Présidentielles : Mesures pour lutter contre la grossophobie

Présidentielles : Nous voulons qu'un·e candidate mentionne la discrimination et l'oppression grossophobe dans son programme et s'engage dans sa lutte

14 mesures proposées par Gras Politique

Nous écrivons aujourd’hui au nom des grosses électrices et des gros électeurs.

Nous écrivons car nous voulons qu’un.e candidat.e mentionne la discrimination grossophobe dans son programme, et s’engage enfin à y mettre fin. Nous représentons plus de 20 %des citoyennes et des citoyens français, et nous ne voulons plus être mis au banc.

Retrouvez et téléchargez ici la lettre ouverte adressée aux candidat·e·s à la présidence de la République dans son intégralité.

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La grossophobie en milieu scolaire

Grossophobie en milieu scolaire

Pistes de réflexions et d'actions possibles pour mieux accueillir les élèves gros·ses

Nous avons été convié·e·s, par le syndicat Sud Education, à proposer un temps de formation sur la grossophobie en milieu scolaire à de nombreux·ses professionnel·le·s de l’éducation. Ce temps a été enregistré, voilà un récap de nos pistes de réflexions.

N’hésitez pas à nous faire part de vos retours d’expérience ! 

Introduction

La grossophobie en milieu scolaire est un élément important dans nos luttes contre les discriminations grossophobes. En effet, selon l’OMS, 63% des enfants gros·ses risquent d’être victimes de harcèlement et 75% des enfants de moins de 10 ans associent le fait d’être gros·se à quelque chose de négatif. Les personnes grosses représentent environ 15,3% de la population adulte française et 4% des enfants âgé·e·s de 6 à 17 ans. Il est donc essentiel de donner un sentiment d’inclusion et de respect de leur personne à ces enfants concerné·e·s par les oppressions grossophobes. 

Comptez-vos élèves, si vous avez, plus ou moins, 4 élèves pour 100 qui sont gros·ses, le compte est bon. Ce chiffre peut varier selon la zone où vous enseignez. Il y a un lien entre précarité et grosseur ce qui peut faire diminuer ou augmenter ce chiffre selon l’établissement, mais aussi selon la zone géographique. Souvent, les régions où le taux de chômage est le plus élevé sont aussi les régions où l’on retrouve le plus de personnes grosses.

La grossophobie est aussi une discrimination genrée, ce sont les femmes et les jeunes filles qui en pâtissent le plus. Par exemple, chez les filles, l’âge moyen du premier régime est de 8 ans. Mais il existe aussi d’autres impacts, par exemple, notamment au niveau de l’accès à l’embauche. En effet, selon Jean-François Amadieu : “à compétences égales, pour un poste dans l’accueil, une candidate en surpoids a six fois moins de chance [d’être embauchée]. Les principales victimes de ces discriminations sont les femmes”. Ces différences genrées se reflètent également dans les chiffres liés aux chirurgies bariatriques : 80% des personnes opérées sont des femmes, contre 20% qui sont des hommes. Les femmes ont également recours à ces chirurgies à un poids moindre que celui des hommes. La pression sur les corps des femmes est donc plus importante.

Il est donc essentiel d’agir pour diminuer au maximum les violences grossophobes que les personnes grosses peuvent subir, et cela passe également par la prévention, la sensibilisation et l’action en milieu scolaire.

Penser à l’inclusion des élèves gros·ses

Le harcèlement scolaire étant très présent chez les personnes grosses, le taux de tentatives de suicide peut être augmenté. Dans certains témoignages de harcèlement, il s’avère que l’équipe pédagogique a participé, consciemment ou non, à ce harcèlement. Il faut donc être attentif·ve à ce qui se joue dans la cour de l’établissement scolaire, mais aussi à ce qui se joue dans la salle des profs, dans les couloirs, et à l’extérieur de l’établissement. Il est essentiel de ne pas faire de remarques aux élèves, mais aussi aux collègues, sur leur poids.

Il est aussi important de préciser que ce n’est pas le rôle de l’enseignant·e d’alerter sur l’état de santé d’un·e élève. D’autant plus qu’une prise ou une perte de poids n’est pas le problème en soit, mais est souvent le symptôme de quelque chose de plus profond : un souci à la maison, à l’école, etc. Le plus important est donc d’entamer une conversation avec l’élève en question, si vous avez une relation de confiance, afin de lui permettre de poser des mots sur ses maux, s’iel le souhaite. Il est également possible de faire appel à l’équipe pluridisciplinaire, peut-être que certain·e·s de vos collègues (assistant·e·s d’éducation, infirmièr·e, assistant·e social·e, etc.) ont des ressources bienveillantes qui peuvent être pertinentes pour la situation.

L’inclusion des enfants gros·ses à la vie de l’école est un enjeu important. Cette inclusion passe par une vigilance importante dans les cours d’EPS, notamment, qui sont un terreau fertile à la grossophobie. C’est un constat qu’on a pu dresser grâce aux nombreux témoignages que nous avons reçus, mais également au travers des échanges qui ont pu avoir lieu lors de certains de nos groupes de parole. C’est un cours qui a pu laisser des marques importantes sur les personnes grosses.

Des pistes de solutions pour améliorer l’intégration des élèves gros·ses dans le cadre scolaire

    • Penser à l’agencement de vos classes. Vous devez pouvoir offrir la possibilité de se mouvoir facilement dans celles-ci. L’espace est parfois si restreint entre les tables, les chaises, etc. qu’il devient difficile pour un·e élève gros·se de se mouvoir correctement dans la classe. Ce qui lea mettra en difficulté lors de l’entrée, ou la sortie de la classe, mais aussi lorsque l’élève devra passer au tableau. L’espace est souvent restreint, on ne peut pas pousser les murs, mais il est toujours possible de faire preuve d’ingéniosité.
    • Penser aux équipements : il faut éviter à tout prix les sièges à accoudoir, les strapontins, ou encore les tablettes directement incluses à la chaise. Ces équipements peuvent empêcher les élèves gros·ses d’être installé·e·s confortablement, mais peuvent aussi parfois les blesser.
    • Présenter / étudier des figures, des personnes grosses positives dans les différentes matières. L’idéal est d’éviter au maximum les caricatures (par exemple les caricatures du capitalisme en homme gros, ou Obélix qui est un personnage qui ne pense qu’à manger et qui n’est pas très intelligent). Si vous parlez de ce genre de représentations, il est essentiel d’apporter un regard très critique. La représentation dans les médias et dans les matières étudiées est importante pour la construction de soi. Une mauvaise représentation peut détruire la confiance en soi ou donner une faible estime de soi.
    • Faire attention aux uniformes scolaires : les blouses ou les tenues de travail en établissement professionnel, par exemple, sont à penser correctement. Elles ne sont souvent pas inclusives. Souvent, quand l’établissement les fournit, celui-ci ne prévoir pas une solution ou une alternative en grande taille, ce qui peut mettre des élèves, et leurs familles, en grande difficulté, soit du point de vue économique (puisque nous avons vu qu’il y avait un rapport entre précarité et grosseur) ou au niveau de la sécurité ou du confort. Penser à une alternative prenant en compte toutes les tailles, et à un coût raisonnable peut s’avérer essentiel.
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         En EPS

      • Si la possibilité existe, proposer un espace pour que les élèves puissent se changer loin du regard des autres élèves
      • Ne pas laisser passer les remarques, les moqueries liées à l’apparence physique mais aussi aux capacités sportives
      • Mettre les élèves gros·ses en chef d’équipe pour leur éviter la violence d’être choisi·e·s en dernier (et donc de creuser le fossé entre elleux et les autres élèves)
      • Prendre en compte les capacités physiques et sportives de chacun·e parce que tout le monde a des capacités différentes
      • Avoir des chasubles / dossards inclusifs. Ils sont souvent trop étroits pour les élèves gros·ses, et peuvent donc les mettre dans une situation d’embarras assez conséquente. Il est possible de réfléchir à un autre mode de différenciation des équipes : bandanas colorés, bracelets de sport colorés, etc.
      • Si vous êtes témoin des remarques de la part des autres élèves, n’hésitez pas à mettre en place des moments de médiation, de sensibilisation qui peuvent avoir lieu, par exemple, pendant une heure de vie de classe. Il est tout à fait possible de s’appuyer sur de nombreuses ressources, mais aussi sur des militant·e·s, des associations, des collectifs. 

Questions · Réponses 

 

Comment offrir une représentation positive des personnes grosses aux élèves ? Comment peut-on faire prendre conscience qu'il peut exister une certaine forme de fierté des personnes grosses et sortir du modèle victimisant ?

  • Il est possible de sortir de la victimisation par la représentation de modèles positifs. De plus en plus de célébrités sont grosses, ce qui permet d’avoir des exemples concrets qui peuvent parler aux plus jeunes. Par exemple : Lizzo, chanteuse états-unienne et Yseult, chanteuse française. En littérature, on peut également profiter du travail d’Alexandre Dumas, qui était gros. Pour les plus jeunes élèves, il est possible de s’appuyer sur la figure de Steven Universe, un héros de dessin animé, qui est gros.

    Il faut sortir de la représentation très misérabiliste souvent représentée dans les médias. Les journaux utilisent souvent des illustrations de personnes grosses en train de manger, ou de personnes grosses sans visage. Si vous étudiez ce genre d’articles en cours, il est essentiel d’apporter un regard critique. Le mieux étant d’étudier des articles qui présentent les personnes grosses correctement, sans déshumanisation.

Comment faire face à la pression grossophobe ?

En tant qu’allié-e, il est important d’agir et de faire face à ces pressions. Dire aux personnes qui tiennent des propos, ou qui ont des actions grossophobes qu’il est nécessaire de s’occuper de ce qui les regarde. Ce n’est pas évident de devoir réagir à chaque propos, à chaque action grossophobe lorsqu’on est concerné·e, ou que l’on est lea gros·se de service. Donc il est important de pouvoir s’appuyer sur d’autres personnes. Il est toujours possible, aussi, de faire un travail pédagogique auprès de ces personnes discriminantes afin de faire évoluer les mentalités. Pour savoir comment être un·e bon·ne allié·e contre la grossophobie, nous vous renvoyons vers l’article Être un(e) allié(e) non-gros(se) écrit par Edith Bernier.

Comment faire pour sensibiliser à la question de la grossophobie, sans que les élèves gros·ses ne se sentent pointé·e·s du doigt ?

Si l’atelier est amené de manière positive, il n’y aura pas de dégâts sur les élèves concerné·e·s. De plus en plus de ressources sont disponibles pour mener à bien ce genre de moments. Les personnalités grosses étant de plus en plus nombreuses, il est possible de s’appuyer dessus pour ouvrir la discussion et sortir de l’aspect négatif de la grosseur que tout le monde véhicule. Il est aussi important de signifier qu’il y a des recours contre la grossophobie et les discriminations de manière générale. La loi est du côté des personnes discriminées. Vous avez la possibilité de faire un sondage de type : “combien de personnes se sentent grosses?”, afin de mesurer la proportion de personnes qui se sentent ainsi par rapport à la proportion de personnes qui le sont réellement, ou qui sont perçues comme telles. Vous pouvez également vous tourner vers du contenu créé par les militant·e·s, les associations et les collectifs. Par exemple, le compte Instagram @labandedesgros permet de montrer les passages grossophobes dans les films.

A quel moment peut-on se considérer gros·se ? Est-ce au travers du regard des autres ?

  • Il y a déjà une différence notable à faire entre body-shaming et grossophobie. Le body-shaming c’est une pression sur les corps pour correspondre à une norme donnée. A cause du body-shaming, beaucoup de personnes se sentent grosses. Mais être gros·se ce n’est pas uniquement un ressenti. Tu peux être gros·se dans le regard des autres, sans l’être réellement.

    Ensuite, la médecine définit les personnes grosses par rapport à leur IMC, mais l’IMC est un outil pathologisant qui est dépassé et ce pour de nombreuses raisons. Il n’est pas un outil qui nous semble pertinent pour savoir qui est gros·se, ou qui ne l’est pas. 

    A Gras Politique, nous aimons bien donner l’exemple du maillot de bain, pour savoir si vous êtes gros·se : Si le 15 août, en vacances dans une sous-préfecture, tu perds ta valise. Arrives-tu à pouvoir t’acheter un maillot de bain dans lequel tu rentres ? Si oui, tu n’es pas gros·se. Être gros·se, c’est vivre des discriminations au quotidien, c’est un système d’oppressions. Aubrey Gordon (Your Fat Friend) dans Who’s fat enough to be fat ? dit que “les personnes grosses seraient l’ensemble des personnes qui sont unies par des expériences courantes et inévitables d’exclusion. Pas seulement celles qu’on a traitées de « grosse » ou « gros », car nous l’avons presque toutes et tous été au moins une fois dans notre vie, mais celles pour qui la satisfaction des besoins de base est limitée, restreinte de façon importante. Il ne s’agit pas seulement des gens qui ont de la difficulté à trouver des vêtements qui leur plaisent, mais de celles et ceux qui ont de la difficulté à trouver des vêtements tout court. Et, plus encore que les gens qui se sentent mal à l’aise dans les bus ou les avions, certains sont publiquement ridiculisés pour avoir osé utiliser le transport collectif.” (traduction par Edith Bernier, dans Grosse, et puis ?).

Pourquoi on ne voit que très peu de professeur·e·s gros·ses ?

  • Comme nous le disions précédemment, il y a un lien entre personnes grosses et personnes précaires. Et, de nombreuses études ont montré que les personnes précaires s’arrêtent souvent assez tôt dans les études. Ce qui peut expliquer une partie du manque de représentation des personnes grosses dans le professorat. Pour aller plus loin, vous pouvez vous tourner vers la théorie de la reproduction sociale développée par Pierre Bourdieu. 

    Il y aussi probablement une part de prophétie auto-réalisatrice. Il existe un cliché comme quoi les personnes gros·ses seraient bêtes, et qui est lié au fait que la grosseur serait une maladie de la volonté. A force de devoir faire face à ce cliché, peut-être que certaines personnes l’ont intériorisé et s’auto-sabotent, ce qui pourrait peut-être expliquer qu’il y ait moins de personnes grosses dans les études supérieures, parce qu’une partie s’arrêterait plus tôt. 

    Le harcèlement grossophobe que peuvent vivre les personnes grosses peut aussi jouer dans ce phénomène. Le harcèlement peut entraîner une phobie scolaire, des anxiétés sociales, un manque de confiance en soi, qui peuvent venir impacter la réalisation des études supérieures. L’école est un endroit qui peut être très compliqué pour les personnes grosses.

Comment utiliser le mot “gros·se” en milieu scolaire, alors qu’il s’agit, pour l’instant, d’une utilisation très politique ?

l vaut mieux vaut bannir l’utilisation des mots “rond”, “voluptueux”, etc. Ce sont des termes qui ont tendance à vouloir arrondir les angles, et sont souvent assez agaçants à entendre.

Les termes médicalisants sont aussi à éviter, dans la mesure du possible (surpoids, obésité, etc.). D’autant plus que l’expression “sur-poids” sous-entendrait qu’il y aurait un poids, un sous-poids et un sur-poids.

Il n’y a pas vraiment de réponse idéale, le débat existe même au sein des milieux militants. Il est également toujours compliqué de s’entendre dire que l’on est gros·se lorsqu’on n’est pas sensibilisé·e à l’utilisation de ce vocabulaire. Et sur des populations jeunes, le mot “gros·se” peut faire des dégâts puisqu’il a encore une connotation négative

Si l’occasion d’en discuter avec les élèves se présente, il peut être judicieux d’ouvrir la discussion avec une question du type “comment préférez-vous qu’on qualifie les personnes grosses ?”. Peut-être qu’un débat très intéressant sur le vocabulaire s’ouvrira. Lors de cette discussion vous pouvez tout à fait préciser qu’il y a des personnes qui ne voient aucun souci à l’utilisation de l’adjectif “gros·se” pour se désigner, comme on pourrait utiliser “brun·e”, ou “grand·e”. Ce temps de discussion peut aussi permettre de sensibiliser les élèves à la question de la grossophobie.

Comment réagir face à l’infirmièr·e scolaire qui conseille un rééquilibrage alimentaire à des élèves ?

Déjà, il est possible de commencer par lui rappeler que l’expression “rééquilibrage alimentaire” n’est que la nouvelle expression pour parler de régimes, et que 95% des régimes sont des échecs

Il est dangereux de mettre un·e enfant / adolescent·e au régime, puisqu’iel n’a pas fini sa croissance, et que ces restrictions alimentaires peuvent amener des carences, mais peuvent aussi être la porte ouverte aux troubles du comportement alimentaire (TCA). Selon le Ministère des Solidarités et de la Santé, les TCA concernent environ 600 000 adolescent·e·s et jeunes adultes entre 12 et 35 ans dont 90% de jeunes filles ou de femmes. Il y a également une prévalence des tentatives de suicide chez les personnes qui développent ce genre de troubles.

Le régime, ou rééquilibrage alimentaire, n’est pas la solution. La prise, ou la perte de poids n’est souvent que le symptôme de quelque chose d’autre et n’est pas révélateur de l’état de santé. Le rôle de l’infirmière scolaire, dans ce cas là, aurait été, si iel avait été formé à la question de la grossophobie, d’aller chercher plus loin que seulement le changement de poids.

Il est également possible renvoyer lea professionnel·le de la santé en milieu scolaire vers les ressources que nous avons produites, et notamment :

  • Quels conseils donneriez-vous à des jeunes filles pour ne pas subir le body-shaming, toutes les remarques liées à leurs corps ou la pression de la norme ?

C’est un travail de longue haleine, on ne se réveille pas un matin en ayant plus rien à faire de ce genre de remarques. L’expérience et l’âge te permettent de t’endurcir. 

Mais il est important de ne pas laisser passer ce genre de remarques, et de ne pas banaliser ce genre de discours

Si la personne concernée n’a pas l’énergie, il faudrait qu’elle puisse s’appuyer sur une personne soutien, sur un·e allié·e. Si on n’est pas concerné·e il est important de prendre la liberté d’agir dans ces cas-là protéger, sensibiliser, rassurerFaire communauté et solidarité est important, et permet de faire face plus facilement à la grossophobie et au body-shaming. 

Déconstruire sa grossophobie intériorisée peut aussi être une étape importante, puisque celle-ci peut nous rendre plus vulnérable face à ces attaques. Être bienveillant·e avec soi-même est la clé. Dans tous les cas, il ne faut surtout pas laisser passer les propos et les actes grossophobes, et stigmatisants.

Queer avec un Gros Q, en quoi la grosseur est un enjeu queer et féministe

Queer avec un Gros Q, en quoi la grosseur est un enjeu queer et féministe ?

Traduction d'un article de Anna Mollow

Peu après la prise de fonctions de Barack Obama en 2009, la première dame Michelle Obama a lancé une campagne nationale d’amincissement intitulée « Let’s Move! » (« Bougeons ! ») et, par là même, une nouvelle escalade de la « guerre contre l’obésité » déjà profondément enracinée aux États-Unis, semblant surfer sur les thèmes de campagne de son mari, l’espoir et le changement, tout en favorisant nettement le secteur de la perte de poids qui représente 60 milliards de dollars par an dans le pays. 

Tout comme lors des guerres métaphoriques précédentes (contre les drogues et le terrorisme), dans ce combat contre la grosseur, il est difficile de distinguer les héros des ennemis ou, selon les termes rendus célèbres par l’émission de télé-réalité The Biggest Loser, aussi brutale que populaire, de distinguer les grands gagnants des « grands perdants ». Celles et ceux qui poursuivent le combat dans la guerre contre « l’obésité » font parfois preuve d’ambiguïté quant à ce qui (les kilos ?) ou qui (les personnes grosses vues à la télé en train de manger des frites ?) en constituent les cibles. « Détester le péché mais aimer le pécheur » pourrait être le cri de ralliement du combat de l’Amérique contre le vice présumé qu’est la grosseur. Cibles constantes de moqueries, emblèmes pratiques de la « mauvaise santé » et du manque de contrôle, épouvantails d’un avenir dont il faut préserver nos enfants : les personnes grosses sont-elles ce que les personnes queers étaient pour la génération précédente ?

Depuis la création de The Fat Underground en 1973 par les féministes radicales Judy Freespirit et Aldebaran, les militant·es gros·ses s’efforcent de mettre en lumière la nature inséparable de l’homophobie et de la grossophobie. De nos jours, une communauté grosse et queer dynamique met au premier plan cette même intersection. Mais les communautés queers dans leur ensemble n’ont pas encore épousé la cause de la libération des personnes grosses. « Je n’ai pas l’impression qu’en général, l’attitude des gays et lesbiennes quant à la corpulence permet aux personnes grosses de se sentir acceptées, » note la militante grosse et queer Julia McCrossin.

Elle donne en exemple les programmes de perte de poids promus par le Mautner Project (l’organisation nationale lesbienne pour la santé), qui reposent sur la croyance qu’il est mauvais pour la santé d’être gros·se. Il s’agit du premier parallèle entre l’oppression des personnes grosses et l’homophobie : la présomption largement partagée qu’il est question d’une affection dangereuse.

En 1966, le magazine Time décrivait l’homosexualité comme une « maladie pernicieuse ». Aujourd’hui, « une épidémie mortelle » est le cliché le plus courant pour parler d’« obésité ». Les termes « obèse » et « en surpoids », privilégiés par un corps médical qui reçoit de généreuses dotations de la part du secteur pharmaceutique (qui fabrique des médicaments visant la perte de poids) et du secteur des régimes (qui finance la majeure partie des grandes études sur l’« obésité »), et qui a lui-même tout intérêt à pathologiser la grosseur (la chirurgie bariatrique est une affaire de gros sous), donnent l’impression qu’un poids supérieur à la moyenne constitue une maladie. Mais la corrélation entre corpulence et santé est en fait minime. Les risques liés à l’« obésité morbide » ne sont pas plus élevés que ceux liés au fait d’être de sexe masculin, et les personnes « en surpoids » vivent plus longtemps que les personnes de poids « normal ». De plus, l’idée que la grosseur représente un risque pour la santé passe outre un principe élémentaire de l’analyse statistique : corrélation n’est pas causalité. Les petites différences d’espérance de vie entre les personnes de corpulence moyenne et les personnes très grosses ne sont probablement pas dues au poids lui-même, mais plutôt à des facteurs liés à la grosseur : stigmatisation sociale, discrimination économique, ainsi que les effets néfastes des régimes restrictifs et des médicaments visant la perte de poids.

Les conservateurs mettent l’« épidémie d’obésité » dont parlent tant les médias sur le compte d’un manque de volonté individuel, tandis que les libéraux accusent les fast-foods, les repas scolaires riches en calories et les emplois sédentaires. Mais il est peu probable que l’un ou l’autre de ces facteurs soit responsable de notre grosseur. Après tout, les personnes minces regardent la télévision et mangent à McDo elles aussi, et il n’a jamais été prouvé que les personnes grosses consomment plus de calories, ou plus de « junk food », que les autres. Et comme de nombreux livres de qualité l’ont démontré (voir The Diet Myth de Paul Campos et Rethinking Thin de Gina Kolata pour des explications détaillées sur quelques-unes des informations scientifiques présentées dans cet article), nous ne sommes pas au beau milieu d’une « épidémie » de grosseur. Depuis 1990, les Américain·es ont pris, en moyenne, environ 7 kg. Il n’y a guère de quoi s’alarmer, d’autant plus que cette augmentation modeste de notre corpulence collective peut être une bonne chose : une diminution du tabagisme pourrait être l’une de ses causes (arrêter de fumer donne généralement lieu à une prise de poids), tout comme la popularité grandissante de la musculation sous diverses formes (les statistiques sur l’« obésité » sont basées sur l’IMC, qui classe Matt Damon parmi les personnes « en surpoids » et Tom Cruise dans les « obèses »).

La grosseur n’est pas non plus un « style de vie », un qualificatif que les conservateurs emploient souvent à propos de l’homosexualité. La corpulence est avant tout déterminée par la génétique, et si les régimes et programmes d’exercice physique peuvent donner lieu à une perte de poids à court terme, ils ont un taux d’échec de 95 % à long terme. Pourtant, comme les personnes queers vivant avec le VIH ou le SIDA, les personnes grosses sont stigmatisées pour un état de santé dont elles sont tenues pour responsables. Elles font l’objet d’intimidations de la part de conservateurs comme Mike Huckabee, de moqueries de la part de libéraux comme Jon Stewart (à qui il ne viendrait évidemment pas à l’idée de plaisanter sur le dos des lesbiennes ou des gays), de sermons sur leur poids de la part des professionnels de santé, et subissent en plus un déluge de publicités promettant de « soigner » leur prétendu problème.

Ça vous rappelle quelque chose ? Les tentatives menées par la psychiatrie pour soigner l’homosexualité, peut-être ? Les inquiétudes de notre culture quant à l’« épidémie d’obésité », sa promotion d’un régime révolutionnaire ou produit miracle après l’autre, et son intimidation moraliste de celleux qu’elle estime « trop gros·ses » sont aussi propices à la haine de soi que le sont les « thérapies de conversion » visant les personnes queers. Mais alors que les dangereuses thérapies de conversion que les fondamentalistes religieux pratiquent sur les personnes LGBTQ sont à juste titre la cible de contestations politiques et d’interventions de la justice, l’utilisation de thérapies de conversion pondérales approuvées par le corps médical (autrement dit, les régimes) provoque bien moins de remous à gauche. « Let’s Move! », fait remarquer McCrossin, est en fin de compte « une thérapie de conversion, dans une version visant les personnes grosses, sponsorisée par le gouvernement et ciblant les enfants ». Si nous interdisons l’utilisation des thérapies de conversion sur les enfants (une pratique désormais condamnée par l’Association américaine de psychiatrie), pourquoi imposons-nous donc des programmes semblables aux enfants gros, exposant des adolescents, comme on l’a vu récemment, à l’humiliation et aux risques pour la santé qu’implique la compétition pour le titre du « plus grand perdant » ?

Notre psyché collective aurait-elle besoin d’un bouc émissaire ? Les personnes LGBTQ commencent à obtenir une certaine légitimité, alors peut-être faut-il leur trouver des remplaçants, et les personnes grosses (ainsi que d’autres personnes « marginales », comme les musulman·es, les immigrant·es, les sans-abri et les fol·les) font parfaitement l’affaire. S’il existe en nous toustes un besoin psychique profondément ancré qui nous pousse à faire d’un « autre » marginalisé l’objet de notre colère et de nos insatisfactions, alors comment pouvons-nous résister à l’envie d’obéir à cette pulsion ? Ce sont des questions que nous devrions nous poser ; mais au lieu de cela, il semblerait que nous préférions nous lancer dans des discours psychologisants quant à l’incapacité supposée des personnes grosses à résister à leurs envies. Nous parlons avec assurance des causes de la suralimentation (qui concerne forcément les personnes grosses, supposons-nous) : « manger ses émotions », l’« addiction à la nourriture », la grosseur comme « bouclier » face à une sexualité « normale », la nourriture en guise de « substitut à l’amour ».

Ces explications dignes de psychologues de comptoir sont aussi spécieuses que les théories que l’on entendait autrefois sur les « mères dominatrices » et les « pères absents » comme causes de l’homosexualité masculine, ou les « mauvaises expériences avec les hommes » comme prérequis au lesbianisme. Et pourtant, elles font figure de vérités généralement acceptées, même parmi les militant·es féministes et queers. Le poids, on le sait depuis longtemps, est un enjeu féministe ; mais le best-seller éponyme de Susie Orbach (1978, traduit en français en 2017) offre une thèse franchement grossophobe, incitant ses lecteur·ices à réussir une « perte de poids permanente » en apprenant à « régler [leur] compulsion alimentaire ». Læ théoricien·ne queer Lauren Berlant contribue également à la dévalorisation de la grosseur (et peut-être, par mégarde, aux préjugés racistes et classistes) en s’inquiétant des « sous-prolétaires américain·es » et personnes racisé·es qui succombent à une « mort lente » due à l’obésité.

La mort, lente ou rapide, est ce qui nous fait vraiment peur lorsque nous faisons une fixation sur l’« épidémie d’obésité ». Comme l’a écrit Leonard Pitts, chroniqueur progressiste soutenant la cause homo : « nous sommes une nation de gros lards qui se dandinent vers leur perte ». C’est non seulement cruel, mais factuellement inexact : les Américains n’ont jamais vécu aussi longtemps. Cependant, la remarque de Pitts est intéressante car elle clarifie la fonction que le concept d’obésité occupe dans notre culture actuelle. L’obésité et l’homosexualité se ressemblent et se recoupent, les deux termes permettant aux Américain·es de parler par procuration de leurs angoisses à propos de la mort, du handicap et de la maladie. Dès qu’il est question du SIDA, les commentateurs conservateurs dénoncent la « maladie » de l’homosexualité et qualifient l’homosexualité masculine de « culture de la mort ». Si l’on en croit la droite, les sexualités queers représentent une menace pour nos enfants, un risque pour la sécurité nationale et un fléau pour notre avenir. On retrouve le même genre de discours lorsque l’on parle d’« obésité », à gauche comme à droite : les personnes grosses sont accusées de « mourir de trop manger », d’affaiblir notre armée, de surcharger notre système de santé et de favoriser la maladie chez les enfants.

De toute évidence, les revendications homophobes sont indissociables de la peur et de la haine envers les personnes grosses dans notre culture. L’injure « grosse gouine », qui sert à maintenir sous contrôle des femmes de toutes corpulences et orientations sexuelles, est un parfait exemple des intersections profondément enracinées entre grossophobie et homophobie. Le fait est qu’une nouvelle étude, financée au niveau fédéral, cherche à déterminer pourquoi les femmes et jeunes filles lesbiennes et bisexuelles font partie des populations « les plus durement touchées » par l’« épidémie d’obésité ».

Les femmes queers ne sont pas le premier groupe à faire l’objet de ce genre d’attention : les niveaux disproportionnés d’« obésité » parmi les populations latinx et afrodescendantes sont aussi ciblés par différentes interventions de santé publique depuis des décennies. Dans le chapitre qu’elle a rédigé dans The Fat Studies Reader (2009), Bianca D. M. Wilson décrit ce qu’elle ressent en entendant des déclarations sur le thème « c’est mal d’être gros » appliqués aux communautés auxquelles elle appartient : « Cela me rappelle que j’appartiens aux “populations cibles”, les personnes noires et grosses ou lesbiennes… Leur discours sur ma mort prématurée et imminente en raison de ma corpulence se juxtapose à mes expériences et mon travail au sein des communautés noires homosexuelles, ce qui démontre qu’il existe des ennemis bien plus dangereux pour la santé et le bien-être des femmes noires lesbiennes et bisexuelles que la graisse de notre corps, comme la violence, la pauvreté et l’oppression psychologique. » 

Les programmes anti-obésité à destination des personnes racisées et des femmes queers ne peuvent qu’exacerber les problèmes évoqués par Wilson : en renforçant les préjugés grossophobes, ils exposent ces groupes à davantage de violence, de discrimination économique et d’hostilité de la part de la culture dominante. Comme le fait remarquer Margarita Rossi, une militante grosse, queer et latina, dans une interview avec Julia Horel de Shameless Magazine : « la grossophobie sert souvent de prétexte au racisme, et inversement ».

En tant que militant·es antiracistes, féministes et queers, nous devons faire de la libération des personnes grosses un aspect central de notre travail ; nous devons rejeter de façon explicite et sans équivoque l’idée que la corpulence est un « choix de vie » qui peut ou devrait être changé. Et ne nous y trompons pas : il est dans l’intérêt de toustes, quelle que soit notre corpulence, de devenir les allié·es des personnes grosses. Je suis une femme mince, et pourtant, ma vie me donne bien des raisons de combattre l’oppression des personnes grosses. Comme la plupart des femmes, j’ai passé des années terrorisée à l’idée d’être ou de devenir « trop grosse » (ce n’est pas une coïncidence si pendant ces mêmes années, j’avais aussi très peur d’être ou de devenir lesbienne). Ma compagne (et future épouse) est une femme grosse. La vie avec une maladie chronique souvent considérée comme « psychosomatique » m’a appris ce que c’est que de se voir reprocher une condition physique sur laquelle je n’ai absolument pas prise. Un jour, je serai peut-être grosse, moi aussi. Et j’en ai assez des oppressions de toutes sortes : je refuse de participer à la maltraitance d’un groupe entier de personnes sous le simple prétexte que leur apparence ne correspond pas aux idéaux hégémoniques de la « normalité ».

La guerre contre la grosseur, tout comme les tentatives visant à « guérir », « convertir » ou « réparer » les sexualités queers, va échouer. Tout comme (et nous devons nous en assurer) la guerre contre les personnes grosses. Si vous voulez dire que vous étiez du bon côté de ce combat quand la libération des personnes grosses deviendra mainstream (ce qui arrivera tôt ou tard), les possibilités ne manquent pas. Pour commencer, arrêtez les régimes. (Et si vous dites que vous n’êtes pas au régime mais que vous adoptez simplement une « façon de manger plus saine », demandez-vous si vous continueriez à respecter ces restrictions alimentaires si vous saviez qu’elles allaient vous permettre d’être en meilleure santé, mais avec 20 kg de plus.) Évitez tout discours ayant trait aux régimes : prenez conscience que des remarques comme « il faudra que j’en fasse plus à la salle demain pour évacuer ces calories » ou « est-ce que j’ai l’air grosse avec ce pantalon ? » sont aussi problématiques que les craintes que certains vêtements ou accessoires risquent de vous donner l’air queer. Au lieu de complimenter les gens avec des adjectifs comme « menu·e », « mince » ou « svelte », trouvez d’autres aspects qui méritent vos éloges. Faites disparaître les mots « obèse » et « en surpoids » de votre vocabulaire, et remplacez-les par « gros·se », tout simplement.

Commencez à regarder les personnes grosses d’un œil nouveau ; vous remarquerez qu’elles sont aussi belles et sexy que n’importe qui d’autre. Si jusqu’ici, vous aviez exclu les personnes grosses de vos partenaires sexuel·les potentiel·les, incluez-les et excluez plutôt les grossophobes. Partez à la découverte de la blogosphère grosse (ou la « Fat-O-Sphere », comme l’appellent Kate Harding et la contributrice au magazine Bitch Marianne Kirby dans leur fabuleux guide anti-régimes). Profitez des réflexions de Tasha Fierce sur la race, le sexe et la mode grande taille sur son blog, et renseignez-vous sur les avantages immérités de la minceur sur This Is Thin Privilege. Rejoignez un groupe qui lutte à la fois contre le racisme, la grossophobie et les LGBTQphobies (comme NOLOSE ou It Gets Fatter). Soutenez la campagne « I stand against weight bullying » qui conteste le harcèlement des enfants gros validé par le gouvernement. Mangez un cookie. Ou de la tarte. Oubliez la « culpabilité ». Et faites passer le mot : beaucoup de gens n’ont jamais entendu parler de la grossophobie ou de la libération des personnes grosses, mais une fois qu’iels seront au courant, iels sauront, comme vous, ce qu’il faut faire pour arranger les choses. 

Article, publié le 10 mai 2013, disponible en version originale : cliquez ici.

Photo featuring plus-size model by Michael Poley of Poley Creative for AllGo, publisher of free stock photos featuring plus-size people.

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Transcription du podcast “C’est compliqué – Corps gros, séduction et sexualité” publié sur Slate Audio

Photo par @teresasuarezphoto lors de l’enregistrement du podcast.

Lors du Très Gros Festival, qui a eu lieu le 28 août au Wonderland à Paris, nous avons eu l’occasion d’enregistrer deux podcasts « C’est compliqué » animés par Lucile Bellan et publiés sur Slate Audio. Pour le deuxième podcast, “Corps gros, séduction et sexualité” nous avions invité·e·s autour de la table Kiyémis, autrice, poétesse et afro-féministe, Marie de Brauer, journaliste et autrice du documentaire “La Grosse vie de Marie” et Nicolas Maalouly, président de l’association les Ours de Paris, association d’hommes gays et gros, et de leurs amis.

Vous pouvez écouter le podcast sur le site de Slate Audio : cliquez ici.

Dans un soucis d’accessibilité, nous avons fait appel à quelqu’un pour transcrire ces podcasts à l’écrit. Merci à Ploutre, @ploutre_ sur Twitter, de nous avoir transcrit ces podcasts. N’hésitez pas à faire appel à elle pour des missions de transcription.


Gras Politique

Slate Podcasts

C’est compliqué

Corps gros, séduction et sexualité

http://www.slate.fr/audio/cest-complique/très-gros-festival-corps-gros-seduction-sexualite-81

55’42

Transcription par @ploutre_


[Générique Slate Podcasts]

Lucile : Et bien bonsoir ou bonjour selon le moment où vous écoutez ce podcast, nous c’est le soir. Bonsoir à toutes et à tous, merci d’être là pour l’enregistrement de cet épisode hors-série du podcast C’est Compliqué. Nous sommes au Wonderland pour le Très Gros Festival organisé par Gras Politique [applaudissements et wouhous]. Je suis Lucile Bellan et j’ai avec moi autour de la table Kiyémis, autrice, militante afroféministe et poétesse.

Kiyémis : Bonsoir !

Lucile : Nicolas…

Nicolas : C’est moi !

Lucile : Président des Ours de Paris. [applaudissements]

Nicolas : Mon public. [rires]

Lucile : Et Marie de Brauer, créatrice de contenus sur internet et autrice du documentaire La Grosse vie de Marie.

Marie : Bonsoir ! [applaudissements]

Lucile : Alors là dans cet épisode on va parler de sexualité.

Marie : Brrrah ! [rires] Non je plaisante.

Lucile : On va parler de dating et de sexualité en particulier. On va commencer par le dating parce que c’est plus logique dans ce sens là, quand même.

Marie : Ah bon ?

Kiyémis : Quoique, oui j’allais dire… [rires]

Lucile : D’abord on rencontre les gens [rires]. Est-ce que ça existe des endroits de dating safe pour les personnes grosses ?

Nicolas : En tout cas, nous pour les ours on en a trouvé. Je pense que c’est important de draguer, sur des applis safes qui sont faites pour les ours par les ours et pour les gens qui aiment les ours. Nous il y a quelques années, on avait Bear W, aujourd’hui il y a encore plus d’applications comme GROWLr ou Scruff, qui sont des applications qui sont effectivement safe, où quand on y va on ne va pas nous dire « non, je ne cherche pas de gros » – on va en tout cas moins lire « pas de gros » ou des choses comme ça. C’est important de draguer sur les applis, de trouver ces applis là où on se sent un peu en sécurité parce que ça va donner un peu plus de sécurité et de confiance en soi. Ce qui est quelque chose qui manque beaucoup parce qu’on nous a dit pendant des années « non, tu es moche, tu ne plairas jamais, tu ne trouveras personne »… On a toujours imaginé ça, donc il y a un moment il faut chercher cela et le trouver. Et avoir confiance en soi aussi pour recevoir cette…

Lucile : Mais donc c’est pas des espaces mainstream ? On est sur des espaces spécialisés ?

Nicolas : C’est effectivement des espaces spécialisés, oui.

Lucile : Parce qu’il existe des espaces spécialisés pour les femmes grosses en particulier, mais c’est plus pour les mettre en relation avec des mecs qui les fétichisent.

Marie : C’est ça. Moi je suis une meuf hétéro – Marie de Brauer, bonjour [rires] – et j’ai donc pas mal pratiqué les applications de rencontre. « Existe-t-il un espace safe ? », j’ai envie de vous dire “Non”. C’est mon expérience personnelle.

Lucile : Mais du coup comment tu fais ?

Marie : Eh bien j’ai une vie amoureuse et sexuelle pas ouf [rires] si vous voulez tout savoir. Donc s’il y a des hommes sympas…

Kiyémis : Helloo… ! [rires]

Marie : … qui veulent slider dans mes DM ! [rires et applaudissements] Bon ça va, ça va mettre mal à l’aise tout le monde. Ce qu’il s’est passé, c’est que pendant longtemps j’ai quand même essayé : comme c’est des applications hyper mainstream, il y a tout le monde. S’il y a moi dessus c’est qu’il y a d’autres gens sympas c’est sûr – je me considère comme quelqu’un de sympa – j’ai des potes qui sont sympas et qui sont dessus, j’ai fait des chouettes rencontres quand même. Quand on est une femme sur ces applis il y a une vague de gens, il y a vraiment énormément de likes. Peu importe à quoi on ressemble, il y a des gens qui likent… et bien il faut faire le tri. Donc sur 10 mecs qui m’ont liké, il va y avoir 5 « salut, ça va ? » et peut-être un « eh la grosse là elle doit bien sucer vu qu’elle est grosse » – et t’es là… « bonjouuur, bonjour bonjour, enchantée ».

Lucile : Kiyémis, ton expérience ?

Kiyémis : Mon expérience est un peu similaire, pour ceux qui ne me connaissent pas je cumule le fait d’être grosse et le fait d’être noire.

Nicolas : Bonsoir !

Kiyémis : Bonsoir ! [rires] Et d’être femme évidemment. Donc non, il n’y a pas du tout d’appli, en tout cas moi je n’en connais pas. Celles et ceux qui en connaissent qu’ils le disent s’il vous plaît ! J’étais sur les applis classiques style « Adopte un mec », « OK Cupid » – et j’ai pas fait Tinder je crois. Non il y a pas d’appli safe. Ce que je faisais, ce qui est je pense quelque chose à double tranchant, c’est que je disais – ça se voit que je suis grosse – mais je précisais quand même « si t’as peur des grosses, ce n’est pas ici, voici la sortie ». Je le précisais dans mon profil parce que je pense que je considérais que c’était une forme de protection que je proposais, parce que je n’étais pas prête à gérer un potentiel rejet ou une potentielle remarque. C’est à double tranchant parce que t’as sûrement pas de mec qui sont dans le délire « pas de grosse », par contre il y a des mecs qui vont te dire soit « j’ai jamais fait une femme noire » – bon OK, qu’est ce que je suis censée faire, là, je suis pas une pizza – ou soit cette hyper-fétichisation : « t’es une femme grosse, donc tu dois bien sucer », et surtout limite « tu dois me sucer en secret ». Je pense qu’on va peut-être aborder ça à un autre moment mais voilà, pas d’appli safe non.

Lucile : Comment on se protège de cette fétichisation-là ? Il n’y a aucun moyen ? Est-ce qu’on peut en profiter aussi ?

Marie : Est-ce qu’on peut en profiter, je ne suis pas certaine parce que c’est pas ouf pour l’estime de soi. C’est vrai que cette fétichisation – c’est peut-être un peu précis tout de suite – je l’ai mal vécue parce que je me suis mise dans la position : « ah du coup c’est des gens qui veulent bien de moi, donc c’est déjà ça ».

Kiyémis : Mh mh [d’approbation].

Marie : C’est horrible de construire sa sexualité à 17 piges basé sur ça, et ça a été un long taf de déconstruction pour arrêter de penser que « c’est quand même déjà pas mal, il bande, putain c’est fou quoi, woouh » [rires de Kiyémis] Non. Du coup, est-ce que j’en ai profité parce que je consommais une sexualité en mode « OK, je me prouve que je peux désirer » – enfin que « je peux être désirée » ? Je pense que pour moi ça a été plus l’inverse : ça a été plus négatif qu’autre chose.

Nicolas : Je pense qu’il y a un moment où on passe du « gros qui ne plaît pas, qui n’a pas de succès » sur des applis comme ça, à quelqu’un qui va avoir beaucoup de succès, donc ça peut être grisant. Mais il y a un moment, il faut aussi savoir si on est aimé pour soi, pour son gras, pour sa personnalité… et il faut pouvoir sélectionner. Nous en tant que personnes LGBT, on a longtemps cherché les espaces safes, et c’est pour ça qu’on se retrouve entre nous dans ce qu’on appelle le communautarisme, parce que ce sont des endroits où on est à l’aise. Du coup, entre personnes PD grosses qui sommes déjà en marge – une marge dans la marge – on s’est retrouvés entre nous, on a créé des lieux pour ça, et on a cherché. On s’est toujours dit « il faut qu’on soit aimé malgré le fait qu’on soit gros », et on le dit toujours. Je pense qu’il y a un moment dans la vie où il faut se dire « je peux aussi être aimé pour ça et c’est pas grave », ça peut faire avancer les choses. Arrêter de se dire qu’il faut être aimé malgré le fait qu’on soit gros, donc être le rigolo, être le ci, le ça : on n’est pas toujours considéré comme sexy ou sexuel. D’un coup, retrouver une image sexuelle de soi peut faire du bien. On peut y trouver quelque chose pendant un moment, mais il faut aussi passer au-delà de ça : passer à la réalité, à de vraies rencontres. Il n’y a pas que internet et la drague qui est consumée comme ça, et forcément cela facilite des rejets rapides, des phrases chocs : c’est facile d’écrire “grosse” ou “gros”.

Lucile : Vous parliez tout à l’heure du côté caché, est-ce vraiment une composante – pour les personnes qui fétichisent les personnes grosses, en particulier via les applis – de dire « tu es ma personne grosse mais cachée » ? Mon plan cul gros ?

Kiyémis : Moi ça ne m’est pas arrivé qu’on le formule comme ça. Je pense qu’il y a plusieurs choses. Pendant très longtemps, j’étais dans un groupe d’ami·e·s ou j’étais la meuf grosse. J’étais une des meufs noires – on était pas beaucoup – et en plus j’étais la meuf grosse. Déjà, il y a une différence entre les expériences des meufs qui sont minces, qui étaient blanches en plus, un peu plus dans la norme ; et ta propre expérience de meuf grosse. Parfois, ça commence par « il n’y a rien », comme tu disais tout à l’heure.

Ensuite, j’ai vécu la même chose : tu rentres dans un monde tu te dis « ah mais en fait je suis bonasse moi aussi ! » – en clair « j’ai envie de baiser » – donc tu te modèles pour recevoir une validation. En tout cas c’est ce que j’ai fait. Ensuite au bout d’un moment, j’ai constaté que des femmes qui étaient plus dans la norme – minces, blanches, les cheveux très longs, etc. – avaient des aventures qui étaient quand même très particulières. Souvent elles avaient des mecs, les mecs sortaient avec, elles allaient à l’extérieur, etc. Les expériences que j’ai eu, peut-être du fait que c’était beaucoup de dating au début, étaient un peu différentes. J’ai eu aussi des mecs mais c’était moins systématique, donc je me disais « ah mais attends c’est marrant ». C’est aussi le moment où j’ai commencé à être avec des amies femmes grosses non-blanches et blanches qui disaient aussi « ah c’est marrant il a une meuf », « c’est marrant on sort pas trop », « je vois pas ses potes ». Il m’est arrivé plus souvent qu’on me propose des situations où ce n’était pas « on va dans un bar ». Je dis pas que les femmes minces ne vivent pas aussi ces situations – il y a des mecs qui te disent « on va direct chez moi » – mais j’ai eu cette impression, aussi en discutant avec d’autres meufs grosses qui ont eu la même expérience, de rencontres qui devaient être cachées.

Marie : Le fameux lundi soir entre 19h et 23h, quand il pleut quoi.

Kiyémis : C’est bizarre parce que, bon chacun a sa libido, mais c’est un vrai problème quand tu es dans une situation où tu n’as pas envie de te faire fétichiser et on te dit « ah t’es noire » – parce qu’il y a beaucoup de fantasmes liés aux femmes noires qui ont des formes. On ne sexualise pas le ventre : il y a des formes qui sont sexualisées spécifiquement, d’ailleurs c’est à la base de la grossophobie. Mais c’est pas le même respect ! J’ai envie de nuancer parce que je sais que le patriarcat touche aussi les femmes minces, mais je pense qu’il y a vraiment une expérience spécifique d’être dans un monde qu’ils considèrent à l’opposé du canon de beauté : tu n’es pas mince, pas blanche, pas toute petite, pas toute frêle – bon je suis un peu grande gueule aussi donc ça aide pas. Les réactions des mecs étaient… certains qui étaient vraiment dans la norme, pour le coup, ne m’ont jamais proposé de voir leurs potes par exemple. Pourquoi ?

Nicolas : Effectivement, j’ai eu un amant régulier, au départ on ne se pose pas trop de questions mais à un moment il me l’a formulé clairement : « je ne veux pas être vu avec une personne grosse, je ne veux pas être vu dans la rue avec toi ». Pourtant il était souvent chez moi, on baisait beaucoup et je lui plaisais manifestement. Mais on ne sortait jamais, et à partir du moment où il l’a formulé, pour moi c’était un élément de non-retour. Quand il m’a dit « non je ne veux pas être vu avec une personne grosse » j’ai trouvé ça vraiment… à partir du moment où on s’aime, c’est une situation qui ne peut pas être… c’est étonnant à entendre. Pour quelqu’un que tu vois plusieurs fois, assez souvent…

Lucile : Étonnant et douloureux.

Marie : Et c’est violent quoi !

Nicolas : Et c’est quelqu’un qui m’a dragué, pas l’inverse. Du coup c’est très étonnant à entendre – il y a des gens qui disent ça comme si c’était pas grave de le dire. Ils ne se rendent pas compte de la grossophobie qu’il peut y avoir là-dedans, de dire « non je ne veux pas être vu avec toi dans la rue » et pourtant…

Lucile : « J’assumerai pas d’être avec toi », en fait.

Marie : C’est hyper violent de le verbaliser. Ce n’est pas forcément verbalisé, moi j’ai plus d’expériences de constat. Je constate que la rue : non, l’intérieur : oui. Mais il y a quand même une expression ignoble qui dit « une femme grosse on est bien dedans, mais on sort pas avec, c’est comme les pantoufles », machin…

Lucile : C’est horrible !

Marie : Je l’ai mal dit je la refait ! S’il vous plaît, je la refait, ne riez pas : « une femme grosse c’est comme les pantoufles, on est bien dedans mais on sort pas avec ». C’est pas horrible ? Si, dites oui ! [rires]

Kiyémis : La violence. C’est totalement horrible [rires].

Lucile : C’est atroce mais comme beaucoup de blagues atroces, parfois un peu dans la réalité. La question des sites de dating safe, on va y revenir, mais tu disais que pour les bear il y avait des choses spécifiques intra-communautaires qui étaient faites. Je pose la question, c’est juste entre personnes grosses ? On est pas obligé d’être forcément attiré par des personnes qui ont exactement le même physique que soi… enfin j’imagine.

Nicolas : Oui, enfin – ça va te donner un indice sur mon âge – moi j’ai commencé à draguer sur le minitel et forcément je débarquais chez les gens [rires] et oui, et oui… Je débarquais chez les gens (on ne s’échangeait pas de photos, on ne voyait pas les gens) et il y a eu des cas où on ouvrait la porte et la personne te regardait et disait « non ça va pas le faire ». Aujourd’hui, sur une appli, on va pouvoir se montrer, on va voir qui on est – c’est vrai que souvent les ours aiment bien les ours et être avec des ours – ça créé un endroit où on va pouvoir enlever son t-shirt ou sa chemise dans une soirée sans que ce soit un problème. On ne va pas se poser des questions pendant des heures en se disant « putain j’ai un bourrelet, j’ai un gros bide, etc. ».

Il y a des gens qui aiment les ours, il y a des ours qui aiment les ours, dans tous les cas c’est un endroit où l’on essaye d’être bienveillant. On va être moins confrontés à de la violence, comme quand tu vas faire exprès de sortir dans un endroit où tu es sûre qu’on ne va pas t’embêter parce que tu es une femme, ou que tu es noire ou lesbienne. C’est des techniques de survie de trouver le juste moyen entre plaire, la réalité et les envies de sexualité. Les gros sont souvent sortis de la sexualité. Enfin, c’est les deux extrêmes : soit ils sont pas du tout sexualisés, par exemple j’ai mis beaucoup de temps pour avoir ma première relation sexuelle parce que comme j’étais gros, je n’étais pas du tout sexualisé. Je sortais dans le milieu PD et on me disait « pardon, ici c’est une soirée PD » parce que comme j’étais gros, je n’étais pas supposé être PD. J’étais obligé de dire « mais si pardon je suis quand même PD hein », ça m’est arrivé à l’entrée du Queen. Du coup c’est d’une extrême à l’autre : on est sexualisé ou on est pas sexualisés.

Il y a les applis et il y a aussi les endroits où on peut sortir. Les refus dans la vraie vie il y en a aussi, c’est moins violent. On peut rencontrer des gens sur des applis, quand on les rencontre dans les bars on reconnaît les gens, on a vu leur photo, il y a moyen de se dire juste “salut” et dédramatiser le truc de l’appli.

Lucile : Marie ?

Marie : Pour répondre à « on peut être une personne grosse qui n’est pas forcément attirée par des personnes grosses », je pense que de base, qu’on soit mince ou pas, qu’on soit gros ou pas, partir du postulat « les personnes grosses ne m’attirent pas » c’est problématique de ouf [applaudissements] parce que le désir ça se déconstruit. Par exemple (je vais prendre mon cas personnel), je sais que quand j’étais jeune, je n’étais pas attirée – c’est ce que je disais hein – par des mecs gros. Je ne m’étais jamais posé la question, juste « c’est comme ça ». Et en fait, après avoir travaillé là-dessus et avoir déconstruit des trucs, c’est parce que je voyais mon propre corps comme indésirable. Donc je n’allais pas trouver un corps similaire désirable puisque le mien ne me plaisait pas. Ensuite il y avait ce truc de représentation sociale : on allait pas être les deux gros qui se baladent main dans la main. Le désir ça se déconstruit. Alors, je veux bien, c’est le truc le plus intime qui est au fond de nous donc je ne crie pas sur tous mes potes qui ne datent que des personnes minces et blanches en leur disant « Vous êtes des cons ! » [rires] mais je le pense un peu.

Nicolas : T’as raison.

Marie : En vrai changer son regard c’est vraiment possible. Datez des gens gros, les gars, pas de galère hein !

Lucile : [rires] C’est un bon conseil. Kiyémis ? Tu as quelque chose à ajouter là-dessus ?

Kiyémis : Je suis tout à fait d’accord, il y a beaucoup de choses intéressantes à dire sur « le désir, ça se déconstruit ». Première chose c’est que moi, au contraire, j’étais attirée par les mecs gros. Mais c’est un truc de patriarcat : moi j’étais grosse donc un mec gros je me disait « il va pas se casser » ce qui est un peu… particulier parce qu’en fait aucun mec ne s’est cassé, que je sache. Mais il y avait un truc ou j’étais un peu rassurée de me dire « oh il a du bidou, c’est bon, je vais pouvoir faire des choses », je ne vais pas avoir peur. C’est particulier de se dire qu’avec son corps « tu peux casser quelqu’un », mais bon c’est un autre débat. Je pense que c’est un truc du patriarcat de me dire que j’étais attirée par les mecs gros – enfin, plus épais on va dire : épais en masse musculaire ou épais en grosseur – parce que je me disais « ah c’est bon je peux me mettre sur lui » en gros… je ne vous fait pas un dessin.

Ensuite sur la question du désir qui se déconstruit, c’est marrant parce que quand j’avais 16-17 ans (ce qui rétrospectivement est quand même jeune pour se le dire), je me disais « c’est mort j’attire personne dans mon bled paumé du 77, c’est mort pour moi ». Quand même à 17 ans se dire « c’est mort pour moi » c’est violent. J’allais à l’époque sur des sites, je ne sais pas si beaucoup de femmes grosses connaissent ce site « vive les rondes » [rires] – l’époque vive les rondes ! J’étais sur ce forum vive les rondes et je me souviens que j’essayais de poster mon message pour dire « oh là là, j’attire personne ». Donc je voulais un peu d’aide des femmes grosse de plus de 25 ans (maintenant c’est moi), qu’elles me disent « non mais t’inquiète ça va aller, tu vas attirer un mec un jour ». C’était intéressant parce que je voyais beaucoup de messages qui disaient « moi les mecs que j’attire c’est que des mecs arabes ou noirs ».

C’est marrant parce que c’était des autres meufs grosses qui disaient « en fait il y a un regard qu’on aime pas ». Il y a le regard masculin, le male gaze, mais il y avait aussi un coté « ouais mais c’est un certain type de regard qu’on veut aimer ». Ça m’a fait pensé à ce que tu dis, je pense que c’est important d’en parler : en tout cas moi dans les espaces de meufs grosses, j’ai beaucoup entendu des meufs – souvent des meufs blanches – qui disaient « moi j’attire que des mecs arabes et noirs » et moi j’étais là « mais hello ils sont où ? » [rires] moi je les vois pas trop sur moi en fait.

Je trouvais que c’était intéressant de déconstruire cette idée de la désirabilité, ce que c’est, genre tu es désirée par qui ? Quel désir est acceptable ? Comme tu le disais tout à l’heure, je ne dis pas que tout le monde doit sortir avec des mecs noirs ou arabes ou des meufs grosses. Maintenant c’est bon je pense que j’ai dépassé cette idée de « allez sortez avec moi !”, je sais que je suis canon donc il y en a qui vont sortir, il y en a qui vont… [wouhous et applaudissements] Mais vous l’êtes toutes et tous, ça va arriver ! Moi à 17 ans on m’a jamais dit un truc pareil mais c’est un autre débat. Mais je pense que c’est intéressant de se poser cette question de qui est-ce qu’on va attirer aussi ?

Lucile : Oui parce qu’il y a une question de l’ego là-dessus, à la fois de ce qu’on nous renvoie, de ce qu’on est prêts à entendre, prêt à accepter là-dessus ?

Kiyémis : Et qui valide ? Souvent, celui qui valide c’est un mec blanc, mince, hétéro et riche.

Lucile : Ils valident beaucoup de choses ces gens-là, on les entend beaucoup. [rires]

Kiyémis : Malheureusement.

Marie : C’est ça, avec le recul on se dit « Je me suis satisfait de si peu ?! » [rires]

Lucile : Globalement quand on couche avec des hommes ça arrive souvent. [rires]

Marie : Exactement !

Kiyémis : Ça balance ce soir !

Marie : Mais slidez dans mes DM quand même ! [rires]

Nicolas : Vous n’avez qu’à changer, arrêter de coucher avec des hommes.

Lucile : Ah mais moi je ne suis pas concernée [rires]. On va revenir sur cette histoire de casser des hommes en deux. Je pense que c’est le moment de rentrer dans le vif du sujet, dans la sexualité pure. J’ai une question un peu con, mais je pense qu’il y a plein de gens qui se la pose : est-ce qu’on pratique le sexe de la même manière quand on est gros ?

Kiyémis : Est-ce qu’on pose la question à des gens minces ? [applaudissements]

Lucile : On les voit baiser tout le temps en fait.

Kiyémis : Non mais il y a une partie de moi qui a envie d’y répondre, parce qu’il y a un truc pédagogique, et il y a une autre partie de moi qui me dit « est-ce qu’on baise de la même manière si on est noir ? » Enfin je sais pas, il y a un truc bizarre [rires] mais bon.

Lucile : Quand j’ai écrit cette question, je me suis dit « je vais pas demander ça… » et puis je me suis dit « en même temps la seule éducation sexuelle qu’on a – le culturel sexuel – n’est qu’avec des gens minces, où la femme est légèrement plus petite »…

Nicolas : Personne ne baise de la même manière, même nous avec chaque personne avec qui on couche : on n’est pas la même personne à chaque fois qu’on couche, et on couche différemment. La seule chose, quand on est gros, c’est se déshabiller en fait… se déshabiller est un problème. Quand on est gros, la première fois qu’on se déshabille devant quelqu’un, qu’il soit gros, mince, grand, petit – qui qu’il soit – c’est la première fois qu’on va se mettre à nu qui est compliquée. Parce que pendant longtemps on a entendu « tu as un joli visage, mais ton corps… », « tu as des jolis cheveux », « tu as un joli regard »… On ne nous dit que ça, on ne nous a jamais dit qu’on était beau. Du coup on a forcément un rapport compliqué avec notre corps, on se déshabille difficilement parce qu’on nous a toujours dit « c’est moche ». Pourquoi on nous a dit ça ? Donc forcément, quand on va baiser si on est pas à l’aise, on baise différemment. Sinon à chaque fois qu’on baise, on baise différemment et on n’est jamais en relation sexuelle pareil. [rires]

Lucile : Marie ?

Marie : Moi je ne parlerai pas de sexe… non c’est pas vrai. [rires] Je suis d’accord, c’est très interne : les questionnements vont se faire tous seuls et le lâcher prise peut être plus compliqué. On va peut-être se refuser à faire certaines pratiques qui pourraient nous plaire en soi, en se disant « non c’est pas possible je vais le casser », « non il va pas avoir accès » ou alors « c’est la honte » et ça créé des blocages. Il y a ça, et il y a aussi ce truc de « je n’ai de la valeur que dans la sexualité donc il faut que je sois meilleure qu’une personne mince ».

Kiyémis : « Que je performe », oui.

Marie : « Il faut que je sois le meilleur coup de sa vie parce que, déjà, il est sympa d’être là. » Il y a un double truc trop bizarre : je ne suis pas à l’aise parce que toute la société m’a dit que j’étais cheum, mais je vais quand même faire semblant d’être à l’aise et d’être « Wouhou c’est la vie ». À aucun moment je ne me suis demandée si moi je kiffais mon moment… C’est vraiment arrivé bien plus tard dans la vie, et c’est absurde. La question est technique, si les auditeurs et auditrices se posent la question « est-ce qu’on baise pareil ? » ben est-ce que vous, vous baisez pareil avec vos potes ? [rires] En soi, tout est faisable, on a les mêmes zones érogènes que tout le monde, enfin voila, chacun son petit schmilblick. Mais après oui, il y a des trucs qui sont très psy.

Lucile : On parlait de la fellation tout à l’heure, il y a vraiment un truc de se dire, à la limite « je ne vais pas le sucer » parce qu’il va forcément penser qu’elle le fait bien ou qu’elle en a envie ?

Kiyémis : J’espère que ma mère ne va jamais écouter ce podcast. [rires]

Marie : Moi j’espère que maman t’écoute [rire diabolique] « Maman, j’ai eu des rapports sexuels ! » [rires]

Nicolas : « Bravo ma fille » elle va te dire.

Marie : Et oui, elle sera fière de moi. [rires]

Kiyémis : Un truc que je voulais dire, je ne me suis pas braquée mais ça m’a vraiment posé question cette question. Je pense que parfois on se fait une idée de ce à quoi doit ressembler une relation entre guillemets “sexuelle”, là je vais parler avec un homme : le mec il doit te porter, il doit te plaquer contre le mur… Il y a des gens qui aiment bien, mais on a des idées très clichées sur à quoi cela doit ressembler. Et en tant que femme grosse, tous mes mecs n’étaient pas Teddy Riner…

Marie : Essaye de me porter, on va voir !

Kiyémis : Voila ! Parfois je pense qu’on peut aussi se dire « oh non mais il peut pas faire ça ». Ou par exemple quand c’est un mec qui n’est pas sorti qu’avec des meufs grosses « ah non mais peut-être… ». Parfois on est vraiment dans notre tête alors que franchement le sexe ça devrait tellement être un lieu de joie et d’exploration ! Mais tu es dans ta tête et tu te compares à ce que tu as vu comme image, alors que si un mec ne te porte pas, c’est pas grave ! C’est pas parce qu’il ne te porte pas que tu ne vas pas avoir des orgasmes et que lui non plus. Ou du plaisir, pas forcément l’orgasme d’ailleurs. On a des idées de « à quoi doit ressembler le sexe pour être une bonne relation » et ça vient souvent de Chine, de Hollywood où – soyons réalistes – ça ne doit pas être agréable pour les acteurs qui jouent ces scènes, en tout cas pour beaucoup je pense. Je pense que c’est surtout ça. Il y a aussi un truc, comme tu disais, sur la performance, franchement je me vois…

Marie : On te voit tous. [rires]

Kiyémis : Ha !

Marie : Je déconne, je déconne !

Kiyémis : Moi je suis un peu égocentrique mais c’est un autre débat. Je pense qu’il y a aussi un truc de se dire « allez on donne tout », que beaucoup de personnes ont, mais ça joue quand t’es une meuf grosse et que tu te valides… Comme tu dis : « ce qu’il me reste c’est le cul donc il faut y aller à fond ». Je pense que c’est surtout ça, c’est les images de ce à quoi ressemble le sexe, et souvent bah… oui parfois mon ventre est entre nous deux, et alors ? Non mais il faut dédramatiser le truc ! Oui parfois je suis pas méga souple, je suis pas championne de gymnastique, genre Simone Biles. OK, et alors ? Ce que j’ai envie de dire aux gens plus jeunes qui nous écoutent : ça n’a jamais rien empêché, donc tranquille ! [applaudissements]

Nicolas : C’est aussi parce qu’il n’y a pas de représentation. Ce qu’on voit c’est le porno, et ce n’est pas du tout la réalité de la sexualité, du coup c’est compliqué : on n’a jamais vu des gros dans des films. Voilà, on ne les voit pas ! Ils n’ont pas de sexualité normalement les gros, et c’est toujours étonnant, quand…

Marie : Nous trois, on est là pour vous prouver le contraire !

Nicolas : Chut, mon mec est dans la salle. [rires]

Marie : Et moi c’est faux, ça fait très longtemps. [rires]

Lucile : On parlait de représentation culturelle mainstream, de Hollywood, mais parlons de porno : des livres, des magazines, de tout ce qu’on veut – le cul qu’on montre dans les trucs de cul. C’est extrêmement compliqué de trouver des personnes grosses. La question c’est pourquoi, puisqu’a priori il y aurait des gens pour les consommer – a minima des personnes grosses ou les fétichistes puisqu’ils semblent très actifs.

Marie : C’est ça, dans le porno c’est classifié : les personnes grosses sont dans un tag, un truc précis, et en plus la représentation est clichée. Les femmes grosses sont forcément dominantes, etc., il y a tout un tas de pratiques et d’images qui sont implantées. Je n’ai pas de vrai chiffre sur le pourcentage que ça représente, je n’ai pas fait d’étude sur le porno, mais oui il y a des gens qui les consomment, et plus dans le fétiche.

Lucile : Mais moins pour éduquer, et même juste mainstreamiser le truc, montrer juste des gens gros qui baisent.

Kiyémis : Je pense que le porno, de toute façon, comme tu le dis Marie, c’est très… il faut déjà renforcer des cases. Pour une femme noire, le porno c’est « ebony », « un certain type »… On va dire que le porno n’est pas l’endroit où tu vas faire la révolution culturelle.

Nicolas : C’est global, les gens gros n’existent pas dans la société. Pas que dans la sexualité, ils n’existent pas dans la pub non plus, que ce soit pour acheter des voitures ou pour autre chose : les personnes grosses n’existent pas. Aujourd’hui on commence à peine à les voir dans quelques pubs pour des vêtements, parce que c’est justement pour en vendre et pour raconter que « si si, en fait on fait du double XL ». Sinon la personne grosse on ne la voit pas, on doit la cacher, et nous on doit se cacher. La seule chose d’éducation à faire c’est la visibilité, d’être là, d’être présent avec notre corps. Effectivement on va entendre des gens qui disent « tu prends de la place » et c’est ça qui les choque ! Si on est PD et qu’on prends de la place, c’est deux raisons pour que les gens disent « argh… tu prends trop de place ». C’est un problème de visibilité globale du corps gros, que ce soit dans le porno, ou dans la vie de tous les jours. Ce n’est pas pour rien qu’on se retrouve aujourd’hui à faire un événement qui s’appelle le Gros Festival : pour qu’on se dise « oui on peut venir et on va être à l’aise » ! On est obligés. Il y a des gens qui vont regarder et qui vont se dire « c’est quoi cette réunion de gros, qu’est ce qu’ils font ? »

Lucile : Qui parlent de sexe en plus !

Marie : J’en profite pour faire une mini pub pour moi-même [rires] c’est horrible…

Lucile : Vas-y, vas-y, c’est ton moment.

Marie : Justement, la visibilité c’est important. Moi je ne suis pas militante au sens premier, je ne suis pas la première ligne du militantisme mais sur Twitch et Youtube, je fais beaucoup de contenu qui parle de séduction, qui parle de Tinder, etc. Parfois évidemment je parle du fait que je sois une femme grosse, mais globalement ce n’est pas le sujet principal. C’est pas « une meuf grosse qui date et qui galère » c’est juste « une meuf qui galère et qui a envie de faire des blagues là-dessus ». Pour moi c’est faire une toute petite étape de visibilité, parce qu’il y a des gens qui viennent téma ça. Je ne parle pas de grossophobie particulièrement mais juste… la visibilité c’est hyper important.

Lucile : Mais ça aurait changé quelque chose pour le toi de 16 ans ?

Marie : De ouf, clairement, oui oui. Oh c’est beau, on va chialer. La petite Marie de 16 ans qu’est-ce qu’elle se serait dit ?

Kiyémis : J’ai des mouchoirs ! [rires]

Lucile : C’est pour ça que je parlais de porno, parce qu’il commence à y avoir des productions indépendantes, des choses engagées, en l’occurrence des pornos féministes.

Kiyémis : Mais il y a des meufs grosses ?

Lucile : Justement c’est la question que je pose, pourquoi il n’y a pas plus de femmes grosses et pourquoi il n’y a pas plus de femmes noires grosses ?

Kiyémis : Il y a des meufs grosses noires ?

Lucile : Il y en a probablement mais de façon extrêmement minoritaire. Chez les queers, dit-on au fond.

Kiyémis : Ah, chez les queers, OK.

Lucile : Du coup ça manque du côté des hétéros a priori. C’est encore le patriarcat.

Kiyémis : J’allais dire comme d’hab. [rires]

Nicolas : Toujours à la traîne.

Lucile : C’est cette représentation là qui manque au final. Je vais faire ma promo aussi : j’ai écrit un kamasutra que j’ai voulu un peu inclusif, et pour l’écrire j’ai bouffé tous les kamasutra de la planète. C’était ridicule, déjà parce qu’il y avait plein de positions que personne ne pouvait faire en réalité, et aussi parce que pour rendre certaines positions faisables en terme de dessin, il fallait normer les corps de manière ouf ! C’est à dire que fatalement l’homme faisait 20 centimètres de plus que la femme, et ils étaient lui très musclé, et elle très mince. Donc personne ne peut utiliser ce livre, ça n’a aucun intérêt sexuel.

Marie : Tu n’arrives pas à mettre tes pieds derrière la tête ? Je ne comprends pas. [rires]

Lucile : Ah mais il y avait des trucs, je te jure…

Kiyémis : Les Jeux Olympiques ?

Marie : Tokyo 2021, le cirque Pinder ! [rires]

Lucile : Écoute il y a Paris 2024 qui arrive…

Kiyémis : Je vous laisse ça, hein.

Lucile : Sur certains sites de rencontre on voit certaines femmes grosses mettre dans leur bio qu’elles ne veulent pas être la première personne grosse d’un nouveau ou d’une nouvelle partenaire.

Kiyémis : J’ai envie de dire plusieurs choses parce que je suis sur plein de plans. En même temps j’ai envie de dire « je comprends » parce que c’est très chiant d’être l’expérience de quelqu’un : la première personne grosse, la première personne noire, oh my god. J’imagine que c’est un moyen de protection. Parfois tu n’as pas envie d’expliquer des trucs, d’expliquer…

Lucile : Qu’est-ce qu’il y aurait à expliquer du coup ?

Kiyémis : Vas-y, Marie.

Marie : Grossophobie, racisme… Quelqu’un qui ne s’est pas du tout posé de questions sur la grossophobie et le fait d’être une personne grosse dans ce monde, forcément, il faut tout expliquer. Tu n’es pas à l’abris d’un « mais pourquoi tu ne fais pas un petit régime et un peu de sport ? ça me parait évident » et t’es là « oh la la, il faut prendre dès le début, c’est horrible ». Donc la flemme d’expliquer ça, et je suppose que pour le racisme c’est pareil – le racisme ordinaire, etc. – tu peux être confronté à des trucs pas ouf.

Nicolas : Oui, on est pas toujours prêts à expliquer, raconter plein de choses aux gens.

Lucile : Être disponible en fait.

Nicolas : On s’est éduqué tout seul, on a appris des choses, des fois on veut les partager mais avec nos amis, avec des gens proches, c’est des expériences personnelles qu’on va raconter. J’ai appris tout seul, tu apprends tout seul, et puis tu viens vers moi quand tu auras compris que tu vas pas fétichiser le fait que je sois libanais ou des choses comme ça.

Lucile : Mais vous accueillez des nouveaux chez les ours quand même ?

Nicolas : Oui oui on accueille les nouveaux ! Mais là on parle sur les applis ! L’associatif et les ours de Paris – un ours c’est un gros, un PD, un gros PD – c’est autre chose. Ce mouvement est apparu dans les communautés gays dans les années 70 : comme il y avait beaucoup de personnes épilées, musclées, on s’attendait toujours à ça pour les homos, d’être dans cette image-là. Donc s’est créé ce mouvement et ces personnes qui n’avaient pas d’endroit à eux ont trouvé l’occasion de faire des voyages avec des ours, rencontrer d’autres ours, aller dans d’autres pays, avoir des expériences.

Il y a des convergences d’ours dans des villes à des dates précises, où effectivement c’est très sexualisé : on y va, on rencontre des gens, on est libre, on baise, et on est à l’aise parce qu’il y a des choses qui sont déjà réglées ! On ne va pas expliquer des choses à tout le monde, et là les choses sont réglées et claires. On a déconstruit, on a appris, on est à l’aise avec notre corps et on va être à la plage avec d’autres gens qui sont gros : ce n’est pas pour rien qu’à Sitges il y a 2000 ours sur la plage début septembre. On y va parce qu’il n’y a pas plein de choses à expliquer – pourquoi t’es gros, pourquoi t’es comme ci, etc. On y est, on est gros, on passe à la suite et on vit notre vie.

Lucile : En fait on en revient encore au même : le problème c’est l’hétérosexualité. [rires]

Marie : On pourrait faire un podcast de huit ans sur le sujet. Je comprends le truc de ne pas vouloir, enfin… moi je sais qu’un mec qui va me dire « ah c’est la première fois » je vais trouver ça chelou qu’il me le précise, déjà, parce que pour moi ce n’est pas un sujet. T’as envie de coucher avec moi parce que je suis marrante – à la limite si t’as envie de faire un petit commentaire sur mes nibards, je ne t’en voudrais pas. Mais je trouverai ça trop bizarre qu’il me dise « oh putain c’est marrant t’es grosse, c’est la première fois que ça m’arrive ». Mais j’ai pas non plus envie d’être la cinquième meuf grosse avec qui il a une histoire, parce que je me dirais « oula, bizarre – je suis face à un fétichiste ». Du coup qu’est-ce qu’on fait ? bah… le célibat. [rires] Et l’abstinence.

Nicolas : Nooon…

Marie : Je rigole, je rigole ! Je fais beaucoup de blagues, c’est du second degré.

Kiyémis : Je pense que, déjà quand tu es sur une appli, c’est horrible – enfin je ne sais pas si c’est horrible mais c’est à se questionner – je pense que tu es beaucoup dans un truc de « tant qu’à faire, je vais faire ma liste de courses ». Ce qui est compréhensible en tant que meuf grosse et noire : j’ai plus tendance à dire « bon écoute, tu ne me vois pas mais sache que je suis noire, je suis grosse ». Noir c’est pas juste une couleur de peau, c’est des expériences. J’ai pas envie d’être prof dans mon pieu non-stop, en plus je ne suis pas payée. Et puis parfois j’ai juste envie de penser que tu as envie de moi.

Je pense qu’il y a aussi un phénomène quand tu es une meuf grosse ou un mec gros, et noir, en tout cas minorisé et victime de discrimination, c’est que tu dois te poser des questions non-stop. C’est ce que tu disais : « oh la la il est jamais sorti avec de meuf grosse, en fait il est sorti avec trop de meufs grosses, il me fétichise, il ne peut pas me désirer moi parce qu’il me fétichise »… Je pense, peut-être que je parle de moi – j’espère que ça n’arrive pas à beaucoup de monde mais je ne pense pas – qu’on est tout le temps en train de questionner le désir de l’autre. Et je pense qu’il y a aussi un truc de « mais c’est parce qu’au final c’est pas légitime ».

Maintenant je me dis – pas forcément dans des relations amoureuses parce que je pense que la fétichisation c’est déshumanisant (tu vas avoir des commentaires de merde, etc.) – que j’ai juste envie d’être un peu aimée ou désirée. Et j’ai pas envie de me poser de questions. Franchement si je suis obligée de faire une thèse et lire trois bouquins de Bell Hooks avant de sortir dans un date, on est pas sorti… Je pense que parfois il y a encore ce truc là. Tu vas dans un date, tu as déjà les statistiques de la discrimination à l’embauche des gros et des personnes noires. Enfin, c’est pas du tout qu’il faut ignorer la grossophobie, le racisme, ou tout ce qui est LGBT-phobie, mais parfois je pense qu’on a aussi trop ça en tête. C’est la société qui nous fait avoir trop ça en tête, mais c’est dangereux et violent envers nous-même. Parce qu’à chaque fois, on va se poser la question « mais en fait pourquoi il m’aime, ou pourquoi il me désire ? Pourquoi elle, elle me désire ? est-ce qu’il y a un problème ? En fait il y a peut être un problème ». Je pense que ça a des effets sur nous.

Nicolas : Parce que quand on est gros, c’est très difficile d’entendre « tu es beau ». Un des commentaires que je laisse le plus souvent sur Facebook, c’est « tu es beau ». C’est très difficile à entendre et à accepter, il faut le dire aux gens quand on trouve que quelqu’un est beau. Et pour les personnes grosses on nous a tellement dit « tu es moche », on nous l’a tellement fait comprendre que c’est difficile. Donc à chaque fois on va questionner, on va se dire « mais pourquoi ? pourquoi je lui plaît ? pourquoi c’est comme ça ? » Et le but, je pense, c’est de pouvoir l’accepter et de le croire.

Marie : Et pour une petite note positive, on parle beaucoup – enfin j’ai beaucoup parlé – d’histoires compliquées, de trucs chiants, de la grossophobie. Mais sur 10 ans de relations hétérosexuelles avec des mecs, il y en a eu plein ou ça s’est passé sans que ce soit un problème, sans qu’il y ai de grossophobie frontale ou sans que le mec se pose une question à zéro seconde. Juste on était là au même endroit, on avait envie l’un de l’autre et hop ! Basta. Je nuance.

Kiyémis : Je pense que c’est juste important de le dire : je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais il y a beaucoup d’émissions bidons : « Il aime les grosses, quel est son problème ?”. C’est vrai, c’est dans notre imaginaire de se dire ça. « Oh il est fat-admirer – ou fat-fetichiseur – on va mettre une caméra devant lui parce qu’il a forcément un problème ». C’est dans notre imaginaire et c’est pas juste dans notre tête : c’est proposé par la société. Est-ce que vous voyez beaucoup d’émissions sur une meuf qui aime les grands par exemple ? C’est un truc du patriarcat, une meuf qui aime les grands. Vous avez vu des « Tellement vrai » sur « oh la meuf elle sort qu’avec des mecs grands », non !

Marie : Ou la meuf sort qu’avec des petits. Non mais vu que tout le monde sort avec des gens minces, quand quelqu’un sort avec quelqu’un de gros c’est « wow, on va le filmer », il y a quelque chose. Comme toutes les meufs sortent avec des mecs grands, si elle sort qu’avec des petits : han il y a forcément un truc, on filme. Allez, caméra au poing, j’y vais.

Kiyémis : Bernard de la Villardière qui arrive ! [rires]

Marie : Émilie a 22 ans… [rires]

Lucile : Je suis d’accord qu’effectivement il ne faut pas tout de suite mettre le terme fétichiste et fétichisation sur quelqu’un qui pourrait avoir envie, ou qui ne verrait pas forcément ça, qui s’en foutrait. Comme on le disait, qui voudrait juste connaître une personnalité, et…

Marie : Comme plein de gens qui s’en foutent aussi.

Lucile : J’espère qu’il y en a. Enfin, j’espère qu’il y en a beaucoup.

Kiyémis : Je pense que le problème avec la fétichisation c’est la déshumanisation, pas le désir des corps gros. Le désir des corps gros, je suis désolée, ce n’est pas problématique. Un mec ou une meuf qui aime les corps gros, tant mieux, ce n’est pas problématique en soi. Ce qui est problématique c’est le fait de voir juste mon ventre ou juste mes seins. [applaudissements] Tu ne vois pas ma tête. Les corps gros déshumanisés, c’est ça qui est problématique, ce n’est pas le désir des corps gros. J’ai envie de le dire. Les mecs ou les meufs qui trouvent mon corps désirables, t’as bien raison. [rires] Non mais tu vois.

Lucile : Je suis d’accord, c’est pathologiser encore le corps gros en fait.

Kiyémis : Ben ouais ! Tout simplement.

Lucile : J’avais une blague tout à l’heure, mais je l’ai pas faite…

Marie : Vas-y, tu veux te lancer ou t’as peur ?

Lucile : C’était après la super diatribe de Kiyémis, j’étais en train de me dire « ouais c’est vrai cette histoire, c’est pas léger »… Après je me suis dit « non je vais pas la faire ».

Marie : Waah ! [rires]

Lucile : J’ai eu honte, mais je la fais quand même. [rires] Du coup la question, c’est quand même difficile, comment on peut aujourd’hui quand on est ado… Admettons, imaginons : cet ado gros ou grosse, comment elle passe au travers de cette tartine de merde que vous vous êtes tapée toutes les deux, que tu t’es tapée aussi ? Comment on arrive à ça ? Parce que là a priori il y a un schéma, il y a un truc.

Nicolas : Tu peux pas. [rires] Non, mais il y a le physique de la personne, il y a la personnalité aussi.

Lucile : Oui, mais on est pas encore déconstruits là-dessus quoi.

Nicolas : Je pense que c’est surtout d’avoir en face de toi des personnes référentes qui ont une sexualité, qui ont un petit ami, qui ont un mari, qui changent de mari. Moi j’ai eu ça dans ma vie, j’ai rencontré quelqu’un qui était gros et qui avait un mari. J’étais « oh il a un mari, oh il a changé de mari, oh il a des amis » et c’est juste complètement dingue. Du coup tu te dis « moi aussi ça va m’arriver en fait ». Parce que c’est vrai qu’à 16-17 ans je me disait : « c’est la fin du monde, je suis PD, je suis gros, je suis même pas français, en plus je suis passif » [rires] « je ne vais jamais plaire » [applaudissements] Avoir en face de soi des gens qui ont des expériences positives de vie. C’est pour ça qu’aujourd’hui, nous devons être ça aussi – enfin c’est ce qu’on essaye d’être, c’est ce que Gras Politique essaye aussi d’être et de faire, comme les ours de Paris. C’est de donner et de montrer ça. C’est la vie, quoi. [applaudissements]

Lucile : On a un besoin de représentation.

Nicolas : Voilà : c’est pas très grave, on a tous une sexualité et ça va venir.

Lucile : Il faut qu’on aille raconter ça aux ados.

Nicolas : On va attendre qu’ils soient adultes, et après on leur racontera des histoires de dilatation anale et tout ça. [rires] J’avais promis de la placer, pardon ! [rires]

Marie : Le changement global a besoin que ce soit tout un mouvement général. Après, si il y a des ados de 16-17-18 ans qui vont écouter ce podcast, c’est qu’ils ont déjà plus que les générations d’avant. Individuellement à part se protéger, essayer de filtrer soi-même est difficile à faire : les algorithmes sur internet ne sont pas fait pour ne pas voir les corps minces. On peut aussi choisir d’aller chercher des représentations différentes, si c’est un truc qui nous fait souffrir, on a une petite marge individuelle. Mais oui, c’est un mouvement global qui fera vraiment changer les choses.

Lucile : Apprendre aussi qu’on essaye de ne pas baiser si on n’en a pas envie ou juste pour faire plaisir.

Marie : C’est pour tout le monde, qu’on soit mince ou gros.

Kiyémis : Pareil que Marie, je pense que la responsabilité n’est pas sur les jeunes. Nous on peut leur proposer des choses mais – je suis désolée, pourtant je suis très optimiste comme personne – ils vont se prendre la merde dans la gueule. C’est à nous de changer la société pour qu’ils en prennent le moins possible mais malheureusement je pense que là tout de suite, c’est compliqué. Franchement j’ai quelques solutions : abolir « Comme j’aime », abolir « Weight Watchers », abolir les gaines. [applaudissements] Fermer ces entreprises. Je vais essayer d’être réformiste : mettre un grand bandeau qui dise « publicité mensongère ». C’est pas de votre faute – enfin bien sûr je sais que ce n’est pas du tout ce que tu dis – si vous vous sentez mal, je comprends, c’est normal. C’est normal, c’est la société qui fait ça. Après, je suis tellement d’accord avec toi : il faut des personnes référentes. Mais c’est normal aussi, c’est la société qui est merdique. Donc commençons déjà par fermer Comme j’aime. En plus c’est de l’arnaque. Mais bon c’est un autre débat. [rires]

Lucile : Si tu veux on peut s’y attaquer aussi, hein, mais…

Kiyémis : Allez ! [rires] Arrêtez de prendre l’argent des gens ! [rires]

Lucile : J’avoue que je suis d’accord avec ce truc de personne référente, ça sauve la vie. Mais ça fait un peu souffrir quand on se rend compte qu’on a passé des années entières sans avoir ces références là. Je ne sais plus son nom, je suis désolée, une féministe sur Twitter disait qu’elle n’avait jamais été une lesbienne ado. Parce que dans le monde et la société dans laquelle elle vivait, elle avait été obligée de vivre dans un monde hétéro comme une fausse hétéro, et ça ce sont des moments de vie qu’on ne rattrapera jamais. Donc les espèces de tartines de merde qu’on se prends… elles nous construisent, mais on ne se les rattrape pas non plus.

Kiyémis : Mais il y a de la joie.

Lucile : Bien sûr, on parle de sexualité, c’est un truc positif ! Enfin je veux dire, j’ai l’air méga plombée. [rires]

Kiyémis : Non mais c’est vrai, t’as raison.

Lucile : Marie disait tout à l’heure qu’il y a quand même des supers moments, merci, est-ce que tu peux me le confirmer ?

Marie : Il y a des supers moments. [silence] Voila. Je suis contrainte. [rires]

Nicolas : Attends tu as pris des notes ou pas ? Des noms, des numéros de téléphone, maintenant c’est now quoi. Tu nous le donnes, partage !

Lucile : Donne-nous une stat’ ! Non parce qu’on a dit que le corps gros c’est un corps tout court, il kiffe aussi, il prend du plaisir, il prends des orgasmes… Heureusement !

Kiyémis : Oui. [silence] [rires]

Nicolas : Bon on casse deux trois lits mais bon.

Marie : On est pas à une latte près, ça va !

Nicolas : Non ? On a tous cassé au moins un lit ?

Kiyémis : Carrément.

Marie : Alors, ça ne m’est pas arrivé. [rires]

Kiyémis et Nicolas : Ah ouais ?

Marie : Je suis déçue… Qui veux casser un lit avec moi ? [rires]

Nicolas : What ? [rires]

Marie : Ah je suis si lourde. [rires]

Kiyémis : Meilleure annonce quoi !

Marie : Je vais mettre ça en bio Tinder.

Nicolas : Ouais ! [applaudissements et rires]

Marie : Attendez je le fais maintenant ! [rires] Parlez, parlez.

Lucile : Alors du coup pendant que Marie fait sa bio Tinder – elle nous montrera la confirmation qu’elle l’a vraiment fait après – on va faire le tour de table de la fin, on va revenir sur du positif. J’aimerai qu’on partage nos suggestions individuelles, globales, politiques ou militantes, c’est vous qui choisissez, pour une meilleure inclusion des personnes grosses sur le marché de la drague et du sexe. Ou même globalement si vous avez un conseil sexo, un truc fun, allez-y au passage.

Kiyémis : Tu ne vas pas le casser. À la personne qui va m’écouter : tu ne le casseras pas, ne t’inquiète pas, il ou elle supportera, tu ne les casseras pas, t’inquiète. Il ou elle risque de kiffer, même. C’est mon conseil personnel sexo.

Lucile : L’expérience de Kiyémis. Et toi ?

Nicolas : Moi je pense juste à dire : oui c’est des bourrelets, oui ça bouge, oui ça sue – et c’est pas grave. Oui ça bouge. « Giggly » [rires]

Lucile : Marie, tu as fini ?

Marie : J’avais réfléchi à un truc mais c’est beaucoup moins marrant… [rires] alors que je fais des blagues quand même. Moi j’allais parler de mon milieu professionnel parce qu’on parlait de représentation. Je travaille dans l’audiovisuel, les médias, la création de contenus sur internet mais aussi la fiction. À tous ces gens-là, les scénaristes, les producteurs : mettez à l’image des personnes grosses, quand vous écrivez un scénario avec deux personnes qui ont une vie amoureuse, pourquoi le perso est mince ? [applaudissements] Il pourrait être gros et il n’y aurait pas une ligne qui changerait. Ça commence tout doucement à changer mais ça pourrait changer vraiment plus vite. En vrai de vrai, posez-vous juste la question « pourquoi mon perso n’est-il pas gros ? Oh, il pourrait être gros ! ». Paf, hop là, ça fait une représentation de plus et nous on est content·e·s.

Kiyémis : Et engagez des scénaristes gros aussi, tant qu’à faire. Et des acteurs et actrices gros.

Marie : Au passage, genre moi.

Kiyémis : Voila ! [rires]

Lucile : Je trouve que c’est des belles conclusions. Moi j’ai rien à ajouter à ça globalement… et baisez aussi, au passage. Des gens gros avec des gens pas gros mais si vous en avez envie, évidemment, avec des gens qui en ont envie aussi.

Marie : Et protégez-vous, blablabla.

Nicolas : Et qui ont envie de vous !

Lucile : Oui évidemment. Et de vous dans sa globalité. Merci. Merci Kiyémis. [applaudissements]

Kiyémis : Merci à toi.

Lucile : Merci Nicolas, merci Marie.

Marie : Merci.

Nicolas : Je voudrais préciser que les Ours de Paris ont organisé une exposition qui s’appelle « Gros est beau », qui va commencer le 23 septembre, avec 27 artistes de tous genres et de tous horizons qui ont dessiné ou photographié des personnes grosses. Cette exposition aura lieu au Bears’den à partir du 23 septembre. Passez la voir !

Lucile : Marie tu as un message à faire passer ? À part Tinder.

Marie : C’est bon j’ai changé ma bio Tinder.

Kiyémis : Allez !

Nicolas : Swipe left !

Marie : Kiyémis ?

Kiyémis : Non, je voulais juste dire que c’est tellement un plaisir d’être avec tellement de gens gros. Vous êtes tellement beaux. Préparez aussi vos suggestions de lieux d’habillement parce qu’il y en a qui sont très stylés dans la salle.

Marie : Ouais !

Lucile : Et en plus moi je vais ajouter, en référence à Nicolas, vous êtes tous belles et beaux, tout le monde est beau ce soir. [applaudissements] Merci Marie, merci Kiyémis, merci Nicolas. Merci évidemment Gras Politique d’avoir organisé cet événement. [applaudissements, wouhous et bravos]

Nicolas : Daria présidente ! Daria, Daria, Daria, Daria !

Lucile : Merci au Très Gros Festival de nous avoir accueillis au Wonderland. À très vite pour de nouveaux épisodes évidemment. Merci Ève et Marine du collectif Mains Paillettes qui ont fait la LSF avec nous. Merci à l’équipe de Slate Podcasts et à Victor Benhamou pour la réalisation live, là-bas dans la guérite. Merci à toutes et à tous, passez une bonne soirée !

Kiyémis : Bonne soirée ! [applaudissements]

[Brochure] En tant que soignant·e·s, comment mieux soigner les personnes grosses ?

En tant que soignant,
Comment mieux soigner les personnes grosses ?

Le 9 septembre 2021, Charlotte Zoller, journaliste pour Teen Vogue et travaillant dans la stratégie numérique et sociale, a publié sur son compte Instagram un post en anglais qui aborde la question de comment les soignant·e·s peuvent-iels mieux traiter les personnes grosses. Il s’agit également d’un article Teen Vogue que vous pouvez retrouver en cliquant ici.

Gras Politique a lu cet article et l’a trouvé très pertinent, et dans une volonté de rendre accessible ce discours à plus de monde nous l’avons traduit et l’avons adapté pour la France.

Pour commencer

Aller chez le médecin peut être une étape éprouvante pour les personnes grosses, qui ont souvent vécu des discriminations liées à leur poids, ou des violences médicales. Que ce soit des reproches sur leur poids pour des problèmes de santé qui n’ont rien à voir, ou des symptômes tout simplement ignorés. C’est pourquoi des soignant·e·s tel·le·s que vous sont essentiel·le·s ! L’intérêt que vous portez à cette réflexion, sur comment améliorer votre prise en charge des personnes grosses, est importante et est la première étape pour instaurer une relation de confiance.

La première prise de contact

L’environnement de sécurité et de respect s’instaure dès la première prise de contact, que ce soit via votre site internet, ou via votre secrétariat. Déclarer clairement que vous avez une pratique inclusive et respectueuse de tou·te·s signale à vos patient·e·s que votre cabinet est une zone de non jugement. La façon de faire ici est plutôt flexible, certain·e·s préfèreront utiliser les mentions “soins inclusifs” ou “santé pour tou·te·s”, il s’agit là de votre première vitrine et indiquera à vos patient·e·s qu’iels pourront être à l’aise avant même de passer la porte de votre cabinet. 

Le cadre de soin

Une fois que les patient·e·s sont dans votre cabinet, ce qu’iels voient est également important. Il est crucial que le cadre où ont lieu vos échanges soit hospitalier et accueillant pour tout le monde. Cela passe par des questions telles que :

  • Quelles sont les limites de poids et de largeur de votre table d’examen ?
  • Est-ce que les chaises de votre salle d’attente ont des accoudoirs qui pourraient blesser vos patient·e·s ou les empêcher de s’asseoir ?
  • Est-ce que votre civière permet de transporter n’importe quel·le patient·e de n’importe quel poids ?
  • Est-ce que les portes de votre cabinet sont suffisamment larges ?
  • Est-ce que vos toilettes sont praticables par des personnes grosses ou à mobilités différentes ?
  • Est-ce que vous possédez un brassard plus large facilement accessible ?
  • Si votre patient·e souhaite être pesé·e, quelle est la limite de poids sur votre balance ?

Nous sommes conscient·e·s qu’un équipement adapté à tou·te·s peut représenter un certain budget qui n’est pas forcément accessible pour vos moyens, mais même des petits changements peuvent faire la différence et signalent aux patient·e·s qu’iels sont les bienvenu·e·s à votre cabinet. Considérer le confort physique est un signe de respect. Il est plus facile d’être à l’aise mentalement et émotionnellement, si on est déjà à l’aise physiquement.

Le cadre d’échanges

Une conversation claire et cohérente permet, dès le début, d’instaurer un climat de confiance avec vos patient·e·s et d’établir une relation conduite par le respect mutuel. Concrètement, comment faire ? Un simple avertissement au début de la consultation peut faire la différence : “Je veux être sûr·e que vous soyez à l’aise aujourd’hui, afin que je puisse vous prodiguer les meilleurs soins possibles. Est-ce que vous souhaitez discuter de quelque chose en particulier ? Est-ce qu’il y a des sujets que vous ne souhaitez pas aborder ?”. Cela permet aux patient·e·s d’indiquer s’iels ont des sujets de sensibilité. 

Bien sûr, les discussions sur le poids ne peuvent pas être complètement abolies des traitements médicaux, mais elles peuvent devenir plus réfléchies, plus respectueuses et cela passe notamment par le choix du vocabulaire. Quand les conversations commencent à devenir des reproches, la relation commence à déraper. Les personnes grosses comprennent tout à fait que certains états de santé peuvent être exacerbés par le poids, et la majeure partie de ces personnes ont déjà essayé de perdre du poids à un moment donné de leur vie. Leur parler comme s’iels étaient ignorant·e·s ou comme s’iels manquaient de volonté et de maîtrise de soi, ou encore prétendre que tous leurs problèmes de santé seraient dûs à leurs poids, revient à mettre vos patient·e·s gros·ses dans une situation de mal-être. Et ce n’est pas le résultat escompté si vous lisez ceci. Si le·a soignant·e a réussi à instaurer une atmosphère de confiance, ses patient·e·s gros·ses seront plus à même d’engager des conversations profondes dans l’objectif de se soigner totalement

Prendre conscience des inégalités face à l’accès aux soins

Tout le monde n’a pas pléthore de choix lorsqu’il s’agit de l’accès aux soins médicaux. Ce choix dépend de facteurs tels que : les cabinets ouverts et présents, le niveau de soins, la localisation géographique, le tarif des soins, la prise en charge, mais aussi l’origine ethnique, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le poids, le handicap, l’âge, la classe sociale, etc. Ces facteurs rendent la recherche d’un·e soignant·e encore plus complexe qu’elle ne l’est. C’est pour ça qu’il est important pour les soignant·e·s d’être curieux·ses, prudent·e·s, et conscient·e·s de l’identité et des antécédents sociaux et médicaux de leurs patient·e·s. 

En conclusion

Il ne devrait pas incomber à vos patient·e·s de décréter leur droit au respect. Il devrait incomber à vous, soignant·e·s, de créer un environnement hospitalier pour que vos patient·e·s puissent exprimer leurs opinions et recevoir des soins dans un cadre sans jugement. Il est important de toujours rechercher de nouvelles informations, de repousser les limites de vos connaissances et de prendre l’initiative de s’éduquer concernant les soins inclusifs


Si vous souhaitez imprimer ou diffuser ce billet de blog, nous l’avons également transposé au format brochure, pour que vous puissiez le faire passer à vos soignant·e·s, à vos collègues, à vos proches, ou à toute autre personne.

Transcription du podcast “C’est compliqué – Grosses et gros : face à l’assiette, même combat?” publié sur Slate Audio

Photo par @teresasuarezphoto lors de l’enregistrement du podcast.

Lors du Très Gros Festival, qui a eu lieu le 28 août au Wonderland à Paris, nous avons eu l’occasion d’enregistrer deux podcasts “C’est compliqué” animés par Lucile Bellan et publiés sur Slate Audio. Pour le premier podcast, “Grosses et gros : face à l’assiette, même combat ?”, nous avions invité·e·s autour de la table Ariane Grumbach, diététicienne anti-régime, Solenne Carof, sociologue et autrice de Grossophobie : sociologie d’une discrimination invisible, et Anouch, membre historique de Gras Politique.

Vous pouvez écouter le podcast, sur le site de Slate Audio : cliquez ici.

Dans un soucis d’accessibilité, nous avons fait appel à quelqu’un pour transcrire ces podcasts à l’écrit. Merci à Ploutre, @ploutre_ sur Twitter, de nous avoir transcrit ces podcasts. N’hésitez pas à faire appel à elle pour des missions de transcription.


Gras Politique

Slate Podcasts

C’est compliqué

Grosses et gros : face à l’assiette, même combat ?

http://www.slate.fr/audio/cest-complique/très-gros-festival-genre-alimentation-80

50’15

Transcription par @ploutre_


[Générique Slate podcast]

Lucile : Et bien bonjour à toutes et à tous ! Merci d’être là pour l’enregistrement de cet épisode hors-série du podcast « C’est compliqué ». Nous sommes au Wonderland pour le Très Gros Festival qui est super bien [applaudissements et “wouhous”], organisé par Gras Politique… Alors vous wouhou-ez pas pour Gras Politique ? [wouhous et applaudissements] Je suis Lucile Bellan et j’ai avec moi autour de la table Ariane Grumbach, diététicienne anti-régime défendant la diversité des corps.

Ariane : Absolument, bonjour !

Lucile : Solenn Caroff, sociologue et docteure de l’EHESS, maître de conférences Université Sorbonne et autrice aussi de Grossophobie, sociologie d’une discrimination invisible.

Solenn : Exactement, bonjour !

Lucile : Et puis Anouch, membre historique de Gras Politique.

Anouch : Bonjour ! Merci beaucoup.

Lucile : Alors pour cet épisode nous parlerons ensemble de genre et d’alimentation, et on va commencer un peu au début de la vie puisque ça commence quand on est enfant. On va parler de la façon dont on traite l’alimentation des petites filles par rapport à l’alimentation des petits garçons. D’ailleurs, je le précise, on va se tutoyer ce soir parce qu’on est un peu en famille. Ariane, est-ce qu’il y a une différence notable dans l’alimentation des petites filles et des petits garçons ?

Ariane : Je pense qu’en ce qui concerne les petites filles et petits garçons, pendant un certain nombre d’années il y a des choses qui se ressemblent et des choses qui sont différentes. Si le petit garçon ou la petite fille est dans une famille « normale » entre guillemets, où tout le monde mange normalement, ils vont avoir à peu près la même alimentation. Mais ce qu’il va se passer très vite c’est que la petite fille va intégrer – parce que la société, parce que très souvent sa mère – une idée que la minceur c’est bien. C’est des choses qu’on voit chez des petites filles de 6-7 ans, déjà, où on veut déjà ressembler à la petite fille la plus mince de la classe. Et si la mère en plus est au régime, se pèse tout le temps, est tout le temps en restriction, ça va être intégré encore plus. Donc la petite fille, même si elle mange normalement, va intégrer tout ça et ça ressortira un petit peu plus tard. Mais en termes d’alimentation il n’y a pas forcément de différence. Après je pense quand même que les remarques qui vont être faites vont être un peu plus stigmatisantes pour une petite fille. On me raconte des choses hallucinantes que disent les parents à leurs enfants : « grosse vache », des choses comme ça, des choses vraiment horribles. Je dirai que là où c’est un peu pareil – c’est à dire un petit garçon ou une petite fille qui sont gros – ils vont subir un peu de la même façon, malheureusement, toute la méchanceté, les moqueries des enfants à l’école, de l’environnement… il me semble qu’il n’y a pas trop de différences. Sachant qu’un enfant qui est gros, pour schématiser, il y a un peu trois raisons : soit c’est les parents qui le forcent à manger – moi je vois beaucoup d’enfants qui étaient tout maigre au départ et que les parents ont gavé – ça, ça dérègle complètement. Après il y a des enfants qui vont être dans des familles où on mange beaucoup. Et il y a des enfants qui ont des difficultés émotionnelles qui vont les faire grossir. Mais du coup, malheureusement, très souvent on ne s’occupe pas de la vraie cause de la prise de poids. On va très vite être dans la privation, le régime, aller voir un médecin, qui va dire « Oh la la, il ne faut plus manger ci, plus manger ça ». Ce qui, très souvent entraîne un cercle vicieux, parce qu’on l’a observé tout le temps : un enfant qu’on prive il mange en cachette, il trouve toujours une façon de manger.

Lucile : Qu’est-ce que tu en penses Anouch ? Est-ce que c’est quelque chose que vous étudiez avec Gras Politique par exemple ?

Anouch : Alors on l’étudie pas forcément, mais on le voit dans nos vies déjà, et dans les vies des gens qui viennent nous parler avec l’asso. Oui, souvent, on met les enfants beaucoup trop jeunes au régime, et ça mène forcément vers des TCA, en fait. Mettre un enfant de 5 ans au régime, c’est lui signer une carte d’adhérent avec des TCA… C’est malheureusement beaucoup trop courant de voir des petites filles souvent poussées par leur maman, qui ont elles-mêmes des problèmes avec leur propre poids, qui transfèrent sur leur fille, et sur leur fils aussi, quand ils sont enfants. Au niveau de la petite enfance, on a plutôt l’impression que c’est assez équilibré : la peur de devenir gros, et la peur que son enfant devienne gros est toute aussi importante chez un enfant garçon ou un enfant fille.

Lucile : C’est quelque chose que vous avez étudié Solenn Caroff dans le cadre de la grossophobie interne au cercle familial ?

Solenn : Oui, alors j’ai pas étudié explicitement la question des jeunes enfants, mais par contre c’est vrai que j’ai retrouvé énormément de choses qu’ont décrites Ariane et Anouch sur la mise au régime très précoce de petites filles, de même 5-6 ans comme disait Anouch. Qui vient effectivement souvent du fait que la maman elle-même a été stigmatisée pour sa corpulence et n’a pas envie que sa fille revive la même situation, donc en prévention la met au régime alors même que l’enfant n’a pas de problème particulier de poids. Donc il y a une sorte de restriction qui est faite, souvent sur certains produits alimentaires qui sont interdits dans la famille. Ce qui engendre une mise à l’écart, une forme d’exclusion de cet enfant par rapport aux autres frères et sœurs, aux autres frères en général, qui n’ont pas forcément le même regard de leurs parents, de leur maman. Après, ce qu’il faut noter, c’est que les normes de genre sont acquises très tôt chez les jeunes enfants de manière générale, sur la question de l’apparence physique, sur la question des jouets, ce qu’on a le droit de faire, la manière dont on se comporte, etc. Et même des enfants de trois, quatre ans commencent déjà à avoir des représentations de « qu’est-ce que j’ai le droit de faire en tant que petit garçon ou petite fille ». Et l’alimentation n’est pas complètement exclue de ce type d’incorporation de valeurs, de normes, etc. Ce qui fait que globalement, au fur et à mesure, comme le dit Ariane, très souvent ça ne se manifeste pas forcément dans les pratiques en tant que telles au début, mais au fur et à mesure. En particulier si les parents sont derrière et poussent à interdire certains produits alimentaires, les petites filles, puis les enfants puis les jeunes filles vont apprendre qu’en tant que femme, elles doivent manger différemment des garçons. Donc ça commence très tôt, en tout cas dans les croyances et pas forcément dans les pratiques en tant que telles, mais dans les croyances et dans ce que pensent ces enfants.

Lucile : On parle de régime pour les jeunes enfants, c’est quoi ? C’est des régimes inventés, c’est des aliments interdits ?

Ariane : Oui, alors je dirais qu’il va y avoir un peu une chance ou une malchance aussi : bien sûr il y a les parents, mais il y a aussi le milieu médical, c’est à dire « que va dire le pédiatre ? ». Et autant il y a des pédiatres qui vont être sages et plutôt bienveillants, qui vont dire « mais ne vous inquiétez pas, on va attendre jusqu’à l’adolescence, il y a beaucoup de choses qui se régulent dans le temps, etc. », autant il y a des pédiatres, voire le milieu scolaire, qui va dire « oh la la il faut faire attention » ou alors le pédiatre caricatural qui va dire « plus de gâteaux, plus de bonbons, plus de sodas, plus de ceci, plus de cela », ce qui créé effectivement la mise à l’écart de l’enfant. Je pense que le rôle des médecins est important et la relation que les parents vont avoir aussi avec le milieu médical – plus ou moins respecter ce qu’il va dire. Mais effectivement je rejoins ce que disait Solenn, c’est à dire que très souvent chez les parents ça part d’une bonne intention, c’est à dire « j’ai vécu des choses difficiles en tant qu’enfant gros, je ne veux pas que mon enfant revive la même chose » mais c’est complètement contre-performant, en fait.

Public : Est-ce que c’est quelque chose qui peut passer par l’école aussi ?

Ariane : Alors, ça peut l’être des fois. On me raconte que parfois c’est l’infirmière scolaire qui va mettre quelque chose dans le carnet. Il va y avoir une occasion : est-ce que c’est au sport, est-ce qu’on va peser les enfants… « doit faire attention ». Des fois il y a des enfants qui sont ronds mais qui ne sont absolument pas gros, qui n’ont aucun problème, mais tout à coup il va y avoir un mot, dans la famille, à l’école et tout, qui va stigmatiser. Et là c’est le début d’une escalade.

Anouch : J’allais dire que je suis concernée par les problèmes de grossophobie et de régimes en tant que personne grosse. Moi on m’a mis au régime à cinq ans, très vite, parce que le pédiatre a décrété que ma courbe était trop haute, c’était pas possible, et qu’il fallait m’envoyer chez un diététicien. Et on m’a mis au régime strict à cinq ans. Ça a évidemment donné lieu à beaucoup de tensions dans la famille et à beaucoup de tensions dans le rapport avec la nourriture, tout simplement. Donc, oui, ça part d’une bonne intention, forcément, puisque mes parents n’avaient pas envie que je vive ce que eux avaient vécu. Le résultat, il est pas très positif.

Lucile : Est-ce que tu penses que le fait que tu sois une petite fille ait joué ?

Anouch : Alors, oui, parce que j’avais un frère aussi, qui est plus jeune que moi, qui a été mis au régime mais plus tard.

Ariane : Il me semble que les garçons, peut-être qu’on va beaucoup plus les pousser à faire du sport. On va très vite leur dire – un petit garçon qui est un peu renfermé, qui est un peu dans son coin, qui est gros, qui du coup n’est pas à l’aise avec les autres, on va lui dire « allez fait du sport » et on va un peu le forcer sur le volet sport, il me semble.

Anouch : Oui, tout à fait, c’est exactement ce qu’il s’est passé dans ma famille.

Solenn : C’est quelque chose qu’on voit aussi à l’âge adulte, en l’occurrence. Globalement, sur la question du corps : la femme doit être mince, l’homme a une valorisation de la masse musculaire, donc un poids conséquent. En l’occurrence on le voit sur les forums d’hommes qui font de la muscu, du sport : le but est de prendre de la masse, ce qui est l’inverse total de ce qui est demandé aux femmes. C’est quelque chose qui continue vraiment ce rapport au sport. Il y a assez peu de temps, Serena Williams a fait une interview où elle dit même qu’il y a des femmes qui ont peur de faire du sport de haut niveau pour cette question de masse, de poids, de corps qui change et d’être masculinisées, de voir leur corps changer dans le regard de la société.

Ariane : Bien sûr, et pas que dans le sport de haut niveau. J’ai des patientes qui font du sport un petit peu à outrance, ou qui font des types de sport qui musclent beaucoup, ou qui ont une morphologie à prendre du muscle plutôt en volume, qui disent « mais je rentre plus dans mes jeans, je rentre plus dans mes pantalons parce que j’ai pris trop de muscle ». Effectivement il y a vraiment des stéréotypes : la femme doit être fine, l’homme doit être fort et musclé. D’ailleurs, moi j’ai quand même 90-95 % de femmes dans ma clientèle, ce qui montre bien la pression qu’il y a sur les femmes – ça c’est clair ; mais il y a de temps en temps des jeunes hommes qui m’appellent parce qu’ils sont maigres, et du coup ils ne correspondent pas aux stéréotypes et veulent grossir, donc en fait si on grossit on prend du gras, donc il faut plutôt faire du sport. Mais effectivement chez les hommes c’est vraiment la force et le muscle qui est beaucoup plus valorisée. Après je pense qu’il y a une question dont on va parler, qui est l’objectivation du corps de la femme.

Solenn : En fait c’est une objectivation différente de celle du corps de l’homme qui est plus performative, sportive, et puis valorisée, quand celui de la femme est…

Anouch : Alors est-ce qu’on peut parler d’objectivation du corps de l’homme ? J’en suis pas persuadée…

Ariane : C’est ça : la femme est objectivée, l’homme reste le sujet, il reste celui qui décide, il reste celui qu’il faut séduire. On peut parler du patriarcat, on sait dans quel monde on vit.

Anouch : On peut complètement en parler, c’est complètement lié, de toutes les manières. Le patriarcat est cause de beaucoup de problèmes de grossophobie, tout simplement.

Solenn : Peut-être juste pour rajouter un point sur ça en termes de satisfaction corporelle : ce que les études de statistiques vont montrer c’est que, par exemple, justement les femmes vont se sentir mal dans leur peau ou vont ne pas aimer leur corps et leur corpulence alors qu’elles ont une corpulence un petit peu au-dessus de la « norme médicale », avec des guillemets. Alors que les hommes – c’est effectivement comme dit Ariane, parfois des hommes, et même parfois des jeunes garçons ou des petits garçons – qui vont souffrir de l’inverse, c’est-à-dire d’être trop minces, maigres, ou trop petits en taille. Et là ils vont subir plutôt la dévalorisation d’un corps qui va être jugé fragile, donc plutôt de l’ordre du féminin. On sait que les insultes des garçons sont souvent des insultes qui les féminisent – et que justement les jeunes garçons et les jeunes hommes essayent de s’éloigner de ce qui relève du féminin. C’est pour ça d’ailleurs que des petites filles vont porter des vêtements masculins, alors qu’on voit rarement des petits garçons porter des robes, ou des jeunes garçons porter des jupes ou des talons. C’est bien dommage mais c’est comme ça. Et donc il y a une forme de séparation des garçons et des filles qui s’opère aussi au niveau de l’imaginaire que les gens ont d’eux-mêmes, de la représentation de leur corps. Donc effectivement les hommes vont plutôt valoriser des corps qui vont être, pas forcément très musclés, mais en tout cas un peu musclés, dans l’idéal corporel masculin.

Lucile : Et l’homme gros, comment il est vu par rapport à cet homme musclé mais pas trop ?

Solenn : Alors du coup ce qui est intéressant c’est que l’homme gros, c’est une question de définition : qu’est-ce que c’est un homme gros, pour les hommes ? En fait les hommes qui sont en surpoids, si on reprend les définitions médicales, ne sont pas forcément perçus comme gros – en particulier s’ils sont grands, s’ils sont un peu musclés et un peu sportifs : alors là au contraire on ne s’aperçoit même pas qu’ils sont plus dans la norme médicale. Par contre, un peu comme le disait Anouch tout à l’heure, ça va commencer un peu plus tard, c’est comme la mise au régime qui vient plus tard pour les hommes – c’est le cas aussi chez les hommes adultes : finalement c’est pareil pour la question de la grosseur, ils vont être perçus comme gros plus tard. Donc ça va être avec des corpulences plus importantes qu’ils vont être perçus comme gros. L’homme gros est plus gros que la femme grosse, dans les perceptions.

Anouch : Et si je peux me permettre, l’homme gros commence à être perçu comme gros quand la grosseur commence à le féminiser, en fait. Quand il commence à avoir une poitrine, des courbes qui sont associées au féminin, c’est vraiment là où la grossophobie rattrape les hommes.

Ariane : Oui, et puis je me rappelle par exemple d’une patiente récemment qui, parce que je l’ai interrogée sur ses parents, me dit « ma mère est grosse, mon père a du ventre » (rires). Donc la façon dont les hommes grossissent n’est pas perçue de la même façon, je pense qu’il faut qu’un homme ai beaucoup plus de surpoids pour qu’on le considère comme gros dans l’environnement. Le problème c’est que la femme elle-même va très vite, à partir du moment où elle sort des standards de la minceur, se considérer comme grosse – même quand elle n’est pas grosse.

Lucile : Oui parce qu’il y a quand même une norme de la femme au régime, de fait. On le voit bien dans les magazines féminins, dans la culture : la femme est au régime.

Ariane : Alors c’est pas forcément que la femme est au régime, mais c’est qu’on nous montre une image d’une femme taille 34-36 – même si on ne lit pas les magazines féminins, qu’on dit « non, je ne vois pas ça », ça nous imprègne forcément, cette idée que c’est la minceur qui est la norme. Donc le problème c’est que des femmes qui n’ont pas une morphologie pour faire une taille 36 veulent quand même faire cette taille-là, et donc vont rentrer dans une spirale de « je me met au régime, et je perds du poids, j’en reprends, je me remet au régime, etc. »

Lucile : Et puis il y a un sentiment d’appartenance à un groupe aussi, cette culture du régime, de compter les calories, d’avoir cette culture-là – elle existe.

Ariane : Je me rappelle d’une personne qui venait me voir et du coup avait perdu du poids, arrêté les régimes, et qui se disait « mais de quoi je vais parler avec mes copines ? » (rires) c’est horrible, hein ?

Anouch : C’est tellement triste d’en arriver là.

Solenn : Oui, peut-être juste pour compléter ce qu’a dit Ariane, ce n’est même pas qu’une question de régime, c’est plus vaste que ça : c’est vraiment toutes les pratiques alimentaires dans ces cas-là qui sont perçues sous l’idée de « qu’est-ce que je peux manger pour ne pas grossir, qu’est-ce que je mange pour maigrir ? » et donc même quand il n’y a pas un régime officiellement, avec des pratiques particulières, restrictives, etc., beaucoup de femmes – et beaucoup de jeunes femmes en particulier mais beaucoup de femmes de manière générale – sont tout le temps en train de penser à ça, et de tout le temps réfléchir à leur alimentation. Leur alimentation est au centre de leur vie quotidienne et donc ça devient des troubles du comportement alimentaire, même quand il n’y a pas forcément de compulsion ou de boulimie associée. Simplement parce que c’est en permanence en arrière-fond, en arrière-pensée de « qu’est ce que je mange, quand est-ce que je mange, avec qui je mange, qu’est ce que j’ai le droit de manger, qu’est ce que je vais manger ce soir, etc. ». J’ai vu ça aussi dans mon enquête où il y a des personnes pour qui c’est le sujet numéro un : c’est même plus la minceur, c’est presque au-delà de ça, c’est vraiment l’alimentation qui devient…

Ariane : C’est un envahissement mental.

Solenn : C’est un envahissement émotionnel et mental, oui.

Anouch : C’est une manière de – pardon je reviens toujours au sujet du patriarcat – mais c’est une manière très claire de contrôler l’esprit des femmes, en fait. Puisqu’une femme, si elle ne pense qu’à ce qu’elle va manger et à perdre du poids, elle ne pense pas à autre chose. Donc elle est tout à fait malléable à ce moment-là.

Lucile : Ça pose aussi la question du genre de certains aliments : la salade, la côte de bœuf, c’est quand même des choses qui sont extrêmement genrées dans l’idée.

Ariane : Effectivement, pour aller dans le sens de ce que dit Solenn, il y a « les bons aliments », « les mauvais aliments », l’idée qu’il faut bien manger donc il faut manger des légumes. En plus il y a tous les discours nutritionnels qui vont dans ce sens-là. Peut-être qu’il y a aussi l’éducation, c’est à dire : comme la petite fille intègre très vite qu’elle doit bien manger, peut-être qu’elle va plus se forcer à manger des légumes qu’un petit garçon. J’ai pas d’étude là dessus, je ne sais pas, mais c’est pas qu’un stéréotype de dire « les hommes mangent plus des pâtes et du riz et les femmes plus des légumes », c’est quand même un petit peu une réalité… Parce que peut-être les femmes aiment les pâtes mais s’empêchent d’en manger, parce que les légumes c’est plus léger, c’est moins calorique, on peux en manger beaucoup et avoir l’impression d’avoir le ventre rempli. Ça créé beaucoup d’obsessions mentales et beaucoup de culpabilité dès qu’on sort des rails : parce qu’on mange un gâteau au chocolat, parce qu’on mange une pizza, on est dans la culpabilité. Donc il y a vraiment une fragilisation complète, parce qu’on est tout le temps à se dire qu’il faut être mince, on croit qu’on sera heureuse que quand on sera mince, donc on met toute son énergie là-dedans, et donc on a pas de l’énergie pour d’autres sujets plus importants.

Lucile : Et puis j’imagine qu’il y a aussi une souffrance mentale quand on arrive à atteindre son objectif de poids et qu’on se rend compte qu’on a plus de but, ou qu’on est pas plus heureux ou en meilleure santé ?

Ariane : Exactement, c’est une terrible déception. Il y a un livre d’une canadienne qui s’appelle « À dix kilos du bonheur », c’est-à-dire qu’on croit toujours que quand on aura perdu du poids, on trouvera le bon conjoint, on aura le bon boulot, on sera plus heureuse dans la vie, tout sera facile, tout sera clair ; et puis en fait non, la vie est beaucoup plus compliquée que ça. Mais ce n’est pas ça qui fait reprendre du poids : c’est aussi la privation, il y a plein de choses qui font reprendre du poids. En général on lâche parce que ça ne va pas mieux, et donc autant manger, finalement.

Lucile : Dans les faits, est-ce qu’il y a une différence entre les régimes d’hommes et les régimes de femmes ?

Ariane : Quand j’ai commencé mon activité il y a 12-13 ans, comme je n’étais pas dans la privation je pensais que j’aurai plein d’hommes qui viendraient me voir parce qu’ils n’aimeraient pas la privation, et en fait pas du tout. Parce que l’homme – je suis désolée, je caricature un petit peu – l’homme veux un truc radical, fort, la volonté, la discipline : « j’arrête la charcuterie, le fromage, le vin, les pâtes, je fais du sport, et je perds 15 kilos ». Ce qui marche très bien, et puis après il reprends les 15 kilos. Donc ça c’est une chose, le contenu du régime. La femme va être beaucoup plus dans le fait de manger beaucoup de légumes, et elle va avoir plus tendance à lire des livres, des magazines, aller voir un diététicien, se faire accompagner ; les hommes vont quand même moins facilement aller demander de l’aide. Ça change peut-être un peu : j’ai été très amusée récemment – parce qu’il y a quand même des hommes autour de la quarantaine un peu préoccupés de se voir grossir qui viennent me voir – et il y a un homme qui est venu me voir, et un autre vient et me dit « je viens parce que j’en ai parlé à mon ami untel, qui est venu vous voir » donc que deux hommes parlent ensemble de leurs problèmes de poids et du fait d’être allés voir quelqu’un ça m’a paru complètement nouveau, enfin c’est quand même pas très répandu.

Lucile : Mais du coup on parle d’aller voir des diététiciens, des diététiciennes, se faire aider, lire des magazines, lire des livres, mais est-ce que quelqu’un pense à un moment à aller voir un psy aussi ? À faire un accompagnement psychologique ?

Ariane : Alors malheureusement, c’est ce que je voulais dire tout à l’heure par rapport aux enfants, un enfant qui prend du poids, c’est qu’il y a quelque chose d’émotionnel derrière. Ça peut être la conséquence de la privation, mais souvent dans ce qu’on me raconte, c’est des difficultés au sein de la famille, un divorce, un grand-parent auquel on était très attaché qui meurt, un gros mal-être à l’école : des choses qui se passent qui font qu’on va aller chercher un refuge dans la nourriture. Et c’est de ça qu’il faudrait s’occuper, et pas de priver l’enfant – et c’est très rare qu’on s’occupe de ça chez les enfants – et même après, c’est important… J’avais créé un billet de blog « est-ce qu’il faut aller voir un nutritionniste ou un psy ? » et c’est intéressant de se poser la question. Parfois il y a des gens qui viennent me voir une ou deux fois et ça les aide à prendre conscience que le problème est psy et qu’il vaut mieux s’en occuper avec un psy.

Lucile : Anouch, tu parlais de ton expérience, est-ce que tu as eu l’occasion, quand tu étais petite, d’aller voir un psy ?

Anouch : Pas du tout, puisque dans la croyance des médecins qui me suivaient – et dans la croyance de beaucoup de médecins encore – c’est juste l’alimentation le problème, c’est juste « tu manges trop donc forcément si tu manges moins, tu vas maigrir ». Ce n’est pas vraiment le cas dans la réalité : il y a encore un gros problème, une grosse difficulté à prendre en compte que la grosseur est multi-factorielle. Elle ne vient pas que de l’alimentation, et si elle vient de l’alimentation, c’est parce qu’il y a quelque chose derrière cette alimentation hors-normes. Donc il faut aller chercher ailleurs, et ça ne se fait absolument pas chez les enfants. Ça se fait un peu plus chez les adultes quand on commence à en prendre conscience mais il faut déconstruire beaucoup de choses soi-même, ou tomber sur des praticiens qui sont un peu formés à la grosseur.

Solenn : Si je peux rajouter un point par rapport à ce que tu dis Anouch, et à ce que vous disiez avant, je me demande si c’est pas les parents surtout qui devraient aller voir un psy ? Puisqu’en l’occurrence, c’est souvent les parents qui mettent les enfants, et en particulier les très jeunes enfants au régime, c’est très souvent ça qui va conduire ensuite à des troubles du comportement alimentaire et à une prise de poids très importante. Alors qu’à la base peut-être que l’enfant allait être un peu plus gros que la moyenne mais c’est tout, ce n’était pas du tout un problème particulier. Donc finalement l’enfant n’a pas de problème émotionnel très important – il en a peut-être mais, j’allais dire, comme tout le monde – simplement, dans ces cas-là ça peut être un moyen de résoudre des petits problèmes du quotidien : des disputes, des bagarres, des difficultés à l’école ou dans la famille, etc. Ce ne sont pas forcément des difficultés importantes, mais le problème important va venir de la mise au régime et des troubles du comportement alimentaire que ça va engendrer. Donc c’est vrai que de temps en temps, c’est peut-être plutôt les parents qui devraient aller discuter avec un psy.

Public : oui, bravo ! [applaudissements]

Lucile : Alors on a commencé à parler aussi des hommes qui vieillissent un peu, qui commencent à se dire « tiens, je prends un petit peu de bide », mais je trouve que cette pression-là elle est chez les femmes tout au long de leur vie. Même à travers leur ménopause, le corps ne doit pas changer, alors qu’en théorie médicalement il change. Je trouve que chez les hommes ce n’est pas aussi stigmatisé que ça peut l’être chez les femmes.

Ariane : Je pense que c’est en train de changer chez les hommes de 35-40 ans, ou peut-être dans certains milieux socio-professionnels. Avant on acceptait le PDG qui avait du bide, bon vivant, etc., maintenant il faut beaucoup plus être en forme, “affûté” disent les hommes. Et à tout point de vue, au point de vue corporel aussi. Ça gagne les hommes des nouvelles générations, mais sinon les gens qui ont 50-60-65 ans, très souvent ils ne s’en soucient pas. Parce que comme on le disait, le corps de l’homme est beaucoup moins objectivé que celui de la femme, et c’est très souvent le médecin qui va mettre de la pression et qui va alerter sur des risques de santé, qui va faire que l’homme, éventuellement, va envisager de perdre du poids. Mais il y a des hommes qui sont très gros et ça ne leur pose aucun problème, ils considèrent qu’ils ont le droit d’être comme ça, qu’on leur foute la paix. C’est plus des raisons de santé qui peuvent intervenir et donc beaucoup plus tard. Ils ne vont pas être tracassés toute leur vie comme la plupart des femmes.

Lucile : Et puis il y a culturellement une tendresse pour le papy – on a parlé un temps aussi de « dad bod » qui était le bide de bière de l’homme quadragénaire – c’est des choses qui sont vues de façon assez sympathiques. On n’imagine pas une seule seconde une valorisation du « mom bod », qui existe pourtant.

Anouch : Oui, on parle de « bon vivant » quand on parle d’un homme gros. C’est « oh il est bon vivant, il a un bon coup de fourchette, il aime la vie ». Une femme grosse, « elle se laisse aller », elle « a pas de volonté », elle « devrait faire quelque chose »…

Lucile : Il y a beaucoup de Français aussi qui adorent Gérard Depardieu, aujourd’hui dans les films on met énormément en avant ces caractéristiques corporelles, sans que ça fasse ciller particulièrement. Personne ne se dit « Oh, il ne doit pas être en très bonne santé ».

Anouch : Il est perçu comme un bon vivant, donc…

Ariane : Oui, on va dire que c’est son tempérament, c’est quelqu’un d’excessif, mais ça ne va pas être connoté négativement alors qu’effectivement ce ne serait pas du tout pareil – je suis tout à fait d’accord – pour une femme.

Lucile : Est-ce que c’est quelque chose médicalement le fait qu’il y ai plus d’hommes qui viennent à ce moment-là de leur vie ? Pourquoi ? Pour des questions d’images socio-professionnelles principalement ? Dans une optique de jeunisme parce qu’il ne faudrait pas vieillir ?

Ariane : Il y a des hommes autour de 35-40 ans, souvent des hommes qui ont fait beaucoup de sport dans leur jeunesse qui sont un peu choqués de voir leur corps changer et être moins conforme à ce qu’ils aiment. Et il y a quand même aussi – ce que j’ai observé chez quelques hommes – une espèce d’image repoussoir du père, c’est-à-dire que le père est très gros et on ne veux surtout pas lui ressembler, et donc cela ça peux déclencher quelque chose. Sinon, les hommes qui sont très gros vont venir car c’est éventuellement leur femme qui va les envoyer, ou c’est le médecin, et ça ne marchera pas de toute façon car si la personne – homme ou femme – ne prends pas la décision elle-même, cela n’aura pas d’effet.

Lucile : Quand est-ce qu’on parle juste de la santé, plutôt que d’avoir un corps hyper performé qui doit ressembler à une image qu’on a de ce qu’on devrait être, homme ou femme d’ailleurs ? Quand est-ce qu’on se dit juste « je suis bien comme je suis, en bonne santé » ?

Anouch : Alors, le problème déjà c’est qu’on associe la grosseur à la mauvaise santé, ce qui n’est pas forcément le cas. On peut être gros et en mauvaise santé et avoir le droit de rester gros et en mauvaise santé. [applaudissements] Oui, vraiment. On ne parle jamais aussi dans ces cas-là de grossophobie médicale, qui empêche beaucoup les personnes grosses – surtout les femmes grosses – d’aller se faire soigner correctement, parce que quand une femme grosse va chez un médecin, la plupart du temps elle ressort avec une recommandation pour une chirurgie bariatrique.

Lucile : Je précise que ça concerne tous les médecins, pour tous les problèmes médicaux.

Anouch : Absolument, ça concerne les dentistes, les kinés, les ophtalmos… J’ai eu, personnellement, une recommandation d’un ophtalmo pour une chirurgie bariatrique, c’était merveilleux. C’est complètement ridicule en fait. Et forcément, les femmes grosses vont moins consulter, au bout d’un moment, puisque tout est à cause de leur poids. Donc, à quoi ça sert d’aller consulter un médecin ? Les hommes gros peuvent aussi avoir des recommandations déplacées de chirurgie mais comme on le disait, à un poids beaucoup plus élevé. Sur le spectre de la grosseur ils sont vraiment plus loin que pour une femme. Il faut absolument dés-associer l’idée de bonne santé et minceur.

Lucile : Mais il y a encore du chemin à faire là-dessus.

Anouch : Énormément, mais vraiment énormément.

Lucile : Et puis pour le coup à tous les âges de la vie.

Anouch : Oui, absolument, de l’enfance jusqu’à la vieillesse, on perçoit forcément quelqu’un de gros comme en mauvaise santé, et s’il est en mauvaise santé – que ce soit à cause de son poids ou pas – ce sera toujours à cause de la personne grosse, « elle n’a qu’à faire un effort, ça va ».

Lucile : Oui parce qu’il y a ça mais il y a aussi les clichés qu’on peut véhiculer sur le caractère, en l’occurrence, que c’est des personnes qui ne se bougent pas assez, qui ne font pas assez de sport, qui ne sont pas motivées.

Anouch : Tout à fait, il y a les biais grossophobes extrêmement ancrés dans la société, qui voient les personnes grosses comme des personnes feignantes, incapables de se bouger, incapables de se prendre en main, qui ne peuvent pas prendre de décision pour elles-mêmes ou si elles en prennent c’est forcément des mauvaises décisions. Il faut changer tout ça.

Lucile : Ces clichés grossophobes, entre hommes et femmes, il y a une différence Solenn ?

Solenn : C’est compliqué de dire s’il y a vraiment une différence parce que c’est des clichés qu’on retrouve un peu partout dans les médias, dans les films, chez le médecin, dans la rue, etc. Ce qu’on disait tout à l’heure sur l’homme qui va jouer le côté viril, costaud, on le voit pas mal dans les films où on va avoir un personnage qui va être très costaud, très corpulent, mais qui va amener sa force physique avec lui, et qui va du coup avoir une perspective plus positive de la grosseur. Ou le bon vivant, qui va quand même être plus souvent associé aux hommes : ça va être le personnage joyeux qui aime bien manger, etc. Maintenant, c’est vrai que le fainéant, la fainéantise, la paresse, etc. sont quand même associées aux deux, en tout cas dans les médias on retrouve souvent cette caractéristique-là. Il y a aussi l’association de la grosseur avec le fait de manger tout le temps. C’est quelque chose qui m’avait pas mal marqué quand j’avais regardé des films et ses personnages : très souvent quand il y a un personnage gros et en particulier quand c’est un enfant (mais pas que), il est toujours associé à la bouffe, à la malbouffe, au fait de manger. Alors « le gourmand » ça peut être quelque chose de positif, c’est pas forcément une image négative mais dans ce cas c’est souvent une image assez négative. Il y avait cependant peu de différence de genre, en tout cas sur cette question la.

Ariane : Mais c’est important cette question de l’image de la personne grosse qui doit être une goinfre qui mange tout le temps, parce que cela a créé le fait que la personne grosse va très souvent être dans un contrôle très important quand elle est avec les autres. Elle se dit « on croit que je mange beaucoup alors je vais montrer que je suis très raisonnable » donc elle va manger peu, elle va choisir des choses pas très caloriques. Sauf que ce contrôle va souvent entraîner le fait que quand elle rentre chez elle, elle va se lâcher parce qu’elle s’est trop contrainte. Parce qu’elle essaye d’aller contre l’image qui est véhiculée par la grosseur.

Lucile : Et on en sort de la spirale du régime ?

Ariane : C’est mon travail (rires). Juste une petite chose sur la santé – c’est très important de distinguer le poids et la santé : il y a un peu plus de risques de santé chez les hommes puisque les hommes vont accumuler beaucoup plus de graisses au niveau abdominal, et cela représente un plus grand risque de santé que d’avoir des grosses cuisses ou des grosses fesses. Les femmes sont – au niveau cardio-vasculaire – beaucoup plus protégées que les hommes. Et justement on sort de la spirale du régime – moi j’essaye de faire sortir les gens le plus tôt possible – mais des fois les femmes sont résignées. Ce qui va les faire consulter c’est de commencer à avoir des problèmes au niveau des articulations ou de la mobilité, qui vont faire qu’elle se dit « il faut faire quelque chose pour perdre du poids » mais sans régime. C’est ça qui est triste – moi je fais ce que je peux, j’ai des collègues qui font ce qu’ils peuvent – la culture des régimes est tellement importante. C’est vraiment le carrefour du patriarcat et du capitalisme, c’est-à-dire fragiliser les femmes, puis leur vendre tout un tas de choses pour les faire mincir : il y a tout le temps des poudres de perlimpinpin, des coachs, des méthodes minceurs, etc. Il y a énormément de pression, et la voix alternative qui est de dire « si on le décide, si on en a envie, on peut perdre du poids pour se sentir mieux sans faire de régime », cette voix-là que moi je défends elle est encore trop peu connue et trop minoritaire. Mais bien sûr, il y a des personnes qui peuvent décider consciemment de faire de la chirurgie bariatrique si elles ont beaucoup de poids en trop, puis il y a des personnes qui perdent 15, 20, 30, 40 kilos tranquillement, dans le temps, en travaillant éventuellement avec un psy, en travaillant le coté émotionnel, la réécoute de ses sensations, la non-privation donc ne pas avoir de craquage… C’est tout un travail global, mais sans faire de régime.

Lucile : J’y ai pas pensé, là ça vient de me sauter au visage mais c’est vrai qu’il existe beaucoup moins de crèmes amincissantes de nuit pour les hommes [rires]. Alors que je peux en citer je pense au moins 20 là, de tête.

Anouch : C’est bien de le rappeler : la lutte anti-grossophobie c’est une lutte anti-capitaliste et féministe, très clairement [applaudissements]. On vends aux femmes beaucoup beaucoup beaucoup de solutions miracles que ne marchent pas ou qui vont marcher très peu sur un court temps, pour leur revendre derrière encore plus de choses.

[36’24]

Lucile : Qui participe à une forme de taxe rose : des produits qui sont inventés complètement pour des besoins invisibles pour les femmes.

Ariane : D’ailleurs on rejoint ce qu’on disait tout à l’heure sur le muscle et la force : il y a des tas de yaourts minceurs, yaourts light, 0 %, etc. et les hommes n’achetaient pas ça. Donc on a créé les yaourts hyper-protéinés pour les hommes, avec des packagings noirs ou marron… pour essayer de vendre des yaourts aux hommes.

Anouch : Des yaourts de guerre ! C’est pour faire la guerre !

Solenn : Pour continuer sur ce thème, on parlait tout à l’heure de la question du genre des aliments et c’est vrai qu’on rejoint cette question-là en faisant un packaging qui correspond, et je trouve qu’on voit aussi cette question avec la viande en particulier. Ça me fait penser aux publicités pour vendre de la viande, du beefsteak : ça va être « l’homme viril qui mange de la viande bien saignante ». Ce sont des associations guerrières qui sont mises en avant. C’est intéressant parce que la viande est l’aliment genré par excellence qui est extrêmement vieux, et qu’on retrouve historiquement depuis très longtemps. Les femmes vont être associées à la salade, en tout cas aux légumes, etc. et les hommes à la viande.

Anouch : J’adore être associée à une salade. C’est… (rires) une passion pour moi.

Ariane : Il y a ce qu’on appelle la « pensée magique » : si je mange de la viande je vais être fort. Il me semble quand même que les choses sont en train de changer : l’alimentation reste très genrée mais en ce moment il y a un mouvement très important pour manger moins de viande, et ça concerne aussi les hommes. Et moi aussi j’ai des stéréotypes dans la tête, c’est-à-dire que moi aussi j’imagine que les hommes mangent plus de viande. Je me rappelle d’un monsieur qui était venu me voir, qui devait avoir 55-60 ans, conducteur SNCF, un mec très simple un peu costaud. Je pensais qu’il venait me voir pour perdre du poids et pas du tout, en fait il était végétarien et il voulait devenir vegan. Il y a quand même ce mouvement de préoccupation du bien-être animal, de manger moins de viande pour des raisons liées à cela ou à l’écologie. Je pense que cela impacte aussi beaucoup les hommes, sachant qu’il y a aussi beaucoup d’hommes (je ne saurais pas chiffrer) qui sont justement dans la résistance vis-à-vis de ça, qui sont plutôt « je vais manger encore plus de viande et je vous emmerde ! ».

Lucile : Oui pour poser leur virilité… J’allais dire, si le patriarcat perdure et qu’on dit qu’il faut manger moins de viande, ils vont trouver un autre truc très viril à manger, enfin je veux dire… s’ils peuvent plus manger de bœuf, ils vont s’attaquer à autre chose.

Anouch : Oui et puis on demande beaucoup aux femmes de ne pas prendre de place ou de prendre le moins de place possible. Une manière de lutter contre tout ça c’est de se rendre compte qu’on a le droit de manger, on a le droit de se nourrir de viande si on a envie, ou pas, ou de raclette, ou de n’importe quoi. On a le droit de se nourrir et de vivre et de prendre de la place.

Lucile : Je pense à une question que j’avais envie de te poser tout à l’heure, après ces applaudissements mérités [applaudissements]. Je parlais de spirale du régime et de comment s’en sortir, tu disais que tu y étais entrée quand tu étais toute petite. Où est-ce que tu en es, comment tu as réussi à changer ça ?

Anouch : Personnellement j’ai arrêté il y a très longtemps, j’ai été au régime continuellement de mes 5 ans à mes 17 ans. Ça a fait beaucoup de dégâts, ça a fait la personne grosse que je suis aujourd’hui. Parce que j’ai perdu beaucoup de poids, et j’en ai repris beaucoup aussi. Ça a laissé des traces qui sont très compliquées à effacer avec ma relation avec la nourriture, très clairement. En revanche, j’ai fait la paix avec cette idée de… en fait j’ai pas besoin de maigrir pour être une personne qui a le droit de vivre. J’ai besoin de me nourrir pour faire des choses, j’ai besoin de me nourrir pour lire, pour écrire. Donc je me nourris. Je prends du poids, je prends du poids. Je perds du poids, je perds du poids. On s’en fout en fait. [applaudissements] Merci, merci. Il faut arriver à avoir (au maximum) une relation neutre avec son corps.

Lucile : Et c’est déjà très difficile et une sacrée aventure d’en arriver là, j’imagine que ça change aussi ta relation avec ta famille ? Parce que du coup tout le monde est impliqué ?

Anouch : Oui et non, je viens d’une famille de personnes grosses, on est tous gros. Donc je crois qu’ils avaient aussi besoin de voir qu’on peut vivre sans faire des régimes. Que c’est aussi une manière de vivre, donc ça se passe plutôt bien.

Ariane : D’ailleurs je rejoins ça, il y a des personnes qui viennent me voir et qui parfois ont peur de perdre du poids. Il y a différentes raisons qui peuvent faire qu’on a peur de perdre du poids, mais elles ont peur d’un problème de loyauté vis-à-vis de la famille. C’est-à-dire « toute ma famille est grosse, si moi je maigris, qu’est-ce qu’il se passe dans ma relation avec ma famille ? » donc c’est pas toujours simple. Il y a une autre chose, on parlait du patriarcat : le poids est une protection aussi, c’est à dire quand on est une femme séduisante et qu’on est très embêtée, prendre du poids est aussi une façon se protéger.

Lucile : On revient aussi dans cette histoire d’accompagnement psy pour les parents qui nécessite vraiment une vision globale de la famille, de tout le monde qui s’implique. Plutôt que de juste mettre l’enfant dans un cadre où il se retrouve avec lui-même et des praticiens qui vont être possiblement violents avec lui ou elle. La famille entière doit s’impliquer.

Ariane : Moi je ne reçois jamais un enfant sans l’un des parents, après si c’est un enfant qui commence à avoir 10-12 ans qui vient avec ses parents, je demande à un moment donné s’il veut dire des choses sans les parents (pour que les parents sortent éventuellement). Évidemment, il est absolument fondamental que les parents soient là et que les parents entendent – il ne s’agit pas de les faire culpabiliser et de les rendre responsables – ce qu’il y a à entendre par rapport à la situation.

Lucile : Et puis le but c’est aussi du mieux-être, des améliorations, donc ça peut être des choses difficiles à entendre mais c’est positif dans le principe.

Ariane : Bien sûr.

Lucile : Je voulais clôturer ce tour de parole en donnant toutes nos idées d’améliorations, surtout sur la question du genre, de l’alimentation, de la grossophobie de la société en général. Un point de vue militant, personnel, politique… Solenn, si tu veux commencer. Comment on peut changer les choses, améliorer les choses, c’est quoi ta vision ?

Solenn : Déjà je pense qu’il faut vraiment lutter contre la grossophobie et contre les discriminations de manière générale. Ça me parait essentiel, car c’est ça qui fait que les personnes se sentent mal et donc qui déstructure leur rapport à l’alimentation. Cette lutte contre les discriminations doit aussi cibler particulièrement la question du genre. Il y a plein d’autres problématiques qui sont aussi très importantes dont on n’a pas forcément parlé : la question sociale par exemple. Je pense que ça c’est déjà le premier truc, après je dirai aussi informer les gens. Leur montrer que la question de l’obésité, la grosseur, est beaucoup plus compliquée qu’ils ne l’imaginent. Ça participe bien à la question de la lutte contre les discriminations : expliquer aux gens ce qu’il en est et informer les gens sur leurs droits, leur droit de lutter, de réagir s’ils sont victimes de discrimination – tout cela est très important.

Il y a aussi montrer la diversité corporelle, dans les médias, les films, les réseaux sociaux, mais en dissociant la corpulence de la personne de ce qu’elle est. Le problème c’est que très souvent les personnes grosses vont être présentées soit négativement, soit positivement, mais toujours avec un lien avec leur grosseur. Alors que cela devrait être une personne comme les autres : qu’elle soit grosse ou non on s’en fiche. Le personnage joue le méchant, le gentil, ça ne devrait pas être un trait de caractère d’être gros, et ça l’est trop souvent. Ça rajoute un petit peu sur la question du caractère.

Puis peut-être un dernier point sur la question de la prise en charge de manière générale, on parlait de grossophobie médicale tout à l’heure : il y a un vrai problème actuellement sur la question de la prise en charge. À la fois pour ne pas associer la question de l’obésité directement à la question de la santé, mais aussi pour aider les personnes grosses qui souhaitent se faire soigner lorsque ça n’est pas lié à leur grosseur, qu’elles puissent se faire soigner sans être discriminées. Et celles pour qui c’est lié à leur grosseur puissent aussi se faire soigner sans être discriminées. On a un tout petit peu parlé de la chirurgie bariatrique mais c’est important aussi de signaler cela : si certaines personnes ont besoin de faire de la chirurgie, il faut améliorer la prise en charge et améliorer la question de la chirurgie de manière générale. Pour le moment ça reste encore problématique sur plein d’aspects. Et aussi prendre en charge plus généralement et pas seulement d’un point de vue médical. Cela rejoint peut-être ce qu’on disait sur la question psy. Je pense qu’il n’y a pas que la question psy, il y a les questions socio-économiques, etc. Il faut savoir que, juste un petit exemple, sur la question de la chirurgie bariatrique : beaucoup de personnes qui ont fait une chirurgie bariatrique ont des problèmes de santé ensuite parce que financièrement elles n’ont pas les moyens de payer les vitamines qui vont, etc. Donc là on est au croisement des questions de capitalisme, c’est quand même incroyable. Améliorer la prise en charge au sens large. Après il y a plein de choses, hein, mais… (rires)

Lucile : Anouch ?

Anouch : Oui, je suis assez d’accord avec ce qu’a dit Solenn, il faut améliorer la prise en charge. Il faut aussi complètement dissocier la grosseur de la moralité, parce qu’on met beaucoup de mauvaise morale derrière la grosseur. Il faut changer plein de choses dans notre système (rires) : la grossophobie médicale évidemment, les problèmes d’accès, les problèmes d’accès au travail aussi, un million de choses dont on a pas eu le temps de parler aujourd’hui. Il faut aussi je pense travailler sur… on a pas besoin de maigrir pour avoir de la valeur et pour avoir le droit de vivre. Il faut s’en rappeler tous les jours et travailler vraiment là-dessus, il faut essayer de lutter au maximum contre la grossophobie. Faites le en venant adhérer à Gras Politique, ça nous fait plaisir ! Venez nous aider. Et puis, vraiment, vivez pour vous.

Lucile : Merci Anouch. Et puis, on arrête les régimes, enfin.

Ariane : Oui, je pense que beaucoup de choses ont été dites. Il ne faut pas arrêter les régimes, il faut lutter contre la culture des régimes. Il faut vraiment dénoncer ça, montrer tout le mal que ça fait, montrer que ce n’est vraiment pas une solution et que c’est très nuisible. Je rejoins ce que disait Solenn, c’est très important de montrer la diversité : on ne voit pas des corps différents, nulle part. Il y a un travail de la philosophe Camille Froidevaux-Metterie sur les seins. Elle a fait un livre sur les seins et c’est incroyable, elle montre plein de photos de seins. Jamais on ne voit des photos de tous les seins. Donc on grandit en tant que petite fille, ado, en se disant « j’ai des seins pas normaux », puisqu’on ne voit que les seins des mannequins ou des filles des pubs. Il faut faire la même chose pour les corps, voir des corps de toutes sortes, des corps gros, des corps minces, des grands, des maigres, des carrés, des ronds, voir tout ça et qu’on se dise que c’est normal que les corps soient divers. Ça c’est un gros chantier. Et puis par rapport à ce que disait Anouch, même si on vit bien avec son corps, on vit dans un monde hostile, donc il y a beaucoup à faire pour que les sièges soient suffisamment grands, dans les trains, les avions, les restaurants, les théâtres… que le monde médical, que tout soit adapté aux personnes, quelle que soit leur morphologie. Même si on fait un travail sur soi, le monde n’est pas adapté.

[applaudissements]

Solenn : Je rajoute mon grain de sel sur les conseils, moi je conseille tout le temps aux gens de s’intéresser aux autres, juste. Donc écoutez des podcasts, lisez des livres, allez vous renseigner dans les assos comme Gras Politique. Pour juste apprendre de l’autre, qu’on soit concerné ou pas, finalement ça concerne tout le monde. En l’occurrence on est toujours à deux doigts de dire une connerie grossophobe donc c’est toujours intéressant d’être plus intelligent, de devenir plus intelligent en s’intéressant à l’autre.

Anouch : Complètement. La lutte contre la grossophobie c’est une lutte qui libère toutes les femmes, soyons très claires. Donc venez.

[applaudissements]

Lucile : Merci Ariane Grumbach, diététicienne anti-régime défendant la diversité des corps et on l’a beaucoup dit ce soir. Merci Solenn Caroff, maître de conférence Université la sorbonne et autrice de Grossophobie, sociologie d’une discrimination invisible et merci Anouch, membre historique de Gras Politique. [applaudissements] Merci au Très Gros Festival de nous avoir accueillies et à très vite pour de nouveaux épisodes, très très vite même. Merci à l’équipe de Slate Podcasts et à Victor Benhamou pour la réalisation live.

[applaudissements]

Les stigmatisations liées au poids des personnes enceintes augmente le risque de diabète gestationnel

Il y a quelques temps, des membres de Gras Politique sont tombé·e·s sur cet article médical, en anglais, et ont décidé d’en faire un résumé en français afin de diffuser les résultats de l’étude.

L’étude a été menée par Taniya S. Nagpal, A. Janet Tomiyama et Angela C. Incollingo Rodriguez, et est disponible en suivant ce lien : bit.ly/StigmatisationDiabeteGestationnel

De précédentes études (2015 et 2017) menées sur des femmes non enceintes montrent que la stigmatisation de leur poids augmente le risque de comorbidités liées au poids et de syndrome métabolique.

Dans cet article paru en juillet 2021, il est décrit une étude menée sur 358 femmes en post-partum (ayant accouché il y a 1 an ou moins) concluant de manière assez claire que le risque de diabète gestationnel est lié de manière significative, non pas à l’IMC des patientes, mais à la sensation de stigmatisation de leur corps et de leur poids pendant leur grossesse.

Cet échantillon de femmes a dû, entre autres, répondre à ces questions : « depuis que vous êtes tombée enceinte, avez-vous été traitée différemment à cause de votre poids ? Avez-vous été mise mal à l’aise à cause de quelque chose ou de quelqu’un par rapport à votre poids ? », puis indiquer la source de leurs informations.

Intéressant, car selon elles, la source la plus récurrente de cette stigmatisation viendrait des médias (c’est une étude américaine) et cela plusieurs fois par semaine. Ce problème ne se limite pas aux personnes dites en surpoids, mais indifféremment de leur IMC.

L’association entre l’IMC d’avant grossesse et le diabète gestationnel a été régulièrement démontré. Mais de manière très intéressante, cette récente étude démontre à son tour qu’un important ressenti négatif et stigmatisant vis-à-vis de son propre poids est associé de manière bien plus significative à un risque de développement de diabète gestationnel. Visiblement, les résultats démontrent que cette association émotionnelle est bien plus importante qu’avec l’indice de masse corporel uniquement.

Cette découverte concorde avec le fait que la stigmatisation du diabète est souvent comparée à la stigmatisation de l’obésité. C’est-à-dire que la cause fondamentale de ces idées reçues et de la stigmatisation qui en résulte est la perception sociétale dominante selon laquelle ces pathologies découlent du choix d’un mode de vie malsain par un individu.

L’intersectionnalité de ces stigmates est une importante orientation future pour la recherche.

Traitement du corps gros pendant la pandémie mondiale de COVID-19, un double regard France / USA

C’est avec grande joie que nous avons recueilli l’autorisation des autrices de l’article états-unien “Resisting the problematisation of fatness in COVID-19: In pursuit of health justice”, que vous pourrez retrouver à la fin de ce billet. Les études universitaires sociologiques concernant le corps gros, la grossophobie et son impact dans les politiques de soin sont encore rarissimes en France. On peut compter sur les doigts d’une seule main les courageuses universitaires qui osent se lancer, et qui sont souvent mal reçues par l’institution. La grossophobie, la grosseur, ne seraient pas des sujets nobles dans notre pays. Les militantes contre la grossophobie ont depuis toujours produit des textes, des fanzines qui dénoncent l’inégalité du parcours de santé pour les personnes grosses, mais nos moyens sont ridicules face à des leviers bien ancrés dans une société de la performance et de l’apparence : grossophobie, racisme, sexisme et classisme, validisme.

Les militantes racisées ont été les premières à dénoncer le contrôle de leurs corps par la colonisation blanche occidentale. Les corps des femmes noires ont été les premiers à souffrir de stigmatisation, de rejet, d’exotisation et de tortures médicales. Dans son livre “Fearing the black body, the racial origins of fatphobia”, l’autrice Sabrina Strings met en lumière les racines profondément racistes de la grossophobie contemporaine.

C’est à la fin du XVIIe siècle que la grosseur est devenue un outil de catégorisation raciale. Les écrits des premiers “scientifiques des races” comme George Cuvier, J.J. Virey et Georges-Louis Leclerc ont établi des liens directs entre la gourmandise, la bêtise et les caractéristiques des Africains, dont l’oisiveté était attribuée à leur climat chaud (un trope omniprésent que l’on retrouve également dans le discours colonial sur l’Inde). Le rationalisme de l’époque des Lumières a transformé la nourriture en bien moral et a rendu l’ascèse nécessaire à la poursuite d’une activité intellectuelle. C’est à ce moment qu’un physique maigre a cessé d’être synonyme de maladie, et qu’il est devenu la preuve de la supériorité morale et intellectuelle des Européens, théorie soutenue par les écrits d’anthropologues et de naturalistes cherchant à codifier et à biologiser une hiérarchie raciale. Ces œuvres ont mis un accent particulier sur les corps des femmes d’Afrique australe, qui ont été dépeintes comme grotesquement monstrueuses et animales tout en alimentant une fascination voyeuriste comme dans l’ignoble “ménagerie ethnographique itinérante” de Cuvier, qui présentait les corps des esclaves africains et des femmes comme Saartjie Baartman.

Il est nécessaire de comprendre que la grossophobie est un héritage de l’esclavage et qu’elle permet ainsi l’établissement de la blancheur comme norme morale et sociale. Sans cela, nous ne pouvons pas comprendre comment notre obsession contemporaine pour la minceur est enracinée dans le racisme et plus particulièrement dans la négrophobie. La stigmatisation de l’obésité comme étant un pilier central de la crise de santé publique repose sur les mêmes mécanismes que ceux sur lesquels les “scientifiques” européens des races des siècles derniers se sont inspirés pour faire de la grosseur un indicateur de la paresse du corps, de l’esprit et de l’âme. 

L’obésité en France comme dans la majorité des pays développés devient un marqueur de classe. Ce sont les plus pauvres, les plus précaires, les plus exclu·e·s, qui sont les plus gros. Dans les classes les plus hautes, le seul surpoids est un marqueur de déclassement. Les départements les plus pauvres, et qui concentrent les habitats les plus denses, sont aussi les plus obèses. Les territoires les plus riches, les plus blancs, et aux bassins d’emplois les plus dynamiques, sont relativement épargnés par ce qui était jusqu’en 2020 l’épidémie du siècle.

Le patriarcat porte aussi une lourde responsabilité dans la grossophobie subie principalement par les femmes en France. La féminité, ce caractère indéfinissable par celles qui s’identifient comme femmes, est décrite et catégorisée par les hommes. La minceur est au centre des attentes qui pèsent dès l’enfance sur les femmes : le premier régime est envisagé en moyenne des 8 ans. La grosseur est toujours jugée par les biais moraux hérités des colons XVIIème, une femme grosse est moins désirable, moins aimable, moins capable, en mauvaise santé. Le modèle hétérosexuel dominant fait porter aux femmes la responsabilité de plaire à l’homme. C’est une course effrénée qui s’engage avant même la puberté pour rentrer dans la norme de désirabilité. Le capitalisme, et l’industrie des régimes en particulier, a bien compris ce mécanisme, et exploite les rêves de maigreur de millions de femmes avec des promesses infondées et souvent dangereuses. Des milliards d’euros de compléments alimentaires brûleurs de graisses, d’extraits de pamplemousse, de champignons ou de plantes diurétiques rejoignent chaque année les égouts français, sans jamais infléchir la courbe de l’obésité. 

Le corps gros est donc au centre d’une nébuleuse de préjugés et de discriminations. L’épidémie de la COVID-19 les a mis en lumière : depuis mars 2020, les personnes grosses et atteintes par le virus sont stigmatisées comme responsables de leur état. On ne compte plus les titres de presse ou les reportages télévisés dans les réanimations faisant part du nombre anormal de personnes obèses atteintes par des formes graves du virus. On ne compte plus le nombre de corps gros anonymes filmés, montrés comme épouvantails à une population déjà inquiète. La grossophobie, comme un refrain entêtant dont on ne pourrait pas se défaire, rassure les minces, rassure les riches, rassure les blancs. Les études scientifiques sur les facteurs de risques liés à l’obésité se contredisent. Les études épidémiologiques stigmatisent volontiers l’obésité comme facteur de risque, sans être capable d’en quantifier ou d’en décrire le processus. Ainsi dans la récente étude EPI-PHARE “Covid-19 : facteurs de risques d’hospitalisation et de décès à l’hôpital”, on peut lire “Si l’effet propre de l’obésité n’est pas directement interprétable, il est probable que, en tant que facteur d’ajustement pour d’autres pathologies, une partie de sa variabilité soit prise en compte par l’intermédiaire d’autres pathologies chroniques comme le diabète, ou dans une moindre mesure l’hypertension, permettant ainsi de réduire le biais de confusion résiduel potentiel.” L’étude indique également “dans notre étude, l’obésité était sous-estimée : en effet, nous ne prenons en compte que les formes les plus sévères nécessitant une hospitalisation ou le recours à la chirurgie bariatrique, l’indice de masse corporelle (IMC) n’étant pas renseigné dans notre base de données”. Pas de relevé systématique de l’IMC (mesure obsolète encore utilisée en médecine pour classifier le rapport corps-masse), des constatations empiriques, cela ne saurait suffire à faire la lumière sur les liens entre obésité et COVID-19. On retiendra néanmoins la conclusion de l’étude : “Les associations entre l’indice de défavorisation et le risque de COVID-19 (hospitalisation avec COVID-19 ou décès) étaient fortes en dessous de 80 ans avec un risque de décès multiplié par deux chez les plus défavorisés par rapport au plus favorisés”.

Indépendamment de la réalité médicale des facteurs de risques liant la COVID-19 à l’obésité, nous devons nous interroger sur la manière dont la stigmatisation individuelle et systémique qui l’entoure a influé sur la prise en charge des personnes obèses touchées par le virus. On note sans surprise que ce sont les départements les plus pauvres, et donc les plus gros, qui ont été impactés le plus largement par le virus. Ces territoires déjà défavorisés et stigmatisés, ont souffert de la crise sanitaire bien plus que d’autres. Et les personnes grosses, dans la même logique, bien plus que les autres.  La prise en charge médicale des gros·se·s n’est pas bonne en France. Du cabinet du médecin de famille au service de chirurgie de l’hôpital, de la grossophobie des soignant·e·s à celle de la politique de santé publique privant l’hôpital et les malades d’équipement et de personnel, à la maternité comme en soins palliatifs, être gros·se·s est un facteur de risque de maltraitance documenté. Comment des services souffrant déja du manque organisé par l’Etat de ressources en période normale ont-ils pu adapter leurs traitements du corps gros dans l’urgence de la pandémie ? Des lits adaptés sont-ils apparus comme par magie ? des lève-malades ont-ils été commandés ? Les équipes ont-elles été renforcées pour prodiguer soins, toilettes et mobilisation aux patient·e·s gros ? A priori, rien de tout cela n’a existé. Les patient·e·s gros·se·s ont dû se satisfaire, comme toujours, d’une prise en charge calquée sur celle des corps “normés”. Ces malades gros, montrés du doigt comme fragiles, appelés à se confiner plus strictement que d’autres, pressés à maigrir en urgence comme si les kilos perdus pouvaient faire barrage à la pandémie, n’ont pas bénéficié de traitements particuliers, Notre hypothétique fragilité n’est pas compensée par des mesures particulières ou par le financement d’équipements ou de parcours spécialisés dans l’épidémie. Nous ne sommes même pas pris en compte dans les premières campagnes de vaccination. Nos corps gros et malades ont encore une fois servi à faire paravent à l’incompétence notoire de notre système de santé et de ses dirigeant·e·s à nous envisager comme dignes d’être soigné·e·s à égalité avec les autres. Il ne s’agit pas ici de montrer du doigt les soignant·e·s qui ont tenu bon lors de l’épidémie et ont sauvé la vie de milliers de gens. Il s’agit de pointer l’hypocrisie d’un discours qui tape sans cesse sur les gros·se·s, les obèses, sans jamais prendre en compte la spécificité de l’obésité. Il s’agit de dire que nous refusons que nos corps gros, racisés, pauvres, en situation de handicap ne soient pas pris en compte dans les stratégies et les politiques de santé publique.

Nous devons apprendre à tirer les leçons de cette épouvantable pandémie. Cette crise sanitaire doit hurler au monde ce que nous, les militant·e·s, savons déjà. Nous ne sommes pas toutes et tous égaux devant la médecine en France. Nous n’avons pas toutes et tous les mêmes chances. Nous, les militant·e·s pour la justice sociale, devons nous organiser pour nous assurer que nos corps ne seront plus stigmatisés ou sacrifiés. Nous, les militant·e·s pour l’égalité, devons faire pression sur le gouvernement pour que notre système de santé assure les mêmes possibilités de soin, de prise en charge et de survie à toutes et à tous. Nous ne voulons plus jamais avoir peur de ne pas être assez normé·e pour ne pas subir un triage à l’entrée en réanimation. Nous ne voulons plus jamais que nos corps servent à l’instrumentalisation du récit des échecs gouvernementaux. Nous ne porterons pas la responsabilité de votre manque d’humanité. 

 



Résister à la stigmatisation de la grosseur dans le cadre de la COVID-19: Pour un accès juste et équitable à la santé

D’après : Cat Pausé, George Parker, Lesley Gray, Resisting the problematisation of fatness in COVID-19: In pursuit of health justice, International Journal of Disaster Risk Reduction, Volume 54, 2021 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2212420920315235

Traduction : Gras Politique Relecture et correction : Lina Chemin

L’objectif de cet article est d’explorer la problématisation de la grosseur dans les réponses actuelles à la pandémie de COVID-19. Cet article trouve ses sources dans le catalogue de publications provenant de journalistes informé·e·s essentiellement par des articles scientifiques, non examinés par des
pairs, décrivant la relation entre la grosseur et la COVID-19.

Notre méthode d’enquête consiste à examiner la grosseur et la COVID-19 via un axe de problématisation qui nous permet de remettre en question les procédés scientifiques, politiques, et économiques à l’origine de la présentation des corps gros comme étant problématiques. La grosseur est mise en avant comme étant problématique dans le cadre de la pandémie de COVID. Cela permet de détourner la responsabilité des gouvernements et des systèmes de santé en matière de veille sanitaire et de protection des populations et d’impliquer la responsabilité individuelle des personnes grosses. C’est injuste et contraire à l’éthique.

En parallèle, les militant‧e‧s contre la grossophobie du monde entier contestent la stigmatisation de la grosseur et ses conséquences, et aident les personnes grosses à contrecarrer les manœuvres grossophobes des institutions en pleine pandémie de COVID-19 en s’organisant collectivement pour se soutenir les un‧e‧s les autres. La manière dont la grosseur est instrumentalisée dans le contexte de la pandémie permet au système de santé de détourner sa responsabilité en matière de veille sanitaire et de résilience communautaire, et de faire porter cette responsabilité aux personnes grosses. C’es une injustice et cela empêche la mise en place d’actions nécessaires pour répondre aux inégalités sociales face à la santé et à l’accès aux soins rendues évidentes par la COVID-19.

Cet article semble être le premier à analyser l’instrumentalisation de la grosseur dans le cadre de la COVID-19, soulignant les leçons nécessaires portées par les militant.e.s contre la grossophobie à propos de l’accès égalitaire aux soins et à la santé dans un contexte de catastrophe, durant cette pandémie.

1. Introduction

Alors que le monde s’unit pour lutter contre la pandémie mondiale de COVID-19 (nouveau coronavirus SRAS-CoV-2), les questions d’égalité et de justice face à la santé sont au premier plan. Des schémas manifestes de vulnérabilité en fonction de la race, de l’indigénéité, du handicap et du statut socio-économique se détachent clairement parmi les personnes les plus à risque d’hospitalisation et de décès dus au virus dans les pays du Nord -par exemple [1, 2, 3]– et parmi ceux qui sont les plus directement touchés par les secousses sociales et économiques qui en découlent -par exemple [4, 5] -. Cela souligne l’importance des efforts mondiaux à produire pour s’attaquer aux facteurs sociaux déterminants en matière de santé, aux forces et systèmes sociaux, économiques et politiques qui, plus largement, façonnent les conditions de vie quotidienne des populations et qui sont, en majeure partie, responsables de différences injustes et évitables en matière d’état de santé au sein des pays ainsi qu’entre ces derniers [6, 7].

Cependant, au lieu d’une mobilisation des efforts pour lutter contre les inégalités en matière de santé, nous assistons à un renforcement du discours prônant la responsabilité individuelle et la culpabilisation de la vulnérabilité face aux problèmes de santé qui caractérise le monde de la santé dans les pays du Nord ces dernières décennies [8, 9]. C’est tout particulièrement évident dans la manière dont les réponses à la pandémie donnent un nouvel essor à l’affolement moral autour de la grosseur, en renforçant la stigmatisation des personnes grosses en tant que sujets incriminés pour leur supposée absence de self-control et fardeaux pour les systèmes de santé et le bien-être de la communauté.

Cet article présente une réponse critique à l’exploitation du gros comme bouc émissaire dans les réponses actuelles à la pandémie de COVID-19. Nous commençons en retraçant l’historique de la stigmatisation des corps gros dans les pays du Nord au cours des dernières décennies à travers l’émergence d’un paradigme de santé centré sur le poids et les efforts qui en résultent pour lutter contre «l’obésité» [10, 11]. Nous explorons ensuite les différentes manières dont les réponses à la pandémie ont repris et amplifient cette stigmatisation. Nous établissons des parallèles entre le traitement de la grosseur dans le cadre de la pandémie actuelle de COVID-19 et dans d’autres contextes de catastrophe.

Nous soutenons que la stigmatisation de la grosseur dans les réponses actuelles à la pandémie de COVID-19 détourne la responsabilité en matière de veille sanitaire et de résilience communautaire et fait porter celle-ci aux personnes grosses. C’est une injustice et cela empêche la mise en place d’ actions nécessaires pour répondre aux inégalités face à la santé et à l’accès aux soins rendues évidentes par la COVID-19. Nous concluons cet article en décrivant les efforts de la communauté des militant‧e‧s gros‧ses pour faire face à la stigmatisation de la grosseur dans les réponses à la COVID-19 afin d’offrir aux personnes grosses des opportunités de s’organiser collectivement pour défendre leurs propres besoins. Nous portons ces actions en tant que modèle de justice sanitaire et sociale face à une pandémie mondiale.

Nous utilisons délibérément le terme «gros» pour désigner la grosseur, le corps gros et les personnes grosses. L’ utilisation du mot «gros» au lieu du terme normatif «en surpoids» ou de celui, pathologisant, «d’obésité», signale notre engagement à éviter de stigmatiser davantage la grosseur et les personnes grosses dans cet article. C’est aussi le terme privilégié dans les travaux des chercheurs en Fat Studies et par les militant‧e‧s gros‧ses. [12,13].

2. Le corps gros stigmatisé

L’utilité du corps gros comme objet de condamnation et de punition dans les réponses actuelles à la pandémie de COVID-19 s’appuie sur la problématisation de la grosseur ces dernières décennies. La problématisation comme méthode d’enquête attire notre attention sur les intérêts politiques et les relations de pouvoir qui présentent des «problèmes» comme des vérités généralement admises, ainsi que leurs effets néfastes, afin qu’ils puissent être contestés et reconstitués de manière plus productive [14].

À travers le prisme de la problématisation, l’état de grosseur en tant que marqueur de mauvaise santé et de mauvaise gestion individuelle de sa santé dans les pays du Nord se révèle comme un phénomène relativement récent et hautement politisé [10]. On a fait des corps gros un problème de santé majeur, accusé d’épuiser les ressources limitées du système de santé. La réponse du système de santé est un paradigme basé sur le poids qui concentre un ensemble de présupposés fondamentaux à propos du corps gros.

Le premier est que la grosseur est au cœur de l’état de santé des individus, en tant que facteur de risque sous-jacent de maladies chroniques comme le diabète de type 2, les maladies cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux et certains cancers, mais aussi en tant que maladie à part entière [6]. Le deuxième présupposé est que la grosseur est avant tout le résultat d’un déséquilibre entre les calories ingérées et la consommation d’énergie et dépendrait donc principalement du self- control de l’individu à travers ses choix liés à l’alimentation et à l’activité physique [15]. Le troisième est que la perte de poids est un objectif réaliste et réalisable pour la plupart des personnes grosses, qui peut être atteint grâce à des modifications du régime alimentaire et de l’activité physique, et qui se traduira par une amélioration de leur santé [16]. Le quatrième est qu’il est possible de prédire l’état de santé actuel et futur de l’individu en se basant sur des catégories d’indice de masse corporelle (IMC) [10].

Ces présupposés et les efforts qui en résultent pour lutter contre «l’obésité» dominent la politique sanitaire et sociale dans les pays du Nord depuis deux décennies.

La stigmatisation de la grosseur fait l’objet de larges critiques. La recherche critique dans une variété de disciplines ainsi que les activistes de la grosseur remettent en question plusieurs des présupposés fondamentaux qui sous-tendent le paradigme basé sur le poids et la problématisation de la grosseur, et relèvent, ce faisant, les contradictions et les problèmes concernant les systèmes de mesure de l’obésité, l’évaluation de ses causes et les solutions qui lui sont proposées [17].

Les effets néfastes sur les personnes grosses résultant de la stigmatisation de leur graisse en tant que problème de santé, parmi lesquels la légitimation et l’amplification de la haine des personnes grosses, l’impossibilité d’une perte de poids durable pour de nombreuses personnes grosses et les moindres possibilités d’accéder à la santé en tant que personne grosse ont été largement démontrées par la recherche, que ce soit au sein des domaines interdisciplinaires émergents mêlant études sur la grosseur et études critiques de l’obésité ou au-delà -par exemple [11], [16], 18] -.

Une préoccupation clé dans la recherche critique a été l’utilité de «l’obésité» dans les pays du Nord pour détourner la responsabilité de l’État et son implication dans les conditions qui déterminent la santé et le bien-être social des populations, en la rejetant sur l’individu, rendu seul responsable de sa propre autogestion [8, 17, 19, 20].

Cela a pour conséquence de soumettre les personnes grosses aux remontrances et à la vindicte, sans prendre en compte la réalité qui limite l’accès des personnes grosses aux ressources dont elles ont besoin pour être des citoyens capables de s’autogérer qui atteignent la santé grâce à la minceur. C’est tout particulièrement le cas des personnes de couleur et autochtones grosses, des personnes grosses vivant dans la pauvreté et des personnes grosses handicapées qui doivent composer avec les effets conjugués du racisme, de la colonisation, de la marginalisation socio-économique et du validisme.
Cela s’exprime de manière encore plus cruelle lorsque les gouvernements n’assurent pas la sécurité et la mise hors de danger des personnes grosses en période de catastrophe.

Dans un contexte de catastrophe, la préparation est essentielle et se concentre souvent sur des événements environnementaux, par ex. inondation, tremblement de terre ou incendie [21]. Les hôpitaux et les cliniques sont tenus de prévoir les risques et
les évacuations associées. Les récits de personnes aux corps gros abandonnées lors d’inondations et de tempêtes à la suite d’évacuations par triage [par exemple [22], [23]] nous permettent de souligner auprès des agences concernées la nécessité de tout planifier et de se préparer pour inclure les corps gros dans la réduction des risques en cas de catastrophe et pourtant Gray et MacDonald [24] ont démontré que les corps gros étaient «visiblement invisibles» dans la documentation sur la réduction des risques en cas de catastrophe.

En 2005, l’ouragan Katrina a ravagé La Nouvelle-Orléans et ses environs.
L’écroulement des digues et les inondations qui ont suivi à La Nouvelle-Orléans ont fait de nombreux morts. Dans un établissement médical, Emmett Everett, pesant 172 kg, avait justement demandé à une infirmière de s’assurer qu’il ne serait pas abandonné alors qu’on évacuait les gens autour de lui. D’autres membres du personnel auraient apparemment décidé qu’il ne serait pas possible de l’évacuer. Cet homme est décédé au Memorial Medical Center avec dans le sang des substances qui ne lui auraient pas été prescrites jusque-là (morphine et midazolam) et qui ne concordaient pas avec le fait qu’il aurait pris son petit- déjeuner seul, plus tôt ce jour-là. Il aurait, semble-t-il, été jugé trop lourd pour être évacué dans les escaliers et un médecin lui aurait administré de tels médicaments pour hâter sa mort [22].

Quelques années plus tard, en 2012, l’ouragan Sandy a frappé New York. Le Bellevue Hospital Center a été évacué et contraint de fermer pour la première fois depuis plus de 275 ans. Deux patients n’ont pas pu être évacués de l’établissement de 25 étages comportant 800 lits d’hospitalisation. L’état d’un des patients était instable et il ne pouvait donc pas être déplacé. Une autre patiente a été abandonnée au 15e étage à cause de son volume et de son poids. Bien que des exercices d’évacuation aient été menés, jamais le traîneau d’évacuation n’avait été testé pour des formes de corps et des volumes correspondant aux siens. Les risques liés à sa sécurité et à celle du personnel ont été jugés trop importants pour permettre une évacuation sur le traîneau dans l’escalier étroit [23].

De telles décisions servent à amplifier la problématisation du gros. Ces patient.e.s étaient gros.ses au moment de leur admission dans l’établissement et il était peu probable qu’ielles subissent des changements significatifs relatifs à leur poids avant ou pendant les tempêtes, nous devons donc nous demander pourquoi de telles considérations n’ont pas été prises en compte lors de leur admission. Dans le domaine de la santé, les pandémies présentent un autre type de catastrophe préoccupant les corps gros.

3. Le corps gros stigmatisé dans le cadre de la COVID-19

L’Organisation mondiale de la santé et le Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis répertorient l’obésité comme une «condition médicale sous-jacente» qui augmente le risque de développer une forme grave de COVID-19 [6,25]. Alors que plusieurs articles, revues et bulletins ont été publiés qui plaident en faveur d’une forte relation entre l’obésité et la COVID-19 [26], [27], [28], [29], [30], [31], Flint et Tahrani [32] ont fait valoir dans The Lancet que « à ce jour, il n’existe aucune donnée permettant de mettre en évidence une perte de chance particulière face au COVID-19 chez les personnes ayant un IMC de 40 kg / m2 ou plus.» (paragraphe 3). Ils suggèrent que c’est ce manque de données qui a conduit à une augmentation de l’anxiété chez les personnes grosses, car elles ont été classées comme étant plus à risque de complications.

Ce même manque de données, soutiennent Flint et Tahrani, pourrait induire à tort chez les personnes non grosses un faux sentiment de sécurité. Mais d’autres chercheurs pensent que, même en l’absence de données, il est important de positionner l’obésité comme un facteur de risque. Kassir [26], par exemple, déclare au début de son éditorial:

« Même s’il existe très peu de données disponibles sur l’IMC des patients atteints d’infection au COVID-19, le rôle de l’obésité dans l’épidémie de COVID-19 ne doit pas être ignoré » (para 1) . Le risque clinique de la grosseur restant contesté, il convient de noter que les associations faites entre poids corporel et risque sont souvent réfutées. Par exemple, plusieurs études avaient rapporté un risque et une gravité plus élevés de la grippe H1N1 chez les personnes grosses en 2009 [par exemple [33], [34]].

Cependant, une analyse et méta-analyse méthodiques de la grippe H1N1 en relation à l’IMC montrent qu’après prise en compte des préjugés du monde médical envers les personnes grosses concernant le traitement antiviral précoce et l’IMC, il n’y avait pas d’augmentation du risque de décès pour les personnes grosses (IMC 25 et plus) [35]. Le fait d’avoir un IMC élevé est plus répandu au sein des minorités ethniques et des populations les plus pauvres, deux facteurs qui doivent donc être pris en compte dans toute analyse avant de tirer des conclusions concernant le rôle de l’IMC par rapport à celui de l’accès aux soins en temps voulu, et de la stigmatisation et la discrimination structurelles.

Indépendamment du risque réel ou non, l’association entre les corps gros et la COVID-19 a été placée au-devant de la scène. Le responsable de la santé publique le plus visible aux États-Unis, le Dr Anthony Fauci, a martelé sans relâche que les personnes grosses couraient un risque plus élevé de développer des formes graves de COVID-19; de nombreuses personnes l’ont pris comme une mise en accusation. Un article de Reuters sur le taux de mortalité en Louisiane a fait valoir que le taux de mortalité dans cet État était plus élevé que dans d’autres (celui de New York, par exemple) en raison de la grosseur de ses habitant‧e‧s [36]. S’il est vrai qu’un quart des personnes décédées (jusqu’à présent)de la COVID-19 en Louisiane étaient grosses, ce chiffre n’est jamais que le reflet de la proportion de personnes grosses sur la population totale de l’État. Des articles dans d’autres organes de presse, tels que le New York Times, se sont également fait l’écho du fait que les personnes grosses (les hommes gros en particulier) couraient un risque plus élevé d’être hospitalisées et/ou de mourir après avoir contracté la COVID-19 [37].

En outre, de nombreuses personnes utilisant les réseaux sociaux comme plateformes ont profité de cette pandémie de COVID-19 pour revendiquer et propager leurs positions grossophobes et appeler à l’élimination des personnes grosses. Ahmed [38], par exemple, a publié un article intitulé «Le coronavirus montre pourquoi nous devons combattre la crise de l’obésité».

Quand le gouvernement, les responsables de la santé publique et les journalistes stigmatisent la grosseur, tout le monde l’entend, y compris les professionnels de santé qui évalueront si leurs patients gros doivent se faire tester et traiter contre la COVID-19. On en trouve le parfait exemple dans le traitement reçu par Lauren Rowello, dont le médecin a refusé de lui prescrire un cycle de traitement supplémentaire aux stéroïdes pour traiter sa pneumonie/cas possible de COVID-19. La raison de cette réticence était «que les médicaments pouvaient entraîner une prise de poids» [39]. Lauren a insisté plus d’une fois, expliquant que ses symptômes s’étaient grandement améliorés lors du traitement aux stéroïdes prescrit par un autre médecin, une semaine plus tôt environ. Mais le médecin n’a pas changé d’avis. En partageant son histoire, Lauren a indiqué qu’il n’était pas fait mention de son poids dans les antécédents médicaux fournis, et qu’il ne faisait pas non plus partie des constantes et informations recueillies lors de la consultation en télémédecine. Le soignant a peut-être déduit, en voyant le visage de Lauren à l’écran, que celle-ci était grosse, ou peut-être pensait-il simplement que la prise de poids était un risque trop important pour quiconque, indépendamment de sa taille, pour traiter la maladie. Lauren remarque : «À ce moment-là, elle a projeté un idéal culturel sur mon traitement, porté par la conviction qu’il serait préférable de préserver ma silhouette plutôt que de vaincre une pneumonie potentiellement mortelle »[39, para 17]. Heureusement pour Lauren, elle a pu trouver un autre soignant qui a écouté ses symptômes, ses besoins et a pu lui prescrire les médicaments adaptés pour traiter sa maladie. Malheureusement, il est très probable que de nombreuses personnes grosses atteintes de COVID-19 dans le monde n’auront pas cette chance.

Alors que le corps gros est stigmatisé pendant la pandémie, les gouvernements déploient une énergie renouvelée dans leurs efforts pour lutter contre « l’obésité». Avant la COVID-19, l’élan s’était dissipé après vingt ans d’un discours sanitaire et social dominant. Cela était sans doute dû à une interaction complexe de facteurs, parmi lesquels la preuve croissante de l’inefficacité des politiques de perte de poids menées par l’État visant un changement de comportement individuel [40,41] et l’érosion opérée par les discours critiques sur le paradigme centré sur le poids [11,15].

Il est certain qu’à Aotearoa, en Nouvelle-Zélande, dans les mois qui ont précédé la première mention de la COVID-19, la prévalence du sujet de l’obésité et de sa prévention comme figure constante des gros titres des médias d’information, et objectif politique de premier plan comme c’était le cas au début des années 2000, s’était atténuée et ce marronnier s’était vu relégué à un niveau de priorité inférieur et abordé avec une plus grande prudence politique [42], [43], [44].

La COVID-19 a inversé ce progrès. Les gouvernements, sur la défensive au sujet de leur manque de préparation face à la pandémie et aux inégalités d’accès aux soins mises en lumière par le virus, ont été prompts à désigner la grosseur comme facteur de risque sous- jacent dans le cadre de la COVID-19, et comme charge évitable pour les systèmes de santé devant répondre à la pandémie [45]. Dans le contexte de la COVID-19, l’obésité fait de nouveau la une des journaux [46] et les mesures gouvernementales visant la réduction et la prévention de l’obésité y trouvent un nouveau socle [47].

En conséquence, de nombreux présupposés du paradigme sur le poids sont repris malgré les preuves, de nos jours abondantes, qui montrent qu’ils sont infondés [48]. Ces présupposés se reflètent de manière flagrante dans les initiatives politiques proposées pour lutter contre l’obésité dans le contexte de la crise sanitaire de la COVID-19, et qui visent les

régimes alimentaires et les pratiques sportives des individus [47], ainsi que dans les propositions visant à relancer les financements publics des programmes de chirurgie bariatrique [49], [50], [51].

Par exemple, alors même que le Royaume-Uni a du mal à contenir l’épidémie et l’incompétence ministérielle, continuer à promouvoir la perte de poids comme un facteur réducteur de risque face au COVID- 19 sans preuve formelle d’un quelconque lien [52] est malhonnête. D’autant plus que cette promotion est menée par le Premier ministre du Royaume-Uni qui, lui-même, a été hospitalisé à cause du virus, se qualifie lui-même de gros, a annoncé avoir récemment perdu 6 kilos et a proclamé que les gros Britanniques pourraient se faire prescrire des balades en vélo par leurs médecins [53]. La désignation des personnes grosses comme boucs émissaires s’exprime donc dans les politiques de prévention de l’obésité, mais également dans des propositions visant à rationner, voire même à leur refuser, les ressources et les soins pouvant leur être prodigués face à la COVID-19.

La crainte du corps médical d’être submergé par un afflux de patients souffrant de la COVID-19 est devenue réalité. Les agents de santé publique et le gouvernement ont tenté de comprendre des rapports de modélisation afin de prédire et de se préparer aux «pires scénarios» concernant les taux de reproduction possibles de l’infection [54]. Des propositions de rationnement des soins, notamment l’accès aux respirateurs artificiels, ont été discutées entre professionnels de la bioéthique et médecins [55]. L’incapacité très réelle des services de soins intensifs à faire face à la crise sanitaire, et la possibilité très vraisemblable de devoir rationner les soins sont arrivées au premier plan, concentrant toutes les craintes de la population [56, 57]. Ces questionnements ont abouti à un plan de rationnement excluant des soins les personnes âgées, les personnes handicapées et les personnes grosses [58].

Par exemple, les directives de soin en cas de pandémie de l’État de Californie suggéraient que les décisions liées au rationnement des soins devraient être prises en fonction de l’âge, des antécédents médicaux et du niveau de validité du patient. Devant l’indignation générale, l’État de Californie a révisé ses directives en juin 2020, en ordonnant que les décisions en matière de soins et d’allocation des ressources ne soient pas basées sur le poids ou sur des affections liées au poids, ou dictées par de nombreux autres facteurs tels que l’âge, le genre, l’origine ethnique et l’nvalidité [59].

Malheureusement, le triage et les décisions d’allocation des ressources de soin dépendent souvent de l’équipe médicale et sont donc affectés par les discriminations et les préjugés [57]. Les personnes grosses à qui on diagnostique la COVID-19 ne sont pas les seules personnes grosses à risque, les travailleurs essentiels gros le sont également. La pénurie d’équipement de protection individuelle pour les professionnels de santé en première ligne (et les autres travailleurs essentiels) pendant la pandémie de COVID-19 a été un problème mondial [60], [61], [62], [63], [64].

Aux États-Unis, les professionnel‧le‧s de santé dans les hôpitaux accueillant des communautés de couleur et ceux dans les hôpitaux et maisons de retraite ruraux ont été le plus durement touchés par le manque de ressources de leurs employeurs [65]. Les travailleur‧euse‧s sont obligés de fabriquer eux-mêmes leur équipement de protection, de réutiliser, à défaut, le matériel, ou tout simplement de s’en passer. Ceux qui ont eu accès aux équipements de protection nécessaires constatent souvent qu’ils ne sont pas adaptés, car ils ne sont fabriqués qu’en taille unique [66, 67].

En outre, cette taille unique n’est pas conçue pour les corps de femmes, les corps handicapés ou les corps gros, elle a été conçue pour un corps d’homme [68].
Un rapport du Trades Union Congress, l’organisation fédératrice des syndicats britanniques [69], a révélé que seulement trois femmes sur 10 au Royaume-Uni ont des équipements de protection parfaitement adaptés. Des professionnelles de santé du Royaume-Uni se sont tournées vers les réseaux sociaux pour partager des photos d’elles portant des équipements de protection mal ajustés [67]. En temps normal, des équipements de protection inadaptés compliquent la réalisation des tâches et exposent à des risques d’accidents et de blessures [70]. Mais pendant la pandémie de COVID-19, cela expose des personnes à un risque de maladie. Pour les personnes grosses en particulier, le manque de matériel de protection adapté est problématique : les gros.ses peuvent avoir des difficultés à enfiler les gants, les protections des yeux, les vêtements de protection, etc.

4. Prendre la stigmatisation à bras le corps : les réponses de la communauté militante

Les militant‧e‧s contre la grossophobie du monde entier n’ont pas tardé à remettre en question la stigmatisation de la grosseur dans le cadre de la pandémie de COVID-19 et à en révéler ses effets néfastes sur les personnes grosses. Ces réponses ont inclus lapublication d’articles qui mettent en lumière la grossophobie dans le cadre de la pandémie de COVID-19, en illustrant comment la grosseur est présentée comme un risque élevé et un lourd fardeau pour les ressources de santé, tout en étant également présentée comme une épée de Damoclès pour les personnes non grosses passant du temps en quarantaine (oh non ! Les 5 kilos de la quarantaine !) [72], [73] , [74], [75], [76]. Da’Shaun Harrison [77] illustre comment la stigmatisation de la grosseur pendant la COVID- 19 s’inscrit dans l’histoire eugéniste plus générale des Centers for Disease Control aux États-Unis.

La militante danoise Dina Amlund [78] a mis en évidence la discrimination à laquelle sont confrontées les personnes grosses dans le monde du travail, ce qui les rend plus susceptibles d’être financièrement vulnérables que les personnes non grosses pendant cette période de récession économique. La même discrimination est à l’œuvre dans les établissements de santé, comme l’a noté Amlund, les personnes grosses ayant à la fois un risque plus élevé de contracter la maladie et moins de chance d’en guérir. Amlund conclut : «J’espère que les personnes grosses du monde entier bénéficieront d’un traitement égal pendant cette pandémie. Et j’espère que les personnes grosses du monde entier n’auront pas à souffrir plus durement que tout le monde pendant la crise financière qui nous frappe. »[78, para 25].

L’alliée Christy Harrison [79], du podcast Food Psych, a publié dans Wired un article qui passe en revue les preuves concernant les liens entre grosseur et COVID-19. Les militants gros ont également organisé des campagnes pour faire connaître ces préoccupations et lutter pour des soins convenables pour les corps gros; on trouve parmi eux Yes2Bodies en Suisse [80], la Fat Rose aux USA, et la German Society Against Weight Discrimination en Allemagne. Fat Rose, le collectif militant, a mené la campagne #NoBodyIsDisposable (#NBID) contre la discrimination au triage hospitalier [81]. Cette campagne rassemble des groupes souvent ciblés par des plans de rationnement des soins, tels que les personnes handicapées, les personnes grosses, les personnes âgées et les personnes atteintes du VIH / SIDA (et d’autres maladies chroniques) pour lutter contre les plans de triage qui les sacrifieraient au nom du bien-être des autres.

La campagne #NBID s’est associée à des organisations de défense des droits civiques et à des professionnels de santé pour sensibiliser le public aux plans de triage et de rationnement, et les combattre. La campagne a invité tout le monde à entreprendre trois actions. Parmi ces actions, on trouve la signature d’une lettre ouverte aux prestataires de santé, la prise de contact avec des représentants du gouvernement et le partage d’un selfie de solidarité [81].

Dans le cadre de cette campagne, la campagne #NBID a créé un site Web de ressources destinées aux personnes susceptibles d’être à risque de discrimination au triage. Le site Web héberge des informations sur les documents importants à préparer avant de tomber malade et sur les indispensables à apporter à l’hôpital. Parmi ces indispensables,on trouve le «kit de connexion». Ce «kit de connexion» contient des éléments tels queles coordonnées de la famille et des amis, une «photo de vous-même qui vous humanise, prise dans le cadre de votre vie quotidienne, avec des ami‧e‧s ou au travail» [82], et un mini- résumé à propos de la personne qui entre à l’hôpital. Ils suggèrent de mettre ces documents dans un sac en plastique transparent ou dans une chemise protectrice en plastique, dotés d’une ficelle pouvant être attachée à une civière ou enroulée autour du poignet de l’individu.

Des informations supplémentaires sont fournies sur les endroits où la grosseur bénéficie d’une garantie d’égalité de protection en vertu de la loi à travers les États-Unis (comme la ville de San Francisco ou l’État du Michigan), et les stratégies qui peuvent être utilisées pour défendre ses droits en milieu hospitalier. Des ressources de soutien ont été développées par d’autres. Par exemple, «Comment survivre au rationnement des services COVID-19»[83] est un document britannique qui reconnaît la vulnérabilité des personnes grosses et handicapées face aux décisions de rationnement et encourage tou‧te‧s celleux qui le peuvent à élaborer dès maintenant un plan en cas d’hospitalisation, et à en discuter avec leurs proches. Ils recommandent également d’établir une procuration en ligne, si cette possibilité existe. De l’autre côté de la Manche, l’association We4FatRights a développé des ressourcespour soutenir les militants qui souhaitent s’opposer aux plans de rationnement des institutions et des États membres de l’UE. Ce groupe a été lancé comme un projet de Yes2Bodies et de la Société allemande contre la discrimination par le poids. Dans leur profession de foi, ils déclarent: «Nous rejetons catégoriquement les organigrammes ordonnés par l’État qui décident de la vie et de la mort en fonction d’un diagnostic lié à l’apparence, à l’âge, au handicap et à l’appartenance ethnique»[84].

Les objectifs de la campagne sont disponibles dans plusieurs langues européennes, notamment l’allemand, l’anglais, le néerlandais, l’islandais, le suédois et l’espagnol. Ces ressources comprennent une imagerie militante utilisable sur les réseaux sociaux et une lettre ouverte que les individus et les organisations peuvent signer. Comme ils l’écrivent
: «Les graves décisions morales auxquelles les professionnels de santé sont confrontés découlent de diverses décisions économiques prises ces dernières années. Elles ne reflètent pas le capital existant au sein des pays européens, et qui pourrait être mis à disponibilité pour garantir des soins médicaux décents» [85]. La lettre s’appuie sur une décision de 2020 du comité d’éthique allemand qui proposait que les États ne puissent pas imposer le baromètre éthique devant prévaloir sur les situations de triage aux professionnels de santé [86], comme cité dans We4FatRights [85]. La lettre se termine en exigeant que les institutions prennent clairement position sur l’égalité de traitement des personnes grosses (à la fois pendant la COVID-19 et dans la santé en général), et un appel à traiter la question des soins pendant la pandémie de COVID-19, et en particulier la question du triage, de manière transdisciplinaire, en y incluant les personnes les plus vulnérables.

5. Au-delà de la stigmatisation : un modèle pour une justice sanitaire radicale

L’impact mondial de la COVID-19 marquera des générations. Le Sendai Framework for Disaster Risk Reduction [87] recommande de se recentrer sur une approche basée sur les preuves de l’évaluation des risques, et de mieux comprendre les actions et les prises de décisions relatives aux groupes vulnérables dans le secteur de la santé et des urgences
[88]. D’un côté, on pourrait croire que mettre en évidence la vulnérabilité apparente des personnes grosses à la COVID-19 serait utile, mais en établissant des liens qui peuvent s’avérer plus fragiles que réels, on renforce la stigmatisation de la grosseur et on augmente la vulnérabilité face aux préjugés et à la discrimination.

Comme nous l’avons démontré, des questions subsistent sur le risque mesurable de l’association entre la grosseur et la COVID-19. Indépendamment de notre impossibilité à tirer des conclusions quant à ces risques, un fait demeure : le paradigme centré sur
le poids n’a pas réduit le nombre de personnes grosses ni amélioré la santé de ces dernières.
La COVID-19 éclaire et met en évidence les profondes inégalités déjà existantes qui sont sans rapport avec le poids, mais plutôt causées par les facteurs sous- jacents des déterminants sociaux de la santé tels que la pauvreté, le racisme et d’autres formes d’oppression structurelle. En outre, la stigmatisation et l’oppression grossophobes auxquelles les personnes grosses sont confrontées tout au long de leur vie augmentent leur vulnérabilité aux impacts négatifs de la pandémie COVID-19.

À la lumière de ces informations, nous devons rejeter l’utilisation de la grosseur, et l’incrimination des personnes grosses au nom de la responsabilité individuelle, pour détourner l’attention de la responsabilité qui incombe au gouvernement en matière de préparation, d’intervention et de gestion en cas de pandémie. Nous devons œuvrer inlassablement pour l’inclusion d’un EPI adapté aux travailleurs gros et rejeter fermement tout plan ou triage qui exclut les personnes grosses des soins nécessaires et adaptés dans le cadre de la pandémie de COVID-19. La COVID-19 souligne l’importance de la mobilisation mondiale pour s’attaquer aux disparités structurelles qui alimentent les inégalités en matière de santé, si fortement mises en évidence par cette pandémie de COVID-19.

Les militant‧e‧s gros‧se‧s sont les experts de leurs propres communautés et ont une forte tradition de contestation des «faits» scientifiques sur les corps gras, de recherche de moyens pour empêcher la grossophobie des institutions et de mise à disposition des personnes grosses d’outils pour défendre leurs propres besoins [89]. Ces actions sont en accord avec la philosophie du Sendai Framework for Disaster Risk Reduction qui requiert une meilleure compréhension du risque «sous tous ses aspects de vulnérabilité, de capacité et d’exposition» (p.14). Tout ceci s’aligne sur les principes des Nations Unies qui prônent de ne négliger personne dans une optique de non-discrimination» [90]. Cette obligation de ne négliger personne en cas de catastrophe reconnaît la dignité humaine comme principe fondamental.

Face à cette pandémie mondiale, cela implique de s’assurer que toutes les personnes, quelle que soit leur taille, disposent des ressources nécessaires pour affronter la COVID-19 et d’un accès aux soins qui soit équitable. Il y a bien des leçons à tirer du travail des militant.e.s gros.ses qui, au cours de cette pandémie de COVID-19, ont critiqué l’association entre la grosseur et le risque de COVID-19, ont soulevé la grossophobie intrinsèque des réponses à la pandémie et se sont rapidement organisés pour
identifier les priorités, les ressources et les plans d’action de leur communauté. Ielles ont vigoureusement dénoncé la recrudescence de la stigmatisation de la grosseur facilitée par la COVID, ont rejeté les plans visant à refuser les soins aux personnes grosses, et ont donné la priorité aux besoins des membres les plus vulnérables de leur communauté.

Les actions des militants gros pour dénoncer et contester la stigmatisation de la grosseur, et les effets de celle-ci, dans le cadre de la COVID-19 devraient être considérées et appréciées comme un modèle de justice sanitaire dans la réponse aux catastrophes.

Notes

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