Grosses gencives

Y a-t-il acte plus anodin que d’aller chez le dentiste se faire soigner une carie ?

Pas quand tu es gros.se. Non. C’est une énième occasion de subir la formidable grossophobie médicale.

Entrer dans le cabinet. Le regard de bas en haut, le haussement de sourcils. Le « attendez, asseyez -vous doucement, je ne suis pas sûr que le fauteuil supporte votre poids ».

Tu t’assois en retenant ton souffle, tes fesses touchent le plastique, tu forces sur tes bras pour que tu puisses déposer ton poids petit à petit et pas d’un coup histoire de ménager un fauteuil et essayer de répartir la masse. Ton ego et ta santé mentale, tout le monde s’en fout.

« Ah une vilaine carie que voilà, il faut absolument arrêter de s’empiffrer de bonbons toute la journée »

Tu as la bouche ouverte, les mains de ce personnage nauséabond en toi, impossible de répondre autre chose qu’un « grmphblphbl » incompréhensible qu’il s’empresse d’ignorer pour rajouter «  ah oui, oui ça se voit que vous aimez manger des bonbons, les bonbons durs de grand-mère que vous croquez apparemment »

Il enlève enfin ses mains, tu voudrais lui répondre que tu n’as pas touché un bonbon depuis des années, mais que l’usure qu’il doit voir sur mes dents est due au bruxisme dont je souffre depuis mon enfance. Mais il t’annonce qu’il va devoir arracher ta dent.

Tu reprends rendez-vous en te disant que la prochaine fois s’il te fait une réflexion tu le reprendras en pleine volée, quitte à le mordre pour pouvoir articuler.

La semaine d’après tu reviens, il te refait la même réflexion sur le fauteuil et ton poids. Tu lui dis que cela n’a jamais posé de problèmes nulle part, et que s’il est si inquiet, il n’a qu’à investir dans un matériel plus adapté et solide.

Ça le met en colère visiblement. Tu t’allonges, tu l’entends préparer ses instruments derrière toi. Il te fait ouvrir la bouche sans sommation, brutalement, t’irrite le coin. Aucune délicatesse quand il passe ses instruments qui te déchirent littéralement l’intérieur de la joue. Puis vient le moment de l’anesthésie. Il pique, en met partout dans la bouche, ça a un goût affreux, amer, et tu as peur d’étouffer. Il te repique une 2nde fois, te dit de te rincer, se met à travailler mais la douleur est telle que tu hurles. L’anesthésie n’a pas pris. Il faudra 8 piqures. Et que tu acceptes de ressentir une pointe de douleur pour qu’on puisse en finir. Tu saignes, tu as mal, la dent a eu du mal à sortir, elle était accrochée à la tubercule qui finalement est venue avec.

La seule chose qu’il te dira c’est « vous allez avoir mal 2/3 jours » Puis en te regardant droit dans les yeux « L’anesthésie a eu du mal à prendre à cause de votre poids ».

Tu sais pourtant que ce n’est pas le cas, il endort une gencive, pas un membre avec du tissu adipeux… quel est le rapport ? Mais tu es dans un état second, tu as très mal, tu retiens tes larmes, tu ne protestes que d’un mou « de toutes façons les dosages ne sont jamais étudiés pour les personnes grosses » qu’il ignore royalement.

Tu es dans la voiture et tu pleures. Tu pleures parce que tu viens de te faire humilier encore une fois. Tu n’es pas arrivée à te défendre. Tu t’es laissé tomber. Et puis malgré les doses énormes d’anesthésiant tu souffres, tu sens le sang couler dans ta bouche.

Alors tu rentres tant bien que mal et tu questionnes ton entourage dans le médical, pour bien te rassurer. Oui ce dentiste est juste un sombre tocard grossophobe au discours dangereux.

Tu le réentends asséner sa fausse vérité bien droit dans ses bottes. « c’est de ta faute ».

Le lendemain tu as mal toujours, la douleur amplifie. Deux jours après il y a clairement un soucis, ta gencive est gonflée et te fait très mal, tu penches pour une infection. Tu mets 3jours à le rappeler parce que malgré la douleur physique, celles morale et psychique te retiennent. Tu es forte, tu peux tout supporter physiquement. Tu endures des souffrances que peu de gens accepteraient de vivre depuis tant d’années. Mais tu es fatiguée mentalement, épuisée même. Tu le rappelles et il estime évidemment que tu as dû mal faire quelque chose ne te trouvant un créneau que pour la semaine d’après. L’idée pas si saugrenue qu’il fait tout pour te punir d’être grosse te traverse l’esprit.

Et tu attends, la douleur à la gencive, le bide retourné, le cerveau en ébullition, plein de ce que tu voudrais lui dire. Chaque jour qui te rapproche du rendez-vous, tu essaies de rassembler le peu de courage qui te reste pour lui renvoyer ses mots dévastateurs dans les dents.

 

Anonyme, 37 ans

J’ai six ans. J’ai toujours été petite et mince, légèrement potelée au niveau des joues. Mais là, je grossis. Le stress, à cause de mon père, dit ma mère, il est fort absent. Ma famille, aussi longtemps que remontent les photos, c’est à dire dans les années 1800, elle est composée de gens “gros”, “obèses”, “en surpoids”, du côté de papa comme du côté de maman. Les minces sont rares. Maman, elle, elle est très ronde. Plus de 110 kilos. Elle en a souffert, on dirait.

J’ai sept ans. J’ai grandi, j’ai grossi. J’ai aussi une maladie qui détruit ma colonne vertébrale mais tout le monde se fiche de mes plaintes. En gym, j’ai du mal. Je ne sais pas monter sur le cheval d’arçon. Je n’ai pas de force dans les bras; Je ne sais pas courir vite. La prof me hait, je le vois sur son visage. Je lui suis antipathique. Je ne sais pas comment exprimer cette haine qu’elle me voue à mes parents mais à force de m’en plaindre, ils vont la voir. Elle leur dit ceci, en parlant de moi : “elle ne sait rien faire”. Ma mère décide de réagir : être désagréable et menaçante avec ladite prof, mais aussi et surtout me mettre au régime.

J’ai huit ans, c’est l’été, ma mère me met au régime “pour impressionner la prof à la rentrée”. On va voir une diététicienne. Elle dit que je ne serai jamais mince, ma mère est énervée alors elle m’emmène dans une clinique spécialisée à la capitale, pour les enfants obèses. On m’y pèse, on me mesure, on m’analyse psychologiquement alors que j’ai rien demandé. On parle de moi comme si j’étais pas dans la pièce. Ma mère prend mal le fait que je veuille rencontrer la psychologue toute seule. Je ne veux pas qu’elle parle à ma place. Elle me le reprochera par la suite. On nous file un programme de régime dissocié, à la mode à l’époque. Tout le monde à la maison s’y met, de la grand-mère de 66 ans qui n’a pas besoin de ça à moi, huit ans, en pleine croissance. A la rentrée, ma mère achète des boîtes oranges d’une célèbre marque de vente pyramidale. On y met des haricots trop vinaigrés, des oeufs durs, du jambon, des légumes verts… Et ça me lasse au bout de quelques jours. Mais j’ai pas le droit, car il faut que je sois mince “pour trouver un mari plus tard”. N’empêche, la prof qui me haïssait est partie. J’ai plus de prof de gym tortionnaire, youpie, mais je suis toujours au régime. J’en bouffe, du fromage blanc, des légumes sans goûts, de la viande bouillie. Ca me dégoûte, rien n’a de goût, tout sent mauvais. Au bout d’un temps, je pète des durites, j’ai des envies de violence. Je n’en peux plus de subir ça. On arrête le régime. J’ai perdu quelques kilos et je les reprends.

Diététicien sur diététicien. A 13 ans, je fais 70 kilos. Un médecin me dit que je dois choisir entre étudier et être mince et belle, car j’étudie trop, selon lui et ne me concentre pas assez sur ma perte de poids. Sois belle et tais-toi. L’infirmière de l’école me demande si je suis complexée car je ne veux pas me peser devant les autres filles. Je ne suis pas complexée, je suis insultée, je suis harcelée. “Bouboule”, “la grosse”, “gros tas”, “tas de graisse”, “grosse merde”, j’en passe et des meilleures. Je ne suis pourtant pas une mauvaise personne, mais je suis une “grosse merde”. Je n’ai pas encore de personnalité propre, maman me bride beaucoup. Je n’ai pas le droit de choisir mes vêtements, elle m’affuble de vêtements qui ne me vont pas. Je suis en jupe avec des collants tout le temps, je me sens mal à l’aise dans des pulls qui grattent. Mon corps me déplaît, il change, j’ai mes règles depuis deux ans, j’ai des seins qui tombent déjà. Je me dégoûte. J’aimerais être belle, je fantasme d’être sexy et attirante mais que suis-je ? On ne me renvoie que ça. Une insulte particulière est lancée, fait le tour du lycée. Jusque mes 18 ans, on m’appellera comme ça. Je n’ai même pas envie de l’écrire car cette chose, ce n’est pas moi. C’est ce qu’on projette sur moi. A la maison, rien ne va. Mon père est alcoolique, violent, dominateur. Je n’ai aucun soutien. On me dit toujours de faire des efforts. Je n’en peux plus et j’étouffe. Je vis un enfer familial et à l’école, je n’ai que quelques amis et encore, le sont-ils réellement ? Ma vie sociale en dehors est nulle car ma mère m’isole.

J’ai 19 ans, je quitte la maison. Je perds du poids, je faisais dans les 90 kgs, je n’en fais plus que 80. Ma mère se lance dans un régime hyperotéiné, elle m’invite à la suivre. Je le fais car j’ai peur, je me dis que je trouverai plus facilement un mec comme ça et que je serai mieux dans mes fringues. Je perds 20 kgs en quinze jours. Je suis blanche comme un linge, je faillis perdre connaissance. J’arrête. Je prends 40 kilos. Je recommence, je reperds, je reprends.
Jusque mes 27 ans, malgré ma vie amoureuse épanouie, je ne fais que perdre, reprendre, perdre, reprendre, régime sur régime jusqu’à en devenir anorexique. Ma grand-mère l’est devenue. A sa mort, elle pesait 34 kilos. Elle vomissait dans son assiette en tentant de se forcer à manger. Désolée du détail, c’est une réalité de l’anorexie chez les personnes âgées.

A 27 ans, je décide d’arrêter les régimes. Je lis du Zermati, je me renseigne sur les autres moyens de me nourrir plus intuitivement. Je bois trop de soda sucré, je commence à avoir un taux de sucre qui grimpe. Par contre, je commence à maigrir. Je reçois toujours des injonctions du corps médical m’invitant à maigrir “pour avoir plus de chances d’enfanter” (je suis hyper fertile et je ne veux pas d’enfant), on panique quand on me voit et m’invite à faire du vélo d’appartement (“si non vos genoux vont payer”). J’ai toujours cette foutue maladie au dos et une maladie chronique invalidante liée aux maltraitances familiales. J’ai mal partout, tout le temps. Mais on me demande de faire du sport à grosse dose, une heure trente de vélo au petit matin alors que j’ai déjà du mal à me lever et à m’habiller. Je fais 105 kilos. Je ne me sens pas mal avec moi-même. Pendant tout un temps, j’avais peur de sortir de chez moi mais j’ai gagné en assurance. Je sors, je me maquille, je m’habille, je suis une femme comme une autre, je gère ma vie sans me préoccuper de mes kilos. Les seuls à me les rappeler sont les médecins de toute manière. Je commence à éviter de me soigner chez des sales cons. Je trouve des médecins compétents.

Depuis dix ans, j’ai perdu du poids de façon régulière d’abord en consommant la nourriture de façon instinctive en fonction de mes goûts. On ne parle pas de gâteaux aux chocolats, de biscuits, de gras. Je parle de manger ce que j’ai envie de manger. On s’imagine toujours que le “gros” ne fait “que manger” et qu’il mange “mal”. En fait, le “gros” est en hyper contrôle de son alimentation, généralement. C’est tout le contraire. Pour être “gros”, il faut de la volonté…
Et pourtant, on m’a toujours dit que je n’en avais pas, ce qui avait un impact énorme sur mon estime de moi. J’en suis maintenant à 105 kilos, je perds des tailles de vêtements tous les ans. Je flotte dans mes jeans et dans mes manteaux. Mon poids est le cadet de mes soucis. Je fais du sport quand je le veux et ce que je veux. Je mange ce qui me plaît tout en faisant attention aux glucides car je sais que ma famille y est sensible et que j’ai de mauvais gènes. J’utilise des recettes qui me permettent de remplacer blé, pâtes, pommes de terre par des choses plus adaptées à mon organisme. Par exemple, la poudre d’amande, la farine de coco, la stevia. Et je me sens bien comme ça.

Je ne me sens pas de donner des leçons aux autres sur comment ils doivent gérer leur poids. Perdre du poids n’est pas facile et le doit-on, d’abord ? Je continue de croire qu’avant, être “gros” n’était pas si “anormal” qu’aujourd’hui et que la perte de poids est un marché. Les médecins ont fait du mal à mon corps. La diététique aussi. Je suis enragée contre ces gens qui font du commerce avec tout cela. J’ai pris des médicaments qui ne m’ont pas fait maigrir, j’ai essayé trente-six régimes qui m’ont fait enfler au détriment de ma santé tout en étant culpabilisée par les médecins.

Alors, sérieusement, les pros du poids qui n’y comprennent rien, je les envoie valser. Soyons responsables de notre santé et choisissons ce qui est bon pour nous sans influence de normatifs qui ne savent que faire la morale aux gens dont ils ne comprennent rien de la réalité.
Si un médecin pouvait lire ceci et en profiter pour y réfléchir, ça me ferait du bien.

Anonyme, 37 ans

J’ai six ans. J’ai toujours été petite et mince, légèrement potelée au niveau des joues. Mais là, je grossis. Le stress, à cause de mon père, dit ma mère, il est fort absent. Ma famille, aussi longtemps que remontent les photos, c’est à dire dans les années 1800, elle est composée de gens “gros”, “obèses”, “en surpoids”, du côté de papa comme du côté de maman. Les minces sont rares. Maman, elle, elle est très ronde. Plus de 110 kilos. Elle en a souffert, on dirait.

J’ai sept ans. J’ai grandi, j’ai grossi. J’ai aussi une maladie qui détruit ma colonne vertébrale mais tout le monde se fiche de mes plaintes. En gym, j’ai du mal. Je ne sais pas monter sur le cheval d’arçon. Je n’ai pas de force dans les bras; Je ne sais pas courir vite. La prof me hait, je le vois sur son visage. Je lui suis antipathique. Je ne sais pas comment exprimer cette haine qu’elle me voue à mes parents mais à force de m’en plaindre, ils vont la voir. Elle leur dit ceci, en parlant de moi : “elle ne sait rien faire”. Ma mère décide de réagir : être désagréable et menaçante avec ladite prof, mais aussi et surtout me mettre au régime.

J’ai huit ans, c’est l’été, ma mère me met au régime “pour impressionner la prof à la rentrée”. On va voir une diététicienne. Elle dit que je ne serai jamais mince, ma mère est énervée alors elle m’emmène dans une clinique spécialisée à la capitale, pour les enfants obèses. On m’y pèse, on me mesure, on m’analyse psychologiquement alors que j’ai rien demandé. On parle de moi comme si j’étais pas dans la pièce. Ma mère prend mal le fait que je veuille rencontrer la psychologue toute seule. Je ne veux pas qu’elle parle à ma place. Elle me le reprochera par la suite. On nous file un programme de régime dissocié, à la mode à l’époque. Tout le monde à la maison s’y met, de la grand-mère de 66 ans qui n’a pas besoin de ça à moi, huit ans, en pleine croissance. A la rentrée, ma mère achète des boîtes oranges d’une célèbre marque de vente pyramidale. On y met des haricots trop vinaigrés, des oeufs durs, du jambon, des légumes verts… Et ça me lasse au bout de quelques jours. Mais j’ai pas le droit, car il faut que je sois mince “pour trouver un mari plus tard”. N’empêche, la prof qui me haïssait est partie. J’ai plus de prof de gym tortionnaire, youpie, mais je suis toujours au régime. J’en bouffe, du fromage blanc, des légumes sans goûts, de la viande bouillie. Ca me dégoûte, rien n’a de goût, tout sent mauvais. Au bout d’un temps, je pète des durites, j’ai des envies de violence. Je n’en peux plus de subir ça. On arrête le régime. J’ai perdu quelques kilos et je les reprends.

Diététicien sur diététicien. A 13 ans, je fais 70 kilos. Un médecin me dit que je dois choisir entre étudier et être mince et belle, car j’étudie trop, selon lui et ne me concentre pas assez sur ma perte de poids. Sois belle et tais-toi. L’infirmière de l’école me demande si je suis complexée car je ne veux pas me peser devant les autres filles. Je ne suis pas complexée, je suis insultée, je suis harcelée. “Bouboule”, “la grosse”, “gros tas”, “tas de graisse”, “grosse merde”, j’en passe et des meilleures. Je ne suis pourtant pas une mauvaise personne, mais je suis une “grosse merde”. Je n’ai pas encore de personnalité propre, maman me bride beaucoup. Je n’ai pas le droit de choisir mes vêtements, elle m’affuble de vêtements qui ne me vont pas. Je suis en jupe avec des collants tout le temps, je me sens mal à l’aise dans des pulls qui grattent. Mon corps me déplaît, il change, j’ai mes règles depuis deux ans, j’ai des seins qui tombent déjà. Je me dégoûte. J’aimerais être belle, je fantasme d’être sexy et attirante mais que suis-je ? On ne me renvoie que ça. Une insulte particulière est lancée, fait le tour du lycée. Jusque mes 18 ans, on m’appellera comme ça. Je n’ai même pas envie de l’écrire car cette chose, ce n’est pas moi. C’est ce qu’on projette sur moi. A la maison, rien ne va. Mon père est alcoolique, violent, dominateur. Je n’ai aucun soutien. On me dit toujours de faire des efforts. Je n’en peux plus et j’étouffe. Je vis un enfer familial et à l’école, je n’ai que quelques amis et encore, le sont-ils réellement ? Ma vie sociale en dehors est nulle car ma mère m’isole.

J’ai 19 ans, je quitte la maison. Je perds du poids, je faisais dans les 90 kgs, je n’en fais plus que 80. Ma mère se lance dans un régime hyperotéiné, elle m’invite à la suivre. Je le fais car j’ai peur, je me dis que je trouverai plus facilement un mec comme ça et que je serai mieux dans mes fringues. Je perds 20 kgs en quinze jours. Je suis blanche comme un linge, je faillis perdre connaissance. J’arrête. Je prends 40 kilos. Je recommence, je reperds, je reprends.
Jusque mes 27 ans, malgré ma vie amoureuse épanouie, je ne fais que perdre, reprendre, perdre, reprendre, régime sur régime jusqu’à en devenir anorexique. Ma grand-mère l’est devenue. A sa mort, elle pesait 34 kilos. Elle vomissait dans son assiette en tentant de se forcer à manger. Désolée du détail, c’est une réalité de l’anorexie chez les personnes âgées.

A 27 ans, je décide d’arrêter les régimes. Je lis du Zermati, je me renseigne sur les autres moyens de me nourrir plus intuitivement. Je bois trop de soda sucré, je commence à avoir un taux de sucre qui grimpe. Par contre, je commence à maigrir. Je reçois toujours des injonctions du corps médical m’invitant à maigrir “pour avoir plus de chances d’enfanter” (je suis hyper fertile et je ne veux pas d’enfant), on panique quand on me voit et m’invite à faire du vélo d’appartement (“si non vos genoux vont payer”). J’ai toujours cette foutue maladie au dos et une maladie chronique invalidante liée aux maltraitances familiales. J’ai mal partout, tout le temps. Mais on me demande de faire du sport à grosse dose, une heure trente de vélo au petit matin alors que j’ai déjà du mal à me lever et à m’habiller. Je fais 105 kilos. Je ne me sens pas mal avec moi-même. Pendant tout un temps, j’avais peur de sortir de chez moi mais j’ai gagné en assurance. Je sors, je me maquille, je m’habille, je suis une femme comme une autre, je gère ma vie sans me préoccuper de mes kilos. Les seuls à me les rappeler sont les médecins de toute manière. Je commence à éviter de me soigner chez des sales cons. Je trouve des médecins compétents.

Depuis dix ans, j’ai perdu du poids de façon régulière d’abord en consommant la nourriture de façon instinctive en fonction de mes goûts. On ne parle pas de gâteaux aux chocolats, de biscuits, de gras. Je parle de manger ce que j’ai envie de manger. On s’imagine toujours que le “gros” ne fait “que manger” et qu’il mange “mal”. En fait, le “gros” est en hyper contrôle de son alimentation, généralement. C’est tout le contraire. Pour être “gros”, il faut de la volonté…
Et pourtant, on m’a toujours dit que je n’en avais pas, ce qui avait un impact énorme sur mon estime de moi. J’en suis maintenant à 105 kilos, je perds des tailles de vêtements tous les ans. Je flotte dans mes jeans et dans mes manteaux. Mon poids est le cadet de mes soucis. Je fais du sport quand je le veux et ce que je veux. Je mange ce qui me plaît tout en faisant attention aux glucides car je sais que ma famille y est sensible et que j’ai de mauvais gènes. J’utilise des recettes qui me permettent de remplacer blé, pâtes, pommes de terre par des choses plus adaptées à mon organisme. Par exemple, la poudre d’amande, la farine de coco, la stevia. Et je me sens bien comme ça.

Je ne me sens pas de donner des leçons aux autres sur comment ils doivent gérer leur poids. Perdre du poids n’est pas facile et le doit-on, d’abord ? Je continue de croire qu’avant, être “gros” n’était pas si “anormal” qu’aujourd’hui et que la perte de poids est un marché. Les médecins ont fait du mal à mon corps. La diététique aussi. Je suis enragée contre ces gens qui font du commerce avec tout cela. J’ai pris des médicaments qui ne m’ont pas fait maigrir, j’ai essayé trente-six régimes qui m’ont fait enfler au détriment de ma santé tout en étant culpabilisée par les médecins.

Alors, sérieusement, les pros du poids qui n’y comprennent rien, je les envoie valser. Soyons responsables de notre santé et choisissons ce qui est bon pour nous sans influence de normatifs qui ne savent que faire la morale aux gens dont ils ne comprennent rien de la réalité.
Si un médecin pouvait lire ceci et en profiter pour y réfléchir, ça me ferait du bien.

Caroline, prématurée

Je suis née prématurée, pour me faire grandir, mes parents ont dû avoir recourt aux hormones de croissances… le gynécologue qui s’occupait de ma mère lui avait précisé que j’avais un risque d’être en surpoids, voire obèse.

À partir de l’âge de quatre ans, je consultais le médecin généraliste de mon village. J’avais quelques kilos en trop et l’enfer a commencé… 


Régime draconien, humiliations, rabaissement, critiques… 


À mon adolescence, suite à de graves problèmes personnels (où ma famille m’a fait culpabiliser), j’ai atteint 125 kilos… mon généraliste faisait la grimace dès qu’il me voyait. Il avait convaincu ma mère que je devais faire des prises de sang toutes les semaines (pour vérifier que je n’avais pas de diabète et de cholestérol) et le supplice de la balance ou j’avais toujours le droit à une remarque parce que je ne perdais pas de poids assez vite. 


Prescription du médicament SUDAFED pour me faire maigrir… 

(Note de Gras Politique : La pseudoéphédrine, tout comme l’éphédrine, a des effets psychotropes similaires aux amphétamines mais ceux-ci sont moins importants à dose égale. La pseudoéphédrine est notamment un précurseur direct de la métamphétamine (aussi appelé “speed” dans le jargon). Cette propriété est d’ailleurs illustrée dans la saison 1 de la série télévisée américaine Breaking Bad : les personnages principaux utilisent alors la pseudoéphédrine pour synthétiser leur méthamphétamine. La pseudoéphédrine provoque, comme les amphétamines, une certaine euphorie, un effet stimulant et un effet coupe-faim. À dose forte, la pseudoéphédrine peut provoquer des hallucinations. L’association de la pseudoéphédrine à du paracétamol (toxique pour le foie à dose suprathérapeutique) ou à de l’ibuprofène (AINS toxique pour l’estomac à dose suprathérapeutique) dans les spécialités (médicaments) qui la contiennent ainsi que les risques cardiovasculaires limitent néanmoins son mésusage. Le SUDAFED était d’abord prescrit pour la congestion nasale, pas du tout pour l’amaigrissement.)


Au collègue ma vie était devenue un enfer… 


Chez ma famille ma vie était devenue un enfer… 


Chez le médecin ma vie était devenue un enfer… 


Je n’étais tranquille nulle part et personne pour m’écouter ou me défendre…


Plus tard, je me suis faite agressée sexuellement, le médecin m’a prescrit des anxiolytiques, avec son regard qui en disait long, je l’ai ressenti comme « ah bah le mec devait être très en manque pour avoir envie de te faire ça »…


Puis un jour, malgré que j’avais réussie à perdre jusqu’à atteindre 97 kilos, et que je sortais d’une énième dépression, il a recommencé à me faire des remarques. J’ai donc décidé de ne plus manger. Je suis devenue anorexique. Avant de partir à la retraite, je suis allé le voir une dernière fois, où j’ai eu la grande surprise de l’entendre me dire : « Tu sais, tu devrais manger ». Je pesais 54 kilos, je n’avais plus de force. Il voulait m’hospitaliser… 


Aujourd’hui, mon poids est de 83 kilos, je ne me sens toujours pas à l’aide avec mon corps et mon moral est miné à jamais. Je suis toujours en dépression dû à mon poids (j’en fais une obsession maladive).
Cet homme a détruit ma vie…

 

Véronique, témoignage médical

Cela faisait plusieurs mois que j’avais mal à l’abdomen, du côté droit, près du foie. Je me suis donc décidée à aller voir un spécialiste.
Celui-ci m’a proposé sans même m’examiner de m’enlever la vésicule billiaire et de continuer par un by-pass … Evidemment je n’étais pas venue pour cela mais pour mettre fin à mes douleurs, je refuse donc et je prends un second avis.
Le second médecin me diagnostique des examens, dont un scanner de l’abdomen. On me dira alors que j’ai le “foie gras” (oui comme les oies), ok, mais le discours du médecin était violent “Olalala madame quel gros foie, vous devez avoir mal dès que vous faites des gros repas !”. Sauf que je ne fais pas de gros repas, je surveille même plutôt ce que je mange, le gras, le sucré … Mais je suis grosse donc j’imagine que c’était compliqué pour lui d’imaginer que je ne me goinfrais pas à tous les repas !
J’ai en fait été la victime d’une erreur de diagnostic, c’est un troisième médecin qui m’a permis d’identifier mon problème.
J’avais mal à l’abdomen donc, mais mon taux de glycémie dépassait également la moyenne, sans pour autant être inquiétant. Mon généraliste et le spécialiste n’ont pas creusé dans ce sens, se contentant de me répondre qu’ils avaient déjà vu “pire”.
C’est un fait le médicament que je prenais pour l’hypertension qui avait abîmé mon foie. Celui ci ne jouait plus son rôle sur le sucre et les graisses, il régulait mal ma glycémie, j’avais donc du mal à maigrir malgré mes efforts alimentaires. C’est aussi pour cette raison que j’avais mal …
J’ai donc gardé ma vésicule, j’ai évité le by-pass, je soigne mon hypertension avec une autre molécule, et je vois un diététicien pour manger des aliments qui ne nuisent pas à mon foie en convalescence.
Mon parcours aurait été beaucoup plus simple si les médecins ne s’étaient pas arrêtés à des pathologies “pour obèses” et s’ils m’avaient soignés comme une personne “normale”.

Amélie : “Je suis une obèse morbide de 25 ans”

Mon gros corps, mon énorme corps il dérange. Je sais pas il provoque des trucs intenses chez les gens qui le scrute.

Dans l’espace public/ avec les inconnus :

Dans l’avion ou dans le train je fais en sorte que mon gros corps il prenne le moins de place. Je me contorsionne , je réserve toujours la place côté couloir pour déporter mon gras. Ma hantise c’est gêner les gens. Mais, malgré ça, malgré ces contorsions diverses et variées, y’a toujours des gros connards pour faire des réflexions. On dirait que la peur de manquer de place fait perdre aux gens toute humanité. Ces réflexions ça va du regard dégoûté, ça passe par la messe basse/la réflexion indirect- “t’as vu le tas là comment elle prend toute la place”- à l’insulte franche et direct “sale grosse/ vache …”

Le plus souvent je fais celle qui entend pas. En fait, je comprendrai jamais la haine des gens, je sais pas mec j’ai pas violé ton chien ! Par exemple qu’est ce qui a poussé ce mec y’a pas longtemps à s’arrêter à côté de moi en voiture pour me dire ” Et la grosse tu veux pas faire du sport ? “. Son amie à côté en train de se marrer. Ok, on a pas tous le même humour, ok  pour lui voir une grosse dans la rue qui marche c’est drôle, mais vraiment, gars qu’est ce qui te fait bander dans le fait de m’humilier ? non vraiment t’aurais pu te marrer bien au chaud dans ta caisse sans me faire chier!

Ne parlons pas du net où c’est un véritable défouloir à merde!

Non, vraiment ce qui m’énerve le plus c’est les : “Non mais, il faut pas se moquer des obèses PARCE QUE certains ont une maladie génétique et pas parce qu’il mange”. Euh comment te dire va te faire enculer moi je suis grosse parce que je mange, j’ai pas de maladie génétique qui me fait gonfler par magie. En fait, connasse on se moque pas des obèses tout court peu importe la raison de leur obésité, comme on se moque pas des noirs, des maigres ou des gens fluos! Je sais pas c’est la base.

Un autre truc qui me met en rogne c’est les “mea culpa” systématique de mes consœurs bouboulesques! Par exemple : une ancienne collègue au repas à chaque fois elle nous disait ” Ah non mais moi avec ça j’en ai pour trois jours” (ouais moi avec ça j’en ai pour 2 secondes). Enfaite, tout le monde s’en fout si son bout de rôti il va lui durer 1 jour ou 3 ans, mais elle se sent obligé d’extrapoler dessus pour bien faire comprendre que si elle est grosse c’est juste parce qu’elle suce des glaçons. Je pense que le gros a tellement peur d’être jugé qu’à chaque fois qu’il ingère quelque chose il se sent obligé de se justifier. Bon  après cette collègue bouboulesque était aussi grossophobe : premier repas dans l’entreprise et madame la conne me sort : ” Non mais tu devrais pas boire ce coca avec ton surpoids”, aller vlan Simone si tu savais pas que t’es grosse et qu’en plus le coca  ça fait grossir nianiania….

Les proches/les connues :

Clairement, un des trucs qui me fait le plus chier c’est quand mes proches me désexualisent complétement . Par exemple, on laisse pas porter des charges aux femmes/filles (parce qu’une fille ça doit chier des pivoines pour eux), mais à moi si  “Aller viens par là Amélie toi t’es forte tu peux porter”, ouai j’ai l’impression d’être un bourrico. Y’a aussi quand mes proches font la bise délicatement aux autres femmes et à moi on hésite pas à me donner une bonne accolade bien franco ! En fait, ma condition d’obèse pour certains fait que je suis pas une femme baisable donc pas une femme du tout, juste un espèce de tas de gras sans sexe.

J’essaie d’être cool, , j’essaie de d’appliquer le fameux aime/assume toi et le monde t’aimera, puisque apparemment tout n’est que confiance en soi selon certains magazines.  Sauf que c’est compliqué d’avoir confiance en toi quand le monde te rappelle sans cesse que t’es qu’une grosse épidémie mondiale et que pendant les camps de concentration y’avait pas d’obèses (bon j’avoue cela est sortie par le vrai et gros connard hors complétion tellement que c’est une grosse déjection humaine).

Non je vous jure moi j’essaye de faire la grosse cool, bien dans ses baskets…. Quand tu pars en voyage avec ta promo de M2 de droit et que t’es la seule grosse à l’horizon (bon faut dire que j’ai pas vu beaucoup de gros pendant mes études) et que des gens plutôt cool font des remarques qui te mettent plus bas que terre : ” Ah non mais sur cette photo j’ai l’air carrément obèse je sais que j’ai un peu de bide mais là on dirait que je suis obèse” ,” On va au resto faire nos gros / Ohlala on a bouffé comme des gros” (Ouai les gars  moi je chie, je pisse je dors je me réveille comme un gros parce que je le suis ).

Soirée où t’es la seule grosse où les gens se foutent ouvertement de ta gueule parce que t’es grosse et qu’ils pensent que tu t’en rends pas compte…. Ou que tu te fais traiter de vulgos parce que v’la toi et ton gros corps vous avez osé danser comme tout le monde sauf que ma chérie avec ton corps tu peux pas te permettre de remuer comme ça… D’ailleurs, c’est un truc que j’ai remarqué ça, les formes un peu trop prononcées sont souvent taxées de vulgaire => exemple d’une femme à la poitrine menu qui peut “se permettre” un large décolleté vs une femme aux gros seins qui MA CHERIE doit se cacher sous peine d’être assimiler à une coureuse de rempart.

Autre réflexion/ réaction (souvent entendu/vu):” Non mais moi je suis constamment victime de harcèlement de rue même quand je suis sapée vite fais”  donc là moi je confirme en disant ouai moi aussi et là la meuf me regarde avec un air ahurie  “ah bon!?”. Alors oui les connasses nous les grosses dégueulasses les grosses pas bonne sommes tout autant victimes de cet harcèlement. Eh oui mes connes on a nous aussi bel et bien un vagin !!!
Non plus sérieusement j’imagine une obèse morbide qui va au comico porter plainte pour un viol “Mais madame c’était peut être votre seule chance de vous faire toucher!” Putain et j’exagère à peine, surtout quand j’entends les blagues de mon entourage à ce propos.

Remise des diplômes en Mars dernier, il n’y avait pas ma taille … super tout le monde nageait dans sa toge et moi j’ai du la garder ouverte… Non non c’est à peine humiliant Jacqueline…

Rien sur la grossophobie médicale parce que tu comprends si j’ai mal au crâne c’est surement parce que j’ai DU GRAS qui y est remonté …

Le boulot :

Quand on te demande si tu comptes faire quelque chose pour ton poids à un entretien d’embauche ! Quand tu mets une photo dans ton cv (sur laquelle on voit bien que t’es une grosse) et que l’on ne t’accorde même pas un entretien, alors que tes petits camarades de promo on le droit, eux,  aux entretiens (certains n’ont même pas valider le Master…).

Bah oui l’esthétique ça compte quand même … Phrase entendue à un entretien … Ouais gars je suis juriste pas la présentatrice météo de canal…

Les fringues :

Je te poses le tableau je fais un 56 autant te dire que c’est la croix et la bannière pour m’habiller…. Que je pleure à chaque fois que je passe devant un magasin du groupe inditex…

Voir les rayons grandes tailles s’amenuir ou être relégués encore plus au fond du magasin….

Mais le pire c’est quand je vois que y’ a un soit disant magasin grande taille qui ouvre à côté de chez toi. Enseigne ” Du 44 au 62″ yeah super. Enfin, bon petit youpi car c’est cher et pas très folichon mais enfin bon. Donc je rentre regarde la première partie de la boutique et la oh surprise rien qui fait plus que du 52 … la vendeuse ” euh pour les 56 c’est derrières” (je te le donne en mille, fringues encore plus moche et cher) … ok donc même dans les magasins grandes tailles y’a des séparations entre la grosse acceptable et les autres….

Un autre truc qui m’a gonflé c’est la nana qui poste un billet pour dire “ouin ouin regardez moi normalement je rentre dans un petit 40 et la j’ai dû prendre un 44 alala ces tailles chinoises”  …  Premièrement, je trouve ça dramatique de définir la beauté de son corps par rapport une taille de confection. Deuxièmement,  pas à un moment de sa longue tirade elle s’est dit que si elle avec son petit cul elle entre dans un 44 et que les tailles des magasins standard généralement vont jusqu’au 46 alors imaginons le nombre de femmes qui sont “exclues” automatiquement de ces boutiques…. Aucune once d’empathie, moi perso je m’en fous de faire un 72 du moment que je trouve ma taille partout.

Mais je pense ce qui m’emmerde le plus ce de ne pas avoir de gros autour de moi, ou en tout cas de gros qui vivent la grossophobie ( oui oui dédi à mes potesses qui me parlent de grossophobie avec leur petit 42 etam). Quand je parle de cette discrimination, mes proches la nie ou pire me sorte “oh mais Amélie si t’es pas contente maigrie”…

C’est ça le plus dur c’est de voir que les discriminations que nous subissons soient reléguées au second plan, parce que pas très grave après tout, ou pire encore qu’elles soient complétement niées.

Bref on va s’arrêter là …. (même si je t’aurais bien causé de l’image du gros dans la pop culture)

La GROSSOPHOBIE existe et je la subis tout les jours !

Anonyme, 34 ans

Je suis une femme de 34 ans .

Je fais 103 kilos (évolutif parce que je suis enceinte de 4 mois) pour 1m57 pour une taille 50 de pantalon ou 48 cela dépend où je vais l’acheter.

“Grosse”, ce mot a pendant des années été dur pour moi , je me sentais qualifiée de “sale”, “dégueulasse” et “feignante” en plus d’être en surpoids, et je n’étais à ma place nulle part. Heureusement ça passe avec le temps, mais ça dépend aussi de qui prononce ce mot. Si c’est une personne non concernée par le sujet, je le prendrais très mal.

J’ai commencé à être en surpoids à l’âge de deux ans, dans ma famille ma mère avait du diabète et a toujours fait des régimes. Son poids faisait le yoyo constamment.

Vers 10 ans elle me faisait manger comme elle et, j’ai souvent eu faim. Dans cette famille, père, mère, frère étaient tous en surpoids, j’étais la seule qui avait toujours des petites parts parce qu’une “fille qui est grosse c’est pas beau”. De même à la cantine de l’école, je n’avais pas la même part que les autres. Du coup, sans arrêt affamée, je chipais de la nourriture la nuit, et donc je ne maigrissais pas.

Vers 14 ans je subissais du harcèlement scolaire et l’on se moquait constamment de mon poids, quand je rentrais à la maison mon père me frappait et avait plus d’estime pour son chien que pour moi.

L’été de mes 15 ans quand j’étais chez ma grand-mère, je me suis mise à faire du sport et à manger peu pour maigrir. Résultat, une perte de 15 kg en deux mois. La seule fois où je rentrais dans la case « normal » dans mon IMC. Quand je suis  rentrée de vacances, j’étais trop maigre cette fois-ci, je ne mangeais pas assez. Ma mère me resservait souvent à manger. Alors j’ai tout repris, avec 10 kilos en plus … Côté études à cette période, je me rappelle qu’on m’embêtait moins mais je restais quand même dans mon coin, j’avais peur de l’ambiance du collège et de chez moi…

J’ai continué mes études dans une école de coiffure, pour le côté artistique c’était génial, et j’avais perdu des kilos sans m’en rendre compte, mais je restais en surpoids. Deux ans plus tard et CAP en poche, je cherchais du travail  et sans grand succès, « une personne en surpoids ne peut travailler dans des métiers d’esthétique », « vous devriez perdre du poids », un non à l’embauche aurait suffit..

Arrive la vingtaine. Pas de travail, toujours en surpoids, crise d’ado tardive… Je sors beaucoup en Rave Party avec des ami(e)s. Pendant un an je prends des drogues pour oublier un peu que j’ai passé des années de merde en tous points. Et je perds une dizaine de kilos. Les années qui ont suivi : yo yo poids, yo yo travail précaire, rencontre d’un mec qui n’était pas le bon, prise de pilule, stress, chômage … Résultat, 30 kilos en plus …

Quelques années après j’ai rencontré le bon mec et le poids n’a pas bougé parce qu’il m’aime pour ce que je suis. Ce fut le début de confiance en moi. Vers la même période je suis devenue végétarienne, ce fut le résultat d’un rejet de violence sous toutes ses formes. J’ai même commencé à ne plus faire de régimes et ne plus me peser, à surfer sur les pages de « l’Imagerie de Nina », « l’Utoptimiste », des groupes anti-grossophobie… Tout ça m’a menée à penser que moi aussi j’ai le droit d’exister et j’en suis contente.
J’ai alors perdu 12 kilos en un an. Je m’en suis rendue compte en allant chez le pneumologue.

Je suis tombée enceinte et j’ai pris 9 kilos, la prise de poids ne m’a pas trop dérangée, c’est plutôt le côté surmédicalisé qui est anxiogène.

MEDICAL

Je suis asthmatique et j’ai des problèmes de thyroïdes.

Dans le cadre de ma grossesse, j’ai vu une interne qui remplaçait mon endocrinologue. Elle n’a pas regardé mon dossier. Elle aurait vu que les prises de sang étaient nickel, que je n’ai pas de diabète ni de cholestérol. En revanche, elle m’a demandé mon poids et jamais je n’ai autant entendu quelqu’un me dire de « faire attention à ce que je mange », « faire un régime ». Quand je lui ai répondue qu’il était hors de question de faire un régime, sa réponse fut :  « mais vous êtes OBESE madame ». Sans m’écouter elle me rappelle aussi de faire mon test de diabète. Le test se fait à 4 mois de grossesse, j’en étais même pas à 2 mois )  et le « n’oubliez pas de le faire à jeun », comme si je passais mon temps à manger enfin j’en suis ressortie en pleurant me sentant comme une merde …

Je redoute beaucoup de soignantEs : Médecin traitant, gynécos, endocrinologues, diététiciennes …

Il y a des comportements récurrents de la part des soignantEs vis à vis de mon poids. Le « vous pesez combien ? » est toujours la première question suivie de « vous faites des activités sportives » avec un regard incrédule quand je réponds positivement .

Je crois qu’il n’y a pas de différence de traitement selon que lea soignantE est jeune/vieilleux, homme, femme … le respect c’est une question d’éducation.

Lors de l’écho, on a eu  des difficultés à voir mon bébé mais l’échographe a été super gentil et m’a juste dit qu’on ne pouvait pas le voir tout en restant neutre, c’est en discutant avec des connaissances que j’ai appris que c’était à cause du poids.

Pour que je qualifie unE soignantE de bienveillantE, il faut qu’iel m’examine comme les autres patientEs et que je n’entende pas une seule fois le sujet du poids à moins que je lui demande.

Je veux que ce soit moi qui lui en parles en premier.

J’ai quitté un cabinet une seule fois, ma remplaçante endocrinologue quand elle m’a parlé de régime, les autres fois j’ai laissé passé parce que trop habituée(lassée) des mêmes phrases

ESPACE PUBLIC

Je me sens bien dans l’espace public depuis que je ne fais plus attention aux remarques dévalorisantes d’inCONnu(e)s.

Je fais comme tout le monde  et je trace ma route

« Hey regarde ! Paul c’est ta fiancée là-bas ! », « t’as de beaux yeux mais c’est tout ce que tu as », « elle est imposante celle-là », « ah la grosse » … Voilà ce que j’entends.

DEMAIN

Je souhaite qu’on soit traité(e)s comme tous le monde et qu’on nous fiche la paix pour ce qui es du poids que ce soit dans le cadre des études scolaires, médecine, travail (qu’on ai un peu plus de chances d’être recruté(e)s).

Pas besoin de nous faire remarquer que l’on es en surpoids vu que l’on es les premiers concerné(e)s et c’est comme tout, la seule personne à s’aider en 1er c’est nous mêmes, les remarques et dénigrement ne font qu’enfoncer, démoraliser et sont contre-productifs pour la suite .

Caroline, 20 ans, Genderfluid

Je m’appelle Caroline, j’ai 20 ans et je suis genderfluid.

J’ai toujours été en surpoids, mais suite à une grossesse, TCA et dépression je suis actuellement à plus de 90kilos pour 1m60. Je fais du 44 en pantalon. Je me situe plutôt au milieu du spectre de la gros.se personne. Je considère une personne comme gros.se lorsqu’elle ne correspond plus aux normes sociales (donc d’un pdv socio plus que médical/santé). Disons quand la personne se situe au dessus du 40 « moyen ».

Souffrant de TCA et étant donnée l’apologie de la maigreur je comprends qu’une personne mince ou ‘socialement convenable/normale’ puisse se sentir « grosse » sans l’être pour autant. Ce qui stigmatise et oppresse d’autant plus les personnes gros.ses. La vision d’elleux-même est biaisée par des normes et idéaux dangereux (et/ou TCA ou autres).

Comme dis plus haut j’ai toujours été en surpoids et gros.se. Les médecins m’ont fait débuter des régimes dès l’enfance. J’ai toujours eu un rapport conflictuel/obsessionnel avec la nourriture et le fait de manger.
J’ai toujours été gourmande, j’aime manger. Et mes TCA (boulimie entre autre) ont accentués mes problèmes de poids.

J’avais perdu tous mes ‘kilos en trop’ avant ma grossesse et ai tout repris après celle-ci, voir même bien plus.

MEDICAL

J’ai des antécédents de dépressions nerveuses et d’addictions qui ne sont pas liées à mon poids. En revanche, je souffre de TCA et de phobie sociale qui elles y sont liées.

J’avais entre 11 et 13, je consultais mon médecin pour un contrôle de routine. Et à cause de mon poids.

Je ne me souviens pas des termes, ni même du nom de ce medecin. Simplement j’ai eu droit à un discours moralisateur sur mon corps, mon poids, et des prospectus sur différents régimes. S’en est suivi des séances chez une nutritionniste où je n’osais même pas répondre honnêtement aux questions de crainte d’être jugée ou punie. (par exemple : « choisir une image correspondant à la quantité que vous prenez lors d’un repas »)

Ce sont les gynécologues que je redoute le plus, bien que tous les intervenants du corps médical m’effraient.
Le fait de lier mon aspect physique, mon poids et ma sexualité (non-normée qui plus est) me paralyse. J’ai peur de consulter pour ces raisons.
Sans compter le fétichisme malsain des personnes gros.ses ou simplement le dégoût lié au corps nu et à la sexualité des gros.ses

Les pesées systématiques, les tiques au moment du résultat, les injonctions à perdre du poids, les conseils à deux ronds, le fait de ne pas pouvoir quitter le cabinet sans pleins de papiers sur les régimes, l’hygiène alimentaire ect.. Ce sont autant de comportements récurrents que j’ai noté chez les soignants.

Je eu le privilège de « rentrer dans moule » des outils médicaux jusqu’à présent. Mais il y aurait matière à approfondir. J’ai eu un rdv anesthésiste pour une péridurale. Le RDV était correct.

Que le medecin propose d’ouvrir la conversation sur mon poids, de manière délicate et non-jugeante pourquoi pas. Par exemple demander simplement si mon poids me convient ou si je souhaite perdre de poids en insistant sur la non-necessité d’en parler ou de mettre en place un protocole spécifique aux gros.ses.

C’est délicat, je n’ai pas envie qu’un medecin me parle de mon poids dans un sens. Si une personne gros.se veut en parler elle viendra de son plein gré et la consultation sera dédiée à la question du poids uniquement. Mais pourquoi pas laisser un ouverture pour les personnes qui n’osent pas en parler. Par exemple j’aurais beaucoup de mal à aborder le sujet de peur d’être jugée quand bien même j’aurais envie de débuter un rééquilibrage alimentaire et/ou suivi TCA contrôlé en vue de perdre du poids. Le fait d’ouvrir le sujet en toute bienveillance et sans jugement peut être une solution. Du moment qu’il n’y a pas d’injonction à suivre un régime/perdre du poids sous quelconque prétexte.

ESPACE PUBLIC

L’espace public, pour moi, c’est tout ce qui n’est pas chez moi ou personne que je sais respectueuse et non-jugeante, de confiance. Si bien que la notion de privé/public dans ce contexte est particulière. Je peux me sentir en public et vulnérable chez une personne privé si je me retrouve exposée au regard des autres.

Je m’y sens mal à l’aise et énorme comme piétinant sur l’espace des autres physiquement. Jugée et moquée.

Avant je prenais les transports en commun par nécessité car pas le permis mais je limitais tellement que je préférais faire des kilomètres à pied sous la pluie plutôt que de prendre les transports en commun. Depuis le permis+véhicule je les fuis encore plus.

Les équipements publics sont prévus et adaptés en fonction des normes sociales, soit pour des personnes non gros.ses et non-handicapé.es. Cabines/ascenseurs/passages/sièges (ciné, lieu public) trop étroits par exemple

Donc je fuis l’espace publique

” Grosse, boudin, moche, thon,  faudrait vraiment être défoncé-mort pour vouloir se la faire ” et autres dans le genre, ce sont autant d’insultes auquelles j’au eu droit dans l’espace public. Beaucoup de regards méprisant et personnes qui parlent de moi entre-elles. On m’a déjà craché de l’eau au visage sans raison et une personne à hurlé d’effroi en se retournant vers moi.
Les humiliations en cours de sport sont un mauvais souvenirs également.

DEMAIN

Pour l’avenir, je souhaite une acceptation à grande échelle et plus, beaucoup plus de visibilité (médias, mode, opportunités, travail ect….). Des équipements adaptés et du choix ! (vêtements entre autre)

Un réel travail d’éducation (grand publique mais également corps médical et sportif).

Et aussi sur tout ce qui concerne la sexualité des personnes gros.ses.

Justine : ” La grosse que je suis reste auto-grossophobe dans ses mauvais jours “

J’ai cru que j’étais grosse depuis toujours. Quand on y pense, c’est vraiment une idée bien ancrée mais pas du tout fondée. J’ai réalisé ça à la mort de ma grand-mère l’année derniére, quand ma soeur a envoyé une photo de famille et que mon premier réflexe ça a été de demander à mon copain avec des yeux ahuris “mais, en fait, je suis pas grosse là-dessus?!” Je devais avoir 8 ou 9 ans.

Bien-sûr, y’a la psy qui aide énormément et m’a ouvert les yeux en même temps que les groupes militants que je fréquente. Bien-sûr y’a du progrès mais ça reste fichtrement difficile au quotidien: la peur des chaises, des magasins qui s’arrêtent bieeeeen avant ta taille, les réflexions grossophobes quasi inconscientes (ou tellement habituelles) mais bien violentes de tes potes, de tes proches, des gens en général. J’ai courbé l’échine longtemps je crois.

Je voudrais dire que je n’ai pas connu de maltraitance médicale grossophobe mais c’est faux. J’ai envie de dire que c’est des trucs “pas si terribles” en comparaison avec ce que je lis souvent mais quand même, je bloque parce que maintenant je sais que ça a participé à une image biaisée de mon corps et plus largement de ce que je suis. Y’a eu des propos anormaux qui se voulaient bienveillants. Souvent, la médecine confond bienveillance et oppressions.
Combien de fois mon médecin de famille que je respecte pourtant profondément m’a dit, plus jeune, avec soutien de mes parents que maigrir/faire attention, c’était maintenant, que je voudrais pas peser 90 ou 100 kgs à 20 ans. Bien ouej’ les gars, bien ouej’. J’ai 25 ans et je pèse 104 kgs. Bien joué donc, la culpabilisation dans l’enfance. C’était le passage sur la balance, à me mordre les joues, à même pas regarder le résultat. M’intéressait-il au moins où était-il juste là pour m’effrayer, me juger ? Les remarques répétitives du “c’est maintenant” comme si je ne pouvais absolument pas m’épanouir dans mon corps réel, qu’il fallait que j’en fantasme un autre. En fait, c’est ça, j’ai fantasmé mon corps. Longtemps. On l’a fantasmé pour moi, aussi, beaucoup.
Et ça, c’était quand j’étais en surpoids ou en léger surpoids.
Je souffre de TCA (hyperphagie) et je suis diagnostiquée depuis un an et demi mais en vrai ça a commencé bien avant. En vrai, au collège, je cachais déjà de la nourriture pour manger peinarde, pour me réconforter, pour combler quelque chose dont je n’avais pas claire conscience. Pourtant, on m’a répété que le problème, c’était mon poids, mon poids, mon poids, qu’il fallait que j’agisse.

Et puis ce premier rendez-vous gynécologique, à 19 ans. Déjà stressant d’aller écarter les jambes devant une parfaite inconnue mais cette dernière me fait me mettre entièrement nue et me fait un commentaire froid sur mon poids “il va falloir faire attention”. J’ai toujours entendu ça. Faire attention, me surveiller, maigrir. Et je prenais ça au pied de la lettre. Et vas-y Weight watchers, les kilos en moins, la pseudo joie de me dire “bientôt, je m’aime” et les félicitations autour de soi. Quand j’y pense, c’était hyper malsain, les félicitations. Poudre aux yeux. Je me rends compte aujourd’hui, bien plus tard que c’était pas normale une telle pression sur une enfant, une ado, une jeune adulte. J’étais une enfant et j’étais punie d’être gourmande, punie de pas être comme mes copines puis punie d’être malade sans le savoir.

La médecine ne m’a pas soutenue. On m’a pas entendue quand j’ai dit “j’ai un comportement anormal avec la nourriture” parce qu’on m’a envoyé chez diététiciennes et nutritionnistes quand c’est dans ma tête que tout avait lieu. On m’a pas prise au sérieux quand je cachais mal la bouffe dans mes placards – j’appelais à l’aide sans le savoir et on m’a beaucoup disputée pour ça “mais tu te rennnnds compte des quantités, du gras, du sucre” – non. La honte m’en a empêchée. C’est venu plus tard.

Aujourd’hui, j’ai une psychologue qui me fait vivre une révolution, qui ne me juge jamais et qui s’en fout de combien je pèse. J’ai une psychologue qui a vu au-delà, qui met le point là où ça fait bien mal mais toujours avec bienveillance. De la vraie bienveillance cette fois. Aucune injonction à maigrir car ce serait criminel avec mon TCA. Elle veille sur moi pour que j’apprenne à veiller sur moi-même. C’est dur quand on peut pas s’habiller comme on veut, quand on s’empêche de faire des trucs parce qu’on a trois chiffres sur la balance.

Les maltraitances existent même quand elles paraissent minimes pour des personnes qui ne les vivront jamais ou alors elles sont trop grossières pour être vraies quand elles sautent aux yeux. Je suis grosse et je développe la peur du médecin, la crainte d’avoir une réflexion. Je suis pas allée donner mon sang depuis combien de temps, tiens ? J’ai pas fait de prise de sang depuis quand ? La dernière fois, j’ai osé dire à une sage-femme libérale que j’avais un TCA et peur de l’examen. Du coup, elle m’a pas dit de maigrir et surtout, elle m’a pas mise toute nue. Je dis pas ça pour relativiser, non. Au contraire. Je dis ça parce que ça devrait être automatique, la bienveillance, le professionnalisme and co. Ca devrait pas être un miracle qu’une psy me soigne et qu’une sage-femme ne me maltraite pas.
Bref, voilà, je suis grosse et j’ai plus envie que ce soit une fatalité, une insulte ou un prétexte pour être maltraitée. Je prends les armes et la première, ce sont les mots.