Nathalie, 33 ans

J’ai 33 ans, mariée depuis 3 ans et maman depuis 2 semaines d’un petit garçon.
Je pesais 100 kg avant ma grossesse et je suis en perte de poids depuis l’accouchement. Aujourd’hui je suis à 95 kg pour 1m57. Je me dis toujours qu’il y a “pire” que moi et qui se portent bien.
Gros-se, C’est un mot qui fait mal. Je préfère me décrire en surpoids même si c’est sans doute un euphémisme. Mais devant le miroir, quand je n’ai pas le moral, oui, il me vient à l’esprit.

Aussi loin que je m’en souvienne j’ai toujours été en surpoids. Apparemment j’ai commencé à prendre du poids à mon entrée en maternelle. Des années plus tard une psy a avancé l’idée que je me serais créée cette “carapace” pour me protéger d’un choc. J’avais été gardée par mes grands parents et j’ai découvert le monde et les autres enfants soudainement. Tout en grandissant je suis restée en surpoids. J’ai des souvenirs de ma mère se faisant houspiller par les médecins quand j’étais petite car on me donnait trop à manger. A 10 ans mon pédiatre a voulu m’envoyer en cure.
Ce n’est qu’à l’adolescence que quelqu’un a pensé à vérifier si je n’avais pas de problème hormonal. Il s’est avéré que j’avais de l’hyperinsulinisme. J’ai été traitée par médiator, avec un régime … Que je ne crois pas avoir beaucoup tenu. J’ai vu un certain nombre de diététiciens et autres spécialistes, j’ai juste le souvenir vague d’avoir visité plein de cabinets, d’être ressortie avec pleins de recommandations, mais pour la suite … Pas grand chose je crois.
Tout au long de mon enfance et de mon adolescence j’ai eu droit aux moqueries. J’ai encore de gros problèmes de confiance en moi, et au fond je m’attends toujours à ce que les gens réagissent comme ces enfants en me voyant. Qu’ils voient d’abord “la grosse”.
Il y a un an je me suis décidée à retourner consulter une nutritionniste malgré mes expériences négatives. Mais l’adolescence on m’y avait traîné, là il fallait que ça vienne de moi. La nutritionniste m’a proposé un rééquilibrage m’ayant permis de perdre quelques kg avant ma grossesse. Grossesse durant laquelle j’ai pris 7-8 kg, sans me priver spécialement, largement reperdus depuis l’accouchement.

MEDICAL

Mon expérience la plus traumatique, c’est une visite annuelle chez ma gynécologue, a 30 ans. Après beaucoup d’hésitation, je commençais à envisager d’arrêter la pilule. Lorsque je lui en ai parlé, elle a immédiatement répondu que pour envisager une grossesse sous 1 an il fallait que j’ai recours très rapidement à une chirurgie de l’obésité. Elle commençait déjà à me proposer tel hôpital, tel spécialiste.
Chose incroyable, elle n’a jamais parlé de régime, au contraire, la chirurgie c’était LA solution miracle. Une grossesse en l’état serait beaucoup trop dangereuse pour moi et pour le bébé. Diabète, tension, gros bébé, risque de mortalité augmenté … J’étais en pleurs mais si je suivais son discours, elle ne voulait que mon bien. Quand je lui parlais d’exemples de femmes obèses (puisque c’est le mot qu’elle utilise) qui ont eu des grossesses sans problème, elle m’assurait qu’il s’agissait exceptions.
Suite à ce rendez-vous je me suis réellement mis dans la tête que je serais égoïste de tenter une grossesse avec les risques que mon obésité faisait courir à mon enfant. J’ai mis des mois à l’envisager de nouveau. J’ai trouvé une autre gynécologue, grâce aux conseils de membres du forum “vive les rondes”. J’ai mis 1 an à tomber enceinte, problèmes de cycles irréguliers.
Au final ma grossesse a été parfaite médicalement, pas de tension, pas de diabète, bébé 3,4kg, et si j’ai eu une césarienne c’est à cause du col qui ne s’ouvrait pas, rien à voir avec le poids.

Parfois j’ai envie d’écrire à mon ancienne gynécologue pour lui dire : « Vous voyez c’est possible alors arrêtez de détruire les gens ! ».

Elle répétait “obèse”,”obésité”, “obésité morbide” comme pour me rappeler la gravité de mon cas. Certes ce sont des termes médicaux, mais devant quelqu’un en pleurs … Ce qui m’a choqué également, à propos de la chirurgie : “C’est moins culpabilisant qu’un régime” ! C’est à dire qu’il n’y a pas “d’efforts” à faire, on est obligé de perdre du poids et on ne risque pas de se culpabiliser de n’avoir pas perdu de poids car on n’a pas pu tenir un régime.
Plus que les mots c’est la façon dont elle a déroulé son raisonnement, face à elle j’étais assommée, mais pour elle c’était tout naturel : vous vous faites opérer, 1 an le temps de perdre le poids et que le corps se remette puis vous arrêtez la pilule. Simplissime et de toute façon vous ne pouvez pas faire autrement sans mettre votre vie et celle du bébé en danger !

Je redoute tous les intervenants médicaux, je suis persuadée à chaque fois que je vais me faire attaquer sur mon poids. Crainte considérablement aggravée par l’expérience décrite ci-dessus.
Mais ces dernières années elles se sont rarement avérées justifiées.
– As tu vu une différence de traitement entre les jeunes médecins et les médecins plus âgé-es ?
Non, j’ai vu des jeunes très discriminants, et des plus âgés très ouverts, et vice versa.
– Quelles sont tes expériences vis-à-vis des outils médicaux (tensiomètres, brancards, fauteuils, scanner, IRM … ) ?
Pas de problèmes particuliers. Pour ma grossesse j’ai eu une appréhension pour l’échographie, car j’avais eu vent d’échographes qui passent en vaginal à cause “de la graisse”, mais pas de soucis. Pour mon accouchement, j’ai eu une césarienne, j’ai aussi craint que les brancardiers “galèrent” à me placer sur le lit mais encore une appréhension sans raison.
– As tu déjà été anesthésié-e ?
Oui, péridurale puis pour la césarienne. Encore une fois à mon étonnement la consultation s’est bien passée. Très rapide. L’anesthésiste était plutôt jeune, il m’a juste dit que comme j’étais “costaud” la péridurale pourrait peut-être être plus dure à poser, mais pas forcément, et en tous cas ça ne m’empêcherait pas de l’avoir. Je ne l’ai pas mal pris du tout c’était dit de manière bienveillante.
– Quel comportement doit adopter un médecin pour que tu le qualifies de bienveillant ?
Faire preuve d’empathie, sentir un minimum la sensibilité du patient et adapter son discours. Il y a des mots qui font mal et des façons de les dire, d’insister dessus.  J’accepte qu’un médecin parle de mon poids, si cela n’est pas culpabilisateur, et qu’il module son discours devant mon malaise. Surtout si ce n’est pas l’objet de la consultation.
-Oses tu répondre à un médecin ? Quitter un cabinet ?
Difficilement. Dans mon esprit les professionnels de santé détiennent “la vérité” donc je n’ose pas la remettre en question, c’est moi que je remets en question. Face à quelqu’un de trop insistant je fonds en larmes.

ESPACE PUBLIC

Dans l’espace public, je fais ce que j’ai à faire, je suis discrète mais pas particulièrement mal à l’aise. Les choses se sont aussi améliorées depuis que je suis avec mon mari. Il se fiche du regard des autres, il fait le clown, et j’ai appris à faire avec et à prendre sur moi même en public !
– Prends tu les transports en commun ? Si oui, est ce que tu t’y sens à l’aise ?

J’ai toujours pris les transports en commun donc oui j’y suis à l’aise, tant qu’on ne me fixe pas du regard.
– Est ce que tu as déjà pris l’avion ?  Comment as été ton expérience ?
2 fois, RAS.
– A quel point estimes tu que les équipements publics ne te sont pas adaptés ?
En ce qui me concerne ils le sont.
– Quelles stratégies mets tu en place pour te sentir à l’aise dans l’espace publique ?
La discrétion quand je suis en terrain inconnu. Si je suis un peu plus à l’aise, ou avec mon mari, l’humour, la bonne humeur.
– Quelles sont les pires remarques / insultes que tu as subi dans l’espace public ?
Une qui m’a beaucoup marquée il y a quelques années, un soir en rentrant du restaurant avec mon mari, une voiture remplie de “jeunes” passe dans la rue et me crie “sauvez willy”. Je pensais que j’avais dépassé ce genre de remarques à mon âge. Mais ça m’a fait remonter pleins de mauvais souvenirs. J’en ai voulu à mon mari de n’avoir pas réagi pour me défendre, même si j’avoue que je ne vois pas ce qu’il aurait pu faire. Mais dire “tu t’en fiches c’est des imbéciles”, je l’ai trop entendu et je n’arrive pas à m’en ficher.
Les remarques des enfants, qui sont spontanés, me font toujours mal car justement ils disent ce qu’ils voient, et je me dis que les adultes voient et pensent la même chose, même s’ils n’en disent rien.

DEMAIN

Je penses que la première chose à souhaiter c’est que les enfants soient élevés dans la tolérance de la différence, quelle qu’elle soit.
La société bien sûr glorifie un certain type de physique, l’essor des modèles “plus size” reste sans doute marginal, connu de celleux qui se sentent concernés, et encore souvent qualifié par les autres d’un “berk c’est pas beau”. Je ne pense pas que ce soit prêt de changer. Je pense que c’est à nous de nous blinder, d’avoir confiance en nous. Assez confiance pour envoyer paitre un médecin, un passant, qui que ce soit qui nous “agresse” avec des insultes, des “conseils insistants” et des avis tout tranchés.
L’obésité est devenue une obsession de santé publique. Bien sûr qu’il faut éviter les pratiques qui l’aggravent. Mais en brandissant la lutte contre l’obésité dans l’espace public sans toutes les informations utiles sur les causes, la façon dont le vivent les personnes, on a ouvert la porte à des clichés et à l’idée que lutter contre l’obésité c’est simple, suffit de manger équilibré et faire du sport. Si t’es en surpoids c’est que tu n’es pas fichu de l’appliquer.
Bref mon vœu serait que les gens de manière générale soient moins obtus, englués dans leurs a priori, ça vaut aussi pour les professionnels de santé. On sait “comment les choses devraient être dans un monde idéal”, comment médicalement on devrait être pour être au top, mais on est face à des êtres humains, un peu d’empathie ne fera pas de mal.