et gros : face à l’assiette, même combat ?

http://www.slate.fr/audio/cest-complique/très-gros-festival-genre-alimentation-80

50’15

Transcription par @ploutre_


[Générique Slate podcast]

Lucile : Et bien bonjour à toutes et à tous ! Merci d’être là pour l’enregistrement de cet épisode hors-série du podcast « C’est compliqué ». Nous sommes au Wonderland pour le Très Gros Festival qui est super bien [applaudissements et “wouhous”], organisé par Gras Politique… Alors vous wouhou-ez pas pour Gras Politique ? [wouhous et applaudissements] Je suis Lucile Bellan et j’ai avec moi autour de la table Ariane Grumbach, diététicienne anti-régime défendant la diversité des corps.

Ariane : Absolument, bonjour !

Lucile : Solenn Caroff, sociologue et docteure de l’EHESS, maître de conférences Université Sorbonne et autrice aussi de Grossophobie, sociologie d’une discrimination invisible.

Solenn : Exactement, bonjour !

Lucile : Et puis Anouch, membre historique de Gras Politique.

Anouch : Bonjour ! Merci beaucoup.

Lucile : Alors pour cet épisode nous parlerons ensemble de genre et d’alimentation, et on va commencer un peu au début de la vie puisque ça commence quand on est enfant. On va parler de la façon dont on traite l’alimentation des petites filles par rapport à l’alimentation des petits garçons. D’ailleurs, je le précise, on va se tutoyer ce soir parce qu’on est un peu en famille. Ariane, est-ce qu’il y a une différence notable dans l’alimentation des petites filles et des petits garçons ?

Ariane : Je pense qu’en ce qui concerne les petites filles et petits garçons, pendant un certain nombre d’années il y a des choses qui se ressemblent et des choses qui sont différentes. Si le petit garçon ou la petite fille est dans une famille « normale » entre guillemets, où tout le monde mange normalement, ils vont avoir à peu près la même alimentation. Mais ce qu’il va se passer très vite c’est que la petite fille va intégrer – parce que la société, parce que très souvent sa mère – une idée que la minceur c’est bien. C’est des choses qu’on voit chez des petites filles de 6-7 ans, déjà, où on veut déjà ressembler à la petite fille la plus mince de la classe. Et si la mère en plus est au régime, se pèse tout le temps, est tout le temps en restriction, ça va être intégré encore plus. Donc la petite fille, même si elle mange normalement, va intégrer tout ça et ça ressortira un petit peu plus tard. Mais en termes d’alimentation il n’y a pas forcément de différence. Après je pense quand même que les remarques qui vont être faites vont être un peu plus stigmatisantes pour une petite fille. On me raconte des choses hallucinantes que disent les parents à leurs enfants : « grosse vache », des choses comme ça, des choses vraiment horribles. Je dirai que là où c’est un peu pareil – c’est à dire un petit garçon ou une petite fille qui sont gros – ils vont subir un peu de la même façon, malheureusement, toute la méchanceté, les moqueries des enfants à l’école, de l’environnement… il me semble qu’il n’y a pas trop de différences. Sachant qu’un enfant qui est gros, pour schématiser, il y a un peu trois raisons : soit c’est les parents qui le forcent à manger – moi je vois beaucoup d’enfants qui étaient tout maigre au départ et que les parents ont gavé – ça, ça dérègle complètement. Après il y a des enfants qui vont être dans des familles où on mange beaucoup. Et il y a des enfants qui ont des difficultés émotionnelles qui vont les faire grossir. Mais du coup, malheureusement, très souvent on ne s’occupe pas de la vraie cause de la prise de poids. On va très vite être dans la privation, le régime, aller voir un médecin, qui va dire « Oh la la, il ne faut plus manger ci, plus manger ça ». Ce qui, très souvent entraîne un cercle vicieux, parce qu’on l’a observé tout le temps : un enfant qu’on prive il mange en cachette, il trouve toujours une façon de manger.

Lucile : Qu’est-ce que tu en penses Anouch ? Est-ce que c’est quelque chose que vous étudiez avec Gras Politique par exemple ?

Anouch : Alors on l’étudie pas forcément, mais on le voit dans nos vies déjà, et dans les vies des gens qui viennent nous parler avec l’asso. Oui, souvent, on met les enfants beaucoup trop jeunes au régime, et ça mène forcément vers des TCA, en fait. Mettre un enfant de 5 ans au régime, c’est lui signer une carte d’adhérent avec des TCA… C’est malheureusement beaucoup trop courant de voir des petites filles souvent poussées par leur maman, qui ont elles-mêmes des problèmes avec leur propre poids, qui transfèrent sur leur fille, et sur leur fils aussi, quand ils sont enfants. Au niveau de la petite enfance, on a plutôt l’impression que c’est assez équilibré : la peur de devenir gros, et la peur que son enfant devienne gros est toute aussi importante chez un enfant garçon ou un enfant fille.

Lucile : C’est quelque chose que vous avez étudié Solenn Caroff dans le cadre de la grossophobie interne au cercle familial ?

Solenn : Oui, alors j’ai pas étudié explicitement la question des jeunes enfants, mais par contre c’est vrai que j’ai retrouvé énormément de choses qu’ont décrites Ariane et Anouch sur la mise au régime très précoce de petites filles, de même 5-6 ans comme disait Anouch. Qui vient effectivement souvent du fait que la maman elle-même a été stigmatisée pour sa corpulence et n’a pas envie que sa fille revive la même situation, donc en prévention la met au régime alors même que l’enfant n’a pas de problème particulier de poids. Donc il y a une sorte de restriction qui est faite, souvent sur certains produits alimentaires qui sont interdits dans la famille. Ce qui engendre une mise à l’écart, une forme d’exclusion de cet enfant par rapport aux autres frères et sœurs, aux autres frères en général, qui n’ont pas forcément le même regard de leurs parents, de leur maman. Après, ce qu’il faut noter, c’est que les normes de genre sont acquises très tôt chez les jeunes enfants de manière générale, sur la question de l’apparence physique, sur la question des jouets, ce qu’on a le droit de faire, la manière dont on se comporte, etc. Et même des enfants de trois, quatre ans commencent déjà à avoir des représentations de « qu’est-ce que j’ai le droit de faire en tant que petit garçon ou petite fille ». Et l’alimentation n’est pas complètement exclue de ce type d’incorporation de valeurs, de normes, etc. Ce qui fait que globalement, au fur et à mesure, comme le dit Ariane, très souvent ça ne se manifeste pas forcément dans les pratiques en tant que telles au début, mais au fur et à mesure. En particulier si les parents sont derrière et poussent à interdire certains produits alimentaires, les petites filles, puis les enfants puis les jeunes filles vont apprendre qu’en tant que femme, elles doivent manger différemment des garçons. Donc ça commence très tôt, en tout cas dans les croyances et pas forcément dans les pratiques en tant que telles, mais dans les croyances et dans ce que pensent ces enfants.

Lucile : On parle de régime pour les jeunes enfants, c’est quoi ? C’est des régimes inventés, c’est des aliments interdits ?

Ariane : Oui, alors je dirais qu’il va y avoir un peu une chance ou une malchance aussi : bien sûr il y a les parents, mais il y a aussi le milieu médical, c’est à dire « que va dire le pédiatre ? ». Et autant il y a des pédiatres qui vont être sages et plutôt bienveillants, qui vont dire « mais ne vous inquiétez pas, on va attendre jusqu’à l’adolescence, il y a beaucoup de choses qui se régulent dans le temps, etc. », autant il y a des pédiatres, voire le milieu scolaire, qui va dire « oh la la il faut faire attention » ou alors le pédiatre caricatural qui va dire « plus de gâteaux, plus de bonbons, plus de sodas, plus de ceci, plus de cela », ce qui créé effectivement la mise à l’écart de l’enfant. Je pense que le rôle des médecins est important et la relation que les parents vont avoir aussi avec le milieu médical – plus ou moins respecter ce qu’il va dire. Mais effectivement je rejoins ce que disait Solenn, c’est à dire que très souvent chez les parents ça part d’une bonne intention, c’est à dire « j’ai vécu des choses difficiles en tant qu’enfant gros, je ne veux pas que mon enfant revive la même chose » mais c’est complètement contre-performant, en fait.

Public : Est-ce que c’est quelque chose qui peut passer par l’école aussi ?

Ariane : Alors, ça peut l’être des fois. On me raconte que parfois c’est l’infirmière scolaire qui va mettre quelque chose dans le carnet. Il va y avoir une occasion : est-ce que c’est au sport, est-ce qu’on va peser les enfants… « doit faire attention ». Des fois il y a des enfants qui sont ronds mais qui ne sont absolument pas gros, qui n’ont aucun problème, mais tout à coup il va y avoir un mot, dans la famille, à l’école et tout, qui va stigmatiser. Et là c’est le début d’une escalade.

Anouch : J’allais dire que je suis concernée par les problèmes de grossophobie et de régimes en tant que personne grosse. Moi on m’a mis au régime à cinq ans, très vite, parce que le pédiatre a décrété que ma courbe était trop haute, c’était pas possible, et qu’il fallait m’envoyer chez un diététicien. Et on m’a mis au régime strict à cinq ans. Ça a évidemment donné lieu à beaucoup de tensions dans la famille et à beaucoup de tensions dans le rapport avec la nourriture, tout simplement. Donc, oui, ça part d’une bonne intention, forcément, puisque mes parents n’avaient pas envie que je vive ce que eux avaient vécu. Le résultat, il est pas très positif.

Lucile : Est-ce que tu penses que le fait que tu sois une petite fille ait joué ?

Anouch : Alors, oui, parce que j’avais un frère aussi, qui est plus jeune que moi, qui a été mis au régime mais plus tard.

Ariane : Il me semble que les garçons, peut-être qu’on va beaucoup plus les pousser à faire du sport. On va très vite leur dire – un petit garçon qui est un peu renfermé, qui est un peu dans son coin, qui est gros, qui du coup n’est pas à l’aise avec les autres, on va lui dire « allez fait du sport » et on va un peu le forcer sur le volet sport, il me semble.

Anouch : Oui, tout à fait, c’est exactement ce qu’il s’est passé dans ma famille.

Solenn : C’est quelque chose qu’on voit aussi à l’âge adulte, en l’occurrence. Globalement, sur la question du corps : la femme doit être mince, l’homme a une valorisation de la masse musculaire, donc un poids conséquent. En l’occurrence on le voit sur les forums d’hommes qui font de la muscu, du sport : le but est de prendre de la masse, ce qui est l’inverse total de ce qui est demandé aux femmes. C’est quelque chose qui continue vraiment ce rapport au sport. Il y a assez peu de temps, Serena Williams a fait une interview où elle dit même qu’il y a des femmes qui ont peur de faire du sport de haut niveau pour cette question de masse, de poids, de corps qui change et d’être masculinisées, de voir leur corps changer dans le regard de la société.

Ariane : Bien sûr, et pas que dans le sport de haut niveau. J’ai des patientes qui font du sport un petit peu à outrance, ou qui font des types de sport qui musclent beaucoup, ou qui ont une morphologie à prendre du muscle plutôt en volume, qui disent « mais je rentre plus dans mes jeans, je rentre plus dans mes pantalons parce que j’ai pris trop de muscle ». Effectivement il y a vraiment des stéréotypes : la femme doit être fine, l’homme doit être fort et musclé. D’ailleurs, moi j’ai quand même 90-95 % de femmes dans ma clientèle, ce qui montre bien la pression qu’il y a sur les femmes – ça c’est clair ; mais il y a de temps en temps des jeunes hommes qui m’appellent parce qu’ils sont maigres, et du coup ils ne correspondent pas aux stéréotypes et veulent grossir, donc en fait si on grossit on prend du gras, donc il faut plutôt faire du sport. Mais effectivement chez les hommes c’est vraiment la force et le muscle qui est beaucoup plus valorisée. Après je pense qu’il y a une question dont on va parler, qui est l’objectivation du corps de la femme.

Solenn : En fait c’est une objectivation différente de celle du corps de l’homme qui est plus performative, sportive, et puis valorisée, quand celui de la femme est…

Anouch : Alors est-ce qu’on peut parler d’objectivation du corps de l’homme ? J’en suis pas persuadée…

Ariane : C’est ça : la femme est objectivée, l’homme reste le sujet, il reste celui qui décide, il reste celui qu’il faut séduire. On peut parler du patriarcat, on sait dans quel monde on vit.

Anouch : On peut complètement en parler, c’est complètement lié, de toutes les manières. Le patriarcat est cause de beaucoup de problèmes de grossophobie, tout simplement.

Solenn : Peut-être juste pour rajouter un point sur ça en termes de satisfaction corporelle : ce que les études de statistiques vont montrer c’est que, par exemple, justement les femmes vont se sentir mal dans leur peau ou vont ne pas aimer leur corps et leur corpulence alors qu’elles ont une corpulence un petit peu au-dessus de la « norme médicale », avec des guillemets. Alors que les hommes – c’est effectivement comme dit Ariane, parfois des hommes, et même parfois des jeunes garçons ou des petits garçons – qui vont souffrir de l’inverse, c’est-à-dire d’être trop minces, maigres, ou trop petits en taille. Et là ils vont subir plutôt la dévalorisation d’un corps qui va être jugé fragile, donc plutôt de l’ordre du féminin. On sait que les insultes des garçons sont souvent des insultes qui les féminisent – et que justement les jeunes garçons et les jeunes hommes essayent de s’éloigner de ce qui relève du féminin. C’est pour ça d’ailleurs que des petites filles vont porter des vêtements masculins, alors qu’on voit rarement des petits garçons porter des robes, ou des jeunes garçons porter des jupes ou des talons. C’est bien dommage mais c’est comme ça. Et donc il y a une forme de séparation des garçons et des filles qui s’opère aussi au niveau de l’imaginaire que les gens ont d’eux-mêmes, de la représentation de leur corps. Donc effectivement les hommes vont plutôt valoriser des corps qui vont être, pas forcément très musclés, mais en tout cas un peu musclés, dans l’idéal corporel masculin.

Lucile : Et l’homme gros, comment il est vu par rapport à cet homme musclé mais pas trop ?

Solenn : Alors du coup ce qui est intéressant c’est que l’homme gros, c’est une question de définition : qu’est-ce que c’est un homme gros, pour les hommes ? En fait les hommes qui sont en surpoids, si on reprend les définitions médicales, ne sont pas forcément perçus comme gros – en particulier s’ils sont grands, s’ils sont un peu musclés et un peu sportifs : alors là au contraire on ne s’aperçoit même pas qu’ils sont plus dans la norme médicale. Par contre, un peu comme le disait Anouch tout à l’heure, ça va commencer un peu plus tard, c’est comme la mise au régime qui vient plus tard pour les hommes – c’est le cas aussi chez les hommes adultes : finalement c’est pareil pour la question de la grosseur, ils vont être perçus comme gros plus tard. Donc ça va être avec des corpulences plus importantes qu’ils vont être perçus comme gros. L’homme gros est plus gros que la femme grosse, dans les perceptions.

Anouch : Et si je peux me permettre, l’homme gros commence à être perçu comme gros quand la grosseur commence à le féminiser, en fait. Quand il commence à avoir une poitrine, des courbes qui sont associées au féminin, c’est vraiment là où la grossophobie rattrape les hommes.

Ariane : Oui, et puis je me rappelle par exemple d’une patiente récemment qui, parce que je l’ai interrogée sur ses parents, me dit « ma mère est grosse, mon père a du ventre » (rires). Donc la façon dont les hommes grossissent n’est pas perçue de la même façon, je pense qu’il faut qu’un homme ai beaucoup plus de surpoids pour qu’on le considère comme gros dans l’environnement. Le problème c’est que la femme elle-même va très vite, à partir du moment où elle sort des standards de la minceur, se considérer comme grosse – même quand elle n’est pas grosse.

Lucile : Oui parce qu’il y a quand même une norme de la femme au régime, de fait. On le voit bien dans les magazines féminins, dans la culture : la femme est au régime.

Ariane : Alors c’est pas forcément que la femme est au régime, mais c’est qu’on nous montre une image d’une femme taille 34-36 – même si on ne lit pas les magazines féminins, qu’on dit « non, je ne vois pas ça », ça nous imprègne forcément, cette idée que c’est la minceur qui est la norme. Donc le problème c’est que des femmes qui n’ont pas une morphologie pour faire une taille 36 veulent quand même faire cette taille-là, et donc vont rentrer dans une spirale de « je me met au régime, et je perds du poids, j’en reprends, je me remet au régime, etc. »

Lucile : Et puis il y a un sentiment d’appartenance à un groupe aussi, cette culture du régime, de compter les calories, d’avoir cette culture-là – elle existe.

Ariane : Je me rappelle d’une personne qui venait me voir et du coup avait perdu du poids, arrêté les régimes, et qui se disait « mais de quoi je vais parler avec mes copines ? » (rires) c’est horrible, hein ?

Anouch : C’est tellement triste d’en arriver là.

Solenn : Oui, peut-être juste pour compléter ce qu’a dit Ariane, ce n’est même pas qu’une question de régime, c’est plus vaste que ça : c’est vraiment toutes les pratiques alimentaires dans ces cas-là qui sont perçues sous l’idée de « qu’est-ce que je peux manger pour ne pas grossir, qu’est-ce que je mange pour maigrir ? » et donc même quand il n’y a pas un régime officiellement, avec des pratiques particulières, restrictives, etc., beaucoup de femmes – et beaucoup de jeunes femmes en particulier mais beaucoup de femmes de manière générale – sont tout le temps en train de penser à ça, et de tout le temps réfléchir à leur alimentation. Leur alimentation est au centre de leur vie quotidienne et donc ça devient des troubles du comportement alimentaire, même quand il n’y a pas forcément de compulsion ou de boulimie associée. Simplement parce que c’est en permanence en arrière-fond, en arrière-pensée de « qu’est ce que je mange, quand est-ce que je mange, avec qui je mange, qu’est ce que j’ai le droit de manger, qu’est ce que je vais manger ce soir, etc. ». J’ai vu ça aussi dans mon enquête où il y a des personnes pour qui c’est le sujet numéro un : c’est même plus la minceur, c’est presque au-delà de ça, c’est vraiment l’alimentation qui devient…

Ariane : C’est un envahissement mental.

Solenn : C’est un envahissement émotionnel et mental, oui.

Anouch : C’est une manière de – pardon je reviens toujours au sujet du patriarcat – mais c’est une manière très claire de contrôler l’esprit des femmes, en fait. Puisqu’une femme, si elle ne pense qu’à ce qu’elle va manger et à perdre du poids, elle ne pense pas à autre chose. Donc elle est tout à fait malléable à ce moment-là.

Lucile : Ça pose aussi la question du genre de certains aliments : la salade, la côte de bœuf, c’est quand même des choses qui sont extrêmement genrées dans l’idée.

Ariane : Effectivement, pour aller dans le sens de ce que dit Solenn, il y a « les bons aliments », « les mauvais aliments », l’idée qu’il faut bien manger donc il faut manger des légumes. En plus il y a tous les discours nutritionnels qui vont dans ce sens-là. Peut-être qu’il y a aussi l’éducation, c’est à dire : comme la petite fille intègre très vite qu’elle doit bien manger, peut-être qu’elle va plus se forcer à manger des légumes qu’un petit garçon. J’ai pas d’étude là dessus, je ne sais pas, mais c’est pas qu’un stéréotype de dire « les hommes mangent plus des pâtes et du riz et les femmes plus des légumes », c’est quand même un petit peu une réalité… Parce que peut-être les femmes aiment les pâtes mais s’empêchent d’en manger, parce que les légumes c’est plus léger, c’est moins calorique, on peux en manger beaucoup et avoir l’impression d’avoir le ventre rempli. Ça créé beaucoup d’obsessions mentales et beaucoup de culpabilité dès qu’on sort des rails : parce qu’on mange un gâteau au chocolat, parce qu’on mange une pizza, on est dans la culpabilité. Donc il y a vraiment une fragilisation complète, parce qu’on est tout le temps à se dire qu’il faut être mince, on croit qu’on sera heureuse que quand on sera mince, donc on met toute son énergie là-dedans, et donc on a pas de l’énergie pour d’autres sujets plus importants.

Lucile : Et puis j’imagine qu’il y a aussi une souffrance mentale quand on arrive à atteindre son objectif de poids et qu’on se rend compte qu’on a plus de but, ou qu’on est pas plus heureux ou en meilleure santé ?

Ariane : Exactement, c’est une terrible déception. Il y a un livre d’une canadienne qui s’appelle « À dix kilos du bonheur », c’est-à-dire qu’on croit toujours que quand on aura perdu du poids, on trouvera le bon conjoint, on aura le bon boulot, on sera plus heureuse dans la vie, tout sera facile, tout sera clair ; et puis en fait non, la vie est beaucoup plus compliquée que ça. Mais ce n’est pas ça qui fait reprendre du poids : c’est aussi la privation, il y a plein de choses qui font reprendre du poids. En général on lâche parce que ça ne va pas mieux, et donc autant manger, finalement.

Lucile : Dans les faits, est-ce qu’il y a une différence entre les régimes d’hommes et les régimes de femmes ?

Ariane : Quand j’ai commencé mon activité il y a 12-13 ans, comme je n’étais pas dans la privation je pensais que j’aurai plein d’hommes qui viendraient me voir parce qu’ils n’aimeraient pas la privation, et en fait pas du tout. Parce que l’homme – je suis désolée, je caricature un petit peu – l’homme veux un truc radical, fort, la volonté, la discipline : « j’arrête la charcuterie, le fromage, le vin, les pâtes, je fais du sport, et je perds 15 kilos ». Ce qui marche très bien, et puis après il reprends les 15 kilos. Donc ça c’est une chose, le contenu du régime. La femme va être beaucoup plus dans le fait de manger beaucoup de légumes, et elle va avoir plus tendance à lire des livres, des magazines, aller voir un diététicien, se faire accompagner ; les hommes vont quand même moins facilement aller demander de l’aide. Ça change peut-être un peu : j’ai été très amusée récemment – parce qu’il y a quand même des hommes autour de la quarantaine un peu préoccupés de se voir grossir qui viennent me voir – et il y a un homme qui est venu me voir, et un autre vient et me dit « je viens parce que j’en ai parlé à mon ami untel, qui est venu vous voir » donc que deux hommes parlent ensemble de leurs problèmes de poids et du fait d’être allés voir quelqu’un ça m’a paru complètement nouveau, enfin c’est quand même pas très répandu.

Lucile : Mais du coup on parle d’aller voir des diététiciens, des diététiciennes, se faire aider, lire des magazines, lire des livres, mais est-ce que quelqu’un pense à un moment à aller voir un psy aussi ? À faire un accompagnement psychologique ?

Ariane : Alors malheureusement, c’est ce que je voulais dire tout à l’heure par rapport aux enfants, un enfant qui prend du poids, c’est qu’il y a quelque chose d’émotionnel derrière. Ça peut être la conséquence de la privation, mais souvent dans ce qu’on me raconte, c’est des difficultés au sein de la famille, un divorce, un grand-parent auquel on était très attaché qui meurt, un gros mal-être à l’école : des choses qui se passent qui font qu’on va aller chercher un refuge dans la nourriture. Et c’est de ça qu’il faudrait s’occuper, et pas de priver l’enfant – et c’est très rare qu’on s’occupe de ça chez les enfants – et même après, c’est important… J’avais créé un billet de blog « est-ce qu’il faut aller voir un nutritionniste ou un psy ? » et c’est intéressant de se poser la question. Parfois il y a des gens qui viennent me voir une ou deux fois et ça les aide à prendre conscience que le problème est psy et qu’il vaut mieux s’en occuper avec un psy.

Lucile : Anouch, tu parlais de ton expérience, est-ce que tu as eu l’occasion, quand tu étais petite, d’aller voir un psy ?

Anouch : Pas du tout, puisque dans la croyance des médecins qui me suivaient – et dans la croyance de beaucoup de médecins encore – c’est juste l’alimentation le problème, c’est juste « tu manges trop donc forcément si tu manges moins, tu vas maigrir ». Ce n’est pas vraiment le cas dans la réalité : il y a encore un gros problème, une grosse difficulté à prendre en compte que la grosseur est multi-factorielle. Elle ne vient pas que de l’alimentation, et si elle vient de l’alimentation, c’est parce qu’il y a quelque chose derrière cette alimentation hors-normes. Donc il faut aller chercher ailleurs, et ça ne se fait absolument pas chez les enfants. Ça se fait un peu plus chez les adultes quand on commence à en prendre conscience mais il faut déconstruire beaucoup de choses soi-même, ou tomber sur des praticiens qui sont un peu formés à la grosseur.

Solenn : Si je peux rajouter un point par rapport à ce que tu dis Anouch, et à ce que vous disiez avant, je me demande si c’est pas les parents surtout qui devraient aller voir un psy ? Puisqu’en l’occurrence, c’est souvent les parents qui mettent les enfants, et en particulier les très jeunes enfants au régime, c’est très souvent ça qui va conduire ensuite à des troubles du comportement alimentaire et à une prise de poids très importante. Alors qu’à la base peut-être que l’enfant allait être un peu plus gros que la moyenne mais c’est tout, ce n’était pas du tout un problème particulier. Donc finalement l’enfant n’a pas de problème émotionnel très important – il en a peut-être mais, j’allais dire, comme tout le monde – simplement, dans ces cas-là ça peut être un moyen de résoudre des petits problèmes du quotidien : des disputes, des bagarres, des difficultés à l’école ou dans la famille, etc. Ce ne sont pas forcément des difficultés importantes, mais le problème important va venir de la mise au régime et des troubles du comportement alimentaire que ça va engendrer. Donc c’est vrai que de temps en temps, c’est peut-être plutôt les parents qui devraient aller discuter avec un psy.

Public : oui, bravo ! [applaudissements]

Lucile : Alors on a commencé à parler aussi des hommes qui vieillissent un peu, qui commencent à se dire « tiens, je prends un petit peu de bide », mais je trouve que cette pression-là elle est chez les femmes tout au long de leur vie. Même à travers leur ménopause, le corps ne doit pas changer, alors qu’en théorie médicalement il change. Je trouve que chez les hommes ce n’est pas aussi stigmatisé que ça peut l’être chez les femmes.

Ariane : Je pense que c’est en train de changer chez les hommes de 35-40 ans, ou peut-être dans certains milieux socio-professionnels. Avant on acceptait le PDG qui avait du bide, bon vivant, etc., maintenant il faut beaucoup plus être en forme, “affûté” disent les hommes. Et à tout point de vue, au point de vue corporel aussi. Ça gagne les hommes des nouvelles générations, mais sinon les gens qui ont 50-60-65 ans, très souvent ils ne s’en soucient pas. Parce que comme on le disait, le corps de l’homme est beaucoup moins objectivé que celui de la femme, et c’est très souvent le médecin qui va mettre de la pression et qui va alerter sur des risques de santé, qui va faire que l’homme, éventuellement, va envisager de perdre du poids. Mais il y a des hommes qui sont très gros et ça ne leur pose aucun problème, ils considèrent qu’ils ont le droit d’être comme ça, qu’on leur foute la paix. C’est plus des raisons de santé qui peuvent intervenir et donc beaucoup plus tard. Ils ne vont pas être tracassés toute leur vie comme la plupart des femmes.

Lucile : Et puis il y a culturellement une tendresse pour le papy – on a parlé un temps aussi de « dad bod » qui était le bide de bière de l’homme quadragénaire – c’est des choses qui sont vues de façon assez sympathiques. On n’imagine pas une seule seconde une valorisation du « mom bod », qui existe pourtant.

Anouch : Oui, on parle de « bon vivant » quand on parle d’un homme gros. C’est « oh il est bon vivant, il a un bon coup de fourchette, il aime la vie ». Une femme grosse, « elle se laisse aller », elle « a pas de volonté », elle « devrait faire quelque chose »…

Lucile : Il y a beaucoup de Français aussi qui adorent Gérard Depardieu, aujourd’hui dans les films on met énormément en avant ces caractéristiques corporelles, sans que ça fasse ciller particulièrement. Personne ne se dit « Oh, il ne doit pas être en très bonne santé ».

Anouch : Il est perçu comme un bon vivant, donc…

Ariane : Oui, on va dire que c’est son tempérament, c’est quelqu’un d’excessif, mais ça ne va pas être connoté négativement alors qu’effectivement ce ne serait pas du tout pareil – je suis tout à fait d’accord – pour une femme.

Lucile : Est-ce que c’est quelque chose médicalement le fait qu’il y ai plus d’hommes qui viennent à ce moment-là de leur vie ? Pourquoi ? Pour des questions d’images socio-professionnelles principalement ? Dans une optique de jeunisme parce qu’il ne faudrait pas vieillir ?

Ariane : Il y a des hommes autour de 35-40 ans, souvent des hommes qui ont fait beaucoup de sport dans leur jeunesse qui sont un peu choqués de voir leur corps changer et être moins conforme à ce qu’ils aiment. Et il y a quand même aussi – ce que j’ai observé chez quelques hommes – une espèce d’image repoussoir du père, c’est-à-dire que le père est très gros et on ne veux surtout pas lui ressembler, et donc cela ça peux déclencher quelque chose. Sinon, les hommes qui sont très gros vont venir car c’est éventuellement leur femme qui va les envoyer, ou c’est le médecin, et ça ne marchera pas de toute façon car si la personne – homme ou femme – ne prends pas la décision elle-même, cela n’aura pas d’effet.

Lucile : Quand est-ce qu’on parle juste de la santé, plutôt que d’avoir un corps hyper performé qui doit ressembler à une image qu’on a de ce qu’on devrait être, homme ou femme d’ailleurs ? Quand est-ce qu’on se dit juste « je suis bien comme je suis, en bonne santé » ?

Anouch : Alors, le problème déjà c’est qu’on associe la grosseur à la mauvaise santé, ce qui n’est pas forcément le cas. On peut être gros et en mauvaise santé et avoir le droit de rester gros et en mauvaise santé. [applaudissements] Oui, vraiment. On ne parle jamais aussi dans ces cas-là de grossophobie médicale, qui empêche beaucoup les personnes grosses – surtout les femmes grosses – d’aller se faire soigner correctement, parce que quand une femme grosse va chez un médecin, la plupart du temps elle ressort avec une recommandation pour une chirurgie bariatrique.

Lucile : Je précise que ça concerne tous les médecins, pour tous les problèmes médicaux.

Anouch : Absolument, ça concerne les dentistes, les kinés, les ophtalmos… J’ai eu, personnellement, une recommandation d’un ophtalmo pour une chirurgie bariatrique, c’était merveilleux. C’est complètement ridicule en fait. Et forcément, les femmes grosses vont moins consulter, au bout d’un moment, puisque tout est à cause de leur poids. Donc, à quoi ça sert d’aller consulter un médecin ? Les hommes gros peuvent aussi avoir des recommandations déplacées de chirurgie mais comme on le disait, à un poids beaucoup plus élevé. Sur le spectre de la grosseur ils sont vraiment plus loin que pour une femme. Il faut absolument dés-associer l’idée de bonne santé et minceur.

Lucile : Mais il y a encore du chemin à faire là-dessus.

Anouch : Énormément, mais vraiment énormément.

Lucile : Et puis pour le coup à tous les âges de la vie.

Anouch : Oui, absolument, de l’enfance jusqu’à la vieillesse, on perçoit forcément quelqu’un de gros comme en mauvaise santé, et s’il est en mauvaise santé – que ce soit à cause de son poids ou pas – ce sera toujours à cause de la personne grosse, « elle n’a qu’à faire un effort, ça va ».

Lucile : Oui parce qu’il y a ça mais il y a aussi les clichés qu’on peut véhiculer sur le caractère, en l’occurrence, que c’est des personnes qui ne se bougent pas assez, qui ne font pas assez de sport, qui ne sont pas motivées.

Anouch : Tout à fait, il y a les biais grossophobes extrêmement ancrés dans la société, qui voient les personnes grosses comme des personnes feignantes, incapables de se bouger, incapables de se prendre en main, qui ne peuvent pas prendre de décision pour elles-mêmes ou si elles en prennent c’est forcément des mauvaises décisions. Il faut changer tout ça.

Lucile : Ces clichés grossophobes, entre hommes et femmes, il y a une différence Solenn ?

Solenn : C’est compliqué de dire s’il y a vraiment une différence parce que c’est des clichés qu’on retrouve un peu partout dans les médias, dans les films, chez le médecin, dans la rue, etc. Ce qu’on disait tout à l’heure sur l’homme qui va jouer le côté viril, costaud, on le voit pas mal dans les films où on va avoir un personnage qui va être très costaud, très corpulent, mais qui va amener sa force physique avec lui, et qui va du coup avoir une perspective plus positive de la grosseur. Ou le bon vivant, qui va quand même être plus souvent associé aux hommes : ça va être le personnage joyeux qui aime bien manger, etc. Maintenant, c’est vrai que le fainéant, la fainéantise, la paresse, etc. sont quand même associées aux deux, en tout cas dans les médias on retrouve souvent cette caractéristique-là. Il y a aussi l’association de la grosseur avec le fait de manger tout le temps. C’est quelque chose qui m’avait pas mal marqué quand j’avais regardé des films et ses personnages : très souvent quand il y a un personnage gros et en particulier quand c’est un enfant (mais pas que), il est toujours associé à la bouffe, à la malbouffe, au fait de manger. Alors « le gourmand » ça peut être quelque chose de positif, c’est pas forcément une image négative mais dans ce cas c’est souvent une image assez négative. Il y avait cependant peu de différence de genre, en tout cas sur cette question la.

Ariane : Mais c’est important cette question de l’image de la personne grosse qui doit être une goinfre qui mange tout le temps, parce que cela a créé le fait que la personne grosse va très souvent être dans un contrôle très important quand elle est avec les autres. Elle se dit « on croit que je mange beaucoup alors je vais montrer que je suis très raisonnable » donc elle va manger peu, elle va choisir des choses pas très caloriques. Sauf que ce contrôle va souvent entraîner le fait que quand elle rentre chez elle, elle va se lâcher parce qu’elle s’est trop contrainte. Parce qu’elle essaye d’aller contre l’image qui est véhiculée par la grosseur.

Lucile : Et on en sort de la spirale du régime ?

Ariane : C’est mon travail (rires). Juste une petite chose sur la santé – c’est très important de distinguer le poids et la santé : il y a un peu plus de risques de santé chez les hommes puisque les hommes vont accumuler beaucoup plus de graisses au niveau abdominal, et cela représente un plus grand risque de santé que d’avoir des grosses cuisses ou des grosses fesses. Les femmes sont – au niveau cardio-vasculaire – beaucoup plus protégées que les hommes. Et justement on sort de la spirale du régime – moi j’essaye de faire sortir les gens le plus tôt possible – mais des fois les femmes sont résignées. Ce qui va les faire consulter c’est de commencer à avoir des problèmes au niveau des articulations ou de la mobilité, qui vont faire qu’elle se dit « il faut faire quelque chose pour perdre du poids » mais sans régime. C’est ça qui est triste – moi je fais ce que je peux, j’ai des collègues qui font ce qu’ils peuvent – la culture des régimes est tellement importante. C’est vraiment le carrefour du patriarcat et du capitalisme, c’est-à-dire fragiliser les femmes, puis leur vendre tout un tas de choses pour les faire mincir : il y a tout le temps des poudres de perlimpinpin, des coachs, des méthodes minceurs, etc. Il y a énormément de pression, et la voix alternative qui est de dire « si on le décide, si on en a envie, on peut perdre du poids pour se sentir mieux sans faire de régime », cette voix-là que moi je défends elle est encore trop peu connue et trop minoritaire. Mais bien sûr, il y a des personnes qui peuvent décider consciemment de faire de la chirurgie bariatrique si elles ont beaucoup de poids en trop, puis il y a des personnes qui perdent 15, 20, 30, 40 kilos tranquillement, dans le temps, en travaillant éventuellement avec un psy, en travaillant le coté émotionnel, la réécoute de ses sensations, la non-privation donc ne pas avoir de craquage… C’est tout un travail global, mais sans faire de régime.

Lucile : J’y ai pas pensé, là ça vient de me sauter au visage mais c’est vrai qu’il existe beaucoup moins de crèmes amincissantes de nuit pour les hommes [rires]. Alors que je peux en citer je pense au moins 20 là, de tête.

Anouch : C’est bien de le rappeler : la lutte anti-grossophobie c’est une lutte anti-capitaliste et féministe, très clairement [applaudissements]. On vends aux femmes beaucoup beaucoup beaucoup de solutions miracles que ne marchent pas ou qui vont marcher très peu sur un court temps, pour leur revendre derrière encore plus de choses.

[36’24]

Lucile : Qui participe à une forme de taxe rose : des produits qui sont inventés complètement pour des besoins invisibles pour les femmes.

Ariane : D’ailleurs on rejoint ce qu’on disait tout à l’heure sur le muscle et la force : il y a des tas de yaourts minceurs, yaourts light, 0 %, etc. et les hommes n’achetaient pas ça. Donc on a créé les yaourts hyper-protéinés pour les hommes, avec des packagings noirs ou marron… pour essayer de vendre des yaourts aux hommes.

Anouch : Des yaourts de guerre ! C’est pour faire la guerre !

Solenn : Pour continuer sur ce thème, on parlait tout à l’heure de la question du genre des aliments et c’est vrai qu’on rejoint cette question-là en faisant un packaging qui correspond, et je trouve qu’on voit aussi cette question avec la viande en particulier. Ça me fait penser aux publicités pour vendre de la viande, du beefsteak : ça va être « l’homme viril qui mange de la viande bien saignante ». Ce sont des associations guerrières qui sont mises en avant. C’est intéressant parce que la viande est l’aliment genré par excellence qui est extrêmement vieux, et qu’on retrouve historiquement depuis très longtemps. Les femmes vont être associées à la salade, en tout cas aux légumes, etc. et les hommes à la viande.

Anouch : J’adore être associée à une salade. C’est… (rires) une passion pour moi.

Ariane : Il y a ce qu’on appelle la « pensée magique » : si je mange de la viande je vais être fort. Il me semble quand même que les choses sont en train de changer : l’alimentation reste très genrée mais en ce moment il y a un mouvement très important pour manger moins de viande, et ça concerne aussi les hommes. Et moi aussi j’ai des stéréotypes dans la tête, c’est-à-dire que moi aussi j’imagine que les hommes mangent plus de viande. Je me rappelle d’un monsieur qui était venu me voir, qui devait avoir 55-60 ans, conducteur SNCF, un mec très simple un peu costaud. Je pensais qu’il venait me voir pour perdre du poids et pas du tout, en fait il était végétarien et il voulait devenir vegan. Il y a quand même ce mouvement de préoccupation du bien-être animal, de manger moins de viande pour des raisons liées à cela ou à l’écologie. Je pense que cela impacte aussi beaucoup les hommes, sachant qu’il y a aussi beaucoup d’hommes (je ne saurais pas chiffrer) qui sont justement dans la résistance vis-à-vis de ça, qui sont plutôt « je vais manger encore plus de viande et je vous emmerde ! ».

Lucile : Oui pour poser leur virilité… J’allais dire, si le patriarcat perdure et qu’on dit qu’il faut manger moins de viande, ils vont trouver un autre truc très viril à manger, enfin je veux dire… s’ils peuvent plus manger de bœuf, ils vont s’attaquer à autre chose.

Anouch : Oui et puis on demande beaucoup aux femmes de ne pas prendre de place ou de prendre le moins de place possible. Une manière de lutter contre tout ça c’est de se rendre compte qu’on a le droit de manger, on a le droit de se nourrir de viande si on a envie, ou pas, ou de raclette, ou de n’importe quoi. On a le droit de se nourrir et de vivre et de prendre de la place.

Lucile : Je pense à une question que j’avais envie de te poser tout à l’heure, après ces applaudissements mérités [applaudissements]. Je parlais de spirale du régime et de comment s’en sortir, tu disais que tu y étais entrée quand tu étais toute petite. Où est-ce que tu en es, comment tu as réussi à changer ça ?

Anouch : Personnellement j’ai arrêté il y a très longtemps, j’ai été au régime continuellement de mes 5 ans à mes 17 ans. Ça a fait beaucoup de dégâts, ça a fait la personne grosse que je suis aujourd’hui. Parce que j’ai perdu beaucoup de poids, et j’en ai repris beaucoup aussi. Ça a laissé des traces qui sont très compliquées à effacer avec ma relation avec la nourriture, très clairement. En revanche, j’ai fait la paix avec cette idée de… en fait j’ai pas besoin de maigrir pour être une personne qui a le droit de vivre. J’ai besoin de me nourrir pour faire des choses, j’ai besoin de me nourrir pour lire, pour écrire. Donc je me nourris. Je prends du poids, je prends du poids. Je perds du poids, je perds du poids. On s’en fout en fait. [applaudissements] Merci, merci. Il faut arriver à avoir (au maximum) une relation neutre avec son corps.

Lucile : Et c’est déjà très difficile et une sacrée aventure d’en arriver là, j’imagine que ça change aussi ta relation avec ta famille ? Parce que du coup tout le monde est impliqué ?

Anouch : Oui et non, je viens d’une famille de personnes grosses, on est tous gros. Donc je crois qu’ils avaient aussi besoin de voir qu’on peut vivre sans faire des régimes. Que c’est aussi une manière de vivre, donc ça se passe plutôt bien.

Ariane : D’ailleurs je rejoins ça, il y a des personnes qui viennent me voir et qui parfois ont peur de perdre du poids. Il y a différentes raisons qui peuvent faire qu’on a peur de perdre du poids, mais elles ont peur d’un problème de loyauté vis-à-vis de la famille. C’est-à-dire « toute ma famille est grosse, si moi je maigris, qu’est-ce qu’il se passe dans ma relation avec ma famille ? » donc c’est pas toujours simple. Il y a une autre chose, on parlait du patriarcat : le poids est une protection aussi, c’est à dire quand on est une femme séduisante et qu’on est très embêtée, prendre du poids est aussi une façon se protéger.

Lucile : On revient aussi dans cette histoire d’accompagnement psy pour les parents qui nécessite vraiment une vision globale de la famille, de tout le monde qui s’implique. Plutôt que de juste mettre l’enfant dans un cadre où il se retrouve avec lui-même et des praticiens qui vont être possiblement violents avec lui ou elle. La famille entière doit s’impliquer.

Ariane : Moi je ne reçois jamais un enfant sans l’un des parents, après si c’est un enfant qui commence à avoir 10-12 ans qui vient avec ses parents, je demande à un moment donné s’il veut dire des choses sans les parents (pour que les parents sortent éventuellement). Évidemment, il est absolument fondamental que les parents soient là et que les parents entendent – il ne s’agit pas de les faire culpabiliser et de les rendre responsables – ce qu’il y a à entendre par rapport à la situation.

Lucile : Et puis le but c’est aussi du mieux-être, des améliorations, donc ça peut être des choses difficiles à entendre mais c’est positif dans le principe.

Ariane : Bien sûr.

Lucile : Je voulais clôturer ce tour de parole en donnant toutes nos idées d’améliorations, surtout sur la question du genre, de l’alimentation, de la grossophobie de la société en général. Un point de vue militant, personnel, politique… Solenn, si tu veux commencer. Comment on peut changer les choses, améliorer les choses, c’est quoi ta vision ?

Solenn : Déjà je pense qu’il faut vraiment lutter contre la grossophobie et contre les discriminations de manière générale. Ça me parait essentiel, car c’est ça qui fait que les personnes se sentent mal et donc qui déstructure leur rapport à l’alimentation. Cette lutte contre les discriminations doit aussi cibler particulièrement la question du genre. Il y a plein d’autres problématiques qui sont aussi très importantes dont on n’a pas forcément parlé : la question sociale par exemple. Je pense que ça c’est déjà le premier truc, après je dirai aussi informer les gens. Leur montrer que la question de l’obésité, la grosseur, est beaucoup plus compliquée qu’ils ne l’imaginent. Ça participe bien à la question de la lutte contre les discriminations : expliquer aux gens ce qu’il en est et informer les gens sur leurs droits, leur droit de lutter, de réagir s’ils sont victimes de discrimination – tout cela est très important.

Il y a aussi montrer la diversité corporelle, dans les médias, les films, les réseaux sociaux, mais en dissociant la corpulence de la personne de ce qu’elle est. Le problème c’est que très souvent les personnes grosses vont être présentées soit négativement, soit positivement, mais toujours avec un lien avec leur grosseur. Alors que cela devrait être une personne comme les autres : qu’elle soit grosse ou non on s’en fiche. Le personnage joue le méchant, le gentil, ça ne devrait pas être un trait de caractère d’être gros, et ça l’est trop souvent. Ça rajoute un petit peu sur la question du caractère.

Puis peut-être un dernier point sur la question de la prise en charge de manière générale, on parlait de grossophobie médicale tout à l’heure : il y a un vrai problème actuellement sur la question de la prise en charge. À la fois pour ne pas associer la question de l’obésité directement à la question de la santé, mais aussi pour aider les personnes grosses qui souhaitent se faire soigner lorsque ça n’est pas lié à leur grosseur, qu’elles puissent se faire soigner sans être discriminées. Et celles pour qui c’est lié à leur grosseur puissent aussi se faire soigner sans être discriminées. On a un tout petit peu parlé de la chirurgie bariatrique mais c’est important aussi de signaler cela : si certaines personnes ont besoin de faire de la chirurgie, il faut améliorer la prise en charge et améliorer la question de la chirurgie de manière générale. Pour le moment ça reste encore problématique sur plein d’aspects. Et aussi prendre en charge plus généralement et pas seulement d’un point de vue médical. Cela rejoint peut-être ce qu’on disait sur la question psy. Je pense qu’il n’y a pas que la question psy, il y a les questions socio-économiques, etc. Il faut savoir que, juste un petit exemple, sur la question de la chirurgie bariatrique : beaucoup de personnes qui ont fait une chirurgie bariatrique ont des problèmes de santé ensuite parce que financièrement elles n’ont pas les moyens de payer les vitamines qui vont, etc. Donc là on est au croisement des questions de capitalisme, c’est quand même incroyable. Améliorer la prise en charge au sens large. Après il y a plein de choses, hein, mais… (rires)

Lucile : Anouch ?

Anouch : Oui, je suis assez d’accord avec ce qu’a dit Solenn, il faut améliorer la prise en charge. Il faut aussi complètement dissocier la grosseur de la moralité, parce qu’on met beaucoup de mauvaise morale derrière la grosseur. Il faut changer plein de choses dans notre système (rires) : la grossophobie médicale évidemment, les problèmes d’accès, les problèmes d’accès au travail aussi, un million de choses dont on a pas eu le temps de parler aujourd’hui. Il faut aussi je pense travailler sur… on a pas besoin de maigrir pour avoir de la valeur et pour avoir le droit de vivre. Il faut s’en rappeler tous les jours et travailler vraiment là-dessus, il faut essayer de lutter au maximum contre la grossophobie. Faites le en venant adhérer à Gras Politique, ça nous fait plaisir ! Venez nous aider. Et puis, vraiment, vivez pour vous.

Lucile : Merci Anouch. Et puis, on arrête les régimes, enfin.

Ariane : Oui, je pense que beaucoup de choses ont été dites. Il ne faut pas arrêter les régimes, il faut lutter contre la culture des régimes. Il faut vraiment dénoncer ça, montrer tout le mal que ça fait, montrer que ce n’est vraiment pas une solution et que c’est très nuisible. Je rejoins ce que disait Solenn, c’est très important de montrer la diversité : on ne voit pas des corps différents, nulle part. Il y a un travail de la philosophe Camille Froidevaux-Metterie sur les seins. Elle a fait un livre sur les seins et c’est incroyable, elle montre plein de photos de seins. Jamais on ne voit des photos de tous les seins. Donc on grandit en tant que petite fille, ado, en se disant « j’ai des seins pas normaux », puisqu’on ne voit que les seins des mannequins ou des filles des pubs. Il faut faire la même chose pour les corps, voir des corps de toutes sortes, des corps gros, des corps minces, des grands, des maigres, des carrés, des ronds, voir tout ça et qu’on se dise que c’est normal que les corps soient divers. Ça c’est un gros chantier. Et puis par rapport à ce que disait Anouch, même si on vit bien avec son corps, on vit dans un monde hostile, donc il y a beaucoup à faire pour que les sièges soient suffisamment grands, dans les trains, les avions, les restaurants, les théâtres… que le monde médical, que tout soit adapté aux personnes, quelle que soit leur morphologie. Même si on fait un travail sur soi, le monde n’est pas adapté.

[applaudissements]

Solenn : Je rajoute mon grain de sel sur les conseils, moi je conseille tout le temps aux gens de s’intéresser aux autres, juste. Donc écoutez des podcasts, lisez des livres, allez vous renseigner dans les assos comme Gras Politique. Pour juste apprendre de l’autre, qu’on soit concerné ou pas, finalement ça concerne tout le monde. En l’occurrence on est toujours à deux doigts de dire une connerie grossophobe donc c’est toujours intéressant d’être plus intelligent, de devenir plus intelligent en s’intéressant à l’autre.

Anouch : Complètement. La lutte contre la grossophobie c’est une lutte qui libère toutes les femmes, soyons très claires. Donc venez.

[applaudissements]

Lucile : Merci Ariane Grumbach, diététicienne anti-régime défendant la diversité des corps et on l’a beaucoup dit ce soir. Merci Solenn Caroff, maître de conférence Université la sorbonne et autrice de Grossophobie, sociologie d’une discrimination invisible et merci Anouch, membre historique de Gras Politique. [applaudissements] Merci au Très Gros Festival de nous avoir accueillies et à très vite pour de nouveaux épisodes, très très vite même. Merci à l’équipe de Slate Podcasts et à Victor Benhamou pour la réalisation live.

[applaudissements]

Les stigmatisations liées au poids des personnes enceintes augmente le risque de diabète gestationnel

Il y a quelques temps, des membres de Gras Politique sont tombé·e·s sur cet article médical, en anglais, et ont décidé d’en faire un résumé en français afin de diffuser les résultats de l’étude.

L’étude a été menée par Taniya S. Nagpal, A. Janet Tomiyama et Angela C. Incollingo Rodriguez, et est disponible en suivant ce lien : bit.ly/StigmatisationDiabeteGestationnel

De précédentes études (2015 et 2017) menées sur des femmes non enceintes montrent que la stigmatisation de leur poids augmente le risque de comorbidités liées au poids et de syndrome métabolique.

Dans cet article paru en juillet 2021, il est décrit une étude menée sur 358 femmes en post-partum (ayant accouché il y a 1 an ou moins) concluant de manière assez claire que le risque de diabète gestationnel est lié de manière significative, non pas à l’IMC des patientes, mais à la sensation de stigmatisation de leur corps et de leur poids pendant leur grossesse.

Cet échantillon de femmes a dû, entre autres, répondre à ces questions : « depuis que vous êtes tombée enceinte, avez-vous été traitée différemment à cause de votre poids ? Avez-vous été mise mal à l’aise à cause de quelque chose ou de quelqu’un par rapport à votre poids ? », puis indiquer la source de leurs informations.

Intéressant, car selon elles, la source la plus récurrente de cette stigmatisation viendrait des médias (c’est une étude américaine) et cela plusieurs fois par semaine. Ce problème ne se limite pas aux personnes dites en surpoids, mais indifféremment de leur IMC.

L’association entre l’IMC d’avant grossesse et le diabète gestationnel a été régulièrement démontré. Mais de manière très intéressante, cette récente étude démontre à son tour qu’un important ressenti négatif et stigmatisant vis-à-vis de son propre poids est associé de manière bien plus significative à un risque de développement de diabète gestationnel. Visiblement, les résultats démontrent que cette association émotionnelle est bien plus importante qu’avec l’indice de masse corporel uniquement.

Cette découverte concorde avec le fait que la stigmatisation du diabète est souvent comparée à la stigmatisation de l’obésité. C’est-à-dire que la cause fondamentale de ces idées reçues et de la stigmatisation qui en résulte est la perception sociétale dominante selon laquelle ces pathologies découlent du choix d’un mode de vie malsain par un individu.

L’intersectionnalité de ces stigmates est une importante orientation future pour la recherche.

Traitement du corps gros pendant la pandémie mondiale de COVID-19, un double regard France / USA

C’est avec grande joie que nous avons recueilli l’autorisation des autrices de l’article états-unien “Resisting the problematisation of fatness in COVID-19: In pursuit of health justice”, que vous pourrez retrouver à la fin de ce billet. Les études universitaires sociologiques concernant le corps gros, la grossophobie et son impact dans les politiques de soin sont encore rarissimes en France. On peut compter sur les doigts d’une seule main les courageuses universitaires qui osent se lancer, et qui sont souvent mal reçues par l’institution. La grossophobie, la grosseur, ne seraient pas des sujets nobles dans notre pays. Les militantes contre la grossophobie ont depuis toujours produit des textes, des fanzines qui dénoncent l’inégalité du parcours de santé pour les personnes grosses, mais nos moyens sont ridicules face à des leviers bien ancrés dans une société de la performance et de l’apparence : grossophobie, racisme, sexisme et classisme, validisme.

Les militantes racisées ont été les premières à dénoncer le contrôle de leurs corps par la colonisation blanche occidentale. Les corps des femmes noires ont été les premiers à souffrir de stigmatisation, de rejet, d’exotisation et de tortures médicales. Dans son livre “Fearing the black body, the racial origins of fatphobia”, l’autrice Sabrina Strings met en lumière les racines profondément racistes de la grossophobie contemporaine.

C’est à la fin du XVIIe siècle que la grosseur est devenue un outil de catégorisation raciale. Les écrits des premiers “scientifiques des races” comme George Cuvier, J.J. Virey et Georges-Louis Leclerc ont établi des liens directs entre la gourmandise, la bêtise et les caractéristiques des Africains, dont l’oisiveté était attribuée à leur climat chaud (un trope omniprésent que l’on retrouve également dans le discours colonial sur l’Inde). Le rationalisme de l’époque des Lumières a transformé la nourriture en bien moral et a rendu l’ascèse nécessaire à la poursuite d’une activité intellectuelle. C’est à ce moment qu’un physique maigre a cessé d’être synonyme de maladie, et qu’il est devenu la preuve de la supériorité morale et intellectuelle des Européens, théorie soutenue par les écrits d’anthropologues et de naturalistes cherchant à codifier et à biologiser une hiérarchie raciale. Ces œuvres ont mis un accent particulier sur les corps des femmes d’Afrique australe, qui ont été dépeintes comme grotesquement monstrueuses et animales tout en alimentant une fascination voyeuriste comme dans l’ignoble “ménagerie ethnographique itinérante” de Cuvier, qui présentait les corps des esclaves africains et des femmes comme Saartjie Baartman.

Il est nécessaire de comprendre que la grossophobie est un héritage de l’esclavage et qu’elle permet ainsi l’établissement de la blancheur comme norme morale et sociale. Sans cela, nous ne pouvons pas comprendre comment notre obsession contemporaine pour la minceur est enracinée dans le racisme et plus particulièrement dans la négrophobie. La stigmatisation de l’obésité comme étant un pilier central de la crise de santé publique repose sur les mêmes mécanismes que ceux sur lesquels les “scientifiques” européens des races des siècles derniers se sont inspirés pour faire de la grosseur un indicateur de la paresse du corps, de l’esprit et de l’âme. 

L’obésité en France comme dans la majorité des pays développés devient un marqueur de classe. Ce sont les plus pauvres, les plus précaires, les plus exclu·e·s, qui sont les plus gros. Dans les classes les plus hautes, le seul surpoids est un marqueur de déclassement. Les départements les plus pauvres, et qui concentrent les habitats les plus denses, sont aussi les plus obèses. Les territoires les plus riches, les plus blancs, et aux bassins d’emplois les plus dynamiques, sont relativement épargnés par ce qui était jusqu’en 2020 l’épidémie du siècle.

Le patriarcat porte aussi une lourde responsabilité dans la grossophobie subie principalement par les femmes en France. La féminité, ce caractère indéfinissable par celles qui s’identifient comme femmes, est décrite et catégorisée par les hommes. La minceur est au centre des attentes qui pèsent dès l’enfance sur les femmes : le premier régime est envisagé en moyenne des 8 ans. La grosseur est toujours jugée par les biais moraux hérités des colons XVIIème, une femme grosse est moins désirable, moins aimable, moins capable, en mauvaise santé. Le modèle hétérosexuel dominant fait porter aux femmes la responsabilité de plaire à l’homme. C’est une course effrénée qui s’engage avant même la puberté pour rentrer dans la norme de désirabilité. Le capitalisme, et l’industrie des régimes en particulier, a bien compris ce mécanisme, et exploite les rêves de maigreur de millions de femmes avec des promesses infondées et souvent dangereuses. Des milliards d’euros de compléments alimentaires brûleurs de graisses, d’extraits de pamplemousse, de champignons ou de plantes diurétiques rejoignent chaque année les égouts français, sans jamais infléchir la courbe de l’obésité. 

Le corps gros est donc au centre d’une nébuleuse de préjugés et de discriminations. L’épidémie de la COVID-19 les a mis en lumière : depuis mars 2020, les personnes grosses et atteintes par le virus sont stigmatisées comme responsables de leur état. On ne compte plus les titres de presse ou les reportages télévisés dans les réanimations faisant part du nombre anormal de personnes obèses atteintes par des formes graves du virus. On ne compte plus le nombre de corps gros anonymes filmés, montrés comme épouvantails à une population déjà inquiète. La grossophobie, comme un refrain entêtant dont on ne pourrait pas se défaire, rassure les minces, rassure les riches, rassure les blancs. Les études scientifiques sur les facteurs de risques liés à l’obésité se contredisent. Les études épidémiologiques stigmatisent volontiers l’obésité comme facteur de risque, sans être capable d’en quantifier ou d’en décrire le processus. Ainsi dans la récente étude EPI-PHARE “Covid-19 : facteurs de risques d’hospitalisation et de décès à l’hôpital”, on peut lire “Si l’effet propre de l’obésité n’est pas directement interprétable, il est probable que, en tant que facteur d’ajustement pour d’autres pathologies, une partie de sa variabilité soit prise en compte par l’intermédiaire d’autres pathologies chroniques comme le diabète, ou dans une moindre mesure l’hypertension, permettant ainsi de réduire le biais de confusion résiduel potentiel.” L’étude indique également “dans notre étude, l’obésité était sous-estimée : en effet, nous ne prenons en compte que les formes les plus sévères nécessitant une hospitalisation ou le recours à la chirurgie bariatrique, l’indice de masse corporelle (IMC) n’étant pas renseigné dans notre base de données”. Pas de relevé systématique de l’IMC (mesure obsolète encore utilisée en médecine pour classifier le rapport corps-masse), des constatations empiriques, cela ne saurait suffire à faire la lumière sur les liens entre obésité et COVID-19. On retiendra néanmoins la conclusion de l’étude : “Les associations entre l’indice de défavorisation et le risque de COVID-19 (hospitalisation avec COVID-19 ou décès) étaient fortes en dessous de 80 ans avec un risque de décès multiplié par deux chez les plus défavorisés par rapport au plus favorisés”.

Indépendamment de la réalité médicale des facteurs de risques liant la COVID-19 à l’obésité, nous devons nous interroger sur la manière dont la stigmatisation individuelle et systémique qui l’entoure a influé sur la prise en charge des personnes obèses touchées par le virus. On note sans surprise que ce sont les départements les plus pauvres, et donc les plus gros, qui ont été impactés le plus largement par le virus. Ces territoires déjà défavorisés et stigmatisés, ont souffert de la crise sanitaire bien plus que d’autres. Et les personnes grosses, dans la même logique, bien plus que les autres.  La prise en charge médicale des gros·se·s n’est pas bonne en France. Du cabinet du médecin de famille au service de chirurgie de l’hôpital, de la grossophobie des soignant·e·s à celle de la politique de santé publique privant l’hôpital et les malades d’équipement et de personnel, à la maternité comme en soins palliatifs, être gros·se·s est un facteur de risque de maltraitance documenté. Comment des services souffrant déja du manque organisé par l’Etat de ressources en période normale ont-ils pu adapter leurs traitements du corps gros dans l’urgence de la pandémie ? Des lits adaptés sont-ils apparus comme par magie ? des lève-malades ont-ils été commandés ? Les équipes ont-elles été renforcées pour prodiguer soins, toilettes et mobilisation aux patient·e·s gros ? A priori, rien de tout cela n’a existé. Les patient·e·s gros·se·s ont dû se satisfaire, comme toujours, d’une prise en charge calquée sur celle des corps “normés”. Ces malades gros, montrés du doigt comme fragiles, appelés à se confiner plus strictement que d’autres, pressés à maigrir en urgence comme si les kilos perdus pouvaient faire barrage à la pandémie, n’ont pas bénéficié de traitements particuliers, Notre hypothétique fragilité n’est pas compensée par des mesures particulières ou par le financement d’équipements ou de parcours spécialisés dans l’épidémie. Nous ne sommes même pas pris en compte dans les premières campagnes de vaccination. Nos corps gros et malades ont encore une fois servi à faire paravent à l’incompétence notoire de notre système de santé et de ses dirigeant·e·s à nous envisager comme dignes d’être soigné·e·s à égalité avec les autres. Il ne s’agit pas ici de montrer du doigt les soignant·e·s qui ont tenu bon lors de l’épidémie et ont sauvé la vie de milliers de gens. Il s’agit de pointer l’hypocrisie d’un discours qui tape sans cesse sur les gros·se·s, les obèses, sans jamais prendre en compte la spécificité de l’obésité. Il s’agit de dire que nous refusons que nos corps gros, racisés, pauvres, en situation de handicap ne soient pas pris en compte dans les stratégies et les politiques de santé publique.

Nous devons apprendre à tirer les leçons de cette épouvantable pandémie. Cette crise sanitaire doit hurler au monde ce que nous, les militant·e·s, savons déjà. Nous ne sommes pas toutes et tous égaux devant la médecine en France. Nous n’avons pas toutes et tous les mêmes chances. Nous, les militant·e·s pour la justice sociale, devons nous organiser pour nous assurer que nos corps ne seront plus stigmatisés ou sacrifiés. Nous, les militant·e·s pour l’égalité, devons faire pression sur le gouvernement pour que notre système de santé assure les mêmes possibilités de soin, de prise en charge et de survie à toutes et à tous. Nous ne voulons plus jamais avoir peur de ne pas être assez normé·e pour ne pas subir un triage à l’entrée en réanimation. Nous ne voulons plus jamais que nos corps servent à l’instrumentalisation du récit des échecs gouvernementaux. Nous ne porterons pas la responsabilité de votre manque d’humanité. 

 



Résister à la stigmatisation de la grosseur dans le cadre de la COVID-19: Pour un accès juste et équitable à la santé

D’après : Cat Pausé, George Parker, Lesley Gray, Resisting the problematisation of fatness in COVID-19: In pursuit of health justice, International Journal of Disaster Risk Reduction, Volume 54, 2021 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2212420920315235

Traduction : Gras Politique Relecture et correction : Lina Chemin

L’objectif de cet article est d’explorer la problématisation de la grosseur dans les réponses actuelles à la pandémie de COVID-19. Cet article trouve ses sources dans le catalogue de publications provenant de journalistes informé·e·s essentiellement par des articles scientifiques, non examinés par des
pairs, décrivant la relation entre la grosseur et la COVID-19.

Notre méthode d’enquête consiste à examiner la grosseur et la COVID-19 via un axe de problématisation qui nous permet de remettre en question les procédés scientifiques, politiques, et économiques à l’origine de la présentation des corps gros comme étant problématiques. La grosseur est mise en avant comme étant problématique dans le cadre de la pandémie de COVID. Cela permet de détourner la responsabilité des gouvernements et des systèmes de santé en matière de veille sanitaire et de protection des populations et d’impliquer la responsabilité individuelle des personnes grosses. C’est injuste et contraire à l’éthique.

En parallèle, les militant‧e‧s contre la grossophobie du monde entier contestent la stigmatisation de la grosseur et ses conséquences, et aident les personnes grosses à contrecarrer les manœuvres grossophobes des institutions en pleine pandémie de COVID-19 en s’organisant collectivement pour se soutenir les un‧e‧s les autres. La manière dont la grosseur est instrumentalisée dans le contexte de la pandémie permet au système de santé de détourner sa responsabilité en matière de veille sanitaire et de résilience communautaire, et de faire porter cette responsabilité aux personnes grosses. C’es une injustice et cela empêche la mise en place d’actions nécessaires pour répondre aux inégalités sociales face à la santé et à l’accès aux soins rendues évidentes par la COVID-19.

Cet article semble être le premier à analyser l’instrumentalisation de la grosseur dans le cadre de la COVID-19, soulignant les leçons nécessaires portées par les militant.e.s contre la grossophobie à propos de l’accès égalitaire aux soins et à la santé dans un contexte de catastrophe, durant cette pandémie.

1. Introduction

Alors que le monde s’unit pour lutter contre la pandémie mondiale de COVID-19 (nouveau coronavirus SRAS-CoV-2), les questions d’égalité et de justice face à la santé sont au premier plan. Des schémas manifestes de vulnérabilité en fonction de la race, de l’indigénéité, du handicap et du statut socio-économique se détachent clairement parmi les personnes les plus à risque d’hospitalisation et de décès dus au virus dans les pays du Nord -par exemple [1, 2, 3]– et parmi ceux qui sont les plus directement touchés par les secousses sociales et économiques qui en découlent -par exemple [4, 5] -. Cela souligne l’importance des efforts mondiaux à produire pour s’attaquer aux facteurs sociaux déterminants en matière de santé, aux forces et systèmes sociaux, économiques et politiques qui, plus largement, façonnent les conditions de vie quotidienne des populations et qui sont, en majeure partie, responsables de différences injustes et évitables en matière d’état de santé au sein des pays ainsi qu’entre ces derniers [6, 7].

Cependant, au lieu d’une mobilisation des efforts pour lutter contre les inégalités en matière de santé, nous assistons à un renforcement du discours prônant la responsabilité individuelle et la culpabilisation de la vulnérabilité face aux problèmes de santé qui caractérise le monde de la santé dans les pays du Nord ces dernières décennies [8, 9]. C’est tout particulièrement évident dans la manière dont les réponses à la pandémie donnent un nouvel essor à l’affolement moral autour de la grosseur, en renforçant la stigmatisation des personnes grosses en tant que sujets incriminés pour leur supposée absence de self-control et fardeaux pour les systèmes de santé et le bien-être de la communauté.

Cet article présente une réponse critique à l’exploitation du gros comme bouc émissaire dans les réponses actuelles à la pandémie de COVID-19. Nous commençons en retraçant l’historique de la stigmatisation des corps gros dans les pays du Nord au cours des dernières décennies à travers l’émergence d’un paradigme de santé centré sur le poids et les efforts qui en résultent pour lutter contre «l’obésité» [10, 11]. Nous explorons ensuite les différentes manières dont les réponses à la pandémie ont repris et amplifient cette stigmatisation. Nous établissons des parallèles entre le traitement de la grosseur dans le cadre de la pandémie actuelle de COVID-19 et dans d’autres contextes de catastrophe.

Nous soutenons que la stigmatisation de la grosseur dans les réponses actuelles à la pandémie de COVID-19 détourne la responsabilité en matière de veille sanitaire et de résilience communautaire et fait porter celle-ci aux personnes grosses. C’est une injustice et cela empêche la mise en place d’ actions nécessaires pour répondre aux inégalités face à la santé et à l’accès aux soins rendues évidentes par la COVID-19. Nous concluons cet article en décrivant les efforts de la communauté des militant‧e‧s gros‧ses pour faire face à la stigmatisation de la grosseur dans les réponses à la COVID-19 afin d’offrir aux personnes grosses des opportunités de s’organiser collectivement pour défendre leurs propres besoins. Nous portons ces actions en tant que modèle de justice sanitaire et sociale face à une pandémie mondiale.

Nous utilisons délibérément le terme «gros» pour désigner la grosseur, le corps gros et les personnes grosses. L’ utilisation du mot «gros» au lieu du terme normatif «en surpoids» ou de celui, pathologisant, «d’obésité», signale notre engagement à éviter de stigmatiser davantage la grosseur et les personnes grosses dans cet article. C’est aussi le terme privilégié dans les travaux des chercheurs en Fat Studies et par les militant‧e‧s gros‧ses. [12,13].

2. Le corps gros stigmatisé

L’utilité du corps gros comme objet de condamnation et de punition dans les réponses actuelles à la pandémie de COVID-19 s’appuie sur la problématisation de la grosseur ces dernières décennies. La problématisation comme méthode d’enquête attire notre attention sur les intérêts politiques et les relations de pouvoir qui présentent des «problèmes» comme des vérités généralement admises, ainsi que leurs effets néfastes, afin qu’ils puissent être contestés et reconstitués de manière plus productive [14].

À travers le prisme de la problématisation, l’état de grosseur en tant que marqueur de mauvaise santé et de mauvaise gestion individuelle de sa santé dans les pays du Nord se révèle comme un phénomène relativement récent et hautement politisé [10]. On a fait des corps gros un problème de santé majeur, accusé d’épuiser les ressources limitées du système de santé. La réponse du système de santé est un paradigme basé sur le poids qui concentre un ensemble de présupposés fondamentaux à propos du corps gros.

Le premier est que la grosseur est au cœur de l’état de santé des individus, en tant que facteur de risque sous-jacent de maladies chroniques comme le diabète de type 2, les maladies cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux et certains cancers, mais aussi en tant que maladie à part entière [6]. Le deuxième présupposé est que la grosseur est avant tout le résultat d’un déséquilibre entre les calories ingérées et la consommation d’énergie et dépendrait donc principalement du self- control de l’individu à travers ses choix liés à l’alimentation et à l’activité physique [15]. Le troisième est que la perte de poids est un objectif réaliste et réalisable pour la plupart des personnes grosses, qui peut être atteint grâce à des modifications du régime alimentaire et de l’activité physique, et qui se traduira par une amélioration de leur santé [16]. Le quatrième est qu’il est possible de prédire l’état de santé actuel et futur de l’individu en se basant sur des catégories d’indice de masse corporelle (IMC) [10].

Ces présupposés et les efforts qui en résultent pour lutter contre «l’obésité» dominent la politique sanitaire et sociale dans les pays du Nord depuis deux décennies.

La stigmatisation de la grosseur fait l’objet de larges critiques. La recherche critique dans une variété de disciplines ainsi que les activistes de la grosseur remettent en question plusieurs des présupposés fondamentaux qui sous-tendent le paradigme basé sur le poids et la problématisation de la grosseur, et relèvent, ce faisant, les contradictions et les problèmes concernant les systèmes de mesure de l’obésité, l’évaluation de ses causes et les solutions qui lui sont proposées [17].

Les effets néfastes sur les personnes grosses résultant de la stigmatisation de leur graisse en tant que problème de santé, parmi lesquels la légitimation et l’amplification de la haine des personnes grosses, l’impossibilité d’une perte de poids durable pour de nombreuses personnes grosses et les moindres possibilités d’accéder à la santé en tant que personne grosse ont été largement démontrées par la recherche, que ce soit au sein des domaines interdisciplinaires émergents mêlant études sur la grosseur et études critiques de l’obésité ou au-delà -par exemple [11], [16], 18] -.

Une préoccupation clé dans la recherche critique a été l’utilité de «l’obésité» dans les pays du Nord pour détourner la responsabilité de l’État et son implication dans les conditions qui déterminent la santé et le bien-être social des populations, en la rejetant sur l’individu, rendu seul responsable de sa propre autogestion [8, 17, 19, 20].

Cela a pour conséquence de soumettre les personnes grosses aux remontrances et à la vindicte, sans prendre en compte la réalité qui limite l’accès des personnes grosses aux ressources dont elles ont besoin pour être des citoyens capables de s’autogérer qui atteignent la santé grâce à la minceur. C’est tout particulièrement le cas des personnes de couleur et autochtones grosses, des personnes grosses vivant dans la pauvreté et des personnes grosses handicapées qui doivent composer avec les effets conjugués du racisme, de la colonisation, de la marginalisation socio-économique et du validisme.
Cela s’exprime de manière encore plus cruelle lorsque les gouvernements n’assurent pas la sécurité et la mise hors de danger des personnes grosses en période de catastrophe.

Dans un contexte de catastrophe, la préparation est essentielle et se concentre souvent sur des événements environnementaux, par ex. inondation, tremblement de terre ou incendie [21]. Les hôpitaux et les cliniques sont tenus de prévoir les risques et
les évacuations associées. Les récits de personnes aux corps gros abandonnées lors d’inondations et de tempêtes à la suite d’évacuations par triage [par exemple [22], [23]] nous permettent de souligner auprès des agences concernées la nécessité de tout planifier et de se préparer pour inclure les corps gros dans la réduction des risques en cas de catastrophe et pourtant Gray et MacDonald [24] ont démontré que les corps gros étaient «visiblement invisibles» dans la documentation sur la réduction des risques en cas de catastrophe.

En 2005, l’ouragan Katrina a ravagé La Nouvelle-Orléans et ses environs.
L’écroulement des digues et les inondations qui ont suivi à La Nouvelle-Orléans ont fait de nombreux morts. Dans un établissement médical, Emmett Everett, pesant 172 kg, avait justement demandé à une infirmière de s’assurer qu’il ne serait pas abandonné alors qu’on évacuait les gens autour de lui. D’autres membres du personnel auraient apparemment décidé qu’il ne serait pas possible de l’évacuer. Cet homme est décédé au Memorial Medical Center avec dans le sang des substances qui ne lui auraient pas été prescrites jusque-là (morphine et midazolam) et qui ne concordaient pas avec le fait qu’il aurait pris son petit- déjeuner seul, plus tôt ce jour-là. Il aurait, semble-t-il, été jugé trop lourd pour être évacué dans les escaliers et un médecin lui aurait administré de tels médicaments pour hâter sa mort [22].

Quelques années plus tard, en 2012, l’ouragan Sandy a frappé New York. Le Bellevue Hospital Center a été évacué et contraint de fermer pour la première fois depuis plus de 275 ans. Deux patients n’ont pas pu être évacués de l’établissement de 25 étages comportant 800 lits d’hospitalisation. L’état d’un des patients était instable et il ne pouvait donc pas être déplacé. Une autre patiente a été abandonnée au 15e étage à cause de son volume et de son poids. Bien que des exercices d’évacuation aient été menés, jamais le traîneau d’évacuation n’avait été testé pour des formes de corps et des volumes correspondant aux siens. Les risques liés à sa sécurité et à celle du personnel ont été jugés trop importants pour permettre une évacuation sur le traîneau dans l’escalier étroit [23].

De telles décisions servent à amplifier la problématisation du gros. Ces patient.e.s étaient gros.ses au moment de leur admission dans l’établissement et il était peu probable qu’ielles subissent des changements significatifs relatifs à leur poids avant ou pendant les tempêtes, nous devons donc nous demander pourquoi de telles considérations n’ont pas été prises en compte lors de leur admission. Dans le domaine de la santé, les pandémies présentent un autre type de catastrophe préoccupant les corps gros.

3. Le corps gros stigmatisé dans le cadre de la COVID-19

L’Organisation mondiale de la santé et le Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis répertorient l’obésité comme une «condition médicale sous-jacente» qui augmente le risque de développer une forme grave de COVID-19 [6,25]. Alors que plusieurs articles, revues et bulletins ont été publiés qui plaident en faveur d’une forte relation entre l’obésité et la COVID-19 [26], [27], [28], [29], [30], [31], Flint et Tahrani [32] ont fait valoir dans The Lancet que « à ce jour, il n’existe aucune donnée permettant de mettre en évidence une perte de chance particulière face au COVID-19 chez les personnes ayant un IMC de 40 kg / m2 ou plus.» (paragraphe 3). Ils suggèrent que c’est ce manque de données qui a conduit à une augmentation de l’anxiété chez les personnes grosses, car elles ont été classées comme étant plus à risque de complications.

Ce même manque de données, soutiennent Flint et Tahrani, pourrait induire à tort chez les personnes non grosses un faux sentiment de sécurité. Mais d’autres chercheurs pensent que, même en l’absence de données, il est important de positionner l’obésité comme un facteur de risque. Kassir [26], par exemple, déclare au début de son éditorial:

« Même s’il existe très peu de données disponibles sur l’IMC des patients atteints d’infection au COVID-19, le rôle de l’obésité dans l’épidémie de COVID-19 ne doit pas être ignoré » (para 1) . Le risque clinique de la grosseur restant contesté, il convient de noter que les associations faites entre poids corporel et risque sont souvent réfutées. Par exemple, plusieurs études avaient rapporté un risque et une gravité plus élevés de la grippe H1N1 chez les personnes grosses en 2009 [par exemple [33], [34]].

Cependant, une analyse et méta-analyse méthodiques de la grippe H1N1 en relation à l’IMC montrent qu’après prise en compte des préjugés du monde médical envers les personnes grosses concernant le traitement antiviral précoce et l’IMC, il n’y avait pas d’augmentation du risque de décès pour les personnes grosses (IMC 25 et plus) [35]. Le fait d’avoir un IMC élevé est plus répandu au sein des minorités ethniques et des populations les plus pauvres, deux facteurs qui doivent donc être pris en compte dans toute analyse avant de tirer des conclusions concernant le rôle de l’IMC par rapport à celui de l’accès aux soins en temps voulu, et de la stigmatisation et la discrimination structurelles.

Indépendamment du risque réel ou non, l’association entre les corps gros et la COVID-19 a été placée au-devant de la scène. Le responsable de la santé publique le plus visible aux États-Unis, le Dr Anthony Fauci, a martelé sans relâche que les personnes grosses couraient un risque plus élevé de développer des formes graves de COVID-19; de nombreuses personnes l’ont pris comme une mise en accusation. Un article de Reuters sur le taux de mortalité en Louisiane a fait valoir que le taux de mortalité dans cet État était plus élevé que dans d’autres (celui de New York, par exemple) en raison de la grosseur de ses habitant‧e‧s [36]. S’il est vrai qu’un quart des personnes décédées (jusqu’à présent)de la COVID-19 en Louisiane étaient grosses, ce chiffre n’est jamais que le reflet de la proportion de personnes grosses sur la population totale de l’État. Des articles dans d’autres organes de presse, tels que le New York Times, se sont également fait l’écho du fait que les personnes grosses (les hommes gros en particulier) couraient un risque plus élevé d’être hospitalisées et/ou de mourir après avoir contracté la COVID-19 [37].

En outre, de nombreuses personnes utilisant les réseaux sociaux comme plateformes ont profité de cette pandémie de COVID-19 pour revendiquer et propager leurs positions grossophobes et appeler à l’élimination des personnes grosses. Ahmed [38], par exemple, a publié un article intitulé «Le coronavirus montre pourquoi nous devons combattre la crise de l’obésité».

Quand le gouvernement, les responsables de la santé publique et les journalistes stigmatisent la grosseur, tout le monde l’entend, y compris les professionnels de santé qui évalueront si leurs patients gros doivent se faire tester et traiter contre la COVID-19. On en trouve le parfait exemple dans le traitement reçu par Lauren Rowello, dont le médecin a refusé de lui prescrire un cycle de traitement supplémentaire aux stéroïdes pour traiter sa pneumonie/cas possible de COVID-19. La raison de cette réticence était «que les médicaments pouvaient entraîner une prise de poids» [39]. Lauren a insisté plus d’une fois, expliquant que ses symptômes s’étaient grandement améliorés lors du traitement aux stéroïdes prescrit par un autre médecin, une semaine plus tôt environ. Mais le médecin n’a pas changé d’avis. En partageant son histoire, Lauren a indiqué qu’il n’était pas fait mention de son poids dans les antécédents médicaux fournis, et qu’il ne faisait pas non plus partie des constantes et informations recueillies lors de la consultation en télémédecine. Le soignant a peut-être déduit, en voyant le visage de Lauren à l’écran, que celle-ci était grosse, ou peut-être pensait-il simplement que la prise de poids était un risque trop important pour quiconque, indépendamment de sa taille, pour traiter la maladie. Lauren remarque : «À ce moment-là, elle a projeté un idéal culturel sur mon traitement, porté par la conviction qu’il serait préférable de préserver ma silhouette plutôt que de vaincre une pneumonie potentiellement mortelle »[39, para 17]. Heureusement pour Lauren, elle a pu trouver un autre soignant qui a écouté ses symptômes, ses besoins et a pu lui prescrire les médicaments adaptés pour traiter sa maladie. Malheureusement, il est très probable que de nombreuses personnes grosses atteintes de COVID-19 dans le monde n’auront pas cette chance.

Alors que le corps gros est stigmatisé pendant la pandémie, les gouvernements déploient une énergie renouvelée dans leurs efforts pour lutter contre « l’obésité». Avant la COVID-19, l’élan s’était dissipé après vingt ans d’un discours sanitaire et social dominant. Cela était sans doute dû à une interaction complexe de facteurs, parmi lesquels la preuve croissante de l’inefficacité des politiques de perte de poids menées par l’État visant un changement de comportement individuel [40,41] et l’érosion opérée par les discours critiques sur le paradigme centré sur le poids [11,15].

Il est certain qu’à Aotearoa, en Nouvelle-Zélande, dans les mois qui ont précédé la première mention de la COVID-19, la prévalence du sujet de l’obésité et de sa prévention comme figure constante des gros titres des médias d’information, et objectif politique de premier plan comme c’était le cas au début des années 2000, s’était atténuée et ce marronnier s’était vu relégué à un niveau de priorité inférieur et abordé avec une plus grande prudence politique [42], [43], [44].

La COVID-19 a inversé ce progrès. Les gouvernements, sur la défensive au sujet de leur manque de préparation face à la pandémie et aux inégalités d’accès aux soins mises en lumière par le virus, ont été prompts à désigner la grosseur comme facteur de risque sous- jacent dans le cadre de la COVID-19, et comme charge évitable pour les systèmes de santé devant répondre à la pandémie [45]. Dans le contexte de la COVID-19, l’obésité fait de nouveau la une des journaux [46] et les mesures gouvernementales visant la réduction et la prévention de l’obésité y trouvent un nouveau socle [47].

En conséquence, de nombreux présupposés du paradigme sur le poids sont repris malgré les preuves, de nos jours abondantes, qui montrent qu’ils sont infondés [48]. Ces présupposés se reflètent de manière flagrante dans les initiatives politiques proposées pour lutter contre l’obésité dans le contexte de la crise sanitaire de la COVID-19, et qui visent les

régimes alimentaires et les pratiques sportives des individus [47], ainsi que dans les propositions visant à relancer les financements publics des programmes de chirurgie bariatrique [49], [50], [51].

Par exemple, alors même que le Royaume-Uni a du mal à contenir l’épidémie et l’incompétence ministérielle, continuer à promouvoir la perte de poids comme un facteur réducteur de risque face au COVID- 19 sans preuve formelle d’un quelconque lien [52] est malhonnête. D’autant plus que cette promotion est menée par le Premier ministre du Royaume-Uni qui, lui-même, a été hospitalisé à cause du virus, se qualifie lui-même de gros, a annoncé avoir récemment perdu 6 kilos et a proclamé que les gros Britanniques pourraient se faire prescrire des balades en vélo par leurs médecins [53]. La désignation des personnes grosses comme boucs émissaires s’exprime donc dans les politiques de prévention de l’obésité, mais également dans des propositions visant à rationner, voire même à leur refuser, les ressources et les soins pouvant leur être prodigués face à la COVID-19.

La crainte du corps médical d’être submergé par un afflux de patients souffrant de la COVID-19 est devenue réalité. Les agents de santé publique et le gouvernement ont tenté de comprendre des rapports de modélisation afin de prédire et de se préparer aux «pires scénarios» concernant les taux de reproduction possibles de l’infection [54]. Des propositions de rationnement des soins, notamment l’accès aux respirateurs artificiels, ont été discutées entre professionnels de la bioéthique et médecins [55]. L’incapacité très réelle des services de soins intensifs à faire face à la crise sanitaire, et la possibilité très vraisemblable de devoir rationner les soins sont arrivées au premier plan, concentrant toutes les craintes de la population [56, 57]. Ces questionnements ont abouti à un plan de rationnement excluant des soins les personnes âgées, les personnes handicapées et les personnes grosses [58].

Par exemple, les directives de soin en cas de pandémie de l’État de Californie suggéraient que les décisions liées au rationnement des soins devraient être prises en fonction de l’âge, des antécédents médicaux et du niveau de validité du patient. Devant l’indignation générale, l’État de Californie a révisé ses directives en juin 2020, en ordonnant que les décisions en matière de soins et d’allocation des ressources ne soient pas basées sur le poids ou sur des affections liées au poids, ou dictées par de nombreux autres facteurs tels que l’âge, le genre, l’origine ethnique et l’nvalidité [59].

Malheureusement, le triage et les décisions d’allocation des ressources de soin dépendent souvent de l’équipe médicale et sont donc affectés par les discriminations et les préjugés [57]. Les personnes grosses à qui on diagnostique la COVID-19 ne sont pas les seules personnes grosses à risque, les travailleurs essentiels gros le sont également. La pénurie d’équipement de protection individuelle pour les professionnels de santé en première ligne (et les autres travailleurs essentiels) pendant la pandémie de COVID-19 a été un problème mondial [60], [61], [62], [63], [64].

Aux États-Unis, les professionnel‧le‧s de santé dans les hôpitaux accueillant des communautés de couleur et ceux dans les hôpitaux et maisons de retraite ruraux ont été le plus durement touchés par le manque de ressources de leurs employeurs [65]. Les travailleur‧euse‧s sont obligés de fabriquer eux-mêmes leur équipement de protection, de réutiliser, à défaut, le matériel, ou tout simplement de s’en passer. Ceux qui ont eu accès aux équipements de protection nécessaires constatent souvent qu’ils ne sont pas adaptés, car ils ne sont fabriqués qu’en taille unique [66, 67].

En outre, cette taille unique n’est pas conçue pour les corps de femmes, les corps handicapés ou les corps gros, elle a été conçue pour un corps d’homme [68].
Un rapport du Trades Union Congress, l’organisation fédératrice des syndicats britanniques [69], a révélé que seulement trois femmes sur 10 au Royaume-Uni ont des équipements de protection parfaitement adaptés. Des professionnelles de santé du Royaume-Uni se sont tournées vers les réseaux sociaux pour partager des photos d’elles portant des équipements de protection mal ajustés [67]. En temps normal, des équipements de protection inadaptés compliquent la réalisation des tâches et exposent à des risques d’accidents et de blessures [70]. Mais pendant la pandémie de COVID-19, cela expose des personnes à un risque de maladie. Pour les personnes grosses en particulier, le manque de matériel de protection adapté est problématique : les gros.ses peuvent avoir des difficultés à enfiler les gants, les protections des yeux, les vêtements de protection, etc.

4. Prendre la stigmatisation à bras le corps : les réponses de la communauté militante

Les militant‧e‧s contre la grossophobie du monde entier n’ont pas tardé à remettre en question la stigmatisation de la grosseur dans le cadre de la pandémie de COVID-19 et à en révéler ses effets néfastes sur les personnes grosses. Ces réponses ont inclus lapublication d’articles qui mettent en lumière la grossophobie dans le cadre de la pandémie de COVID-19, en illustrant comment la grosseur est présentée comme un risque élevé et un lourd fardeau pour les ressources de santé, tout en étant également présentée comme une épée de Damoclès pour les personnes non grosses passant du temps en quarantaine (oh non ! Les 5 kilos de la quarantaine !) [72], [73] , [74], [75], [76]. Da’Shaun Harrison [77] illustre comment la stigmatisation de la grosseur pendant la COVID- 19 s’inscrit dans l’histoire eugéniste plus générale des Centers for Disease Control aux États-Unis.

La militante danoise Dina Amlund [78] a mis en évidence la discrimination à laquelle sont confrontées les personnes grosses dans le monde du travail, ce qui les rend plus susceptibles d’être financièrement vulnérables que les personnes non grosses pendant cette période de récession économique. La même discrimination est à l’œuvre dans les établissements de santé, comme l’a noté Amlund, les personnes grosses ayant à la fois un risque plus élevé de contracter la maladie et moins de chance d’en guérir. Amlund conclut : «J’espère que les personnes grosses du monde entier bénéficieront d’un traitement égal pendant cette pandémie. Et j’espère que les personnes grosses du monde entier n’auront pas à souffrir plus durement que tout le monde pendant la crise financière qui nous frappe. »[78, para 25].

L’alliée Christy Harrison [79], du podcast Food Psych, a publié dans Wired un article qui passe en revue les preuves concernant les liens entre grosseur et COVID-19. Les militants gros ont également organisé des campagnes pour faire connaître ces préoccupations et lutter pour des soins convenables pour les corps gros; on trouve parmi eux Yes2Bodies en Suisse [80], la Fat Rose aux USA, et la German Society Against Weight Discrimination en Allemagne. Fat Rose, le collectif militant, a mené la campagne #NoBodyIsDisposable (#NBID) contre la discrimination au triage hospitalier [81]. Cette campagne rassemble des groupes souvent ciblés par des plans de rationnement des soins, tels que les personnes handicapées, les personnes grosses, les personnes âgées et les personnes atteintes du VIH / SIDA (et d’autres maladies chroniques) pour lutter contre les plans de triage qui les sacrifieraient au nom du bien-être des autres.

La campagne #NBID s’est associée à des organisations de défense des droits civiques et à des professionnels de santé pour sensibiliser le public aux plans de triage et de rationnement, et les combattre. La campagne a invité tout le monde à entreprendre trois actions. Parmi ces actions, on trouve la signature d’une lettre ouverte aux prestataires de santé, la prise de contact avec des représentants du gouvernement et le partage d’un selfie de solidarité [81].

Dans le cadre de cette campagne, la campagne #NBID a créé un site Web de ressources destinées aux personnes susceptibles d’être à risque de discrimination au triage. Le site Web héberge des informations sur les documents importants à préparer avant de tomber malade et sur les indispensables à apporter à l’hôpital. Parmi ces indispensables,on trouve le «kit de connexion». Ce «kit de connexion» contient des éléments tels queles coordonnées de la famille et des amis, une «photo de vous-même qui vous humanise, prise dans le cadre de votre vie quotidienne, avec des ami‧e‧s ou au travail» [82], et un mini- résumé à propos de la personne qui entre à l’hôpital. Ils suggèrent de mettre ces documents dans un sac en plastique transparent ou dans une chemise protectrice en plastique, dotés d’une ficelle pouvant être attachée à une civière ou enroulée autour du poignet de l’individu.

Des informations supplémentaires sont fournies sur les endroits où la grosseur bénéficie d’une garantie d’égalité de protection en vertu de la loi à travers les États-Unis (comme la ville de San Francisco ou l’État du Michigan), et les stratégies qui peuvent être utilisées pour défendre ses droits en milieu hospitalier. Des ressources de soutien ont été développées par d’autres. Par exemple, «Comment survivre au rationnement des services COVID-19»[83] est un document britannique qui reconnaît la vulnérabilité des personnes grosses et handicapées face aux décisions de rationnement et encourage tou‧te‧s celleux qui le peuvent à élaborer dès maintenant un plan en cas d’hospitalisation, et à en discuter avec leurs proches. Ils recommandent également d’établir une procuration en ligne, si cette possibilité existe. De l’autre côté de la Manche, l’association We4FatRights a développé des ressourcespour soutenir les militants qui souhaitent s’opposer aux plans de rationnement des institutions et des États membres de l’UE. Ce groupe a été lancé comme un projet de Yes2Bodies et de la Société allemande contre la discrimination par le poids. Dans leur profession de foi, ils déclarent: «Nous rejetons catégoriquement les organigrammes ordonnés par l’État qui décident de la vie et de la mort en fonction d’un diagnostic lié à l’apparence, à l’âge, au handicap et à l’appartenance ethnique»[84].

Les objectifs de la campagne sont disponibles dans plusieurs langues européennes, notamment l’allemand, l’anglais, le néerlandais, l’islandais, le suédois et l’espagnol. Ces ressources comprennent une imagerie militante utilisable sur les réseaux sociaux et une lettre ouverte que les individus et les organisations peuvent signer. Comme ils l’écrivent
: «Les graves décisions morales auxquelles les professionnels de santé sont confrontés découlent de diverses décisions économiques prises ces dernières années. Elles ne reflètent pas le capital existant au sein des pays européens, et qui pourrait être mis à disponibilité pour garantir des soins médicaux décents» [85]. La lettre s’appuie sur une décision de 2020 du comité d’éthique allemand qui proposait que les États ne puissent pas imposer le baromètre éthique devant prévaloir sur les situations de triage aux professionnels de santé [86], comme cité dans We4FatRights [85]. La lettre se termine en exigeant que les institutions prennent clairement position sur l’égalité de traitement des personnes grosses (à la fois pendant la COVID-19 et dans la santé en général), et un appel à traiter la question des soins pendant la pandémie de COVID-19, et en particulier la question du triage, de manière transdisciplinaire, en y incluant les personnes les plus vulnérables.

5. Au-delà de la stigmatisation : un modèle pour une justice sanitaire radicale

L’impact mondial de la COVID-19 marquera des générations. Le Sendai Framework for Disaster Risk Reduction [87] recommande de se recentrer sur une approche basée sur les preuves de l’évaluation des risques, et de mieux comprendre les actions et les prises de décisions relatives aux groupes vulnérables dans le secteur de la santé et des urgences
[88]. D’un côté, on pourrait croire que mettre en évidence la vulnérabilité apparente des personnes grosses à la COVID-19 serait utile, mais en établissant des liens qui peuvent s’avérer plus fragiles que réels, on renforce la stigmatisation de la grosseur et on augmente la vulnérabilité face aux préjugés et à la discrimination.

Comme nous l’avons démontré, des questions subsistent sur le risque mesurable de l’association entre la grosseur et la COVID-19. Indépendamment de notre impossibilité à tirer des conclusions quant à ces risques, un fait demeure : le paradigme centré sur
le poids n’a pas réduit le nombre de personnes grosses ni amélioré la santé de ces dernières.
La COVID-19 éclaire et met en évidence les profondes inégalités déjà existantes qui sont sans rapport avec le poids, mais plutôt causées par les facteurs sous- jacents des déterminants sociaux de la santé tels que la pauvreté, le racisme et d’autres formes d’oppression structurelle. En outre, la stigmatisation et l’oppression grossophobes auxquelles les personnes grosses sont confrontées tout au long de leur vie augmentent leur vulnérabilité aux impacts négatifs de la pandémie COVID-19.

À la lumière de ces informations, nous devons rejeter l’utilisation de la grosseur, et l’incrimination des personnes grosses au nom de la responsabilité individuelle, pour détourner l’attention de la responsabilité qui incombe au gouvernement en matière de préparation, d’intervention et de gestion en cas de pandémie. Nous devons œuvrer inlassablement pour l’inclusion d’un EPI adapté aux travailleurs gros et rejeter fermement tout plan ou triage qui exclut les personnes grosses des soins nécessaires et adaptés dans le cadre de la pandémie de COVID-19. La COVID-19 souligne l’importance de la mobilisation mondiale pour s’attaquer aux disparités structurelles qui alimentent les inégalités en matière de santé, si fortement mises en évidence par cette pandémie de COVID-19.

Les militant‧e‧s gros‧se‧s sont les experts de leurs propres communautés et ont une forte tradition de contestation des «faits» scientifiques sur les corps gras, de recherche de moyens pour empêcher la grossophobie des institutions et de mise à disposition des personnes grosses d’outils pour défendre leurs propres besoins [89]. Ces actions sont en accord avec la philosophie du Sendai Framework for Disaster Risk Reduction qui requiert une meilleure compréhension du risque «sous tous ses aspects de vulnérabilité, de capacité et d’exposition» (p.14). Tout ceci s’aligne sur les principes des Nations Unies qui prônent de ne négliger personne dans une optique de non-discrimination» [90]. Cette obligation de ne négliger personne en cas de catastrophe reconnaît la dignité humaine comme principe fondamental.

Face à cette pandémie mondiale, cela implique de s’assurer que toutes les personnes, quelle que soit leur taille, disposent des ressources nécessaires pour affronter la COVID-19 et d’un accès aux soins qui soit équitable. Il y a bien des leçons à tirer du travail des militant.e.s gros.ses qui, au cours de cette pandémie de COVID-19, ont critiqué l’association entre la grosseur et le risque de COVID-19, ont soulevé la grossophobie intrinsèque des réponses à la pandémie et se sont rapidement organisés pour
identifier les priorités, les ressources et les plans d’action de leur communauté. Ielles ont vigoureusement dénoncé la recrudescence de la stigmatisation de la grosseur facilitée par la COVID, ont rejeté les plans visant à refuser les soins aux personnes grosses, et ont donné la priorité aux besoins des membres les plus vulnérables de leur communauté.

Les actions des militants gros pour dénoncer et contester la stigmatisation de la grosseur, et les effets de celle-ci, dans le cadre de la COVID-19 devraient être considérées et appréciées comme un modèle de justice sanitaire dans la réponse aux catastrophes.

Notes

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[71] K.W. Morrison, Maximum Capacity: America’s Obesity Epidemic and its Effect on PPE and Workplace Safety, Safety + Health, 2009, 1 August available at, https://www.safetyandhealthmagazine.com/articles/print/maxi- mum-capacity-2 (accessed 15 August 2020).

[72] C. Cortese, Even during a Pandemic, Fatphobia Won’t Take a Day off, Bitch, 2020, 21 April available at, https://www.bitchmedia.org/article/fatphobia-in-coronavirus-treatment. (Accessed 1 May 2020).
[73] C. Cortese, Even during a Pandemic, Fatphobia Won’t Take a Day off, Bitch, 2020, 21 April available at, https://www.bitchmedia.org/article/fatphobia-in-coronavirus-treatment. (Accessed 1 May 2020).

[74] C. Milchtein, Are You Worried about Getting Fat like Me? Mechanic Shop Femme, 2020 available at, https://mechanicshopfemme.com/worried-about-getting-fatlike-me. (Accessed 15 July 2020).
[75] L. Schallon, Everyone Is Terrified of Getting ‘quarantine Fat’ and Just Enough Already, Glamour, 2020, 6 April available at, https://www.glamour.com/story/quarantine-fat-coronavirus-weight-loss. (Accessed 1 May 2020). [76] A. Scriver, Those Quarantine 15 Jokes Show How Fat Phobic We Really Are, Refinery29, 2020, 25 April available at, https://www.refinery29.com/en-ca/coronavirus-quarantine-weight-gain-fatphobia. (Accessed 15 May 2020)

[77] D. Harrison, We Are Witnessing the CDC’s Violent Eugenicist History in Real-Time, Wear Your Voice Mag, 2020, 8 April available at, https://wearyourvoicemag. com/cdc-violent-eugenicist-history-obesity-covid-19/. (Accessed 1 May 2020).
[78] D. Amlund, Fatphobia in the Coronavirus Crisis, CPH Post, 2020 ,18 April available at, http://cphpost. dk/?p=112963&fbclid=IwAR1m8yxV7VhSNMfn6wzGpc5pgRrfI69jrSkNEhYecY4bAoiA8m9MIOqGYGY. (Accessed 1 May 2020).

[79] C. Harrison, Covid-19 Does Not Discriminate by Body Weight, Wired, 2020, 17 April available at, https:// www.wired.com/story/covid-19-does-not-discriminate-by-body-weight/?utm_sq=gdx4kec84g&fbclid=IwAR0p5vA5e- Dem–kjVgteUmWK2P5rjvGAUsXTHcfT456_UwbjEgwDiFZriGA. (Accessed 1 August 2020).
[80] M. Dellenbach, COVID-19, Yes2Bodies, 2020 available at, https://www.yes2bodies.ch/covid-19/. (Accessed 1 July 2020).

[81] NoBody is Disposable Coaltion, #NoBodyIsDisposable, NoBody is Disposable, 2020 available at, https:// nobodyisdisposable.org/. (Accessed 1 June 2020).
[82] NoBody is Disposable Coalition, Know Your Rights. NoBody Is Disposable, 2020 available at, https://nobo- dyisdisposable.org/know-your-rights/. (Accessed 1 June 2020).

[83] How to survive COVID-19 service rationing, Google Doc, 2020, 3 April available at, https://tinyurl.com/ C19stayalive. (Accessed 1 May 2020).
[84] We4FatRights, Goals, We4FatRights, 2020 available at, https://we4fatrights.eu/en/. (Accessed 1 July 2020). [85] We4FatRights, Open Letter, We4FatRights, 2020 available at, https://we4fatrights.eu/en/open-letter/. (Ac- cessed 1 July 2020).

[86] Ad hoc Emphehlung. https://www.ethikrat.org/fileadmin/Publikationen/Ad-hocEmpfehlungen/deutsch/ad-hoc- empfehlung-corona-krise.pdf (accessed on 8 December 2020).
[87] United Nations Office for Disaster Risk Reduction (UNISDR), Sendai Framework for Disaster Risk Reduc- tion 2015–2030, 2015 available at, https://www.undrr.org/publication/sendai-framework-disaster-risk-reduc- tion-2015-2030. (Accessed 1 May 2020).

[88] A. Aitsi-Selmi, V. Murray, The Sendai framework: disaster risk reduction through a health lens, Bull. World Health Organ. 93 (6) (2015) 362.
[89] C. Cooper, Fat Activism: A Radical Social Movement, HammerOn Press, 2016.
[90] United Nations, Leaving No One behind: Equality and Non-discrimination at the Heart of Sustainable De- velopment, The United Nations System Shared Framework for Action. United Nations, New York, 2017 available at, https://www.unsceb.org/CEBPublicFiles/CEB%20equality%20framework-A4-web-rev3.pdf. (Accessed 8 December 2020).

 

 

 

Cohérence pour les gros‧se‧s dans la campagne vaccinale

Cohérence pour les gros·ses dans la campagne vaccinale Covid-19

Dès le début de la pandémie et dès lors du premier confinement en mars 2020, les médias se sont fait le relais d’informations inquiétantes sur le nombre de personnes obèses hospitalisées avec des formes graves du COVID-19. On ne compte plus le nombre de reportages en unité de soins intensifs où l’on pouvait voir des corps gros désignés comme principalement touchés par le virus, servant d’épouvantails aux français.e.s inquiet.e.s. Le gouvernement a considéré pendant les premiers temps de la pandémie les personnes en obésité comme des personnes à risque, pouvant bénéficier de certificats d’isolation et donc du chômage partiel dans les cas où leur télétravail était impossible. En Angleterre, le premier ministre a quant à lui appelé les gros à se mettre au régime pour faire cesser l’épidémie, dans un raccourci idéologique tellement grotesque qu’il est devenu dangereux.   

Nous ne discutons pas les réalités scientifiques liant les formes graves de la maladie à l’obésité. Nous n’avons pas le recul ou les études suffisantes pour le faire, et notre association est dépourvue de comité scientifique. Nous sommes de simples citoyen.ne.s gros.se.s, qui vivons depuis bientôt une année la double contrainte d’un confinement quasi-permanent, et d’une grossophobie médicale assumée dans les représentations médiatiques anxiogènes de nos maladies. Nous avons obéi au gouvernement, nous nous sommes confiné.e.s même lors des relâches, nous avons porté des masques avant les autres, nous ne transigeons pas avec les gestes barrières. Nombreuses et nombreux sont celles et ceux d’entre nous qui ont perdu dans cette crise sanitaire leur santé mentale, leur travail, et l’espoir de pouvoir retrouver dans un futur proche un semblant de vie normale. Nos suivis médicaux, déjà rendus compliqués par la grossophobie médicale en temps normal, sont anéantis par la situation sanitaire actuelle. Nous avons mangé notre pain noir, et nous n’avons rien dit quand des journalistes proclamaient que nous “attraperions le virus plus facilement que des personnes minces”, ou quand le gouvernement nous classait dans les populations à risque sans nous proposer l’accès aux compensations financières et à la protection nécesaire dans le deuxième temps de l’épidémie.

Aujourd’hui, les campagnes de vaccination commencent dans notre pays. Nous nous réjouissons pour nos soignant.e.s et pour nos aîné.e.s, mais nous sommes révolté.e.s de constater qu’une nouvelle fois, les personnes grosses ne sont pas prises en compte. Comment peut-on nous répéter pendant 12 mois que nous sommes particulièrement à risque, que nos vies sont plus en danger que les autres, et ne pas nous classer dans la liste des personnes prioritaires à la vaccination ? Quelle cohérence pour nous, c’est-à-dire 17% des français.e.s ? Comment comprendre ces messages contradictoires ? L’obésité est une maladie de pauvres et de précaires en France, et nous savons que la COVID-19 touche en priorité les territoires défavorisés, comment ne pas y voir un lien direct ?

Aujourd’hui Gras Politique demande à Emmanuel Macron, au Ministère de la Santé et des Solidarités ainsi qu’à la Haute Autorité de Santé de revoir ses priorités vaccinales et d’être cohérents avec leurs propres discours : si vous considérez que les personnes obèses sont à risque élevé de décès suite à une infection au COVID-19, au même titre que d’autres populations déjà prises en compte dans le calendrier vaccinal, il faut nous vacciner rapidement. Nous portons la même demande pour tous les publics identifiés comme portant des pathologies ou des comorbidités en lien avec la dangerosité du COVID-19.

Refuser de prendre en compte la population grosse que vous avez stigmatisée jusqu’alors dans toutes vos communications revient à dire que vous nous laissez mourir en conscience. Nous ne voulons pas mourir. Nous voulons des vaccins, maintenant. 

contact presse : graspolitiquepresse@gmail.com

Gros n’est pas un gros mot, chronique d’une discrimination ordinaire

Gros n'est pas un gros mot, chroniques d'une discrimination ordinaire

Le 23 mai 2018, les co-fondatrices de Gras Politique vous présentent leur manifeste : Gros n’est pas un Gros Mot, aux éditions Librio.

Daria Marx et Eva Perez-Bello font le tour d’une discrimination mal connue, et encore trop acceptée : la grossophobie. Comment s’exprime-t-elle ? Comment se construit-elle ? Comment être un-e bon-ne allié-e ? Comment ne pas fabriquer de gros-sses en ayant peur du gras ?

Ce petit livre pédagogique et plein d’humour saura vous ouvrir les yeux sur la grossophobie, ou vous aider à comprendre ses racines et ses enjeux.

Pour le pré-commander en librairie près de chez vous 

https://graspolitique.fr/wp-content/uploads/2018/05/9782290101780_grosnestpasungrosmot_couv_hd-1.jpg

[Important] La grossophobie entre dans le dictionnaire

Chez Gras Politique, nous nous battons depuis des années pour la reconnaissance des discriminations faites aux personnes grosses. Nous employons le mot GROSSOPHOBIE pour définir le spectre de ces discriminations.

Jusqu’ici, nous nous heurtions à une incompréhension, voir même à un certain déni de fait : ce mot n’existait pas dans la langue française validée par l’Académie, et par ricochet, nos discriminations n’existaient donc pas vraiment.

En 2019, le Petit Robert définira la grossophobie telle que :

 « attitude de stigmatisation, de discrimination envers les personnes obèses ou en surpoids ».

C’est une victoire symbolique, mais une victoire importante. Nous avons choisi le mot pour définir notre discrimination, nous avons lutté, et ce mot est désormais dans le dictionnaire, avec la définition que nous souhaitons lui donner.

La lutte continue, dans les pages des livres comme sur le terrain, mais nous sommes fièr-e-s chez Gras Politique, de ce premier pas.

 

Le projet inhumain de Karine Le Marchand

Il y a quelques mois, nous étions tombées sur les réseaux sociaux sur l’appel à candidature de Potiche Prod pour leur émission prochaine.
L’idée de Karine Le Marchand, soutenue par Cristina Cordula était de mettre en scène des personnes obèses dans leur parcours de chirurgie bariatrique.

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A l’époque nous écrivions ce texte et lancions une pétition pour demander l’arret du tournage.

Il y a quelques semaines nous rentrions en contact avec une source anonyme, proche de la production de l’émission. Ce que cette personne nous a raconté n’a fait qu’augmenter nos peurs au sujet du traitement réservé aux candidates de cette émission. Suite à ses révélations, nous avons décidé d’alerter plusieurs interlocuteurs :

 

Conseil national de l’Ordre des médecins

Conseil Supérieur de l’Audiovisuel

Agence Régionale de la Santé Île de France

Madame la Ministre de la Santé Agnès BUZIN

Madame la Directrice de la Direction de la Sécurité Sociale Mathilde LIGNOT-
LELOUP

Le Défenseur des Droits

Monsieur Georges-Christian CHAZOT, président du Groupe Hospitalier Saint
Joseph et du groupe Ethique Hôpital

Le président de la Commission des usagers de l’hôpital Dr Didier GAILLARD

Comité Consultatif National d’Ethique

Notre lettre

Aujourd’hui paraissait sur buzzfeed un article de Marie Kirschen reprenant tous les faits relatés par notre source anonyme.

Article disponible ici 

 

Voici les réponses apportées par :

l’ordre des médecins >>> Leur lettre

Le Centre hospitalier St Joseph >>> Page 2Page 1

Le Défenseur des droits >>> DDD

L’ARS >>> ARS

[Compte Rendu] Retour sur les Etats Généraux de la lutte contre la grossophobie

Les premiers Etats Généraux de la lutte contre la grossophobie se sont tenus à Paris le 14 janvier dernier.

Tout au long de la journée, une cinquantaine de personnes, représentants d’associations ou de collectifs, se sont mobilisés pour parler de la discrimination envers les personnes grosses et pour imaginer des stratégies de lutte.

Gras Politique tient à remercier celles et ceux qui sont venus travailler toute une journée sur ce sujet. Nous sommes enthousiasmées par votre énergie et pas vos idées. Nous allons tout faire pour porter haut les projets que nous avons évoqués ensemble. Nous comptons sur votre engagement, sur vos neurones, et sur votre bonne humeur.

Vous trouverez ci-dessous le compte-rendu officiel de l’événement, ainsi que quelques photos souvenirs.

Le magazine Fumigene nous a consacré un très beau reportage. 

Compte Rendu à télécharger ICI !