Justine : ” La grosse que je suis reste auto-grossophobe dans ses mauvais jours “

J’ai cru que j’étais grosse depuis toujours. Quand on y pense, c’est vraiment une idée bien ancrée mais pas du tout fondée. J’ai réalisé ça à la mort de ma grand-mère l’année derniére, quand ma soeur a envoyé une photo de famille et que mon premier réflexe ça a été de demander à mon copain avec des yeux ahuris “mais, en fait, je suis pas grosse là-dessus?!” Je devais avoir 8 ou 9 ans.

Bien-sûr, y’a la psy qui aide énormément et m’a ouvert les yeux en même temps que les groupes militants que je fréquente. Bien-sûr y’a du progrès mais ça reste fichtrement difficile au quotidien: la peur des chaises, des magasins qui s’arrêtent bieeeeen avant ta taille, les réflexions grossophobes quasi inconscientes (ou tellement habituelles) mais bien violentes de tes potes, de tes proches, des gens en général. J’ai courbé l’échine longtemps je crois.

Je voudrais dire que je n’ai pas connu de maltraitance médicale grossophobe mais c’est faux. J’ai envie de dire que c’est des trucs “pas si terribles” en comparaison avec ce que je lis souvent mais quand même, je bloque parce que maintenant je sais que ça a participé à une image biaisée de mon corps et plus largement de ce que je suis. Y’a eu des propos anormaux qui se voulaient bienveillants. Souvent, la médecine confond bienveillance et oppressions.
Combien de fois mon médecin de famille que je respecte pourtant profondément m’a dit, plus jeune, avec soutien de mes parents que maigrir/faire attention, c’était maintenant, que je voudrais pas peser 90 ou 100 kgs à 20 ans. Bien ouej’ les gars, bien ouej’. J’ai 25 ans et je pèse 104 kgs. Bien joué donc, la culpabilisation dans l’enfance. C’était le passage sur la balance, à me mordre les joues, à même pas regarder le résultat. M’intéressait-il au moins où était-il juste là pour m’effrayer, me juger ? Les remarques répétitives du “c’est maintenant” comme si je ne pouvais absolument pas m’épanouir dans mon corps réel, qu’il fallait que j’en fantasme un autre. En fait, c’est ça, j’ai fantasmé mon corps. Longtemps. On l’a fantasmé pour moi, aussi, beaucoup.
Et ça, c’était quand j’étais en surpoids ou en léger surpoids.
Je souffre de TCA (hyperphagie) et je suis diagnostiquée depuis un an et demi mais en vrai ça a commencé bien avant. En vrai, au collège, je cachais déjà de la nourriture pour manger peinarde, pour me réconforter, pour combler quelque chose dont je n’avais pas claire conscience. Pourtant, on m’a répété que le problème, c’était mon poids, mon poids, mon poids, qu’il fallait que j’agisse.

Et puis ce premier rendez-vous gynécologique, à 19 ans. Déjà stressant d’aller écarter les jambes devant une parfaite inconnue mais cette dernière me fait me mettre entièrement nue et me fait un commentaire froid sur mon poids “il va falloir faire attention”. J’ai toujours entendu ça. Faire attention, me surveiller, maigrir. Et je prenais ça au pied de la lettre. Et vas-y Weight watchers, les kilos en moins, la pseudo joie de me dire “bientôt, je m’aime” et les félicitations autour de soi. Quand j’y pense, c’était hyper malsain, les félicitations. Poudre aux yeux. Je me rends compte aujourd’hui, bien plus tard que c’était pas normale une telle pression sur une enfant, une ado, une jeune adulte. J’étais une enfant et j’étais punie d’être gourmande, punie de pas être comme mes copines puis punie d’être malade sans le savoir.

La médecine ne m’a pas soutenue. On m’a pas entendue quand j’ai dit “j’ai un comportement anormal avec la nourriture” parce qu’on m’a envoyé chez diététiciennes et nutritionnistes quand c’est dans ma tête que tout avait lieu. On m’a pas prise au sérieux quand je cachais mal la bouffe dans mes placards – j’appelais à l’aide sans le savoir et on m’a beaucoup disputée pour ça “mais tu te rennnnds compte des quantités, du gras, du sucre” – non. La honte m’en a empêchée. C’est venu plus tard.

Aujourd’hui, j’ai une psychologue qui me fait vivre une révolution, qui ne me juge jamais et qui s’en fout de combien je pèse. J’ai une psychologue qui a vu au-delà, qui met le point là où ça fait bien mal mais toujours avec bienveillance. De la vraie bienveillance cette fois. Aucune injonction à maigrir car ce serait criminel avec mon TCA. Elle veille sur moi pour que j’apprenne à veiller sur moi-même. C’est dur quand on peut pas s’habiller comme on veut, quand on s’empêche de faire des trucs parce qu’on a trois chiffres sur la balance.

Les maltraitances existent même quand elles paraissent minimes pour des personnes qui ne les vivront jamais ou alors elles sont trop grossières pour être vraies quand elles sautent aux yeux. Je suis grosse et je développe la peur du médecin, la crainte d’avoir une réflexion. Je suis pas allée donner mon sang depuis combien de temps, tiens ? J’ai pas fait de prise de sang depuis quand ? La dernière fois, j’ai osé dire à une sage-femme libérale que j’avais un TCA et peur de l’examen. Du coup, elle m’a pas dit de maigrir et surtout, elle m’a pas mise toute nue. Je dis pas ça pour relativiser, non. Au contraire. Je dis ça parce que ça devrait être automatique, la bienveillance, le professionnalisme and co. Ca devrait pas être un miracle qu’une psy me soigne et qu’une sage-femme ne me maltraite pas.
Bref, voilà, je suis grosse et j’ai plus envie que ce soit une fatalité, une insulte ou un prétexte pour être maltraitée. Je prends les armes et la première, ce sont les mots.