Je m’appelle E, j’ai 27 ans et je suis grosse

Je m’appelle E, j’ai 27 ans et je suis grosse.

– Si je te dis grosSE ?
Yes, I am !

J’ai l’impression d’avoir toujours été grosse alors que concrètement ça n’a pas été le cas. J’étais un bébé et un enfant rond, ce qui a amené à un harcèlement moral de la part de mes parents (surtout ma mère) pour perdre du poids, on m’a imposé des régimes et des consultations de nutritionnistes très tôt. J’ai développé des TCA (boulimie non-vomitives avec quelques périodes d’anorexie mentale) et c’est ça qui m’a fait prendre vraiment du poids à terme. En 4ème, à 13 ans, j’ai pris du poids d’un coup (pendant les vacances). Je me souviens qu’à la pesée de l’infirmière du collège, j’étais pile poil à 100 kilos. Ensuite ça a été graduel jusqu’à mes 19 ans. Je détestais beaucoup mon corps et j’ai commencé à faire le régime Dukan. J’ai perdu pas mal de poids, j’avais un corps plus fin mais je n’étais pas bien du tout dedans, j’ai d’ailleurs eu des périodes d’anorexie à la suite, de boulimie également et ai fini par tout reprendre. Aujourd’hui j’estime mon poids à 120/130, je ne sais pas trop et ça m’angoisse toujours de la savoir, j’ai depuis des années un énorme blocage psychologique avec le fait de monter sur la balance. Aujourd’hui je vis mieux le fait d’être grosse mais j’en ai marre que rien ne soit adapté à mon poids: chaises, sièges de métro/train/bus/avion. Marre qu’on ne voit que mon gras. Marre de vivre dans une société obsédée par la minceur et d’entendre des gens qui sont obsédés par ça.

MEDICAL

J’ai les articulations assez fragiles et je m’étais fait mal en m’accroupissant trop longtemps. Mais ça va beaucoup mieux depuis que je fais de la natation, je n’ai plus aucune douleur ni gêne.

J’ai aussi un problème d’inflammation chronique (taux de PCR très élevé) qui est certainement lié à l’obésité mais je n’ose pas prendre RDV chez un interniste car j’ai peur de la manière dont je vais être traitée en hôpital et que les appareils ne soient pas adaptés à ma corpulence.
J’ai des petits problèmes veineux qui peuvent être liés à mon poids (je ne sais pas bien car ils sont courant dans ma famille) et qui se manifestent en cas de temps chaud et humide.

J’ai eu deux expériences traumatisantes avec des soignants, entre mes 19 et 22 ans. Un podologue qui devait me faire une semelle suite à une tendinite (qui s’est déclarée suite à une activité sportive …) m’a dit que de toute manière ça ne servait à rien de porter des semelles si je ne perdais pas au moins 30 kilos. Il a beaucoup insisté là-dessus, j’étais tellement mal que je me suis enfermée dans les toilettes pour pleurer et m’automutiler. Avec les secrétaires qui me parlaient au-travers de la porte en me disant que c’était rien, etc. Je n’ai jamais mis les semelles en question, la tendinite est passée toute seule.
L’autre était avec un gynécologue que j’ai vu 2 ou 3 fois. J’avais une irrtation vaginale très dérangeante et ma gynécologue ne pouvait pas me prendre en urgence. Il a refusé de me prescrire un stérilet au cuivre – à l’époque je lui avais dit que je ne souhaitais pas prendre de contraception hormonale, notamment par peur de prendre encore plus de poids- et m’en a prescrit un hormonal alors que je n’en ai jamais demandé. A chaque examen, il me parlait de mon poids de manière très condescendante. Il avait notamment un discours sur le fait que les personnes aujourd’hui sont les descendantes de personnes ayant survécu aux famines et donc qui prenaient plus facilement du poids. Il insistait aussi sur le fait qu’il n’y avait pas de gros-se-s dans des contextes tels que la déportation. A chaque fois il faisait son petit spitch tout seul comme si je n’étais pas là et j’acquiesçais bêtement car j’avais peur qu’il continue et qu’il insiste. De plus, l’examen gynécologique n’est pas un contexte dans lequel on est à l’aise pour envoyer quelqu’un sur les roses. Je n’en avais de toute manière pas les ressources à ce moment-là. Il a insisté à chaque fois sur la nécessité de perdre du poids de manière urgente, sans parler de risques en lien avec sa spécialité médicale. Ce qui a toujours été le cas avec d’autres gynécologues vues, jusqu’à ce que je rencontre ma sage-femme, qui est très bien à ce niveau-là.

Les gynécologues étaient les spécialistes que je redoutais le plus avant que je trouve ma sage-femme, je n’ai pas mis les pieds dans un cabinet pendant bien 4 ans avant de la rencontrer.
Je n’ai pas eu à rencontrer beaucoup de spécialistes alors je ne sais pas trop pour le reste.

Il y a des comportements récurrents de la part du médecins : une attitude condescendante, infantilisante, un discours alarmiste et angoissant.

Les médecins jeunes que je rencontre ont plus une approche de compréhension de l’obésité plutôt que de chercher à tout prix à angoisser le patient avec des discours alarmistes. C’est une impression, sachant que je ne vois pas énormément de médecins non plus.

Mon bras entre sans trop de soucis dans un tensiomètre, les tables de médecin, gynécos/S-F supportent mon poids mais à chaque nouvelle visite il y a un peu l’angoisse qu’elle ne soit pas adaptée et qu’elle casse ou qu’on me dise que l’examen est impossible à cause de ça, etc.
Je n’ai pas eu de scanners sur des parties où ma corpulence posait problème (dents, pied).
J’ai rencontré une nouvelle ophtalmo l’an dernier et elle avait un appareil pour tester les yeux qui me coupait complètement le ventre, j’ai eu de la peine à rentrer dedans et la position était complètement inconfortable.
De manière générale, les chaises à accoudoir dans les salles d’attente ou le bureau des médecins sont très inconfortables car elles s’enfoncent au niveau de mes cuisses, sont douloureuses et inconfortables.

Pour que je qualifie un médecin de bienveillant, le médecin doit avoir un certain nombres de comportements : Ne pas faire d’injonctions liées à la perte de poids, demander si le patient ou la patiente souhaite discuter de ce sujet (selon la spécialité bien entendu, si c’est en lien c’est normal d’en parler), ne pas insister si il ou elle ne souhaite pas en discuter ou s’arrête à quelques explications, entendre la demande du ou de la patient-e.

J’accepte qu’un-e soignant-e parle de mon poids, si c’est pertinent dans ma demande de soins ou si il ou elle cherche juste à connaître mon état de santé général et adopte une position bienveillante par rapport à ça.

Je n’osais pas répondre à un soignant, mais je pense que si cela m’arrivait aujourd’hui, j’aurais plus de courage à le faire.

ESPACE PUBLIC

En fonction du contexte, de l’endroit, de si je suis accompagnée ou seule, je me sens assez crispée. Je subis beaucoup de harcèlement de rue et j’ai du mal à supporter les endroits où les gens sont nombreux (magasins en période de soldes, transports en commun). Quand je ne veux pas qu’on me fasse des remarques, je m’isole en écoutant de la musique.

Je prends les transports mais je ne m’y sens pas à l’aise. La plupart des métros, des bus, ont des sièges qui ne sont pas adaptés à ma corpulence. Je n’ai pas envie de déranger les gens ou de me prendre des remarques désobligeantes donc en général je guette les places où je peux être seule. Les nouveaux métros sont plus spacieux alors ça se passe mieux à ce niveau-là. Mais il m’est arrivé de rester debout alors que mes pieds me faisaient souffrir et que des places étaient disponibles. Si je dois me mettre sur un strapontin ou un siège à côté de quelqu’un, je vais avoir la moitié d’une fesse dans le vide et cela va être gênant voir douloureux. En plus de la joie d’être collée à quelqu’un.

Dans l’avion, je n’ai jamais eu à payer de 2ème siège heureusement. La dimension des sièges dépend des compagnies et des avions.
Mais j’ai voyagé à chaque fois en étant assez coincée dans mon siège. Ma pire expérience étant à Delta Airlines, je venais d’un autre avion et je n’ai pas pu réserver ma place, je me suis retrouvée donc coincée entre deux personnes en dépassant au niveau des jambes sur l’un et l’autre. J’ai demandé à mon voisin qui était du côté couloir d’échanger de places à cause de problèmes veineux mais il a refusé parce que ma santé il n’en avait rien à carrer.

– A quel point estimes tu que les équipements publics ne te sont pas adaptés ?
A un point où ça devient urgent d’avoir une discussion publique sur le sujet. Et je suis consciente que des personnes plus grosses que moi sont encore plus impactées que moi par ces questions dans leur vie.

Un jour, un homme dans le métro m’a suivie dans les couloirs pour m’insulter sur mon poids. J’attendais le métro et il m’en foutait plein la gueule, évidemment personne n’a réagi. Je ne me souviens pas exactement des termes qu’il a employé.
Souvent ce ne sont pas tant des insultes que je reçois mais du harcèlement liée à une fétichisation de ma corpulence.

DEMAIN

J’aimerais que parler d’adaptation du matériel et des soins/parcours de soin à nos corpulences ne soit plus tabou, que des aménagements soient faits. Que les médecins soient formés pour la prise en charge des patients et patientes gros-se-s.

Que les personnes grosses ne soient plus vues comme des personnes molles et non-attirantes.
Qu’on ait plus honte de nos corps.
Mais il y a encore beaucoup de travail pour ça !