Oh Germaine – Anouch

« -Oh Germaine, la cliente là, elle demande un test de grossesse, tu le crois ?

   -J’arrive pas à croire qu’elle se soit fait baiser déjà… (rires gras) »

Voilà ce que j’ai pu entendre, grâce à la discrétion de Josette et Germaine (pardon à toutes les Josette et Germaine) en attendant au comptoir de cette jolie pharmacie, l’angoisse au ventre.

Et oui, figure toi Germaine que j’ai des amants, des histoires d’amour parfois, et une qui est en train de se terminer en ce moment même. Quelle ne fut pas mon angoisse quand j’ai réalisé que j’avais du retard… J’ai d’abord joué à l’autruche, une sale habitude que j’ai gardé de mon adolescence et des traumatismes médicaux que j’ai subi, comme quasiment toutes les grosses que je connais. Puis au bout d’une semaine à imaginer l’horreur d’être enceinte d’un homme qui ne m’aime plus et de tout ce que cela pourrait impliquer, j’ai pris mon courage à deux mains, et suis allée acheter un test de grossesse.

Comment en suis-je arrivée là ? Parce qu’aucun gynéco n’a voulu me prescrire de pilules. J’ai un début de diabète, qui est pris en charge, mais qui ne baisse pas assez/assez vite. Les médecins préfèrent donc me laisser risquer une grossesse non désirée plutôt que de trouver une solution et me prescrire un moyen de contraception. L’une d’elle m’a dit que de toutes façons je ça ne servait à rien, que je n’étais pas le genre à en avoir vraiment besoin. Quand je lui ai demandé ce qu’elle insinuait par là, elle a tout de même eu l’audace de me répondre que prendre la pilule pour coucher une fois de temps en temps, c’était pas vraiment la peine… je… ah d’accord. (traduisons la : « tu es grosse miss, aucun mec ne va t’approcher »)

La dernière que j’ai vu m’a parlé d’une pilule qui pourrait me convenir… mais qui fait saigner tout le temps. TOUT LE PUTAIN DE TEMPS. Quand je lui réponds que non, ça ira, elle me rétorque « c’est pas comme si ça allait vous gêner plus que ça »… Je lui ai rappelé que j’étais en couple et que ça allait faire de ma vie un cauchemar, sa réponse « oh ben il a l’air déjà bien ouvert comme garçon, faut lui expliquer, voilà tout ». Ah bon ?? Ouvert parcequ’il est avec moi ? Cool… Passons sur le fait qu’avoir des relations sexuelles quand tu saignes, c’est pas le truc de tout le monde hein, mais imagines tu le coût en protections hygiéniques doc? Et l’impact sur le moral ? Et je ne sais pas, je ne suis pas médecin, mais je suppose que ce n’est pas super sain de saigner à longueur de mois ?

« Et bien alors perdez du poids et on en reparlera. » NON. Non… J’en ai assez de remettre ma vie à plus tard, de différer les choses dans cette putain de zone grise « après », dans ce monde imaginaire « quand je serais plus mince »…

Je n’ai pas pris la fameuse pilule du lendemain, premièrement parce que nous ne nous sommes rendus compte d’aucun problème sur le coup, pas de capote perdue, pas de capote qui a glissé un peu. Et puis on sait très bien qu’elle n’aurait pas fonctionné de toutes les façons, vu mon poids….

Dis donc le monde médical et pharmaceutique, ça ne te dirait pas de nous prendre en compte aussi les grosses ? Tu sais, on a une vie aussi, une vie (attention à tes oreilles chastes) sexuelle même… Truc de dingue…

Voilà. Je suis assise là avec le test négatif dans mes mains. Soulagée… je n’ose pas imaginer ce que c’est que d’avorter quand tu es grosse.

Et effrayée parce que je ne sais pas pourquoi je n’ai toujours pas mes règles, et que ça veut dire prendre un rendez-vous avec un gynéco…

Anouch

Ems, 21 ans, “Le corps médical me fait presque peur”

Je suis une femme cis bi, j’ai 21ans. Je suis étudiante et salariée à la fois. Je suis en couple avec un homme cis hétéro.
Selon le corps médical, je suis très proche de l’obésité (les histoires d’IMC tout ça…). Je mesure 1m69, pèse 95kg, et la taille 44 en pantalon commence à devenir serrée au niveau des mollets et des cuisses, donc je me dirige vers la taille 46.

Je me considère grosse. Je me réapproprie ce terme, et l’utilise donc pour me qualifier, mais ça me blesse que d’autres personnes parlent de moi en utilisant ce terme, ou quand les autres parlent de mon poids tout court.

J’ai toujours été en surpoids. À l’école primaire, forcément j’étais la risée de tout le monde, j’étais grosse, j’avais du ventre, du gras aux joues et au menton, j’avais du mal avec le sport. Au judo, pour les compétitions, j’ai toujours été dans les catégorie “lourdes”, jamais les bonnes pour mon âge. J’ai arrêté le sport à 15ans, et depuis j’ai pris beaucoup de poids… Jusqu’à mes 16 ans, j’ai souvent essayé les régimes, ça n’a jamais marché, à part pour maintenir mon poids stable pendant quelques mois.

MEDICAL

J’ai des problèmes de respiration pendant le sport et des douleurs aux tibias quand je marche/cours/monte les escaliers. A priori c’est lié à mon poids.

Je n’ai pas eu d’expérience traumatisante avec un médecin lié à mon poids. L’expérience la plus traumatisante pour moi fut un IVG, et tout le parcours avant l’intervention chirurgicale, mais rien n’était en lien a mon poids.

Je ne redoute pas un spécialiste en  particulier. Je les redoute tou-te-s. Le corps médical me fait presque peur.

Les médecins veulent toujours connaitre mon poids, alors même que parfois ça n’est pas utile ! Pour traiter des durillons au pied par exemple, ou encore pour des mycoses… Aussi, des questions intrusives suite à l’annonce de mon poids (“vous faites du sport ?” “Quel est votre régime alimentaire ?” “Vous suivez un régime ?”…)

Je n’ai pas noté de différences de traitements en fonction de l’âge du soignant, mais j’en ai remarqué  selon si le médecin est un identifié homme ou une identifiée femme. Les id. femmes que j’ai rencontré dans le cadre médical étaient plus compréhensives, moins intrusives dans ma vie privée etc.

Je n’ai jamais eu de mauvaises expériences vis à vis des outils médicaux, en tout cas pas que je me souvienne… J’ai été anesthésiée 2 fois en général et 2 fois en local. Tout s’est passé normalement à chaque fois.

J’accepte qu’un médecin parle de mon poids si ce n’est pas fait de façon méprisante, ou jugeante. SI c’est dans la compréhension, l’écoute. En revanche, je ne suis pas d’accord pour en parler si le but de la visite médicale ne concerne pas mon poids, ou si je ne suis pas en danger de santé à cause de mon poids. Ou si ça n’est pas moi qui lance la discussion.

Je n’ose pas répondre à un médecin, j’essaie de changer de sujet lorsque je suis mal à l’aise, mais je reste très intimidée et je n’ose pas faire grand chose, encore moins quitter le cabinet.

ESPACE PUBLIC

Pour moi, l’espace public est un lieu de passage, je ne m’y attarde pas souvent (sauf en cas de manif ou lorsque je suis avec d’autres personnes, au parc par exemple). C’est censé être pour moi un lieu safe, ou on ne devrait pas se sentir en danger.

Ça dépend de plusieurs déterminants (jour/nuit, événement en particulier, endroit), mais globalement je ne suis pas très à l’aise; en tant que femme, en tant que grosse…

Je prend parfois voir souvent les transports en commun, n’ayant pas le permis. Lorsque les transports ne sont pas bondés de monde, je m’y sens plutôt à l’aise, en tout cas je ne m’y sens pas en danger ou mal à l’aise.

J’ai déjà pris l’avion, de nombreuses fois. Je me sens serrée dans les sièges, entre les deux accoudoirs, c’est assez désagréable pour moi de voyager ainsi.

La taille des sièges (bancs avec accoudoirs, chaises dans les établissements publics, dans les transports etc) commence à devenir critique pour moi, parfois les accoudoirs me scient les cuisses. les escaliers, surtout en montée, c’est l’horreur pour moi. Mais je ne sais pas comment adapter ça à ma condition…

– Quelles stratégies mets tu en place pour te sentir à l’aise dans l’espace publique ?

Alors… J’essaie de m’entourer de personnes que je connais (rentrer chez moi le soir, aller jusqu’à l’arrêt de bus avec quelqu’un-e…). Je déteste être en débardeur / tshirt-manche-courtes, mais lorsqu’il fait vraiment trop chaud, j’utilise ma fine écharpe en guise de “châle”, qui me couvre les épaules, bras, et cache mon ventre. Je me sens physiquement mieux ainsi: on ne voit pas mes bras qui me complexent, ni mon ventre, je peux d’ailleurs relacher mon ventre (parce que je le garde contracté presque tout le temps, pour ne pas qu’il “dépasse” trop…). C’est un peu une carapace.

Un florilège des insultes reçues dans l’espace public : “grosse vache”, “grosse” tout court, “salope” “vu ton poids tu devrais pas manger ça” “met toi au sport” “arrête le macdo hein!” “tu me dégoutes” et sans que ça soit adressé à moi : “ohla regarde ses bras c’est dégueu” “elle devrait perdre du poids celle là” et encore, ça n’est que celles dont je me souviens !!

DEMAIN

Je souhaite la fin du fat-shaming, des discours médicaux qui prônent la minceur, des publicités qui invisibilisent les gros-se-s. Je souhaite la fin de la norme de la minceur.

Mag, 34 ans

Je suis une femme de 34 ans. Je fais 103 kilos pour 1m57 pour une taille 50 de pantalon ou 48 cela dépends où je vais l’acheter. Mais cela va évoluer parce que je suis enceinte de 4 mois.

Le mot grosse a pendant des années été dur pour moi , je me sentais qualifiée de sale, dégueulasse et feignante en plus d’être en surpoids, et je n’étais à ma place nulle part. Heureusement ça passe avec le temps. Ça dépend aussi qui me sort ce mot. Si c’est une personne pas concernée par le sujet, je le prendrais très mal forcément.

J’ai commencé à être en surpoids à l’âge deux ans, dans ma famille ma mère avait du diabète. À faire des régimes son poids faisait le yoyo constamment.

Vers 10 ans elle me faisait manger comme elle et, j’ai souvent eu faim. Dans cette famille père, mère, frère ont était tous en surpoids, j’étais la seule qui avait toujours des petites part parce qu’ une fille qui est grosse c’est pas beau, de même à la cantine de l’école, je n’avais pas la même part que les autres. Du coups sans arrêt affamée je chippais de la nourriture la nuit, et donc je ne maigrissais pas.

Vers 14 ans j’ai subi du harcèlement scolaire, on se moquait constamment de mon poids. Quand je rentrais à la maison mon père me frappait et avait plus d’estime pour son chien que pour moi.

L’été de mes 15 ans quand j’était chez ma grand-mère, je me suis mise à faire du sport et à manger peu pour maigrir. Résultat une perte de 15 kg en deux mois, la seule fois où je rentrais dans la case « normal » dans mon IMC. Quand je suis  rentrée de vacances, j’étais trop maigre cette fois-ci, je ne mangeais pas assez. Ma mère me resservait souvent à manger. Résultat, j’ai tout repris avec 10 kilos de plus …

Côté études à cette période, je me rappelle qu’on m’embêtait moins mais je restais quand même dans mon coin, j’avais peur de l’ambiance du collège et de chez moi…

J’ai continué mes études dans une école de coiffure, pour le côté artistique c’était génial. J’avais perdu du poinds sans m’en rendre compte, mais je restais en surpoids. Deux ans plus tard et CAP en poche, je cherchais du travail, sans grand succès : « une personne en surpoids ne peut travailler dans des métiers d’esthétique », « vous devriez perdre du poids », un non à l’embauche aurait suffit..

Arrivée la vingtaine pas de travail, toujours en surpoids, crise d’ado tardive… Beaucoup de sorties avec des amiEs en rave party et autres. Pendant une année j’ai pris des drogues pour oublier un peu que j’ai passées des années de merde en tous points et j’ai perdu une dizaine de kilos. Les années qui ont suivi yo yo poids, yo yo travail précaire, rencontre d’un mec qui n’était pas le bon, prise de pilule, stress, chômage… Résultat : 30 kilos en plus ….

Quelques années après, j’ai rencontré le bon mec et le poids n’as pas bougé parce qu’il m’aime pour ce que je suis (début de confiance en soi). Vers la même période je suis devenue végétarienne : un rejet de violence sous toutes les forme. J’ai même commencé à ne plus faire de régimes et ne plus me peser, je surfe sur les pages de « L’Imagerie de Nina », « L’Utoptimiste », groupe anti-grossophobie,… Tout ça m’a mené à penser que moi aussi j’ai le droit d’exister et j’en suis contente. J’ai perdu 12 kilos en un an. Je m’en suis rendu compte en allant chez le pneumologue.

Aujourd’hui, je suis tombée enceinte et pris 9 kilos. La prise de poids ne m’a pas trop dérangé, c’est juste le côté surmédicalisé qui est anxiogène.

MEDICAL

Je suis asthmatique et j’ai des problèmes de thyroïde.

Dans le cadre de ma grossesse, j’ai consulté une interne qui remplaçait mon endocrinologue. Avant même de regarder mon dossier (prise de sang niquel, pas de diabète, pas de cholestérol) elle m’a demandé mon poids et jamais je n’ai autant entendue quelqu’un me dire de « faire attention à ce que je mange », « faire un régime »,. Quand je lui ai répondue qu’il était hors de question de faire un régime sa réponse a été :  « mais vous êtes OBESE madame », sans m’écouter elle me rappelle aussi de faire mon test de diabète (le test se fait à 4 mois de grossesse, j’en était même pas à 2 mois )  et le « n’oubliez pas de le faire à jeûn », comme si je passais mon temps à manger. J’en suis ressortie en pleurant et en me sentant comme une merde …

Les médecins que je redoute le plus sont les généralistes, gynécos, endocrinologues et diététiciennes. Très fréquemment, le « vous pesez combien ? » est la première question, suivie de « Vous faites des activités sportives ? » avec un regard incrédule quand je réponds positivement .

Je ne vois pas de différence en fonction de l’âge. Il y a des jeunes et des vieux grossophobes, le respect c’est une question d’éducation.

À l’échographie, il y a eu des difficultés à voir mon bébé mais l’échographe a été super gentil et m’a juste dit qu’on ne pouvait pas le voir tout en restant neutre. C’est en discutant avec des connaissances que j’ai appris que c’était à cause du poids.

J’attends d’un médecin qu’il m’examine comme les autres patients et que je n’entende pas une seule fois le sujet du poids à moins que je ne le lui demande. Ou que je lui confie que ça me dérange et que je veux qu’on m’apporte des solutions.

J’ai toujours laissé passer les comportements abusifs des médecins, parce que trop habituée et lassée des mêmes phrases. Sauf cette endocrino remplaçante, quand elle m’a parlé de régime.

ESPACE PUBLIC

L’Espace public, je m’y sens bien depuis que je ne fais plus attention aux remarques dévalorisantes d’inCONnu(e)s. Je fais comme tout le monde  et je traçe ma route

Ça ne m’empêche pas d’y subir des insultes : « Hey regarde ! Paul c’est ta fiancée là-bas ! », « T’as de beaux yeux mais c’est tout ce que tu as », « Elle est imposante celle-là », « Ah la grosse » …

DEMAIN

Je souhaite qu’on soit traitéEs comme tous le monde et qu’on nous fiche la paix pour ce qui est du poids, que ce soit dans les cadres scolaire, médical ou professionnel. Qu’on ai un peu plus de chances d’être recruté(e)s aussi.

Pas besoin de nous faire remarquer que l’on es en surpoids vu que l’on est les premières concernéEs et c’est comme tout, la seule personne à s’aider en 1er c’est nous mêmes, les remarques et dénigrement ne font qu’enfoncer, démoraliser et sont contre-productifs pour la suite .

Nuage, bonne vingtaine

Je suis non-binaire/genre fluide. J’ai une bonne vingtaine et je travaille dans la thématique du logement sous différentes facettes (politique, archi, urbain, social). Je fais 1m59 pour 90 kilos (ça fait quelques temps que je ne me suis pas peséE donc…)

– Si je te dis grosSE ?

Si tu es grosSE ça passe. Sinon, je me renseigne pour connaitre ta conception de ce mot.

[TCA, boulimie]

J’ai eu un léger “surpoids” quand j’étais petitE. On m’a emmené à l’hôpital, on m’a saoulé avec des diététicienNEs, des médecins, des prises de sang, des régimes etc etc. Maintenant que je suis “réellement” grosSE c’est tout aussi chiant. Avant je voulais maigrir, j’étais persuadéE que j’irai mieux. Maintenant je sais que mon état, mes humeurs, mon bonheur ne sont pas liéEs à mon poids. Mais vraiment pas. Même si j’ai beaucoup grossi à cause d’une boulimie non vomitive et de TCA liéE à plein de trucs dans ma vie.

MEDICAL

J’ai des problèmes médicaux qui sont liés à mon poids, et d’autres qui ne le sont pas.

J’ai tellement d’expériences traumatisantes, alors je vais juste citer la plus récente. J’étais chez le dentiste pour un détartrage. Il m’a fait passer un questionnaire auquel j’ai répondu. Il y avait une case qui demandait si j’étais diabétique. Je ne le suis pas mais la famille du côté de mon géniteur l’est. Du coup, le médecin m’a donné des médicaments pour personnes diabétiques “au cas où”, à titre de prévention. Du coup, le dentiste a décrété que si j’avais le diabète, que non j’étais pas en dépression vu que je n’avais pas de médicaments contre ça. Que j’allais mourir à 30 ans parce que la gingivite olalala surtout quand on la diabète, etc etc. C’était plutôt horrible.
Gynéco, généralistes, diététicienNEs, radiologue … Je redoute presque touTEs les médecins … Je crois que les jeunes sont un peu moins trash, mais ils ne sont pas irréprochables non plus.

Pour que je qualifie un médecin de bienveillant, il faudrait qu’il ne parle que du sujet qui m’intéresse.
Je n’accepte pas qu’un médecin me parle de moins poids. Sauf si je suis venuE pour ça.
Mais je n’ose pas leur répondre, ni quitter leur cabinet.

ESPACE PUBLIC

Pour moi, l’espace public est synonyme de zone de danger.

Je m’y sens parfois pas très bien. je me sens comme unE intru. Mais depuis que je fais pousser mes poils, je me sens mieux par rapport à mon gras et tout le reste

Je prends le bus le plus possible. Mais je ne m’y sens pas à l’aise.

En ce qui concerne les équipements publiques, ils ne me sont pas trop adaptés. Je touche les gens. Ils me touchent. Mon gras déborde. Je peux pas utiliser l’ordi dans le bus quand je voyage (genre flixbus).

Je marche beaucoup quitte à souffrir du dos et des articulations. Je reste debout. Je subis les gens qui me touchent en écoutant une musique que j’aime.

Les pires remarques ? “Sale grosse”, “J’ai déjà baisé une grosse”, “T’es grosse”…

DEMAIN

J’aimerais qu’on puisse vivre comme les autres. Qu’on nous lâche. Notre santé, notre corps, notre cul ne les concernent pas. On mange ce qu’on veut. Qu’on ne nous fétichise pas. Qu’on me demande pas comment je vais faire pour tomber enceinte parce que mon ventre est déjà gros. Que le bébé n’aura pas de place…

YAaF, 27 ans

Je suis YAaF, j’ai 27 ans et je suis une femme cis. Mesurant 1m80, je mets une taille 54 voire 56. Selon les marques, je peux passer du 52 au 58, et je me qualifie donc comme grosse, genre une vraie grosse, pas de doute quand on me voit, on ne se dit pas que je suis rondelette ou potelée ou avec quelques kilos en trop. Je suis grosse, le genre “inacceptable” puisque je n’ai pas une silhouette en 8 mais en O, avec la majeure partie de mon poids dans le ventre et la poitrine.

Le mot “grosse”, c’est compliqué. J’essaye de revendiquer ce terme au maximum, d’en parler, de dire aux autres et à moi-même qu’il ne s’agit que d’un qualificatif et non d’un jugement de valeur mais notre société impose une valeur morale négative à ce mot. Être traitée de grosse m’a fait mal pendant longtemps alors même que je le suis, grosse, donc pourquoi cette douleur que ce mot a pu provoquer. C’est certainement parce que selon les conventions esthétiques actuelles, il n’y a rien de pire que d’être grosSE, mais il n’y a pas que l’aspect esthétique, largement conspué, il y a aussi toutes les valeurs morales négatives attribuées à ce qualificatif

Mon parcours avec le poids est conflictuel et très ancien. J’ai commencé à être considérée en “surpoids” dès mon plus jeune âge, avant même d’avoir 4 ans.  J’ai donc toujours été considérée comme grosse même si, rétrospectivement, quand je vois des photos de moi petite fille, je vois juste une gamine légèrement potelée. Mon poids a décollé au moment de l’adolescence où je suis passée d’enveloppée à grosse.

Bien sûr, je n’apprendrai rien aux autres grosSE si je dis que mon enfance a été misérable à cause de mon poids. Insultée à l’école par les camarades, des insultes que jamais un professeur n’a réprimandées, j’ai eu un passage où je me suis montrée extrêmement agressive et violente physiquement pour arrêter d’être la grosse chahutée et devenir la grosse brute. Chaque rire, chaque regard, chaque sourire d’un camarade de classe me laissait à penser qu’on se moquait de moi, qu’on m’insultait. J’ai privilégié l’attaque comme mode de défense, agressant physiquement les garçons de ma classe et créant un clan de brutes féminines autour de moi. Cela m’est très vite passé car, après plus de 10 ans à être ballotée de médecin en médecin, on m’a diagnostiqué un problème de santé classé comme “maladie rare ou orpheline” qui, entre autres, cause ou aggrave la prise de poids via une panoplie de différents symptômes et syndromes.
À partir de ce moment, toute violence physique m’a quittée car je n’avais plus à défendre mon existence dans la mesure où je “n’y étais pour rien” dans mon surpoids. Même si j’ai appris plus tard que cette notion est très problématique et qu’aujourd’hui je suis enfin éduquée sur les concepts de “good fatty” “bad fatty”.

J’ai été médicamentée, suivie médicalement, etc. Sans résultats. Mais avec une raison à ce surpoids. Jusqu’à mes 16/17 ans je n’ai rien connu d’autre que la restriction alimentaire, les régimes ultra sévères, la sport à outrance, la diététique, encore plus de sport, etc… tout ça sans résultats probants bien sûr car on ignorait encore les mécanismes de mes soucis de santé. J’ai développé une “anorexie volontaire” pendant quelques temps. J’ai tout bonnement arrêté de manger pendant plusieurs semaines, puis, je n’en sais trop rien, mais cette “anorexie volontaire” (je l’appellais comme ça car j’espérais réellement devenir anorexique) s’est juste transformer en une restriction alimentaire quasi-totale vitale pour moi. Pendant plusieurs mois je n’ai quasi rien mangé et bien sûr, j’ai maigri un peu, oh presque rien, mais suffisamment pour que ma non-alimentation, plutôt que d’inquiéter, soit vu comme une bonne chose. J’ai fini par cesser en voyant une amie très proche tomber dans la boulimie-anorexie, je me suis forcée à en parler à la psy qui me suivait à l’époque -pour encaisser le choc du diagnostic de ma maladie- et j’ai recommencé à m’alimenter.

Toute cette histoire pour dire que je n’ai jamais eu une relation normale et naturelle avec la nourriture. Aujourd’hui, 10 ans après ces épisodes, je suis toujours en conflit avec la nourriture mais j’ai arrêté les régimes restrictifs qui me tuaient à petit feu. Je mange quand j’ai faim. J’ai fini par m’accepter en tant qu’être humain, en tant que corps gros, et j’arrive même à me trouver belle parfois. J’apprends à faire la paix avec moi-même afin de mieux lutter contre les attaques incessantes grossophobes de notre société. Je ne peux pas dire que je m’aime vraiment, mais j’ai appris à me respecter, à respecter les grosSEs et les gens qui s’écartent d’une certaine norme sociale. Je pense que mon poids m’a, dans une certaine mesure, forcée à être quelqu’un de meilleur, d’ouvert et de compréhensif. Enfin, je l’espère.

MEDICAL

 

J’ai eu une épine calcanéenne au talon, dans ma famille c’est assez courant, mais cela peut provenir du poids. Et sinon je pense que ma santé mentale fragile est directement liée à mon poids ou plutôt aux traumatismes subis parce que je suis grosse (anxiété généralisée, dépression, etc.).

Difficile de choisir mon expérience la plus traumatisante avec un médecin …
Une endocrinologue, celle-la même qui m’a diagnostiquée, qui ne cessait de m’humilier pour mon poids en me traitant comme une idiote finie, me traitait de menteuse par rapport à mon carnet alimentaire ou mon exercice physique. Quand elle me pesait, elle me forçait à regarder le poids, elle me disait que c’était laid d’être gros et qu’il fallait remédier à ça. Quand elle analysait mon carnet alimentaire, cela ressemblait presque à un interrogatoire de police, genre série TV. Elle me disait que je mentais, me forçait à “avouer” mes fautes….

Elle mentait aussi. Quand elle me prescrivait des “menus” uniquement à base de salade verte, je lui disais que j’avais encore faim et que je me sentais faible avec cette alimentation, elle se moquait de moi et disait en rigolant que “la salade verte ça remplis bien le ventre”….. Elle a forcé mes parents à venir à une consultation, les a humiliés en leur disant qu’ils ne savaient pas me surveiller, que manger devant la TV n’était pas de l’exercice physique (elle pensait vraiment que je ne faisais que ça), elle leur a carrément expliqué comment se servir d’un vélo. Le tout devant moi.

Chaque consultation (à un moment j’ai été forcée de la voir toute les semaines pour mon traitement) me faisait ressortir en pleurant, j’angoissais toute la semaine de devoir la voir…. Qui plus est, elle me donnait un traitement qui me rendait extrêmement malade et je ne cessais de lui dire mais elle disait que je devais m’adapter. Je suis restée deux ans avec ce traitement qui me rendait malade comme un chien avant d’œuvrer en douce pour réussir à changer d’endocrinologue (consultations à l’hôpital), la nouvelle endocrinologue m’a de suite changé le traitement…. et traitée avec un peu plus de respect.

Pendant ces deux ans, j’ai été hospitalisée quelques jours et j’ai eu une compagne de chambre ayant la même spécialiste (la première) et elle m’a confiée qu’elle aussi ressortait toujours en pleurant, en se sentant humiliée. J’avais 18 ans et elle 50. Nous n’étions pas deux ados émotives.

Cette expérience a fini d’achever le peu de confiance que j’avais dans les représentants du corps médical. Je n’ai plus aucune confiance en eux, j’ai du mal à aller chez le médecin quand j’ai un problème et attend en général que la souffrance soit insupportable et même au-delà avant de consulter…

J’ai aussi subi une échographie il y a environ un  an  pour vérifier mes reins. J’ai déjà eu des échographies avant, d’à peu près partout au niveau de l’abdomen, et bien que ce soit assez inconfortable, je n’ai jamais été mise en souffrance. Mais là, ce médecin appuyait extrêmement fort, j’avais vraiment excessivement mal et je le lui disais et il ne cessait de répéter que c’était à cause de l’épaisseur abdominale…. il l’a même précisé dans le compte-rendu…… quand j’ai revu ma généraliste (un médecin bienveillant), elle m’a dit que c’était n’importe quoi, qu’on faisait de bonnes échos à des femmes enceintes et même à des femmes enceintes ET grosses et que rien ne justifiait qu’on fasse mal à une patiente dans ce contexte… J’en ai gardé des bleus sur l’abdomen….

Je redoute vraiment tous les spécialistes mais le gynécologue est peut-être celui que je redoute le plus. Il peut dire les mêmes vacheries que les autres alors qu’on a les pieds dans les étriers, autrement dit, quand on est encore plus vulnérable…..

Avant de tomber sur une généraliste formidable qui me voit comme un être humain, TOUS les médecins que j’avais vu traitent tous mes problèmes sous l’angle de l’obésité. Un rhume, une entorse au poignet, de l’acné, des otites, une entorse à la cheville, des abcès cutanés, etc. absolument TOUT était traité par du doliprane et un régime. Bien sûr, ma santé en a violemment pâtis.

Je trouve les jeunes beaucoup plus bienveillants et à l’écoute. Les plus âgés sont en général odieux et infantilisant au possible.

Pour que je qualifie unE medecin de bienveillantE, iel doit me traiter comme un être humain complexe et non comme un poids sur une balance. Ce n’est pas compliqué pourtant.

J’accepte qu’unE medecin me parle de mon poids quand il s’agit d’un généraliste que je compte prendre comme médecin traitant afin d’être sûre de ne pas tomber sur unE grossophobe. J’accepte d’en parler une fois, rapidement, en faisant comprendre qu’il ne faudra pas ma prendre la tête avec ça.

Maintenant, j’ose répondre, mais je n’ai jamais quitté un cabinet. J’ai eu, il y a quelques années, à crier sur un médecin pour qu’il observe pour de bon une grosseur sur le sternum qu’il avait à peine regardée au début. Je n’aurais jamais osé me comporter de la sorte si quelques mois auparavant le même problème médical,  pris à la légère malgré mes protestations, n’avait pas failli me coûter le vie (septicémie prise en charge aux urgences le lendemain d’une consultation médicale chez mon médecin traitant qui n’avait pas jugé mon état suffisamment préoccupant pour me donner autre chose que des antibiotiques habituellement utilisés contre… l’acné.). Il m’a prescrit un traitement que je venais de prendre et qui n’avait rien donné alors que je lui avait dit. J’ai donc violemment protesté à nouveau et lui ai dit de faire son job. Il a accepté, m’a touchée pour la première fois de la consultation et a remarqué que la grosseur était proche du cœur…. J’ai dû filer aux urgences… où j’ai été traitée car c’était en réalité très très préoccupant comme situation. Depuis cette histoire, j’ose ouvrir mon clapet, mais il m’arrive de ne me taire quand la douleur, la fatigue et la lassitude m’accablent toutes en même temps. Alors, oui, je n’hésite plus (trop) à répondre car la grossophobie et le sexisme du corps médical m’ont quasiment tuée pendant mon adolescence.

J’en ai d’autres, des “anecdotes” chez le médecin, mais il me faudrait un mois complet pour tout rédiger.

ESPACE PUBLIC

L’espace public français m’a toujours paru “étroit” et “malveillant”. Je me sens étriquée depuis toujours. En effet, je combine la largeur et la hauteur car je suis en plus assez grande pour une femme (plus d’1m80), alors je me suis toujours sentie comme une sorte de “phare”, impossible de ne pas me voir. L’espace public c’est juste l’enfer. Déjà il y a les gens, il y a ceux qui se fichent pas mal de moi, ils ont mieux à penser (et c’est très bien), il y a quelques licornes de-ci de-là qui se montrent sympathiques et puis il y a “les autres”. Hommes, femmes, enfants, peu importe l’âge, le genre, la classe sociale, etc., il y a toujours des regards mauvais, malveillants, des réflexions odieuses et parfois mêmes des agressions physiques ou verbales directes.

Et s’il n’y avait qu’eux… mais il faut en plus que l’espace public soit matériellement une entrave dans ma vie. Comme je le disais, je suis grande ET grosse et si je devais dresser une liste de tous les endroits où je ne suis pas à l’aise… Au cinéma les sièges sont étroits et il ne me reste jamais de place pour les jambes. Dans les bars et les restaurants, les fauteuils en plastique fragile munis d’accoudoirs souvent trop bas pour que les grands puissent s’en servir sans s’avachir sont aussi de vrais supplices qui rentrent dans les flancs, scient les bourrelets, font mal au corps, mais aussi à l’esprit car quelle personne grosse va dire devant tout le monde que siroter un panaché sur une terrasse est un réel supplice car l’espace n’est pas adapté ?
L’espace public n’a été adapté que pour des corps rentrant dans toutes les moyennes, sans prendre en compte la diversité des besoins des personnes selon leur poids, leur taille, leur validité.  Je ne m’y sens ni bienvenue, ni à ma place.

N’ayant pas de voiture, je suis obligée de prendre les transports en commun depuis plus de 10 ans, que ce soit pour les études ou pour le travail. Bien sûr je ne m’y sens pas à l’aise. Les sièges sont étroits et ne laissent aucune place pour les jambes, les allées sont très étroites aussi, difficile de circuler pour rejoindre un siège ou même un  endroit qui ne soit pas bondé. Quand je prends les transports en commun, je regarde les gens de poids et taille “moyens” et même eux serrent les jambes, se rajustent, se décalent, se compriment….. comment quelqu’un sortant de la moyenne pourrait y trouver le moindre confort ?

J’ai pris de nombreuses fois l’avion car j’adore voyager, surtout dans des contrées un peu plus bienveillantes face à la différence (je trouve la France extrêmement rétrograde sur ce sujet) et l’expérience est assez contrastée. Bien sûr, je panique toujours à  l’idée qu’arriver à l’aéroport on veuille me faire payer un siège de plus en constatant mon envergure. Heureusement ça ne m’est jamais arrivé mais j’appréhende à chaque fois. Et puis ensuite, il y a l’habitacle de l’avion avec ses allées étroites et ses sièges encore plus étroits. Je prends toujours un siège côté allée si c’est possible pour pouvoir compresser mon corps vers l’espace vide et aussi étendre si possible mes jambes. Bien sûr, même si je me fais plus petite que mes compagnons de voyage, il arrive fréquemment qu’ils aient l’air ennuyé de ma présence alors que je veille à ne pas “déborder” sur leur siège, à ne pas utiliser les accoudoirs et à ne surtout pas bouger. Les vols les plus longs sont souvent une véritable torture à la fois physique et psychologique…. Cependant depuis quelques temps j’ai appris à un peu plus m’occuper de mon bien-être donc je n’hésite pas à aller voir les hôtesses de l’air pour demander s’il reste des places libres afin d’être dans une rangée moins peuplée ou alors sur un siège prend d’une sortie de secours, etc. Toutes les hôtesses de l’air avec qui j’ai parlé, à qui j’ai demandé des arrangements ont toujours été adorables et ultra discrètes. Du coup je n’ai plus peur du tout de demander une extension pour la ceinture, avant même d’avoir vérifier si la ceinture est trop courte ou non. Par contre, les membres masculins du personnel de bord ont toujours été odieux face à mes demandes ou à ma simple présence.

Je n’ai plus la moindre illusion sur la capacité des equipements pibliques à m’être agréable. Je sais que je serai étriquée quoi qu’il arrive. Sauf sur les bancs bien sûr. Quoique depuis quelques temps on voit fleurir des bancs avec accoudoirs même sur la partie centrale…….

Pour être à l’aise, je me comprime, j’essaye de me rendre invisible…. Mais depuis quelques temps j’essaye tout simplement de faire abstraction et j’ai commencé à ouvrir mon clairon et a arrêté d’être le plus invisible possible. Je ne me sens jamais à l’aise physiquement car le corps est sans cesse mis en souffrance, mais au moins je suis plus à l’aise avec moi-même (bref, c’est la technique du “je vous emmerde”).

Il y a tellement de remarques et d’insultes. Certaines sont si violentes que je préfère ne pas les évoquer. Le plus dur ce sont les gens qui au détour d’une conversation sous-entendent (ou disent carrément) qu’il faudrait ré-ouvrir des camps de concentration pour les gros car “pendant l’Holocauste, y’avait des gros peut-être hein ?? hahahaha !”. En tant que descendante de survivants des camps de la mort c’est excessivement difficile à entendre et réellement traumatisant à des degrés assez inouïs.
Sinon il y a les habituelles “grosse truie/grosse salope/boudin/grosse vache/etc.” gratuits, lancés comme ça par des gens que ça fait rire…. et aussi par les hommes après un refus de ma part suite à leurs avances… Il y a aussi beaucoup d’insultes qui ne mentionnent pas directement le poids mais je me demande si ceux qui les profèrent ne s’attaquent pas à moi à cause du poids (“sale pute/salope/connasse”). Et il y a aussi les gens qui, sûrement pour se protéger, vous harcèlent sans jamais mentionner votre poids… mais pourquoi ils choisissent systématiquement des grosSES hein ?

Parfois il n’y a pas de remarques mais je vois comment les gens se comportent, à quel point ils se comportent différemment avec mes amiEs minces : les commerçants sont plus sympathiques, les gens s’excusent s’ils les bousculent, ce genre de choses.

DEMAIN

S’il fallait faire un vœu raisonnable, je dirais simplement : que l’on nous écoute. Pour qu’enfin l’on prenne conscience de notre douleur. Et que l’on soit traitéEs avec respect. Peu importe notre apparence, race, genre, religion, etc.

Nathalie, 33 ans

J’ai 33 ans, mariée depuis 3 ans et maman depuis 2 semaines d’un petit garçon.
Je pesais 100 kg avant ma grossesse et je suis en perte de poids depuis l’accouchement. Aujourd’hui je suis à 95 kg pour 1m57. Je me dis toujours qu’il y a “pire” que moi et qui se portent bien.
Gros-se, C’est un mot qui fait mal. Je préfère me décrire en surpoids même si c’est sans doute un euphémisme. Mais devant le miroir, quand je n’ai pas le moral, oui, il me vient à l’esprit.

Aussi loin que je m’en souvienne j’ai toujours été en surpoids. Apparemment j’ai commencé à prendre du poids à mon entrée en maternelle. Des années plus tard une psy a avancé l’idée que je me serais créée cette “carapace” pour me protéger d’un choc. J’avais été gardée par mes grands parents et j’ai découvert le monde et les autres enfants soudainement. Tout en grandissant je suis restée en surpoids. J’ai des souvenirs de ma mère se faisant houspiller par les médecins quand j’étais petite car on me donnait trop à manger. A 10 ans mon pédiatre a voulu m’envoyer en cure.
Ce n’est qu’à l’adolescence que quelqu’un a pensé à vérifier si je n’avais pas de problème hormonal. Il s’est avéré que j’avais de l’hyperinsulinisme. J’ai été traitée par médiator, avec un régime … Que je ne crois pas avoir beaucoup tenu. J’ai vu un certain nombre de diététiciens et autres spécialistes, j’ai juste le souvenir vague d’avoir visité plein de cabinets, d’être ressortie avec pleins de recommandations, mais pour la suite … Pas grand chose je crois.
Tout au long de mon enfance et de mon adolescence j’ai eu droit aux moqueries. J’ai encore de gros problèmes de confiance en moi, et au fond je m’attends toujours à ce que les gens réagissent comme ces enfants en me voyant. Qu’ils voient d’abord “la grosse”.
Il y a un an je me suis décidée à retourner consulter une nutritionniste malgré mes expériences négatives. Mais l’adolescence on m’y avait traîné, là il fallait que ça vienne de moi. La nutritionniste m’a proposé un rééquilibrage m’ayant permis de perdre quelques kg avant ma grossesse. Grossesse durant laquelle j’ai pris 7-8 kg, sans me priver spécialement, largement reperdus depuis l’accouchement.

MEDICAL

Mon expérience la plus traumatique, c’est une visite annuelle chez ma gynécologue, a 30 ans. Après beaucoup d’hésitation, je commençais à envisager d’arrêter la pilule. Lorsque je lui en ai parlé, elle a immédiatement répondu que pour envisager une grossesse sous 1 an il fallait que j’ai recours très rapidement à une chirurgie de l’obésité. Elle commençait déjà à me proposer tel hôpital, tel spécialiste.
Chose incroyable, elle n’a jamais parlé de régime, au contraire, la chirurgie c’était LA solution miracle. Une grossesse en l’état serait beaucoup trop dangereuse pour moi et pour le bébé. Diabète, tension, gros bébé, risque de mortalité augmenté … J’étais en pleurs mais si je suivais son discours, elle ne voulait que mon bien. Quand je lui parlais d’exemples de femmes obèses (puisque c’est le mot qu’elle utilise) qui ont eu des grossesses sans problème, elle m’assurait qu’il s’agissait exceptions.
Suite à ce rendez-vous je me suis réellement mis dans la tête que je serais égoïste de tenter une grossesse avec les risques que mon obésité faisait courir à mon enfant. J’ai mis des mois à l’envisager de nouveau. J’ai trouvé une autre gynécologue, grâce aux conseils de membres du forum “vive les rondes”. J’ai mis 1 an à tomber enceinte, problèmes de cycles irréguliers.
Au final ma grossesse a été parfaite médicalement, pas de tension, pas de diabète, bébé 3,4kg, et si j’ai eu une césarienne c’est à cause du col qui ne s’ouvrait pas, rien à voir avec le poids.

Parfois j’ai envie d’écrire à mon ancienne gynécologue pour lui dire : « Vous voyez c’est possible alors arrêtez de détruire les gens ! ».

Elle répétait “obèse”,”obésité”, “obésité morbide” comme pour me rappeler la gravité de mon cas. Certes ce sont des termes médicaux, mais devant quelqu’un en pleurs … Ce qui m’a choqué également, à propos de la chirurgie : “C’est moins culpabilisant qu’un régime” ! C’est à dire qu’il n’y a pas “d’efforts” à faire, on est obligé de perdre du poids et on ne risque pas de se culpabiliser de n’avoir pas perdu de poids car on n’a pas pu tenir un régime.
Plus que les mots c’est la façon dont elle a déroulé son raisonnement, face à elle j’étais assommée, mais pour elle c’était tout naturel : vous vous faites opérer, 1 an le temps de perdre le poids et que le corps se remette puis vous arrêtez la pilule. Simplissime et de toute façon vous ne pouvez pas faire autrement sans mettre votre vie et celle du bébé en danger !

Je redoute tous les intervenants médicaux, je suis persuadée à chaque fois que je vais me faire attaquer sur mon poids. Crainte considérablement aggravée par l’expérience décrite ci-dessus.
Mais ces dernières années elles se sont rarement avérées justifiées.
– As tu vu une différence de traitement entre les jeunes médecins et les médecins plus âgé-es ?
Non, j’ai vu des jeunes très discriminants, et des plus âgés très ouverts, et vice versa.
– Quelles sont tes expériences vis-à-vis des outils médicaux (tensiomètres, brancards, fauteuils, scanner, IRM … ) ?
Pas de problèmes particuliers. Pour ma grossesse j’ai eu une appréhension pour l’échographie, car j’avais eu vent d’échographes qui passent en vaginal à cause “de la graisse”, mais pas de soucis. Pour mon accouchement, j’ai eu une césarienne, j’ai aussi craint que les brancardiers “galèrent” à me placer sur le lit mais encore une appréhension sans raison.
– As tu déjà été anesthésié-e ?
Oui, péridurale puis pour la césarienne. Encore une fois à mon étonnement la consultation s’est bien passée. Très rapide. L’anesthésiste était plutôt jeune, il m’a juste dit que comme j’étais “costaud” la péridurale pourrait peut-être être plus dure à poser, mais pas forcément, et en tous cas ça ne m’empêcherait pas de l’avoir. Je ne l’ai pas mal pris du tout c’était dit de manière bienveillante.
– Quel comportement doit adopter un médecin pour que tu le qualifies de bienveillant ?
Faire preuve d’empathie, sentir un minimum la sensibilité du patient et adapter son discours. Il y a des mots qui font mal et des façons de les dire, d’insister dessus.  J’accepte qu’un médecin parle de mon poids, si cela n’est pas culpabilisateur, et qu’il module son discours devant mon malaise. Surtout si ce n’est pas l’objet de la consultation.
-Oses tu répondre à un médecin ? Quitter un cabinet ?
Difficilement. Dans mon esprit les professionnels de santé détiennent “la vérité” donc je n’ose pas la remettre en question, c’est moi que je remets en question. Face à quelqu’un de trop insistant je fonds en larmes.

ESPACE PUBLIC

Dans l’espace public, je fais ce que j’ai à faire, je suis discrète mais pas particulièrement mal à l’aise. Les choses se sont aussi améliorées depuis que je suis avec mon mari. Il se fiche du regard des autres, il fait le clown, et j’ai appris à faire avec et à prendre sur moi même en public !
– Prends tu les transports en commun ? Si oui, est ce que tu t’y sens à l’aise ?

J’ai toujours pris les transports en commun donc oui j’y suis à l’aise, tant qu’on ne me fixe pas du regard.
– Est ce que tu as déjà pris l’avion ?  Comment as été ton expérience ?
2 fois, RAS.
– A quel point estimes tu que les équipements publics ne te sont pas adaptés ?
En ce qui me concerne ils le sont.
– Quelles stratégies mets tu en place pour te sentir à l’aise dans l’espace publique ?
La discrétion quand je suis en terrain inconnu. Si je suis un peu plus à l’aise, ou avec mon mari, l’humour, la bonne humeur.
– Quelles sont les pires remarques / insultes que tu as subi dans l’espace public ?
Une qui m’a beaucoup marquée il y a quelques années, un soir en rentrant du restaurant avec mon mari, une voiture remplie de “jeunes” passe dans la rue et me crie “sauvez willy”. Je pensais que j’avais dépassé ce genre de remarques à mon âge. Mais ça m’a fait remonter pleins de mauvais souvenirs. J’en ai voulu à mon mari de n’avoir pas réagi pour me défendre, même si j’avoue que je ne vois pas ce qu’il aurait pu faire. Mais dire “tu t’en fiches c’est des imbéciles”, je l’ai trop entendu et je n’arrive pas à m’en ficher.
Les remarques des enfants, qui sont spontanés, me font toujours mal car justement ils disent ce qu’ils voient, et je me dis que les adultes voient et pensent la même chose, même s’ils n’en disent rien.

DEMAIN

Je penses que la première chose à souhaiter c’est que les enfants soient élevés dans la tolérance de la différence, quelle qu’elle soit.
La société bien sûr glorifie un certain type de physique, l’essor des modèles “plus size” reste sans doute marginal, connu de celleux qui se sentent concernés, et encore souvent qualifié par les autres d’un “berk c’est pas beau”. Je ne pense pas que ce soit prêt de changer. Je pense que c’est à nous de nous blinder, d’avoir confiance en nous. Assez confiance pour envoyer paitre un médecin, un passant, qui que ce soit qui nous “agresse” avec des insultes, des “conseils insistants” et des avis tout tranchés.
L’obésité est devenue une obsession de santé publique. Bien sûr qu’il faut éviter les pratiques qui l’aggravent. Mais en brandissant la lutte contre l’obésité dans l’espace public sans toutes les informations utiles sur les causes, la façon dont le vivent les personnes, on a ouvert la porte à des clichés et à l’idée que lutter contre l’obésité c’est simple, suffit de manger équilibré et faire du sport. Si t’es en surpoids c’est que tu n’es pas fichu de l’appliquer.
Bref mon vœu serait que les gens de manière générale soient moins obtus, englués dans leurs a priori, ça vaut aussi pour les professionnels de santé. On sait “comment les choses devraient être dans un monde idéal”, comment médicalement on devrait être pour être au top, mais on est face à des êtres humains, un peu d’empathie ne fera pas de mal.

Toi aussi, gagne ton bypass

Je suis grosse. Je suis obèse. Depuis à peu près toujours. Je connais très bien les frontières de mon corps et j’ai grandit en même temps que mes bourrelets.
Mon corps et moi n’avons pas toujours été copains. Mais on s’entend de mieux en mieux.
J’ai des TCA. Depuis très longtemps. C’est d’une banalité affligeante. Je mange pour me remplir, pour me rassurer. Du gras, du sucre et tout le reste comme anxiolytique compulsif.
Je suis malade mentale. J’ai un TAG. Je peux donc trouver 5 sujets d’angoisse en me brossant les dents, je fais 14 infarctus du myocarde par semaine et à peu près quelques AVC. Je mange des médicaments.
Je suis gouine. Depuis à peu près toujours, aussi.
C’est donc autant de raisons pour lesquelles les médecins et moi avons une relation un peu compliquée.

J’ai mal au ventre depuis des années. Au départ un peu de temps en temps. Une brulure dans le sternum. Peu de fois par mois. Puis la douleur devient de plus en plus présente. Elle irradie dans le dos. Les épisodes sont espacés. Je ne vais pas chez le médecin pour si peu. J’ai passé 10 ans sans en voir un. Ce ne sont pas des douleurs qui vont me faire flancher.
Je me soigne avec du citrate de betaïne et des pansements gastriques. Le plus souvent j’attends que ça passe. Ça m’arrive la nuit. Je fini par tomber de fatigue. Le lendemain je n’ai plus mal.
Ça continue de m’arriver alors que j’habite à l’autre bout de la planète et que je compte les bouts de chandelles. Je ne paierai pas une journée de salaire pour aller chez le médecin.

De toutes façon ça doit être somatique. Comme mes AVC. Ce n’est rien ça va passer. On mettra ça sur le compte de l’angoisse. Comme le reste.
Ou alors, je suis grosse et je me gave. C’est forcément la raison des maux de ventre.
Je n’ai pas envie de me l’entendre dire, puisque je me le dis déjà moi même.

Je rentre en France. Les douleurs deviennent insupportables. De plus en plus fréquentes. Je manque des jours de boulots parce que je passe des nuits à me contorsionner dans mon lit. La seule qui me soulage maintenant, c’est de vomir. C’est très efficace. Je vomis jusqu’à deux fois par jour. Certaine fois, je ne garde aucun repas plusieurs jours d’affilés. C’est magique, je maigris.
Je me décide à aller voir mon médecin. J’y retournerai 5 ou 6 fois. Il sait que la fibroscopie est une source d’angoisse intarissable. Mais force est de constater que rien ne fonctionne.
Avec le temps, l’ulcère que j’ai dans la tête se transforme en cancer.

Et voilà, bien fait pour ta gueule, t’avais qu’à pas te gaver de gras pendant 25 ans.

Mon médecin, qui ne me fait jamais monter sur la balance, m’explique que ce n’est pas forcément dû à mon alimentation, ni à mes TCA qui se sont calmés en même temps que mon traitement psy à fonctionné.

Cette fois je n’y couperai pas. « On va devoir aller voir ce qu’il se passe ». Je prends donc rdv pour cette fameuse fibroscopie qui m’angoisse autant que son anesthésie générale. Je le sais que je vais avoir droit à des commentaires sur mon poids. Je m’y prépare. Je côtoie suffisamment de grosSEs dans la vraie vie et sur les réseaux sociaux. Et puis surtout je vis avec moi depuis 30 ans.

Clinique de l’Alma. Il paraît que je vais chez un ponte. J’ai d’abord rdv chez l’anesthésiste. Il parait qu’il va me dire que je vais mourir.
« – Vous pesez combien ?
-120 kilos aux dernières nouvelles mais je me suis pas pesée depuis 5 ans.
-Vous prenez pas de traitement régulier ?
-Si des antidépresseurs.
-Pas de problèmes cardiaques ou respiratoires
-Non
-Vous etes essoufflées rapidement ?
-Oui
-Bon, tout est okay, pour votre léger sur poids, qui n’est pas si léger, ça rend pas les choses plus difficiles, mais c’est plus risqué du coup. On se revoit dans une semaine. Ne mangez pas, ne buvez pas, ne prenez pas vos médicaments, 8h avant l’intervention. »

C’est cool, parce que de toutes façon j’ai tout vomis. Alors à l’heure de l’intervention, 16h30, j’ai dans le ventre un café noir et quelques clopes. Une infirmière avec l’accent du sud vient me chercher. Ma copine m’accompagne, elle lui dit qu’elle doit m’attendre dans la salle d’attente et qu’elle ne me reverra que dans 2h.

Un entretien rapide :

« – La personne a prévenir en cas d’urgence, c’est … ?

– Une amie.
– Et la personne qui vous accompagne, c’est votre compagne ?
– Oui.
– Vous etes bien a jeun ? »
… J’apprécie le naturel avec le quel elle se refaire à ma nana.
– Vous etes difficile à piquer, c’est écrit dans votre dossier ?
– Non ! J’ai jamais eu aucun soucis. Et puis l’anesthésiste ne m’a pas examinée de toutes façons …”

Le premier tensiomètre ne fonctionne pas, parce qu’il est trop petit pour mon bras. Elle le change, sans commentaire et sans sourciller, elle a le matos qu’il faut. Elle me donne la tenue règlementaire. Charlotte et chaussettes en papiers assortis. Blouse adorablement bleu moche. Evidemment taille unique. Evidemment non prévue pour couvrir mon cul, laisser à mon gros cou la place de ne pas suffoquer et à mes épaules larges de ne pas tendre le tissus de façon fort peu confortable.

– C’est pas prévu pour les grosses dames cette affaire.

– Oh laissez le ouvert, de toutes façons vous allez être allongée tout le long, vous en faites pas ou verra rien.

Merci infirmière Super Cool. Tu seras la seule personne à me metre à l’aise dans cette clinique.
Je vois mon médecin pour la première fois. Une infirmière lui a passé l’ordonnance de mon médecin traitant. « Tout va bien ? » Genre ça t’interesse …

Mon anesthésiste, dont j’ignore toujours le nom arrive dans mon champ de vision accompagné d’une soignante en blouse rose. Il est à une cinquantaine de centimètre de moi.

– Pour une fois c’est pas pour un bypass.

Je ne sais pas ce qu’il a voulu dire.

– Je t’ai mis tout ça là, dit il à la soignante en rose, au cas où ça se passe mal. Je suis à 20 centimètres de lui, j’ai envie de mourir de peur. Mais ne vous en faites pas, tout vas bien se passer, se rattrape-t-il avec un sourire faussement bienveillant et vraiment constipé.
– Bonjour, je suis l’infirmière anesthésiste, je vais vous poser le cathéter.
Enfin ce n’était peut être pas un cathéter, mais j’ai beaucoup regarder Urgences. Elle me pique deux fois, trois fois … J’ai deux machins à aiguilles dans la main, un devant, un derrière, elle en retire un, j’ai mal, c’est chiant, c’est inconfortable, j’ai envie de l’enlever, avec les dents s’il faut.

Je suis toujours morte de trouille et je ne me rends pas compte que je m’endors, ni que je me réveille. Okay, j’ai survécu, pas de séquelles pulmonaires, cardiaques, neurologiques, je ne suis pas un navet. Je me sens mieux.

De la salle de réveil je passe à une chambre. Je n’avais qu’une peur c’est que des brancardiers aient à me soulever à un moment de mon hospitalisation, ou que mon cul ne rentre pas dans un fauteuil. Heureusement, les lits sont assez larges pour moi, je peux me déplacer seule d’un brancard à l’autre et on ne me met pas sur un fauteuil.

Le retour du Dr …
– Vous n’avez rien, c’est fonctionnel. Une petite irritation due aux vomissements. Et sinon pour votre petit problème de surpoids, vous avez l’intention de faire quelques chose ?

– Non absolument pas, je me connais comme ça, je suis très bien.
– Vous n’avez jamais envisagé le bypass ?
– Non merci.
Je n’ai rien, mais on m’a vendu un bypass, alors que j’ai un trouble psy et des TCA moyennement réglées …

Je ressors de l’hôpital groggy, sans réponse, mais avec la certitude que je n’ai pas été traité comme une patiente non grosse. J’ai envie de fumer et de dormir. Je vomirai demain. En attendant, je cultive mon gras. Politique.

Queen Mafalda

illustration : Carte de Cirque Vintage

Bélinda Georges, 26 ans

Je suis Belinda Georges, j’ai 26 ans, et je suis une femme cisgenre. Je fais 1m64, je pense avoir dépasser les 110/115 kilos car je ne me pèse plus depuis longtemps à cause de mes TCA. D’après mon IMC, je suis en “obésité morbide”.

– Si je te dis grosSE ?

Oui ?

– Quel est ton parcours avec le poids ?

J’ai toujours été un peu grosse. Ou du moins on me le faisait ressentir, à l’école ou dans ma famille. Ma dépression a accéléré le processus vers mes 19 ans, où je portais déjà du 44. Ma famille me promettait des cadeaux (robes, voyages …) si je maigrissais.
Je vis la grossophobie depuis longtemps, même si je ne connais le terme que depuis quelques années, grâce au féminisme, notamment. Avant, je n’avais pas conscience que ça me faisait du mal, et je trouvais ça normal qu’on me dise de maigrir, même si je ne le pouvais pas pour des tas de raisons.

Aujourd’hui, j’oscille entre le 50 et le 54 (surtout pour le bas) et je commence seulement à me dire que je pourrais commencer à aimer mon corps. Mes TCA (hyperphagie et anorexie) ne m’aident pas non plus sur ce terrain.

                                           *MEDICAL*

J’ai eu un léger problème médical plus tôt dans l’année où j’avais du pus dans les sinus où j’ai du faire un scanner, des examens et un traitement pour que ça passe. Et même si ça n’a rien à voir avec mon poids, j’ai quand même eu des remarques grossophobes.

Quand j’ai demandé si ça avait un rapport avec mon apnée du sommeil, la docteure m’a rétorqué qu’il fallait que je maigrisse pour que ça s’arrête, que ça n’avait rien à voir avec l’apnée du sommeil, que la cause “c’est votre poids, mademoiselle”.

Aujourd’hui, et depuis la fin de mon traitement en mai 2016, je ne fais plus d’apnée du sommeil, je ne ronfle plus et je dors mieux, et je fais toujours le même poids …

C’est en Février 2016 que j’ai vécu mon expérience la plus traumatisante avec un médecin. J’avais d’ailleurs fait un thread sur Twitter directement quand je suis rentrée chez moi après le rendez-vous :

   • la suite, quelques heures après

J’avais donc 25 ans, j’étais malade. Un virus qui me mettait KO, mais rien de grave ; et j’avais besoin d’un certificat médical pour justifier mon absence à mon école et à mon stage.
Je voulais en profiter pour parler de mes angoisses, de mes TCA, de ma dépression. Ça n’allait pas du tout à cette période, je voulais envisager avec lui un traitement médicamenteux pour aller mieux.
J’avais un ongle incarné et j’ai même pas osé lui demander de jeter un oeil tellement j’étais mal.

Les gynécologues sont les spécialistes que je redoute le plus. Je n’ai jamais pu aller voir un gynéco car ça me fait très peur. Je suis asexuelle et j’ai été victime d’agressions sexuelles par le passé, même si ça ne justifie rien, je ne suis pas très à l’aise avec cette partie de mon corps. Si je rajoute la grossophobie par-dessus, je ne peux pas, je bloque. J’ai déjà essayé de prendre rdv avec un sage-femme recommandé par une amie féministe, j’ai du annuler 30 minutes avant, en larmes au téléphone car ça m’angoissait trop (et heureusement, il a eu la réaction parfaite, il a très bien compris et ne m’a pas jugé ou s’est énervé d’annuler au dernier moment). Voir les témoignages de violences médicales avec les gynécos ne m’encouragent pas, ça me fait trop peur.

Quel que soit le sujet de ma visite chez le médecin, il FAUT qu’il y ait un rapport avec mon poids, ou du moins, il faut que je me fasse sermonner sur mon poids parce que c’est MAL d’être grosse, même quand on a 12 ans et que, honnêtement, en voyant les photos de moi à l’époque, ça allait, quoi. J’ai déjà eu un sermon sur mon poids et qu’il fallait que je maigrisse “pour mon propre bien, toussa” alors que j’étais venue car je m’étais brûlée la main au 2ème et 3ème degrés, parce que “ça cicatrise moins bien quand on est grosse”. Je n’ai jamais cherché à vérifier si c’était vrai, mais j’ai un sérieux doute … Quand ils disent ça, soit les médecins sont gênés et passent vite à un autre sujet, soit ils sont infantilisants, même si on est adulte face à eux. Je me rappelle de ce médecin que j’avais consulté pour une bronchite qui m’avait dit que je ne l’aurai surement pas eu si j’avais 20 kilos de moins.

Pour qu’un médecin soit qualifié de bienveillant, il doit faire preuve d’écoute, et ne pas imposer à une personne de maigrir, surtout si à la base, la personne vient pour une bronchite ou un pied cassé. A mon avis un médecin peut parler du poids si le/la patient-e en parle d’abord, ne pas le/la juger, la personne est déjà au courant qu’iel est grosse. Mais surtout de l’écoute, c’est le plus important, c’est à cause de ça que je n’ai jamais réussi à parler de mes TCA ou de ma dépression à un médecin (sauf une fois à une psychologue que j’ai vu trois fois).
Les rares fois où je vais chez le médecin, c’est quand je suis vraiment malade, donc plus vulnérable, surtout que ça m’angoisse beaucoup, aujourd’hui, depuis ce médecin en février, donc je ne sais pas si je pourrais répondre. Rien à voir avec de la grossophobie, mais en mars, je suis allée consulter pour mes sinus chez une ORL, et au moment où elle a voulu me faire un examen (tiges caméras dans le nez qui remontent jusqu’aux sinus), elle ne m’a pas prévenue, et j’ai eu tellement peur et mal que j’ai simultanément fait une crise d’angoisse tout en tombant dans les pommes (du coup, elle m’a mis des giffles pour éviter que je ne m’évanouisse : “ne vous levez surtout pas, je ne pourrais pas vous relever si vous tombez”). Et je n’ai rien osé dire sur le moment, même après tout ça. Alors je ne sais pas comment je réagirai, maintenant … Si je suis en forme (pas de fièvre, pas trop malade ou angoissée), je pense que je pourrais quitter un cabinet, mais je sais que je le regretterai dans le sens qu’il est compliqué d’avoir des rendez-vous le jour-même quand on veut un arrêt maladie pour son travail/école.

Les jeunes vs Les vieux ?

J’ai l’impression que les médecins plus âgés sont au taquet sur le sujet.

Les outils médicaux ?

Les tensiomètres ne sont plus adaptés pour moi, et pour le scanner pour mes sinus, j’ai eu peur de le casser en montant, et j’ai croisé le regard désespéré de l’infirmière quand elle m’a vue arriver.

                                             *ESPACE PUBLIC*

– Comment définirais tu l’espace public ?

Pas adapté aux personnes grosses.

– Comment te sens tu dans l’espace public ?

Souvent mal à l’aise dans mes vêtements, je contrôle toujours si on ne voit pas trop mon ventre (ou autre partie du corps), je me sens surveillée et jugée par les gens qui ne sont pas gros.

– Prends tu les transports en commun ? Si oui, est ce que tu t’y sens à l’aise ?

Oui, quotidiennement. Non, car je n’ose jamais m’asseoir sauf si la place d’à-côté est vide, et je sue beaucoup plus vite.

– Est ce que tu as déjà pris l’avion ?  Comment as été ton expérience ?

Oui, plusieurs fois, et lors d’un vol dans une petite compagnie, j’ai eu peur de devoir faire le trajet sans ceinture car elle ne se fermait pas à cause de mon ventre. J’ai du demander une rallonge à une hôtesse qui m’a bien jugée du regard quand je lui ai demandé une. Lors d’un autre vol, j’étais près du hublot avec deux hommes gros à côté de moi qui, contrairement à moi, n’avaient aucun scrupule à prendre toute la place et je me suis sentie mal pendant les 2h de trajet. Ah, et le soulagement dans le regard de ce passager voisin quand j’ai réalisé que je m’étais trompée de rangée.

– A quel point estimes-tu que les équipements publics ne te sont pas adaptés ?

Au point que j’ai peur de m’assoir sur les chaises de restaurants ou de bar sans les casser ou rester coincée.

– Quelles stratégies mets tu en place pour te sentir à l’aise dans l’espace publique ?

Le déni, le je-m’en-foutisme et les regards noirs quand je vois qu’on regarde trop mon gras d’un air désapprobateur.

– Quelles sont les pires remarques ou insultes que tu ais subi dans l’espace public ?

Je rentrais de soirée arrosée dans le centre de Lyon, une voiture est passée à côté de moi et un mec a crié “téma la grosse” en me pointant du doigts alors que la rue était bondée. Ou encore le “je serais vous, je ne mangerais pas ça” alors que je mange un sandwich à midi sur un banc public. Ce sont les premières qui me viennent en tête parmi de nombreuses.

Et demain ?

Je nous souhaite beaucoup de courage, il faut se soutenir. En vœux : qu’on nous fiche la paix, qu’on nous écoute et qu’on arrête de nous juger, ou de nous assimiler à des clichés comme “feignants” ou autres …